Drôle de film que ce documentaire qui nous montre comment une jeune fille, aidée par son père, se bat pour avoir le droit de dresser un aigle pour la chasse, alors que la tradition n'autorise que les jeunes garçons à le faire.
Le propos est bien féministe, mais la forme du film à un petit côté rétrograde qui le fait plus ressembler à un reportage du National Geographic (en moins bien) qu'à un brûlot engagé.
On est donc partagé devant les mésaventures de la jeune Aisholpan, extrêmement scénarisées, et dont on a du mal à penser qu'elles puissent être entièrement "naturelles". D'un côté, on se dit qu'on ne fait plus de documentaires de ce type (voix off qui surligne les images, évitement de tout élément de contexte, images de drone à tout va), de l'autre on est ébaubi par la pugnacité de la petite Mongole et de son papa, de telle façon qu'on ne peut s'empêcher de dévorer cette aventure, comme on regarde une série à suspense, d'autant plus que les paysages de l'Altaï sont de toute beauté.
Le pays invité du Festival est cette année le Portugal. Je commence donc ma semaine avec un programme de courts-métrages portugais, centré autour de la figure de José Miguel Ribeiro, le réalisateur de Nayola, qui a atteint les écrans français l'année dernière. Les cinq films mettent en valeur l'incroyable diversité des modes d'animation possibles, de la facture classique parfois mêlée à des prises de vue réelles à la peinture sur verre, en passant par les dessins de voyage ou l'animation d'objets. Mais le clou de la séance est le formidable film de Ribeiro, Le suspect, stop motion dans le huis clos d'un compartiment de train, bijou d'humour et de suspense. Ce film a remporté des dizaines de prix à travers le monde et on comprend pourquoi.
J'enchaîne avec la masterclass de Terry Gilliam, en pleine forme à 84 ans. Ce dernier revient sur sa carrière devant une salle Bonlieu pleine à craquer et prompte à s'enthousiasmer à chaque saillie et plaisanterie de l'américano-britannique. De ses débuts de cartooniste au baron de Munchausen en passant par l'incroyable parenthèse libertaire qu'a constitué les Monty Python, le maître nous régale de nombreuses anecdotes qui respirent l'humilité et une soif de s'amuser presqu'enfantine. Parmi ces anecdotes, je retiens le souvenir d'une master class qu'a donné Gilliam à de jeunes cinéastes américains en compagnie de Stanley Donen et Volker Schlondorf, et parmi lesquels se trouvaient un jeune réalisateur nommé ... Quentin Tarentino. Un très beau moment, en attendant le prochain film de Gilliam, The Carnival at the end of the day, qui rassemblera Johnny Depp, Adam Driver et Jeff Bridges.
10 juin
La soirée ne commence pas très bien avec le film du cinéaste canarien David Baute, Mariposas negras (1/5). Cet ambitieux long-métrage, à l'animation pourtant malhabile, trace l'itinéraire de trois femmes du Sud victimes des conséquences du réchauffement climatique, sous forme d'une accumulation de péripéties plus atroces les unes que les autres (guerre, viol, mort). C'est un long calvaire mièvre et doloriste, qui ne semble constitué que de lieux communs dénués de tout enjeu narratif : le film m'a insupporté.
La suite est bien plus agréable, avec le beau Memoir of a snail (4/5) du génial australien Adam Eliott, auteur du célèbre Mary et Max. Le film suit le destin de deux pauvres orphelins, dont le parcours chaotique est décrit avec une imagination débordante et un humour mordant. C'est vraiment un plaisir à la fois intellectuel (l'esprit est toujours sollicité par une trouvaille se trouvant à l'écran), esthétique (les personnages et décors en pâte à modeler sont sublimes) et finalement émotionnel (on écrase sa petite larme). Une réussite majeure qu'on retrouvera sur les écrans français puisque le film est distribué par Wild Bunch. A noter la voix de Sarah Snook (la Shiv de Succession) et celle de Nick Cave en guest.
13 juin
Anzu, chat-fantôme (2/5), film franco-japonais de Yoko Kuno et Nobuhiro Yamashita, lorgne du côté de Ghibli (petite fille décidée qui a perdu sa mère, fantômes et créatures monstrueuses dans la campagne japonaise, outre-monde) sans atteindre malheureusement le niveau des films de Miyazaki : l'animation est trop pauvre et la poésie est absente. Je suis très étonné que ce film somme tout très moyen ait été sélectionné à la Quinzaine des Cinéastes 2024.
Dans la foulée, la projection évènement de Moi moche et méchant 4 (3/5), qui sort en France le 10 juillet, est un plaisir régressif de bon niveau. La grande salle Bonlieu est bondée et l'atmosphère est électrique, avec l'ensemble de l'équipe du film dans la salle. Cette franchise est une de mes préférées : je trouve qu'elle assume parfaitement son côté grand public en déployant des trésors d'imagination visuelle et narrative. Cet opus bénéficie d'une animation ébouriffante et d'un sens du rythme diabolique, que la bande-son énergise encore plus. Les situations qui mettent en scène la famille Gru sont amusantes et celles mettant en valeur les fameux Minions sont délicieuses. J'espère un carton estival au box-office.
15 juin
Vice-versa 2 (2/5) est décevant. Alors que le premier opus réussissait à la perfection l'assemblage de la vie réelle et de la vie intérieure d'une petite fille, cette suite nous embrouille, avec un mélange de plusieurs idées qui ne nous touchent jamais. Il y a par intermittence quelques idées qui font mouche, mais le résultat est loin de combler les espoirs que je mettais dans cette suite.
Sauvages (1/5) de Claude Barras, est encore une plus grande déception. Ce film est une succession de clichés et de lieux communs politiquement corrects : il est donc question d'une multinationale constituée de salopards en cols blancs qui exploitent une forêt d'Amazonie dans laquelle vivent de gentils autochtones en lien direct avec la nature. Aucun enjeu narratif digne de ce nom, aucune nuance, nous avons ici un scénario qui représente bel et bien le niveau zéro de la subtilité. En voyant le film, je ne peux m'empêcher de penser que les qualités de Ma vie de courgette reposaient sur le travail de Céline Sciamma, bien plus que sur celui de Claude Barras, ici unique responsable de ce naufrage intégral.
Le cristal, la plus haute récompense du festival, est aujourd'hui attribué à Memoir of a snail (cf plus haut), un film vraiment merveilleux, alors que le film Flow, que j'ai vu à Cannes, et qui est très bon lui aussi, remporte plusieurs autres prix (dont celui du public).
Le cinquième opus de la série Mad Max est un bon cru.
Il commence bizarrement comme un conte et il ressemble en cela plus au dernier film de George Miller, Trois mille ans à t'attendre, qu'à Fury road.
Nous sommes en effet dans un premier temps invités à contempler de magnifique paysages : une cité verdoyante dans l'enfer désertique qu'est devenue l'Australie, un désert de sable encore plus beau que celui de Dune, une ville citadelle de toute beauté. Nous croisons des personnages dont le charisme est de nature mythologique : Dementus (Chris Hemsworth compose un méchant d'anthologie), Immortan Joe, Praetorian Jack. Tout cela compose un univers attachant, riche de mille détails et parfaitement immersif.
Les grande scènes de poursuite et d'action n'arrivent qu'une fois le film bien avancé, et il faut avouer qu'elles sont époustouflantes de virtuosité et d'inventivité, encore plus spectaculaires que dans les épisodes précédents.
Furiosa est un divertissement pour adulte de très haute tenue, pour peu qu'on se soit pas réfractaire au genre post-apocalyptique ultra-violent, ici agrémenté d'une dose de sadisme gratuit et goguenard, non dénué d'humour (les brochettes de chien et le boudin d'homme !).
Le film est à savourer absolument dans une salle de cinéma, tant le travail sur l'image et le son est conçu pour en mettre plein les yeux et les oreilles.
Je le conseille chaudement aux amateurs, c'est pour moi supérieur à Fury road.
Ce film espagnol est d'une concision et d'une efficacité qui lui a fait rencontrer un succès critique et public tout autour du monde.
Le principe est simple : un couple qui entre au USA pour s'y installer (elle est espagnol, lui est vénézuélien) doit subir un interrogatoire serré des services de l'immigration américaine, ce qui va mettre à dure épreuve la solidité de leur relation.
Tout est parfaitement dosé dans cet exercice de style dont l'ambiance rappelle d'autres huis-clos anxiogènes épurés (The guilty par exemple), presque trop. Le scénario très bien conçu est tellement huilé que même les (rares) surprises finissent par paraître logiques.
Heureusement que les acteurs parviennent à donner corps à ce film quasi-mathématique dans sa progression vers plus de suspicion, plus de doutes. Leurs sentiments semblent eux bien réels, et la prestation de l'actrice Bruna Cusi m'a paru particulièrement solide.
Au final on passe un bon moment, à se demander comment cette aventure va se finir, et pour le coup on n'est pas déçu par le dernier plan, d'une concision sèche et âpre, à l'image du film, dont la durée l'apparente presque à un moyen-métrage (1h17).
On surveillera en tout cas de près la carrière des deux réalisateurs, Alejandro Rojas et Juan Sebastian Vasquez.
Ce film du nouveau venu Ryo Takebayashi est un divertissement honorable sur le thème de la boucle temporelle : une équipe d'employés de bureau semble revivre indéfiniment la même semaine.
Dans un premier temps, l'enjeu de la narration se concentre sur un sujet intéressant : comment se rendre compte qu'on est dans une boucle temporelle ? Et si certains en ont conscience, comment ces derniers peuvent-ils en convaincre les autres, qui les prennent au premier abord pour des fous ?
Ce premier sujet étant traité (assez plaisamment), Comme un lundi s'oriente ensuite vers une comédie dramatique, axée sur la résolution du problème du "comment stopper la boucle ?". Pour ce faire il emprunte une voie teintée de nostalgie, dans un ton très consensuel glorifiant le pouvoir du collectif au service d'une belle idée. Cette deuxième partie est à mon sens un peu moins réussie, car trop convenue.
Le résultat final se laisse regarder sans déplaisir, mais le contenu du film est quand même un peu léger pour tenir la longueur d'un long-métrage : il aurait été parfaitement adapté à une durée de 50 minutes. A vous de voir.
Voici une excellente surprise qui confirme le formidable talent de Pascal Bonitzer pour réaliser, et surtout écrire des films.
C'est en effet par son scénario d'une intelligence rare que Le tableau volé se distingue. Outre des personnages bien écrits, pas immédiatement sympathiques, le film propose des développements variés, des twists amusants, et un portrait tout en nuance de milieux sociaux forts différents. Le style oscille continûment entre la comédie décalée, le thriller artistique, la chronique sociale, le drame familial et même un soupçon de romcom.
Pour mener à bien ce programme somme toute osé, il faut une brochette d'acteurs hors norme. Alex Lutz confirme ici un talent phénoménal pour jouer un personnage désagréable (qu'on finira évidemment par apprécier), Léa Drucker et Nora Hamzawi assurent, et Louise Chevillotte séduit dans un rôle de mythomane très habilement dessiné par Bonitzer.
Le tableau volé arrache même une larme au spectateur lors d'un final très émouvant, qui mêle l'intime à l'historique : c'est très beau.
Los delincuentes confirme la belle vitalité du cinéma argentin, particulièrement efficace dans un style décalé, à la fois contemporain et poétique, dont l'étalon est aujourd'hui Trenque Lauquen.
Le film de Rodrigo Moreno commence comme un thriller lo-fi, dans lequel deux pieds nickelés commettent un hold-up d'un genre spécial. Ils volent une énorme somme d'argent correspondant à leur salaires jusqu'à la retraite. L'un accepte de se faire incarcérer (il pense prendre six ans de prison) alors que l'autre est chargé de planquer l'argent.
Le film est férocement drôle et tendrement poétique dans sa première partie. Les employés de la banque subissent l'enquête lymphatique d'un détective qui n'arrive pas vraiment à être antipathique. Le complice chargé de plaquer le magot est rongé par la culpabilité, et ses états d'âme sont à la fois poignants et risibles.
Bref, on est charmé par le style distancié de ce polar au ralenti (le film dure trois heures et prend son temps) quand il bifurque tout à coup dans une direction absolument inattendue, champêtre et solaire, bousculant au passage la temporalité du film. Le spectateur ne sait plus trop à quoi s'en tenir, le premier sujet du film disparaissant progressivement du champ du film, au profit d'une ode exaltante à la liberté et à la sensualité, parsemée de clin d'oeil amusants (les personnages principaux s'appellent Roman, Moran, Norma et Morna).
Cohérent avec l'évolution interne quasi-libertaire de son scénario, Los delincuentes finit par se perdre avec délice dans une sorte de delta narratif évanescent, dans lequel les principaux personnages se perdent avec nous, comme enivrés par une soudaine liberté : il semblent quitter le film avant sa fin, d'une certaine façon.
Une oeuvre surprenante, qui ne ressemble à rien de connu, comme si Hitchcock rencontrait Hong Sang-soo dans l'Argentine profonde.
Il y a beaucoup de choses sympathiques dans L'effet Coubertin : le jeu pince sans-rire de Benjamin Voisin, celui beaucoup plus marqué d'Emmanuel Bercot, toujours prompte à surprendre, et enfin la mise en scène distanciée et pas désagréable de Jérémie Stein (qui oeuvre à la très bonne série Parlement).
Malheureusement, et même si le film se laisse regarder sans problème, je n'ai pas pu m'empêcher d'être un peu décu. Il manque à ce comique de situation un petit quelque chose qui nous arrache un vrai rire (et pas seulement les sourires qui, eux, ne manquent pas).
La vraie réussite de L'esprit Coubertin, au-delà des lieux communs qui s'accumulent dans le village olympique (ça fornique à tout va), c'est pour moi le portrait à la fois très caustique et finalement assez réaliste des journalistes sur le plateau télé. Ces passages sont vraiment drôles, y compris si on s'attache à lire les bandeaux qui défilent en bas de l'écran, façon chaÎne d'information continue.
Christophe Honoré a déjà démontré qu'il savait filmer de façon fluide et libre une bande d'acteurs, dans le très beau Guermantes par exemple.
Ici, il échoue totalement à intéresser son spectateur. Les atermoiements du clan Deneuve sont non seulement peu intéressants, mais même parfois pitoyables, à l'image de ce match de volley sur une plage italienne qui donne l'impression de voir une bande de happy few des quartiers huppés rencontrer un ballon pour la première fois. J'ai parfois eu l'impression que le scénario du film était dicté par une IA (et si on refaisait la scène de la fontaine de Trévi ?)
Le film n'est porté que par une batterie de sous-textes, qui, s'ils vous échappent - et pensons aux spectateurs qui ne savent rien de la vie privée de Chiara Mastroianni - vous rendront le film aussi sympathique qu'une soirée lors de laquelle vos voisins vous montrent leurs films de famille. C'est d'autant plus triste que le sujet porte en lui un potentiel d'exploitation (psychanalytique, mythologique, cinématographique) colossal.
Les tentatives de "poétisation" (le chien, le soldat anglais) ne font que témoigner de la vacuité intrinsèque du projet, qui ne ressemble en rien à un film de cinéma.
Très décevant, cet Honoré est un autel élevé à la culture de l'entre-soi, sur lequel la statue de Marcello trône sans émouvoir.
Un tirage au sort départagera les gagnants. Vous recevrez ensuite les places envoyé par le distributeur. NB : un des trois lots sera attribué par tirage au sort à un participant ayant aimé ma page FB oumon compte Twitter ou s'étant abonné à la Newsletter du blog (n'oubliez pas pour participer à ce tirage au sort spécial de me donner votre pseudo dans votre réponse, pour que je fasse le lien)
Les derniers Dupieux se suivent, et d'une certaine façon se ressemblent : même nonchalance affectée, mêmes mises en abyme, mêmes idées brillantes juste esquissées.
Ici, le principe est simple : nous voyons des acteurs jouer un film quelconque, puis nous pensons voir ces mêmes acteurs eux-mêmes, avant de nous rendre compte qu'ils jouent encore des personnages d'acteurs, etc. Jusqu'à une fin qui ne résout pas l'escalade, puisqu'à l'évidence, les derniers avatars à l'écran ne sont pas en réalité Louis Garrel, Léa Seydoux, Raphael Quénard et Vincent Lindon.
C'est a peu près tout, et c'est finalement assez peu : on ne s'attache à aucune des personnalités présentées, qui, il faut le dire, sont relativement antipathiques. Dupieux s'ingénie, avec une sacrée dose de méchanceté, à mettre en avant les travers (supposés) de tous ces acteurs : égo surdimensionné, volonté d'écraser le collègue, petitesse d'esprit, manque de hauteur de vue. On peut d'ailleurs se demander jusqu'à quel point les intéressés ont apprécié de devoir jouer des personnages leur ressemblant aussi peu sympathiques.
Dupieux parsème son film d'à peu près toutes les questions qui peuvent traverser le cinéma d'aujourd'hui : metoo (avec une des scènes les plus ridicules du film), homophobie, cancel culture, irruption de l'IA. Mais chacun de ces sujets n'est que grossièrement survolé. Il s'amuse avec un certain snobisme, par exemple en pratiquant un name-dropping de happy few (Tarantino, Paul Thomas Anderson).
L'inconnu du film, Manuel Guillot, est cantonné dans un seul type de scène et ne mérite pas les louanges que j'ai lu ici où là.
En résumé, un Dupieux plus que dispensable qui a pour lui sa grande brièveté et l'aspect chatoyant de certains dialogues, très autocentré, à l'image de ce dernier plan montrant les rails du très long travelling ouvrant le film.
Un palmarès équilibré dans lequel la plupart de mes films préférés de la compétition se retrouvent, à l'exception de Diamant brut et du film roumain Trois kilomètres avant la fin du monde.
Palme d'or : Anora de Sean Baker
C'est une Palme méritée.
Jusqu'à l'irruption dans le paysage le dernier jour du Rasoulof, c'était le film favori de la Croisette. Pour ma part, j'ai adoré Anora et j'ai vécu lors de sa projection une séance dans le Grand Théâtre Lumière qui restera dans mes meilleurs moments à Cannes, toutes éditions confondues. La salle était aux anges, riant, pleurant, applaudissant à tout rompre en plein film. De plus Sean Baker est un homme adorable et un cinéaste parmi les plus doués de sa génération.
Grand prix : All we imagine as light de Payal Kapadia
Ce Grand Prix reconnaît l'émergence d'une réalisatrice de premier plan, qu'on retrouvera à Cannes pendant des décennies à mon avis ! Le film est beau et doux comme son titre, profond et sensible. Il faut noter que ce portrait de trois femmes indiennes est un des rares films de la compétition dans lequel les personnages principaux ne sont pas maltraités.
Prix de la mise en scène : Grand Tour de Miguel Gomes
Grand Tour est une construction intellectuelle qui m'a laissé complètement froid. Le film est constitué d'images quelconques de l'Asie du Sud-Est tournées aujourd'hui en noir et blanc, et de séquences tournées en studio racontant une histoire au début du XXème siècle. Le tout est plombé par une voix off pontifiante. Le film m'a profondément ennuyé, mais le geste est radical et Gomes est un cinéaste qui plait toujours à une cinéphilie des extrêmes. Personnellement, j'aurais plutôt donné ce prix à Coppola, à Arnold, ou à Fargeat.
Prix du scénario : The substance de Coralie Fargeat
C'est LE film qui a secoué les plus sensibles des spectateurs de Cannes, body horror et torrents d'hémoglobine au programme. Lui remettre ce prix n'est pas illogique quand je pense que pendant la projection du film, je me suis dit plusieurs fois : mais que peut-elle inventer de plus après ça ? Un choix osé tout de même. Pour ma part le plus beau scénario est celui du film d'Emanuel Parvu, Trois kilomètres jusqu'à la fin du monde.
Prix du jury : Emilia Perez de Jacques Audiard
Un film formidable, quasiment parfait à tous les points de vue, et qui se préoccupe du plaisir du spectateur à chaque seconde. On est constamment surpris par l'évolution de l'intrigue et le casting est formidable. Les séquences de comédie musicale sont magnifiques. C'était pour moi un des trois prétendant à la Palme, avec Anora et The seed of the sacred fig.
Prix spécial : The seed of the sacred fig de Mohammad Rasoulov
C'était la Palme de presque tout le monde sur la Croisette, et en particulier du tableau des critiques internationaux de la revue Screen, qui fait référence. Le film est sublime, mélangeant les genres avec une efficacité redoutable. Seul petit bémol, la mise en place de la première partie est un peu longuette. Anora est (de peu) une expérience de spectateur plus percutante à mon sens.
Prix d'interprétation féminine : les quatre actrices d'Emilia Perez
Mérité ! Même si c'est un peu étrange de donner deux prix au film d'Audiard. Le caractère collégial de la décision se justifie pleinement quand on a vu le film. C'est la première fois qu'un prix d'interprétation féminine est remis à une actrice trans. Personnellement, ma favorite était l'incroyable actrice de Diamant brut, l'incroyable Malou Khebizi.
Prix d'interprétation masculine : Jesse Plemons, dans Kinds of Kindness
Mérité ! Il y avait peu de concurrents potentiels en lice (les deux acteurs de The apprentice notamment, Sebastian Stan et Jeremy Strong), mais Jesse Plemons est renversant chez Lanthimos. A noter que tous les films du Grec ont remporté un prix dans un Festival majeur : une sacrée performance.
Dernière journée. Direction le Cineum pour une séance de rattrapage : Viet and Nam (4/5) de Minh Quy Truong confirme la vitalité du nouveau cinéma vietnamien. Alors pour faire simple, il y a un petit côté Weerasethakul dans ce cinéma atmosphérique et même parfois onirique. Un peu dur pour une fin de festival, car c'est assez lent et en partie difficile à comprendre, mais il faut reconnaître qu'il y a dans le film des plans de toute beauté. Rattrapage de l'Acid, Kyuka - before summer's end (3/5) du grec Postais Charamountanis, est plein de promesses. La façon dont le film restitue les ambiances estivales sur la mer est formidable et l'intrigue familiale très bien foutue. Le réalisateur parsème son film d'effets de styles plus ou moins heureux et pas très cohérents entre eux, c'est dommage.
L'avant dernière projection de la compétition nous apporte un favori pour la Palme d'or : The seed of the sacred fig (5/5) de Mohammad Rasoulov, est de ces films dont on perçoit rapidement qu'ils sont parfaitement taillé pour la récompense suprême. Une écriture millimétrique, des acteurs incroyables, des styles différents (de la chronique familiale au film d'horreur, du thriller paranoïaque au pamphlet politique), et des sujets qui parleront au plus grand nombre. Un grand film, dans lequel les femmes sont sublimes face à un patriarcat usé jusqu'à l'os. Seul petit bémol : le film est un peu trop long (2h40) et la première heure de mise en place souffre de quelques longueurs.
Dernier film en compétition, La plus précieuse des marchandises (1/5) de Michel Hazanavicius est le plus mauvais film d'animation que j'ai vu depuis longtemps. Il échoue totalement à trouver le bon ton pour parler de la Shoah et semble inclure des séquences interminables, alors qu'il est le plus court film de la compétition.
C'était mon 41ème et dernier film pour cette année !
23 mai
La journée commence, une fois n'est pas coutume, par un film d'animation à Un Certain Regard. Flow (4/5) du Letton Gilts Zilbalodis, est visuellement une merveille, dans un style à l'évidence marqué par l'univers des jeux vidéo type Zelda. L'intrigue est une variation sur le thème du déluge et de l'Arche de Noé, vue à travers les yeux d'un chat. Les animaux sont tous figurés de façon réaliste et il n'y a donc aucun dialogue, mais cela n'empêche pas du tout, au contraire, l'émerveillement de poindre à de nombreuses occasions.
Retour à la compétition pour le reste de la journée. On commence avec Motel Destino (4/5) de Karim Aïnouz, une variation très classique de film noir, mais ici sublimée par les décors incroyablement colorés de ce motel brésilien, par la mise en scène brillante et par le jeu des acteurs. C'est moite et poisseux, avec une fin improbable que j'ai beaucoup aimé. La montée des marches de L'amour ouf (2/5) de Gilles Lellouche, rassemblait ce soir un casting cinq étoiles : François Civil, Adèle Exarchopoulos, Elodie Bouchez, Alain Chabat, Karim Leklou, Raphaël Quenard, Anthony Bajon, Vincent Lacoste. Le film est très maladroit, beaucoup de scènes sont too much, mais on ne voit pas passer les 2h46 du film, parce qu'il est fait avec une authenticité qui se ressent à l'écran. Assez lucidement, Lellouche nous dit à la fin de la séance que sa présence parmi de si grands réalisateurs est une supercherie. Adèle Exarchopoulos est une fois de plus renversante. Je pense que le film sera un succès en salle.
Pour finir la journée je découvre All we imagine as light (4/5) de la jeune Indienne Payal Kapadia. Dans ce triple portrait de femmes qui essayent de trouver leur place à Mumbai, il y a une sensibilité exceptionnelle. Je fais le pari que cette cinéaste deviendra une très grande dans les années à venir.
22 mai
Journée cata en ce qui concerne la compétition. Marcello mio (1/5) de Christophe Honoré part d'une idée géniale (Chiara Mastroianni devient son père), mais les développements de cette idée semblent écrits par une IA : ils sont plats, peu intéressants et on a l'impression d'être l'invité indélicat d'une réunion de famille. Les étrangers n'ont pas aimé du tout le film, car si on ne connaît pas l'histoire personnelle de chaque acteur, le film n'a aucun intérêt. Dans son nouveau film, Parthenope (2/5), Paolo Sorrentino dresse le portrait d'une femme sur plusieurs décennies, tout en peignant sa ville natale, Naples. Le problème est que le personnage principal est assez mal écrit, et que l'interprète Celleste Dalla Porta ne crève pas l'écran. Du coup, il reste le caractère baroque de la mise en scène pour intéresser, mais le résultat est beaucoup moins convaincant que dans La grande belleza.
Les ennuis continuent avec Grand tour (1/5) de Miguel Gomes. La première heure, dans laquelle on contemple de pitoyables cartes postales de l'Asie du Sud-Est contemporaine filmées en Noir et blanc, accompagnées d'une voix off pontifiante, est insupportable. Le film devient ensuite moyen, ce qui parait un soulagement pour le spectateur traumatisé par la première partie. Beaucoup de critiques français adorent ce style "rétropical" brumeux en noir et blanc entièrement filmé en studio, qui évoque un Yann Gonzalez assagi, et il n'est pas exclu qu'on retrouve le film au palmarès à mon grand désarrois. La critique internationale est elle moins enthousiaste.
Heureusement je finis la journée sur une note plus positive. Gazer (4/5) est un premier film autoproduit par Ryan J. Sloan et une bande de potes du New Jersey. L'histoire est celle d'une jeune femme qui souffre d'une maladie mentale qui altère sa perception de sa réalité et qui va se trouver mêlée à une affaire criminelle. C'est écrit d'une façon admirable, dans un style années 70, et l'interprétation de Ariella Mastroianni (rien à voir avec Marcello) est impeccable. Je mise un billet sur ce réalisateur : si son film avait bénéficié d'un financement normal, on aurait pu le trouver dans la sélection officielle.
21 mai
Grosse journée aujourd'hui avec cinq films. The apprentice (3/5), d'Ali Abbasi, décrit d'une façon très sage le début de la carrière de Donald Trump, dans l'immobilier. L'intérêt est surtout de nature informative : on voit bien dans quel moule s'est créé le Trump d'aujourd'hui, et l'importance de Roy Cohn, magistralement interprété par Jeremy Strong. La particularité de cinéma d'Abbasi est complètement dissoute dans ce projet trop lisse, mais plaisant. On ne peut pas en dire autant du film suivant, Les linceuls (2/5), un énième mauvais Cronenberg. Le film commence plutôt bien, dans une atmosphère à la fois lugubre et rationnelle, avant de sombrer par la faute d'un scénario déficient dans une soupe infâme dans laquelle tous les fils de l'intrigue complotiste semblent former une masse informe de spaghettis trop cuits.
La compétition se réveille à la mi-journée avec un des meilleurs films vus depuis longtemps, le formidable Anora (5/5 ) de Sean Baker. Il faut imaginer un grand huit émotionnel, qui commencerait comme une romcom coquine, avant de devenir une sorte de virée nocturne filmée par les frères Safdie et qui se finirait comme un mélodrame russe. C'est exceptionnel de drôlerie, de maîtrise dans la mise en scène, de rythme et de rebondissements. Il y a au milieu du film une scène d'anthologie qui a déchainé des salves d'applaudissements en pleine séance dans le GTL, une situation que je n'avais pas vécu depuis bien longtemps (disons, depuis Toni Erdmann pour ceux qui y était).
Fin de journée plus tranquille au cinéma les Arcades où j'enchaîne deux films. Dans la sélection Acid, Ce n'est qu'un au revoir (3/5), de Guillaume Brac, est le touchant enregistrement de l'amitié qui cimente un petit groupe de lycéen(ne)s, dans les dernières semaines de leur scolarité. C'est très bien fait. L'espagnol Jonas Trueba déçoit par contre, avec son nouveau film, The other way around (1/5). Sa finesse d'observation est ici diluée dans un développement trop long et répétitif, encombré d'une fantaisie meta (on voit la confection du film en même temps que le film), dont je me suis dit qu'elle ne servait qu'à cacher la vacuité du propos.
20 mai
Comme d'habitude, je commence par la compétition. Le nouveau Serebrennikov, Limonov, the ballad (3/5) est meilleur que ses deux précédents opus, plutôt ratés à mon sens. Le style tantôt baroque tantôt apaisé du cinéaste russe est bien adapté à l'itinéraire de Limonov, qui n'est décidément pas un personnage sympathique (en fait, c'est une belle ordure). La virtuosité mise en oeuvre ne permet toutefois pas à l'émotion de surgir. Le film de la Française Coralie Fargeat, The substance (4/5) est le film dont tout Cannes parle ce matin. Un peu à la manière de Titane il y a trois ans, ce film de body horror trempé dans Barbie, à la fois drôle et horrifique, a réveillé une compétition un peu sage. Beaucoup d'hémoglobine et différentes déformations corporelles, dans un style pop épuré. Un film qui a du corps (et même des corps).
Au début de My sunshine (3/5), film japonais de Hiroshi Okuyama présenté à Un Certain Regard, on pense tenir le feel good movie qui remonte le moral en milieu de festival, mais non, cette histoire d'un jeune garçon timide qui pense se réaliser dans le patinage artistique ne tourne pas si bien. C'est mignon, mais la comparaison souvent faite avec Kore-Eda me semble excessive. A noter que le film offre une vision originale d'un Japon complètement enneigé. Pour finir, Miséricorde (4/5) d'Alain Guiraudie, à Debussy. C'est du Guiraudie de très belle facture, tourné en huis-clos dans un petit village de l'Aveyron, et qui ménage surprise sur surprise, dans une atmosphère amusante : une sorte de Théorème cévenol si vous pouvez imaginer cela, emmené par une troupe d'acteurs excellente, Catherine Frot en tête. Le personnage du prêtre est déjà culte.
19 mai
Audiard réveille la compétition et propose un film parfait, de l'étoffe dont sont faites les Palmes d'or. Emilia Perez (5/5) est un défi osé : il décrit comment un parrain de cartel mexicain devient une femme, et il inclut des passages de comédie musicale. Ce mélange improbable est réussi dans tous les domaines : plaisir esthétique, émotions et suspense. La mise en scène est souveraine.
Expérience radicalement différente à la Quinzaine, où je découvre un film indien complètement barré et plutôt réjouissant : Sister midnight (3/5). On suit une jeune femme devenir une sorte de vampire, dans un style qui rappelle par moment Tati. Le scénario peine à tenir la longueur, mais c'est plutôt sympa. A un certain regard Boris Lojkine propose la chronique d'un migrant guinéen, livreur Uber à Paris, dans les 48 heures qui précèdent son entretien avec l'Ofpra. L'histoire de Souleymane (4/5), c'est du Dardenne en mieux, car plus incarné et moins doloriste. Fin de soirée tristounette à la Semaine avec un film américain se déroulant dans la communauté chinoise de New-York autour de la thématique du deuil : Blue sun palace (1/5). Je me suis dit pendant le film que la réalisatrice Constance Tsang avait vraiment utilisé tous les outils que le cinéma met à sa disposition pour rendre son film ennuyeux.
18 mai
Je reprends la compétition ce matin avec Kinds of kindness (4/5) de Yorgos Lanthimos, qui retourne ici à ses premières amours, genre Canine ou The lobster. Décors réalistes percutés par des situations anormales et souvent absurdes : c'est du Lanthimos pur jus. Le film est décomposé en trois sketchs de valeur inégale. J'ai adoré le premier, moins le second et je trouve que le troisième est un peu long. La troupe d'acteurs est au top, Jesse Plemons et Emma Stone en tête. Oh, Canada (1/5) de Paul Schrader, est l'adaptation d'un roman de Russell Banks. En multipliant les sujets (la vieillesse, la confusion des souvenirs, les choix personnels) et les procédés, le film m'a complètement perdu. Je n'ai trouvé aucun intérêt dans le personnage principal, ni dans les péripéties de sa vie. Le type de film qu'on oublie cinq minutes après être sorti de la salle.
Troisième film de la compétition à la suite au GTL pour Caught by the tides (2/5), du Chinois Jia Zhang-Ke qui semble livrer ici un film-somme traversant sa filmographie comme plusieurs décennies d'histoire chinoise. Les procédés et format sont multiples, la narration presque inexistante, et le film ne comprend presqu'aucun dialogue. C'est un peu Godard dans l'empire du Milieu : intéressant, par moment beau, mais globalement ennuyeux. Pour finir, La prisonnière de Bordeaux (1/5) réunit Hafsia Herzi et Isabelle Huppert dans un film très mineur de Patricia Mazuy. Deux visiteuses de détenus de milieux très différents sympathisent. Le scénario est beaucoup trop faible pour maintenir vraiment l'intérêt. Les deux actrices n'ont pas l'air très copines à la fin de la projection et Isabelle Huppert part même de la salle avant la fin du générique : du jamais-vu pour moi à la Quinzaine.
17 mai
Ce matin commence par un miracle : je trouve une invitation pour entrer au GTL voirMegalopolis(4/5) de Francis Ford Coppola, peut-être le film le plus attendu du Festival. Impossible de parler brièvement de ce peplum rétro-futuriste, véritable fourre-tout cyberpunk qui contient plus d'idées de mise en scène, d'images et d'intrigues qu'une centaine de films classiques. C'est souvent génial, parfois terrifiant de mauvais goût, mais j'ai été fasciné tout du long : c'est un film qu'on peut adorer et détester simultanément. Je ne pense pas avoir jamais rien vu de comparable. Le film est descendu par 90 % de la critique et défendu par les autres.
Toujours en compétition j'enchaîne avec Trois kilomètres avant la fin du monde (4/5) du roumain Emanuel Parvu. On dirait du Mungiu (écriture millimétrique, sens du cadre hors du commun, écheveau de relations et jeux de pouvoir qui étouffe les personnages) mais tourné dans les superbes paysages du delta du Danube. Incroyable vitalité de la "nouvelle vague" roumaine.
Pour finir la journée, séance Cannes Premières à Debussy avec le nouveau film de Nabil Ayouch, Everybody loves Tounda (3/5). Le sujet est une jeune femme qui rêve de devenir une cheikha (chanteuse traditionnelle pour faire simple) reconnue. Le film vaut surtout par l'interprétation pleine d'énergie de l'actrice Nisrin Erradi. Beaucoup de femmes fortes dans les films de ce début de festival. Fin de soirée en rattrapage Un Certain Regard salle Varda pour découvrir le film de fiction du fameux documentariste américain Roberto Minervini, Les damnés (4/5). En 1860, des soldats américains égarés doivent défendre une position lors de la Guerre de Sécession : c'est un peu le désert des Tartares filmé de façon très naturaliste, un peu à la façon d'une Kelly Reichardt. Beau, lent, pesant, et heureusement très court.
16 mai
Cap sur la compétition avec trois films à la suite. La séance de 9h dans la salle Agnès Varda constitue pour moi un choc de première ampleur, et la révélation d'une actrice incroyable qui semble tout brûler sur son passage (Malou Khebizi, photo ci-contre). Premier film de la réalisatrice Agathe Riedinger, Diamant brut (5/5) devrait rafler quelque chose (Caméra d'Or a minima, et prix d'interprétation féminine). Ce sera désormais LE film de référence sur la culture des influenceuses, qui ne regarde pas ce milieu de haut. Pour le style, il faut imaginer une Andrea Arnold revivifiée par la Méditerranée. C'est très beau de voir naître ainsi une cinéaste.
Le suédois Magnus Von Horn choisit un style très différent (noir et blanc stylé, décors proprets) pour compter une histoire d'une noirceur absolue. J'ai bien aimé La jeune fille à l'aiguille (3/5), en particulier pour ce contraste étonnant et aussi par l'originalité de l'histoire, réellement romanesque. J'enchaîne sans souffler avec la montée des marches du nouveau film d'Andrea Arnold, Bird (3/5). Si l'Anglaise excelle toujours à décrire avec sensibilité un milieu marginal, elle échoue à mon sens ici à y adosser un volet fantastique. Cela reste toutefois d'un bon niveau.
Pour finir, direction la Quinzaine. Thierry de Peretti adapte un roman de Jérôme Ferrari : A son image (1/5). L'intrigue balaye plusieurs décennies d'histoire du nationalisme corse à travers la destinée d'une photographe. Mal écrit, mal monté, mal dialogué, mal joué et moyennement réalisé : c'est pour moi un échec total.
15 mai
Cette première journée est principalement consacrée aux films d'ouverture des différentes sections. A la Quinzaine des Cinéastes on commence avec le film posthume de la réalisatrice Sophie Fillières, décédée trois semaines après le tournage de Ma vie ma gueule (3/5), foudroyée par la maladie. Agnès Jaoui, véritable alter ego de la réalisatrice dans le film, est sur scène, ainsi que ses deux enfants (Adam et Agathe Bonitzer, tous deux acteurs) qui ont finalisé le montage, pour un moment très émouvant. Le film est amusant, doux, sensible. On passe un très bon moment, même s'il manque un petit quelque chose pour être vraiment emporté. Le deuxième acte (2/5), qui lui fait l'ouverture de l'officielle, ne m'a pas enthousiasmé. C'est le Dupieux que je n'aime pas trop : des idées brillantes rapidement esquissées, un manque d'approfondissement des situations. Bref du travail bâclé et terriblement auto-centré, qui scintille par moment.
Je passe ensuite toute la soirée dans la très belle salle de la Semaine de la critique. Le film d'ouverture, Les fantômes (4/5) de Jonathan Millet est une première oeuvre étonnante de maîtrise, au niveau du scénario comme de la mise en scène. On suit avec intérêt la traque d'un criminel de guerre par un Syrien réfugié en Alsace, mais le film parle aussi du deuil et de l'exil. Un cinéaste très prometteur. Je finis un peu fatigué cette première journée par un film argentin qui n'est pas sans qualité, mais auquel je n'accroche pas vraiment : Simon de la montaña (3/5). Il s'agit du coming of age d'un groupe d'adolescents qui présentent la particularité d'être légèrement handicapés. L'intérêt du film, qui traite de sujets mille fois vus (la révolte contre l'autorité, les conneries en bande, ma découverte de la sexualité) est ici transcendée par le jeu de l'acteur principal et l'aspect incroyablement naturaliste du film. Demain, cap sur la compétition.
Le festival de Cannes a ceci de merveilleux qu'on entre souvent dans les salles sans avoir la moindre idée de ce qu'on va voir.
On est la plupart du temps agréablement surpris, et quelque fois on s'ennuie ferme. C'est ce qui m'est arrivé en 2023, en découvrant à la Quinzaine ce film qui portait encore son titre originel, précieux et prétentieux à son image : The feeling that the time for doing something has passed.
Joanna Arnow se filme elle-même dans une succession de scènes dans lesquelles les personnages semblent réciter leur texte de façon automatique, un peu à la manière d'un Kaurismaki, la beauté des plans et la tendresse distante en moins.
La vie sans intérêt de l'héroïne s'écoule ainsi sous nos yeux : parents insupportables, vie en entreprise quelconque et surtout, le sexe. Ann multiplie en effet les rencontres charnelles masochistes sans que j'ai bien compris à quoi tout cela rimait. L'actrice n'est pas attachante, son personnage est une coquille creuse qui ne manifeste aucune sentiment.
Il y a peut-être un sens à tout cela, mais il m'a échappé.
Du 14 au 25 mai 2024, vous pourrez suivre le Festival de Cannes en direct sur Christoblog, avec un résumé tous les soirs de mes aventures sur la Croisette, à suivre en lisant Mon journal de Cannes.
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Cette année, la compétition comprend 22 films, soit un de plus que ces deux dernières années. On peut distinguer dans la sélection les cinéastes qui ont déjà eu au moins une Palme d'Or, moins nombreux que d'habitude (Coppola - Megalopolis, Audiard - Emilia Perez), ceux qui sans avoir reçu la récompense suprême ont très souvent participé (Cronenberg - The shrouds, Jia Zhang-Ke - Caught by the tides, Andrea Arnold - Bird), ceux qui ont déjà été en compétition au moins une fois (Abbasi - The apprentice, Aïnouz - Motel destino, Baker - Anora, Hazanavicius avec un film d'animation - La plus précieuse des marchandises, Honoré - Marcello mio, Lanthimos - Kinds of kindness, Schrader - Oh Canada, Serebrinnikov - Limonov the ballad, Sorrentino - Parthenope), et enfin ceux qui apparaisse en compétition pour la première fois.
Parmi ces derniers, l'Iranien Mohammad Rasoulov, en délicatesse avec le régime, monte si je puis dire en Ligue 1 avec The seed of the sacred fig, puisque beaucoup de ces films avaient été présenté à Un certain regard (dont le magnifique Au revoir). On attendra aussi avec beaucoup d'impatience de voir les débuts à ce niveau de Gilles Lellouche et son Amour ouf, mégaproduction française avec Adèle Exrachopoulos et François Civil.
4 femmes seulement parmi les 22 cinéastes retenus : outre Andrea Arnold, la jeune Payal Kapadia permet le grand retour de l'Inde en compétition (All we imagine as light), et la France sera représentée par Coralie Fargeat avec un film de body horror américain (The substance) et Agathe Riedinger, sorte de "Dardenne marseillaise" comme l'a présenté Thierry Frémaux, avec Diamant brut.
Enfin, le Portugal fait aussi son grand retour en compétition avec le très attendu Grand tour de Miguel Gomes, ainsi que la Roumanie avec Emanuel Parvu (Trois kilomètres jusqu'à la fin du monde) et la Norvège avec Magnus Von Horn qui présentera un film en noir et blanc (La jeune femme à l'aiguille), comme celui de Gomes.
Cannes Premières
Avant 2020, les "refoulés" de la compétition se retrouvaient à Un certain regard, ou à la Quinzaine. En 2021, Thierry Frémaux leur a offert une nouvelle section qui est reconduite cette année, dans la salle Debussy, habituellement réservée à Un certain regard. On retrouvera ici un casting dont Venise ou Berlin se délecteraient : Nabil Ayouch, Leos Carax, Alain Guiraudie, les frères Larrieu et Rithy Panh, entre autres.
Un certain regard
Cette sélection se recentre sur son objectif initial, comme ces trois dernières années : faire découvrir des oeuvres originales et exigeantes. Peu de noms connus par conséquent. Pour ma part je guetterai avec attention le nouveau film de l'Islandais Runar Runarsson (When the light breaks) qui devait être très proche de la compétition, et la nouvelle fiction du formidable documentariste Roberto Minervini (Les damnés).
A noter aussi dans cette section un film d'animation, Flow, du prodige letton Gints Zilbalodis. Trois actrices présenteront dans cette section leur premier film : Laetitia Dosch (Le procès du chien), Ariane Labed (September says) et Céline Salette (Niki)
Autres séances de l'officielle
Dans le cadre des séances spéciales, séances de minuit et autres projections inclassables, on trouve cette année du très lourd, que ce soit en matière de cinéma d'auteur (Dupieux, Guy Maddin, Claire Simon, Desplechin) ou de fun (George Miller, Kevin Costner, Le comte de Monte-Cristo).
Quinzaine des cinéastes
Julien Rejl continue de renouveller complètement le casting de la Quinzaine pour sa deuxième année, en affichant clairement sa volonté d'éviter les "poids lourds recalés de l'officielle".
Cap sur l'aventure, donc, avec une ligne éditoriale radicale orientée vers le cinéma expérimental, queer et imprévisible.Pas beaucoup de grands noms, mais comme l'année dernière un tropisme net pour le ciné indépendant américain (pas moins de cinq films !).
Quelques réalisateurs renommés tout de même : Ma vie ma gueule, le film posthume de Sophie Fillières en ouverture (moment d'émotion à prévoir pour Agnès Jaoui), ceux de Thierry de Peretti (toujours en Corse) et de Patricia Mazuy (avec Isabelle Huppert et Hafsia Herzi).
Côté espagnol, j'essaierai de voir The other way around, de l'excellent Jonas Trueba, que beaucoup attendait en sélection officielle.
Comme en 2023, c'est sur le papier la sélection qui m'attire le moins.
Semaine de la critique
On a toujours plaisir à fréquenter la Semaine, qui ces dernières années a fait de très belles découvertes (Aftersun, Le ravissement, Inchallach un fils).
On se promènera donc cette année du Brésil à l'Egypte, de Taïwann en Argentine et aussi beaucoup en ... France et en Belgique.
Parmi les séances les plus décalées de la quinzaine canoise on peut parier un ticket sur Les reines du drame, d'Alexis Langlois, "comédie musicale lesbienne populaire", avec en guest star Bilal Hassani et Asia Argento.
Le film d'ouverture, un thriller psychologique de Jonathan Millet (Les fantômes) est aussi très prometteur sur le papier. Le film de clôture est un body horror au féminin (sujet décidément à la mode) qui se passe en Camargue, avec l'actrice Oulaya Amamra : Animale.
ACID
Dans la petite dernière des sélections cannoises, peu de noms connus, mais beaucoup tenteront d'accéder aux séances de projection du dernier film de l'excellent Guillaume Brac, Ce n'est qu'un au revoir.
Le reste de la sélection nous propose comme d'habitude un beau tour du monde : Inde, Colombie, Grèce, Argentine, USA et Marseille.
Il faut une sacrée assurance à Elise Girard pour proposer ce film étrange, dans lequel il ne se passe pas grand-chose et qui ne propose finalement que la juxtaposition de deux paysages désolés : celui extérieur d'un Japon comme déserté et celui intérieur, composé par une Isabelle Huppert endeuillée plus huppertienne que jamais.
De cette confrontation, dans laquelle l'acteur Tsuyoshi Inara semble faire partie du paysage, il ressort un sentiment de douce morbidité : le mort s'efface progressivement dans une jolie mise en scène, pour que la vie se ré-immisce dans la vie de Sidonie.
Tout cela est mené tambour mollissant, si je puis dire, dans des Limbes grisâtres, hall d'aéroport désert, hôtels tout droit sortis de Shining, séances de dédicaces diaphanes et interviews irréelles.
Sidonie au Japon est beau parce qu'imparfaitement lugubre. Malgré tous ses efforts pour amener la désespérance à un point d'incandescence, il parvient à nous émouvoir par la seule force de la mise en scène.
Derrière ce titre accrocheur et très bien trouvé se cache un film québécois délicieux, mélange de comédie romantique et de coming of age movie, adoptant tous les codes des films de vampire pour mieux s'en détacher.
La jeune vampire Sasha, n'aime pas tuer les humains. Ses parents, un peu comme un couple de fauves qui essaierait d'apprendre en vain à leur rejeton de chasser des gazelles, se désespèrent : que deviendra leur fille si elle ne sait pas se procurer sa subsistance par elle-même ?
La jeune fille a alors une idée géniale : écumer les réunions de suicidaires anonymes pour faire son marché de sang frais, tout en en laissant sa conscience en paix. Les choses se compliquent lorsqu'elle tombe d'accord avec un jeune homme ... dont elle tombe amoureuse.
La réalisatrice Ariane Louis-Seize (quel nom !) nous donne une oeuvre délicate, très plaisante et superbement mise en scène, regorgeant d'idées amusantes et parfois, émouvantes. On s'amuse beaucoup en se demandant quelle issue pourra être trouvée à cette romance nocturne contre-nature, et on n'est pas surpris par la fin.
Une excellente surprise, qui fournit le plaisir de retrouver une des interprètes du très bon Falcon Lake, la jeune Sara Montpetit.
Peut-être que la quinzaine d'excitation folle du festival de Cannes n'était pas le moment idéal pour découvrir ce film exigeant.
Toujours est-il que je me suis bien ennuyé, alors que le sujet ici traité est plutôt intéressant : donner à voir le quotidien des autochtones de la forêt profonde du Brésil (les Krahô), et nous instruire quant à leur histoire.
De ce double point de vue, le film est plutôt au rendez-vous. On est vraiment au contact de la communauté (dans la forêt, mais aussi en ville, et même lorsqu'ils manifestent à Brasilia), et on a aussi une bonne idée des massacres perpétrés par les colons européens, grâce à une scène de reconstitution sous forme de fiction, qui génère un peu de perplexité le temps qu'on comprenne ce que l'on est en train de voir.
Au global le film ne m'a pas vraiment convaincu. J'ai trouvé que la façon de filmer était vraiment pauvre, voire rudimentaire. Certains procédés qui tendent à abolir la frontière entre documentaire et fiction (la petite fille qui voit dans le passé) m'ont paru apporter plus de confusion que de magie, brouillant le message du film.
A force d'hésiter entre fiction et documentaire de façon finalement très auto-centrée, le film perd de vue son sujet principal, et c'est dommage.
Un tirage au sort départagera les gagnants. Vous recevrez ensuite les places envoyé par le distributeur. NB : un des trois lots sera attribué par tirage au sort à un participant ayant aimé ma page FB oumon compte Twitter ou s'étant abonné à la Newsletter du blog (n'oubliez pas pour participer à ce tirage au sort spécial de me donner votre pseudo dans votre réponse, pour que je fasse le lien)
Avec leur premier long-métrage, le hongrois Tibor Bánóczki et sa partenaire Sarolta Szabó nous offrent un des meilleurs films d'animation pour adulte vu depuis longtemps.
Tout est en effet formidable dans Sky dôme 2123 : une histoire complexe et profonde, des décors variés et sidérants, des personnages attachants. Le complexe procédé d'animation, qui mélange rotoscopie et animation traditionnelle, est d'abord suprenant puis franchement convaincant.
Nous sommes en 2123 et la ville de Budapest vit intégralement sous un dôme. A 50 ans, chaque être humain se voit transformé en arbre pour le bien de la communauté. En proie à une profonde dépression (elle a perdu son fils), Nora devance l'appel à 32 ans, mais son mari ne l'entend pas ainsi....
Sur cette trame qui mélange habilement préoccupation écologique, drame intime, thriller psychologique et raid movie d'anticipation, le film brode un motif fait de douceur et de splendeur visuelle : on est littéralement happé par chaque station que parcourt notre couple à la recherche d'une introuvable issue.
Sky dome 2123, belle découverte du Festival d'Annecy 2023, est vraiment un film à découvrir. Il mériterait une distribution bien plus large.