Le voici le grand film de 2024, la Palme d'Or incontestable, le film parfait qui parachève le parcours d'un cinéaste d'exception, mais qui réserve surtout un intense moment de satisfaction jouissive à ses spectateurs !
Anora présente les mêmes caractéristiques que Parasite de Bong Joon-Ho, dernière Palme d'Or de ce niveau : un scénario surprenant du début à la fin, une capacité à marier les styles hors du commun (romance, drame social, comédie de moeurs, burlesque), et surtout une envie de distraire son spectateur qui conditionne toute la conception du film.
On est donc brinquebalé pendant les 2h19 d'Anora entre 1000 sensations différentes, mais toutes plaisantes : un érotisme décomplexé, des tableaux de lieux et de milieux sociaux inoubliables, une actrice qui casse littéralement la baraque (Mikey Madison incroyable de vivacité et de pugnacité) et une évolution de l'intrigue complètement imprévisible.
C'est d'ailleurs une gageure de parler de ce film sans en révéler la fin, triste et douce à la fois, magnifiée par un dernier plan d'anthologie, qui donne au film une profondeur aussi émouvante que les péripéties précédentes étaient hilarantes. Cette fin sublime l'ensemble du film, en nous susurrant que pendant cette odyssée explosive nous spectateurs n'avons pas su voir l'essentiel.
Avant d'arriver à ce climax, vous aurez pu goûter à ce que Sean Baker sait faire de mieux : dresser des portraits de marginaux (au sens large) en êtres humains. Cela paraît simple, mais il faut une sorte de génie de la mise en scène pour que ces portraits, souvent improbables, prennent vie sous nos yeux avec tous les oripeaux de la réalité.
Il y a aussi au centre du film une scène qui dure 25 minutes (celle de l'appartement), qui a nécessité dix jours de tournage, et qui est la scène la plus brillante que j'ai vu depuis longtemps dans une salle de cinéma, conférant au personnage d'Ani une dimension quasi-mythologique.
A la fois Cendrillon jusqu'au-boutiste, Pretty woman à la sauce slave, pseudo-documentaire magnifiant le cinéma US des années 70, comédie d'action survitaminée, superbe portrait de New-York City, le dernier Sean Baker est le film dont vous avez besoin, capable de vous faire rire, réfléchir, et qui sait, peut-être même verser une petite larme.
Le petit théâtre habituel de Guiraudie est ici proposé à la mode automnale.
Les décors habituels de l'Aveyron servent de décors à une sarabande attendue, mais toujours aussi délicieuse : un homme fort qui vient de mourir, sa femme, son fils énervé, un curé, un voisin et un étrange visiteur qui va agir sur ce petit monde un peu comme celui du Théorème de Pasolini.
Le désir sexuel semble sautiller de personnage en personnage comme le ferait une puce gouailleuse, alors que se dessine un polar dans lequel chaque personnage évolue dans ses relations aux autres.
Ce thriller occitan génère de franches tranches de rigolade, assez innatendues de la part de Guiraudie. Les personnages des gendarmes sont hilarants, policés dans leurs questions, mais complètement décalés dans leurs actions.
Mais le personnage central du film, celui qu'on n'oubliera pas de sitôt, c'est le curé joué par l'excellent Jacques Develay. Sa bonté, son flegme, sa capacité à tout comprendre avant tout le monde est touchant au possible. Il est étonnant de voir Guiraudie dessiner un personnage de prêtre aussi émouvant.
Miséricorde fait partie de ces films pour lesquels il est absolument impossible de deviner l'évolution de l'intrigue ... et c'est un sentiment jouissif. Drôle, intrigant, mais aussi générateur de réflexion (comment punir justement un assassin ?), le dernier Guiraudie est l'un de ses meilleurs films.
Le texte qui a servi de support à ma présentation du film hier 21 octobre, au Dôme Cinéma d'Albertville :
Le cinéma iranien est depuis de nombreuses décennies un des cinémas les plus productifs de la planète, alors que les conditions politiques de sa production sont très difficiles, puisque depuis la révolution de 1979 le régime persécute globalement les artistes. Au vu de la qualité déjà incroyable de sa cinématographie, on peut rêver de ce que produiraient les talents iraniens dans un terreau plus favorable !
Le cinéma iranien est né au tout début du XXème siècle et la première salle de cinéma a ouvert à Téhéran en 1904. De nombreuses générations de cinéastes se sont succédées tout au long du siècle au sein d’une industrie prospère, jusqu’à l’émergence d’un mouvement qu’on a appelé La nouvelle vague iranienne, dont Abbas Kiarostami (1940-2016) est le fer de lance. Vous avez peut-être vu quelques-uns de ses films, qui ont rencontré un grand succès en Occident (Où est la maison de mon ami ?, Close-up, Au travers des oliviers…).
Un autre cinéaste iranien, plus jeune, a lui aussi trouvé le chemin d’un succès international, Asghar Farhadi (1972-) (A propos d’Elly, Le client, Un héros). Ces deux très grands cinéastes ont eu des problèmes avec le régime des mollahs, mais ils ont en quelque sorte joué au chat et à la souris avec les autorités de leur pays, essayant de faire en sorte que leurs messages puissent passer, sans que la censure interdise leur film. Par exemple Kiarostami, s’est vu imposé de remplacer une musique de Louis Amstrong par de la musique traditionnelle dans son chef d’oeuvre Le goût de la cerise (Palme d’or à Cannes), et Farhadi s’est vu brutalement retiré son autorisation de tournage alors qu’il tournait Une séparation, qui reste à ce jour le plus grand succès en France du cinéma iranien (le film sortira finalement quand même en Iran).
Ces deux grands cinéastes ont donc subi au long de leur carrière intimidations, menaces, brimades, mais n’ont pas vraiment eu à craindre pour leur sécurité et leur intégrité physique. Ces deux chefs de file se sont aussi, au cours de leur carrière, « évadés » ponctuellement en tournant régulièrement à l’étranger, et plus particulièrement en France, retrouvant ainsi temporairement une totale liberté et pouvant filmer des stars occidentales (Juliette Binoche dans Copie conforme pour Kiarostami, Tahar Rahim et Bérénice Béjo dans Le Passé, Penelope Cruz et Javier Bardem dans Everybody knows, pour Farhadi).
Mohammad Rasoulov (1972-), dont nous allons voir le nouveau film ce soir, était dans une situation bien plus difficile que ses deux illustres collègues dont je viens de parler. Comme un autre très talentueux réalisateur iranien, Jafar Panahi (1960-), qui fut par ailleurs assistant de Kiarostami, Rasoulov persiste lui à tourner en Iran, de façon totalement clandestine, donc sans déclarer son activité et en renonçant totalement à ce que ses films soient vus en Iran, au péril de sa liberté, et même, on peut le dire, de sa vie. Rasoulov a été condamnés de nombreuses fois à la prison, en 2010, 2019, en 2023.
Le 8 mai 2024, il est de nouveau condamné à huit ans de prison, alors que le film que vous allez voir ce soir est sélectionné en compétition pour le Festival de Cannes. Estimant qu’il ne pourra pas supporter cette nouvelle incarcération, il parvient à quitter le pays dans des conditions rocambolesques, parvient en Allemagne, rejoint la France probablement aisé par les Services secrets français et peut assister à la projection de son film à Cannes, dans une ambiance indescriptible, vous pouvez l’imaginer. Il faut souligner que Cannes a toujours soutenu les cinéastes persécutés dans leur pays.
Les principaux films diffusés en France de Rasoulov sont : Au revoir (2011), Les manuscrits en brûlent pas (2013), Un homme intègre (2017), pour moi son meilleur film avant Les graines du figuier sauvage, et enfin Le diable n’existe pas (2020), un film a sketch qui a obtenu l’Ours d’or, la principale récompense au Festival de Berlin. Il faut avoir en tête que toutes les images que vous allez voir ont été tournées furtivement, avec des acteurs et des techniciens recrutés par la bande et qui risquent beaucoup à faire ce film. Rasoulov lui-même était très peu présent sur le tournage pour des raisons de sécurité et donnait souvent ses instructions par talkie-walkie, dissimulé à proximité. C’est assez incroyable quand on voit la qualité exceptionnelle du film, que ce soit en matière d’image, de mise en scène, de jeu des acteurs ou de montage.
D’abord Rasoulov raconte que l’idée du film lors de son dernier séjour en prison. Un groupe de dignitaire du régime s’est approché de lui et l’un d’entre eux lui a offert un stylo et lui a dit : « Je me désole de voir des gens comme vous ici. Je ne sais quoi répondre à ma femme et mes enfants qui m’interrogent sur ce que nous faisons ». Ce qui lui a donné le thème principal du film. Les souvenirs de prison de Rasoulov sont parfois édifiants. Il raconte par exempleque tous les voleurs de sa prison avaient les mains bandées : la charia imposait deleur couper un doigt… avant que les autorités ne les envoient à la clinique d’à côtépour une greffe qui par ailleurs ne prend pas toujours !
Quelques nouvelles maintenant des personnes qui ont contribué au film. La monteuse par exemple, dont on ne connait pas l’identité exacte (les véritables noms de l’équipe technique ne figure pas au générique), est restée en Iran, mais ne collabore plus qu’aux films qui se réalisent sans autorisation. C’est une façon de résister pour elle : « Accepter de travailler dans le cadre de la censure est une sorte de collaboration », dit-elle dans un article du Monde. Une prise de risque de plus en plus fréquente, malgré les risques encourus : 71 films iraniens clandestins auraient été envoyés à Cannes cette année !
Le chef opérateur du film a eu une descente de police dans son bureau et tout son matériel a été confisqué. Il ne peut plus travailler et il est sous pression constante. Les deux acteurs principaux, le juge (Mizagh Zare) et sa femme (Soheila Golestani), sont toujours en Iran, et sont bien sûr sous la menace d’un emprisonnement. Rasoulov a d’ailleurs brandi leur 2 photos lors de sa montée des marches à Cannes.
Les trois plus jeunes actrices du film (les deux filles du couple et leur copine blessée à l’oeil) ont quitté le pays et vivent désormais à Berlin. Elles racontent que le tournage, avec une équipe d’une vingtaine de personne, s’est déroulé de janvier à mars de cette année, dans la plus grande discrétion. Elles racontent qu’elles n’en ont parlé à leur proche par précaution. Se sentant menacées, elles fuient le pays au printemps, sans même saluer leur famille, laissant téléphones portables et tout appareil électronique derrière elles.
Le destin du juge peut être vu comme une métaphore de l’évolution (et de la dégradation progressive) du régime jusqu’à une fin désirée par Rasoulov et la majorité de la société iranienne. Le film évolue ainsi du confinement oppressant de l’appartement au grands espaces de la libération, qui finissent par voir le tyran mis à terre (et même en terre, sans qu’on ait à lui tirer dessus). Le pacte « faustien » dont on voit la signature dans les premiers plan (pervertir les relations humaines sur une base religieuse jusqu’à se faire détester par tous, pour acquérir pouvoir et confort) est celui du juge, mais n’est-ce pas aussi l’évolution du régime depuis la Révolution ?
Un des points remarquables du film ce sont les changements de registre successifs : d’abord chronique familiale et sociale assez classique, puis suspense psychologique à la Hitchcock (whodunit ? qui l’a fait ?), puis séance de torture psychologique (l’interrogatoire insoutenable, qui marque le point du basculement du film, le moment où le juge franchit un point de non-retour avec sa famille), puis road movie à travers le pays (les films tournés dans les voitures ne se comptent plus dans le cinéma iranien, ex : Le goût de la cerise, Taxi Téhéran, Querelles, Hit the road), puis quasi-film d’action horrifique dans la maison, puis western final dans un décor incroyable. C’est comme si le film « encapsulait » dans sa trame narrative plusieurs « micro- films » documentant de façon la plus complète possible la situation générale de la société iranienne contemporaine.
Un autre point remarquable du film à mon sens est le portrait de la mère, qui tente désespérément de concilier l’inconciliable,toujours sur un fil en essayant de résoudre les paradoxes à son échelle (son mari vsses filles, la nécessité de respectabilité vs l’empathie avec la jeune blessée, l’intérieur vs l’extérieur, le passé vs le futur). De tenir la cellule familiale vivante malgré les tensions qui menacent de la désintégrer.
Le grand intérêt du film précédent de Claude Barras (il est vrai écrit par Céline Sciamma, qui sait y faire) était délicieux car il pouvait être regardé de plusieurs points de vue : celui de l'enfant, celui de l'adulte, et celui de l'enfant sommeillant dans l'adulte.
Il y avait dans ce film une inventivité de tous les instants, une tendresse mêlée de nostalgie et de fantaisie.
Rien de tout cela n'est présent ici. Le propos est pachydermique et aussi inattaquable en terme de politiquement correct qu'insipide en terme d'enjeux narratifs. Il y a donc ici rassemblés le plus grand nombre de clichés bien-pensants vu depuis longtemps au cinéma : un gentil bébé orang-outang tout mignon qui ne sert à rien, de gentils sauvages proches de la nature, une méchante compagnie multinationale sans scrupule qui vient tout foutre en l'air (ce sont eux les vrais sauvages, non ?), une nature protectrice (le fameux "esprit de la forêt") , mais aussi une gentille botaniste et un méchant contremaître (le contraire eut été plus original). Et aussi une panthère bienveillante, évidemment.
Sauvages est plus un film militant à destination des plus jeunes qu'une oeuvre qui se préoccupe de développer une intrigue intéressante. Il est en cela très différent de Ma vie de courgette.
L'animation est quant à elle plutôt réussie et la musique du film est très originale. Sauvages peut donc convenir entre sept et neuf ans. Au-delà, il y a fort à parier que la mièvrerie de ce prêche larmoyant agisse comme un repoussoir.
Quand un film comprend des passages de comédie musicale, et que ces derniers ne fonctionnent pas, alors le sentiment d'un échec total gangrène le film sans rémission possible.
Joker : folie à deux reprend pourtant la plupart des éléments qui m'avaient plu dans le premier opus : l'absence totale d'effets spéciaux, une atmosphère glauque, une sorte de vérisme cru et alambiqué.
Malheureusement, les passages chantés sont ici d'une laideur insigne. Joaquin Phoenix s'avère un piètre chanteur, et ses mimiques surjouées n'aident pas à se montrer indulgent. Lady Gaga joue un rôle sans profondeur, sans charme et sans envergure. Ce n'est pas qu'elle est mauvaise, c'est que son rôle est très mal écrit. Chaque scène de musical est un calvaire.
Le film tourne en rond rapidement, à mi-chemin entre le film de procès insipide et le film de prison inconsistant. On s'ennuie ferme tout du long, et la fin, pompeuse et improbable, pose sur le brouet indigeste du film une cerise empoisonnée.
Todd Phillips sur Christoblog : Very bad trip - 2009 (*) / Joker - 2019 (***)
Devant son casting incroyable et l'intense battage médiatique qui l'accompagne, j'ai quelques scrupules à dire du mal de ce film.
D'autant plus que la première partie, consacrée à l'adolescence des deux personnages, est tout à fait charmante.
Les deux interprètes principaux (la formidable Mallory Wanecque, remarquée dans Les pires, et Malik Frikah) présentent l'énorme avantage de ne pas être connus : on peut d'autant plus facilement se glisser dans cette histoire d'amour entre deux adolescents que tout oppose, un peu finalement comme dans Titanic. La reconstitution des années 80 est délicieusement réussie.
Rien de vraiment extraordinaire, mais la justesse de ton de Gilles Lellouche, qui était le point fort du Grand bain, nous emporte ici aussi.
Malheureusement, dans sa deuxième partie, le film perd en crédibilité et en cohérence. Si Adèle Exarchopoulos est une nouvelle fois convaincante, j'ai franchement eu du mal à croire en François Civil en mauvais garçon et en Benoit Poelvoorde en parrain de la pègre, cynique et cruel. De fait, chaque acteur est tellement cantonné dans "ce qui est attendu de son personnage" que le film perd en subtilité, à l'image du personnage joué caricaturalement par Vincent Lacoste.
L'amour ouf, (trop) plein de bonne volonté, ressemble à un repas trop long et trop copieux, dont certains plats sont plutôt bons, mais d'autres sont franchement indigestes : les couchers de soleils langoureux, la partie comédie musicale, les scènes de polar façon Scorsese franchouillard.
Ni vraiment bon, ni totalement raté, le film possède un vrai souffle romantique : à vous de voir.
All we imagine as light est un film de fiction qui se pare de tous les atours du film documentaire : attention extrême aux détails, capacité à saisir l'essence même de certains lieux, lumière naturelle, absence de péripéties dignes de ce nom dans l'intrigue (l'évènement le plus notable est l'arrivée d'un auto-cuiseur en provenance d'Allemagne).
Que cela ne vous freine pas pour aller voir ce film : la réalisatrice Payal Kapadia, remarquée pour son premier film, le très beau documentaire Tout une nuit sans savoir, est en effet une cinéaste capable de donner à ses trois personnages féminins une grande profondeur.
La première de ces femmes est infirmière, et elle est fidèle à son mari qui travaille à l'étranger. La seconde sort avec un musulman avec qui elle aimerait coucher (mais ce n'est pas facile). Et la troisième se fait évincer de son logement. Les trois femmes éprouvent à des degrés divers des pressions de la société, et leur appétit de vivre doit se frayer un chemin dans une jungle d'interdits et de conventions.
Mumbai est brillamment croquée dans un défilé d'images, recouvertes de voix off qui racontent des histoires dont on ne sait pas vraiment si elles se raccordent à nos personnages. L'ensemble dégage une poésie diffuse, servie par une photographie "plate", souvent bleutée, et des cadrages parfois magnifiques.
Par la grâce de sa mise en scène délicate, Kapadia parvient à ennoblir ces femmes du peuple, et à donner de la sororité une image à la fois douce et puissante.
Probablement la naissance d'une très grande cinéaste.
A quelques semaines de la si importante présidentielle américaine, il faut absolument aller voir The apprentice.
Le film d'Ali Abbasi nous fait voir Donald Trump avant le succès. Il nous fait ressentir d'une façon presque charnelle l'extrême médiocrité du bonhomme et son incommensurable confiance en soi, qui dépasse tout ce qu'on peut imaginer.
L'extrême culot, allié à une souveraine mauvaise foi, soulève des montagnes, comme le montrait également la série Tapie. Mais Trump ne serait certainement pas Trump s'il n'avait pas rencontré l'avocat Roy Cohn, mentor d'une exceptionnelle immoralité, magistralement campé par un Jeremy Strong (Succession) au sommet de sa forme.
La mise en scène d'Abbasi est sage (on est loin de démence de ses films précédents). La reconstitution du New-York des années 70 est incroyablement réussie.
The apprentice se regarde avec une délectation honteuse (car les deux "héros", auxquels ont finit par s'attacher par la grâce de la narration, sont tout de même des salopards de la pire espèce) et une curiosité malsaine : le film nous fait entrer dans la fabrique du monstre. Ou comment un petit con écervelé peut devenir un dangereux magnat, pris en main par un Pygmalion génial et sans scrupule.
Il y avait bien des manières de rater ce film, qui suit durant 48h un jeune Guinéen sans papier, qui parcourt sans relâche les rues de Paris en tant que livreur Uber.
Boris Lojkine aurait pu ainsi concevoir un film pétri de bons sentiments, dans lequel le jeune Souleymane n'aurait rencontré que de mauvaises personnes (à la Dardenne) et aurait accumulé tous les malheurs du monde. Il aurait pu aussi construire un drame, précipitant son héros dans une spirale qui aurait abouti à une tragédie nocturne. Il aurait enfin pu choisir de raconter une histoire larmoyante, dans laquelle de sympathiques parisiens bien attentionnés aurait pris Souleymane en affection (ou plus), se cassant les dents sur une administration impitoyable.
Mais non. L'histoire de Souleymane est, de façon beaucoup plus intéressante, une description presque documentaire du quotidien d'un sans papier sous OQTF, qui lutte pour sans sortir. Le film est sans pathos, rythmé comme un thriller nocturne, constamment soumis à une tension qui résulte non pas d'évènements exceptionnels, mais de petits soucis du quotidien qui prennent ici des allures de quitte ou double décisifs (Souleymane va-t-il attraper son bus ? fera-t-il réparer son vélo ? conservera-t-il l'usage du compte Uber qu'il "sous-loue" ?).
Le spectateur est ainsi rivé solidement à son fauteuil, complètement absorbé dans ce qui apparaît être une sorte d'odyssée urbaine pour Ulysse moderne. Paris est filmé comme jamais, les ambiances sont incroyablement réalistes, la prestation du jeune Abou Sangare dans le rôle principal est merveilleuse de simplicité. La scène finale dans laquelle Nina Meurisse campe un agent de l'Ofpra est de toute beauté.
Aller voir le nouvel Ozon est devenu un rituel semblable à celui qui consistait il y a quelques temps à aller voir le nouveau Woody Allen : l'assurance quasi-annuelle de retrouver les fondamentaux d'un auteur, et la quasi certitude de ne pas voir un chef d'oeuvre.
La filmographie du réalisateur / scénariste / producteur semble s'accélérer ces dernières années avec une série de films produits à une cadence effrénée (c'est son sixième opus depuis 2019, covid compris !).
Cela explique probablement l'impression vague de brouillon que dégage pour moi certains de ses films récents, dont celui-ci. C'est comme si le Ozon scénariste rechignait à peaufiner ses premiers jets. Ici par exemple, la très longue première partie de mise en place de l'intrigue semble un peu molle et aurait mérité à mon sens plus de concision. La deuxième partie du film vire au thriller chabrolien, sans la noirceur malsaine que ce dernier parvenait à donner à ses films.
Si on retrouve dans Quand vient l'automne cette immoralité décomplexée qui est un des thèmes préférés d'Ozon, il faut avouer que l'ennui n'est jamais très loin, souvent écarté de justesse par la prestation parfaite de la merveilleuse Hélène Vincent.
Un film de dimanche soir pluvieux, pas assez bon pour être vraiment désirable.
Etonnant film grand-guignolesque et hong-kongais, Limbo a fait le buzz l'année dernière, générant une pluie de critiques laudatives.
Pourtant, à bien y regarder, il n'a rien de vraiment original. Le sujet est classiquement celui de deux flics, dont un sérieusement cabossé, et d'un méchant tueur en série (vraiment très méchant). Les deux compères utilisent une jeune délinquante comme appât, et évidemment, tout ça ne va pas bien se passer.
Le traitement du film emprunte à la tradition hong-kongaise en ce qui concerne les scènes d'action, très efficaces, et plus curieusement au cinéma coréen pour ce qui est d'une certaine outrance et d'une évidente cruauté sadique, et parfois morbide. Le tout se mâtine de quelques effets assez habituels (flash forward en ouverture, et globalement tout l'arsenal des jumpscares et autres astuces de film horrifique).
Le point vraiment original du film de Soi Cheang est probablement ses partis-pris esthétiques, pour la plupart déjà vus mais ici poussés à leur extrémité : une pluie torrentielle, un décor impressionnant de rues-poubelles saturées jusqu'à l'asphyxie, un noir et blanc expressionniste (à noter que le film a été pourtant initialement tourné pour être diffusé en couleur), de gros plans terrifiants et une expressivité presque théâtrale dans le jeu des acteurs.
Un polar sympa pour coeur bien accroché, cependant pas aussi génial qu'on l'a dit.
Le cinéma vietnamien semble s'installer durablement dans le paysage du cinéma d'auteur : après L'arbre aux papillons d'or l'année dernière (caméra d'or), ce fut en ce mois de mai au tour de Viet and Nam de charmer Cannes.
Ce troisième film du jeune Minh Quý Trương (34 ans), formé au Fresnoy, est étonnant de maîtrise, dans un genre qui m'a irrésistiblement rappelé le cinéma atmosphérique d'Apitchatpong Weerasathekul : même onirisme vaporeux, même précision dans les cadrages, même capacité à faire surgir le fantastique des paysages et la poésie de la vie quotidienne, et aussi parfois ... même propension à nous endormir légèrement.
L'histoire oscille de façon continue entre l'histoire d'amour, montrée de façon très crue, unissant deux jeunes hommes (Viet et Nam) qui travaillent dans une mine de charbon, et la quête de la tombe du père de Nam. Ces deux trames narratives permettent au réalisateur d'aborder nombre de problématiques importantes, dont deux principales : les stigmates de la guerre et la tentation de l'exil.
Certaines visions que proposent le film sont d'une stupéfiante et intrigante beauté, je pense par exemple à cet environnement noir poudré de particules blanches qui représente la mine, au dernier plan de toute beauté, aux entraînements de traversée de rivière dans un sac plastique ou encore à cette vision incroyable de soldats figés sur le terrain de bataille, pendant qu'une voix décrit les différents types de bombes.
La temporalité du film est flottante, incertaine, et contribue à rendre le film encore plus énigmatique.
Une oeuvre un peu difficile d'accès, mais une réussite indiscutable, qui ne sera malheureusement pas montrée au Viet-Nam, où le film a été censuré.
Alors que beaucoup de films médiocres sortent en salle, on se demande bien pourquoi le nouveau film de Richard Linklater sort directement sur Canal+.
Hit man est en effet une comédie très agréable, "à l'ancienne" : une intrigue, tirée de faits réels, très amusante (un quidam qui "feint" d'être un tueur pour le compte de la police se trouve embarqué dans une drôle d'histoire), une réalisation racée et nerveuse, des acteurs qui manient à la perfection l'art du travestissement. Tout est intelligent et limpide dans ce film, comme en général dans le cinéma de Linklater.
Le duo Glen Powell et Adria Arianna est sexy en diable, et l'actrice portoricaine en particulier n'hésite pas à afficher une appétence pour les rapports charnels qui n'est pas si courante dans le cinéma américain. La deuxième partie du film est une romcom sensuelle, dans laquelle chacun des deux protagonistes joue double, élevant en quelque sorte leur relation amoureuse au carré.
Le développement de l'intrigue est original, joyeusement amoral et plein de suspense. Un plaisir simple et l'assurance d'un bon moment.
Ce premier film de Laetitia Dosch est une fantaisie sympathique et légère, originale et parfois intrigante.
Le procès du chien commence comme un autoportrait en creux : du chien, il n'est que superficiellement question, le vrai sujet avec lequel la caméra se régale est l'actrice / réalisatrice elle-même.
On a plaisir à suivre ses déambulations d'avocate spécialiste des causes perdues, à la vie sentimentale brinquebalante.
Le film se déploie ensuite avec parfois un peu de maladresse dans plusieurs directions : comédie burlesque, réflexion sur la nature animale, et même romcom attendrissante. Tout n'est pas réussi, mais l'impression d'ensemble est celle d'un acte d'auteur qui affirme une voix originale dans le cinéma francophone actuel, qui rappelle un peu dans son style les oeuvres déjantées du trio franco-belge Abel / Gordon / Romy (La fée, Rumba).
Difficile en effet de ne pas comparer Le fil à Anatomie d'une chute : même sujet (l'accusé a potentiellement assassiné son conjoint), même ambigüité sur ce qui s'est réellement passé, même accent mis sur le rôle des différents protagonistes (et de l'avocat en particulier), même relativité des témoignages et mêmes coups de théâtre.
Dans le film de Daniel Auteuil, tout paraît un ou plusieurs crans en-dessous de la Palme d'or. Les second rôles sont mal dessinés (Sidse Babett Knudsen ne campe pas une compagne très crédible), l'ambiance du tribunal est assez mal rendue, les aléas semblent téléphonés et Le fil est rempli de plans inutiles qui ne servent qu'à meubler (l'avocat marche dans la rue, l'avocat rumine dans son canapé, l'avocat regarde par la fenêtre d'un air pénétré...), alors qu'Anatomie d'une chute brillait par son découpage au cordeau.
Heureusement, le film échappe au naufrage pour deux raisons : l'interprétation de Auteuil et Gadebois est impeccable, et l'aspect documentaire sur le fonctionnement de la justice est d'une grande précision. Deux avocats présents en fin de séance ont d'ailleurs confirmé au public que le tableau dressé par le film était en tout point semblable à leur quotidien.
Il y a toutefois beaucoup mieux à voir dans les salles en ce moment.
Si vous aimez les films dont rien de dépasse, cohérent de bout en bout, maîtrisé et de bon goût, alors n'allez pas voir le dernier Coppola.
Si au contraire vous aimez être surpris à chaque plan par mille trouvailles visuelles, que vous ne rechignez pas à faire un effort dans les quinze premières minutes du film pour identifier les personnages et les liens qui unissent, et que vous supportez une certaine dose de kitsch romano-futuriste, alors le film est pour vous.
Megalopolis réussit un exploit inhabituel : allier une recherche esthétique de tous les instants (une mise en scène flamboyante, une direction artistique invraisemblable) à des thématiques qui obligent le spectateur à activer ses méninges. On aura en effet rarement brassé autant de thématiques ambitieuses dans un seul film : le sens de la vie, la lutte pour le pouvoir, la frontière entre le bien et le mal, l'épiphanie de la naissance, la nature du temps, la substance de l'amour, l'art du spectacle et du cinéma.
Le film regorge de scènes d'anthologie et de visions qui sidèrent, souvent à la fois vulgaires et poétiques. On pense à Méliès, bien sûr, et d'une certaine façon, c'est toute l'histoire du cinéma qui défile sous nos yeux.
Tout cela n'a aucun sens, ou plutôt à tellement de sens possibles qu'on ne sait plus où donner de la tête, et du regard. Il y a toujours un détail à l'écran qui devient instantanément magique : une mimique d'Adam Driver, le jeu exceptionnel d'un figurant, un gadget futuriste et inutile dans un coin du cadre, une inscription amusante, un effet inattendu, un son étrange.
On le dit de beaucoup de films, mais je pense qu'ici cela se justifie pleinement : vous adorerez ou vous détesterez ce film, le moyen terme ne semble pas envisageable. J'ai adoré.
Les grands voyageurs et les amoureux du monde se retrouveront à Albertville du 14 au 20 octobre pour une orgie de films, de conférences et de rencontres au salon du livre.
Le Grand Bivouac accueille cette année des invités prestigieux : Pierre Haski, Yann Arthus-Bertrand, Etienne Klein, Sophie Lavaud et bien d'autres.
L'ambiance est festive, multiculturelle et bon enfant au bord de l'Arly : un rendez-vous à ne pas manquer si vous aimez le film documentaire !
Ayant eu la chance de participer au Comité de sélection, je peux vous dire que vous serez émerveillés et surpris lors de chacune des quelques 130 projections.
Parmi la pléthorique programmation, je vous conseille tout particulièrement les sept films suivants, qui sont des propositions résolument originales de grands auteurs de cinéma. Mes coups de coeurs.
Smoke sauna sisterhood : Si vous ne deviez voir qu'un film au Grand Bivouac, il faudrait que ce soit celui-là. La réalisatrice Anna Hints filme dans un sauna traditionnel d'Estonie des corps de femmes tout en donnant à entendre leur conversations, qui traitent de tous les sujets importants de l'humanité et de la féminité. Un film très personnel, d'une beauté sidérante. Grand prix du Fipadoc 2024. Lire ma critique détaillée.
Fille de Gengis : Les réalisateurs Kristoffer Jure Poulsen et Christian Als suivent dans ce film la destinée d'une jeune femme mongole complexe, qui évolue au fil des années de la haine à l'amour, d'abord militante dans un mouvement ultra-nationaliste à Oulan-Bator avant de se rapprocher de son fils. On voit dans ce film une Mongolie inédite qui mérite d'être découverte. Le film a été montré dans les plus grands festivals, dont celui de Sundance.
Le fardeau : Le réalisateur centrafricain Elvis Sabin Ngaibino suit un couple victime du Sida, qui n'ose pas révéler sa maladie dans une communauté traditionnelle très religieuse. Le film peut être par moment très éprouvant (il ne cache rien de la maladie), mais il est aussi souvent d'une beauté à couper le souffle. Un cinéma très "physique", une véritable expérience sensorielle, proche des corps et des âmes.
Norilsk, l'étreinte de glace : Il arrive qu'un film vous fasse découvrir un lieu dont ne vous soupçonnez même pas l'existence. C'est le cas de de cette ville minière du grand nord sibérien. A travers des paysages désolés et des interviews d'habitants, le réalisateur François-Xavier Destors (qui présente au Festival son nouveau film Didy, très beau aussi) nous fait ressentir ce qu'est l'essence d'une humanité échouée sur cette île terrestre. Un choc esthétique.
Les corbeaux sont blancs : Un documentaire peut mettre en scène son auteur, sa vie, et le faire de façon humoristique, comme s'il s'agissait d'une comédie burlesque. Ahsen Nadeem mixe dans ce melting-pot culturel plusieurs religions, plusieurs pays, ses parents musulmans rigoristes, un moine boudhiste de seconde zone, son épouse canadienne Dawn... et bien d'autres choses encore. Frais et réjouissant.
A contre-courant : Une incroyable plongée dans l'Inde contemporaine, qui en explore tous les aspects avec beaucoup de tact, et une habileté dans le montage qui donne au film des airs de fiction. Les images sont souvent d'une beauté sidérante (cadrage, photo) et de ce point le vue, il s'agit peut-être du film le plus maîtrisé de la sélection. Nul doute que le réalisateur Sarvnik Kaur fera parler de lui à l'avenir.
Adieu sauvage : Le réalisateur belge, colombien d'origine, Sergio Guataquira Sarmiento rend visite à une communauté amazonienne. Va-t-il pouvoir s'intégrer et comprendre profondément la vie de cette communauté à laquelle il est apparenté de façon lointaine ? La réponse vous sera donnée à la fin de ce film très auto-centré, amusant, tendre, parfois émouvant et tourné dans un noir et blanc somptueux.
Rendez-vous sur le site du Grand Bivouac pour réserver vos places, et rendez-vous sur place peut-être puisque j'aurai le plaisir d'animer des séances d'Adieu sauvage (le 19 à 10h), de Filles de Genghis (le 19 à 16h30) et du Fardeau (le 20 à 10h).
La bande annonce du nouveau film de Julie Delpy a un grand mérite : en se contentant de montrer quelques images du tout début du film, elle ne dévoile rien de l'intrigue. L'humour qu'elle révèle est par contre lui tout à fait représentatif de l'ensemble du film : chaque personnage sera enfermé dans le carcan d'une caricature pré-définie, dont il ne sortira pas, ou peu.
Les barbares oscille donc constamment entre bien-pensance téléphonée, mièvrerie assumée (oh, les jolis amoureux) et une causticité parfois mordante, mais qu'on aurait aimé plus constante.
Au final, le problème du film est à mon sens qu'il ne semble choisir qu'un seul camp : celui du "tout le monde est finalement gentil", à l'image du happy end idyllique qui semble renvoyer tous les protagonistes au pays des bisounours, Laurent Lafitte compris, encore une fois connard d'exception.
A chaque fois qu'une réplique porte en siphonnant habilement une série de clichés (comme lorsque le garde-champêtre sort un impayable "Vous êtes sûrs que ce ne sont pas des Roms") on souhaiterait que la machine s'emballe encore un peu plus, et que tous les personnages soient poussés dans leur derniers retranchements. Ce n'est malheureusement pas le cas. Le résultat final, s'il le laisse regarder grâce à un certain nombre de qualités de fabrication (écriture solide, finesse d'observation), manque trop de goût pour attirer vraiment l'attention.
Dans un casting qui ne démérite pas, Jean-Charles Clichet m'a tapé dans l'oeil, dans un rôle de maire dépassé, naïf et mielleux : une composition que seul Philippe Katerine aurait pu assumer avec autant de brio.
Difficile de voir le dernier film de Sophie Fillières sans penser aux conditions de son tournage. La réalisatrice a en effet déclaré une maladie foudroyante pendant le tournage, puis est décédée soudainement avant d'avoir terminé le montage, repris alors par ses deux enfants, Agathe et Adam Bonitzer.
Le film étant un autoportrait déclaré (Agnès Jaoui porte les vêtements de Sophie Fillières, va voir le vrai psy de Sophie Fillières, etc), l'émotion est d'autant plus présente : on a l'impression étrange de recevoir un message d'outre-tombe, à la fois sépulcral, fantasque et amusant.
Dans cette chronique touchante, on sourit beaucoup, on rit parfois, on est touché par de belles trouvailles de scénario (les cigarettes dans le Scrabble et retrouvées plusieurs décennies après avoir été cachées). Agnès Jaoui propose une partition solide de femme déprimée, perdue, puis décidée à remonter la pente.
Philippe Katerine apparaît dans ce beau film modeste, comme un spectre bienveillant qui aide l'héroïne à traverser les Limbes pour finalement parvenir à une sorte de douce résurrection, dans un paysage écossais magnifique.
Ma vie ma gueule est aussi un film poétique, proposant de nombreuses punchlines efficaces. Le personnage principal dit par exemple à un homme qui l'a connue ado et dont elle ne se souvient plus : "Je te préviens que je ne suis plus la femme que je n'étais pas encore".
Sensation du dernier Festival de Cannes (beaucoup voyait en lui la Palme d'or), le nouveau film de Mohammad Rasoulof est remarquable.
Comme souvent dans les films iraniens, le scénario est un bijou de thriller psychologique. Nous entrons dans une famille de la classe moyenne : le père est juge (donc proche du régime), les filles sont des jeunes de leur temps, adeptes des réseaux sociaux, et la mère essaye de ménager les bonnes relations entre tous. Les choses se gâtent quand l'arme du juge disparaît mystérieusement, alors qu'une amie de l'ainée des filles est blessée lors d'une manifestation.
Sur cette base solide, Rasoulof déploie une intrigue qui tient en haleine le spectateur durant toute la durée du film (2h46 tout de même). Les graines du figuier sauvage est donc successivement (et parfois alternativement) un drame social, une chronique familiale, un huis-clos oppressant, un suspens psychologique, un thriller horrifique et un western.
Il y a quelque chose de réellement fascinant dans le contraste entre l'extrême qualité du film (la direction d'acteurs exceptionnelle, l'écriture imparable, la mise en scène d'une efficacité rare) et les conditions précaires dans lequel il a été tourné : une clandestinité complète, Rasoulof étant lui-même souvent absent du lieu de tournage, et des moyens ridiculement faibles.
On ne peut que frissonner d'admiration devant le talent d'un homme qui parvient à un tel niveau de maîtrise dans l'exercice de son art, alors que sa liberté est menacée par un des pires régimes de la planète.
Le film, qui brille par sa capacité à nous égarer, culmine dans une scène d'anthologie, véritable pivot du film, qui restera longtemps dans le coeur de chacun des spectateurs. Cette scène d'interrogatoire fait basculer les personnages dans une nouvelle histoire, et donne au film une tonalité encore plus grave.
Bien au-delà d'une oeuvre didactique en hommage au mouvement Femme Vie Liberté (ce que le film est tout de même, mais indirectement), Les graines du figuier sauvage est un véritable chef d'oeuvre, déstabilisant et émouvant, qui culmine dans un final d'anthologie.