S'il y a bien un film que je m'attendais à ne pas aimer, c'est bien celui-là. Une certaine froideur, un sujet désagréable, un réalisateur autrichien, le mot Amour dans le titre : mon esprit sentait l'ombre maléfique du grand faiseur prétentieux et doublement palmé s'allonger sur le film.
En réalité, et c'est ce que je vais essayer de démontrer, l'approche de Seidl est à l'opposé de celle de Haneke, appelé MH dans la suite de cet article.
Le sujet n'est pas rigolo, rigolo : on suit une cinquantenaire autrichienne, Teresa, en vacance au Kenya, dans des pratiques de tourisme sexuel montrées très crûment.
Teresa se laisse entraîner par une amie plus délurée qu'elle. La première évocation de ces sujets a d'ailleurs lieu lors d'une très belle scène lors de laquelle Teresa glousse un peu comme une jeune fille. On voit dans ces yeux, à ce moment là, qu'elle nourrit VRAIMENT l'espoir de trouver l'amour. Elle est naïve (le film le montre à de multiples reprises, lors de la longue tirade sur les yeux ou lorsqu'elle découvre que son amant est marié, etc). Elle est bête, raciste, mais elle tend vers l'amour. Le film porte donc merveilleusement son titre : l'amour n'est nulle part alors que Teresa voudrait qu'il soit partout.
La démarche de Seidl, on le voit, est donc à l'opposé de celle de Haneke. Seidl dit : la vie est une merde, je vais vous le montrer simplement et sans chichi, et puis je vais vous montrer aussi que certains espèrent. MH dit : je vais vous montrer que la vie est une merde, mais je vais vous faire croire autre chose en vous égarant dans des circonvolutions issues de mon esprit supérieur, et puis à la fin, je vous filerai à tous une baffe en vous démontrant, en plus, qu'il n'y a aucune raison d'espérer.
Côté mise en scène, j'ai été littéralement bluffé par l'aisance de Seidl que je ne connaissais pas. Ses plans fixes sont souvent somptueux, dignes de tableaux de Lucian Freud ou de Hockney (on est loin de l'esthétisme petit bourgeois de MH), son sens du rythme est étourdissant (le film est une alternance de petites scènes rapides et de longs plans sidérants), la photographie est magistrale.
Impossible de passer sous silence la performance de l'actrice Margaret Tiesel, qui joue sûrement une partie considérable de son être le plus intime dans cette aventure, mais qui le fait avec une sensibilité et une maestria qui m'ont donné les larmes aux yeux.
La population kenyane n'est montrée qu'au travers de ses beach boys, prostitués inavoués qui donnent leur plaisir aux sugar mamas. Le tableau n'est donc pas très séduisant, mais il donne au film toute une dimension politique supplémentaire : formidable retour de bâton du colonialisme, le film nous inflige aussi une grosse claque de ce côté là.
Comme pour toutes les grandes oeuvres, il me semble que je pourrais écrire des paragraphes entiers sur certains aspects du films, mais comme je prête attention à maintenir l'intérêt du lecteur, je ne le ferai pas. Simplement, à titre d'avant-goût pour un deuxième article, je pourrais écrire longuement sur : la scène d'ouverture qui montre Teresa en Allemagne dans son activité professionnelle, l'utilisation géniale des décors naturels, le sens du grotesque (le noeud rose, l'orchestre, la scène avec les singes), l'absence de musique, la sexualité féminine.
Au final, un beau film sur la laideur, puissant, signifiant et qui se coltine franco avec la réalité des classes moyennes. L'inverse de MH.
Vivement la suite de la trilogie.
Ulrich Seidl sur Christoblog : Paradis : foi / Paradis : espoir