Journal de Cannes 2024
24 mai
Dernière journée. Direction le Cineum pour une séance de rattrapage : Viet and Nam (4/5) de Minh Quy Truong confirme la vitalité du nouveau cinéma vietnamien. Alors pour faire simple, il y a un petit côté Weerasethakul dans ce cinéma atmosphérique et même parfois onirique. Un peu dur pour une fin de festival, car c'est assez lent et en partie difficile à comprendre, mais il faut reconnaître qu'il y a dans le film des plans de toute beauté. Rattrapage de l'Acid, Kyuka - before summer's end (3/5) du grec Postais Charamountanis, est plein de promesses. La façon dont le film restitue les ambiances estivales sur la mer est formidable et l'intrigue familiale très bien foutue. Le réalisateur parsème son film d'effets de styles plus ou moins heureux et pas très cohérents entre eux, c'est dommage.
L'avant dernière projection de la compétition nous apporte un favori pour la Palme d'or : The seed of the sacred fig (5/5) de Mohammad Rasoulov, est de ces films dont on perçoit rapidement qu'ils sont parfaitement taillé pour la récompense suprême. Une écriture millimétrique, des acteurs incroyables, des styles différents (de la chronique familiale au film d'horreur, du thriller paranoïaque au pamphlet politique), et des sujets qui parleront au plus grand nombre. Un grand film, dans lequel les femmes sont sublimes face à un patriarcat usé jusqu'à l'os. Seul petit bémol : le film est un peu trop long (2h40) et la première heure de mise en place souffre de quelques longueurs.
Dernier film en compétition, La plus précieuse des marchandises (1/5) de Michel Hazanavicius est le plus mauvais film d'animation que j'ai vu depuis longtemps. Il échoue totalement à trouver le bon ton pour parler de la Shoah et semble inclure des séquences interminables, alors qu'il est le plus court film de la compétition.
C'était mon 41ème et dernier film pour cette année !
23 mai
La journée commence, une fois n'est pas coutume, par un film d'animation à Un Certain Regard. Flow (4/5) du Letton Gilts Zilbalodis, est visuellement une merveille, dans un style à l'évidence marqué par l'univers des jeux vidéo type Zelda. L'intrigue est une variation sur le thème du déluge et de l'Arche de Noé, vue à travers les yeux d'un chat. Les animaux sont tous figurés de façon réaliste et il n'y a donc aucun dialogue, mais cela n'empêche pas du tout, au contraire, l'émerveillement de poindre à de nombreuses occasions.
Retour à la compétition pour le reste de la journée. On commence avec Motel Destino (4/5) de Karim Aïnouz, une variation très classique de film noir, mais ici sublimée par les décors incroyablement colorés de ce motel brésilien, par la mise en scène brillante et par le jeu des acteurs. C'est moite et poisseux, avec une fin improbable que j'ai beaucoup aimé. La montée des marches de L'amour ouf (2/5) de Gilles Lellouche, rassemblait ce soir un casting cinq étoiles : François Civil, Adèle Exarchopoulos, Elodie Bouchez, Alain Chabat, Karim Leklou, Raphaël Quenard, Anthony Bajon, Vincent Lacoste. Le film est très maladroit, beaucoup de scènes sont too much, mais on ne voit pas passer les 2h46 du film, parce qu'il est fait avec une authenticité qui se ressent à l'écran. Assez lucidement, Lellouche nous dit à la fin de la séance que sa présence parmi de si grands réalisateurs est une supercherie. Adèle Exarchopoulos est une fois de plus renversante. Je pense que le film sera un succès en salle.
Pour finir la journée je découvre All we imagine as light (4/5) de la jeune Indienne Payal Kapadia. Dans ce triple portrait de femmes qui essayent de trouver leur place à Mumbai, il y a une sensibilité exceptionnelle. Je fais le pari que cette cinéaste deviendra une très grande dans les années à venir.
22 mai
Journée cata en ce qui concerne la compétition. Marcello mio (1/5) de Christophe Honoré part d'une idée géniale (Chiara Mastroianni devient son père), mais les développements de cette idée semblent écrits par une IA : ils sont plats, peu intéressants et on a l'impression d'être l'invité indélicat d'une réunion de famille. Les étrangers n'ont pas aimé du tout le film, car si on ne connaît pas l'histoire personnelle de chaque acteur, le film n'a aucun intérêt. Dans son nouveau film, Parthenope (2/5), Paolo Sorrentino dresse le portrait d'une femme sur plusieurs décennies, tout en peignant sa ville natale, Naples. Le problème est que le personnage principal est assez mal écrit, et que l'interprète Celleste Dalla Porta ne crève pas l'écran. Du coup, il reste le caractère baroque de la mise en scène pour intéresser, mais le résultat est beaucoup moins convaincant que dans La grande belleza.
Les ennuis continuent avec Grand tour (1/5) de Miguel Gomes. La première heure, dans laquelle on contemple de pitoyables cartes postales de l'Asie du Sud-Est contemporaine filmées en Noir et blanc, accompagnées d'une voix off pontifiante, est insupportable. Le film devient ensuite moyen, ce qui parait un soulagement pour le spectateur traumatisé par la première partie. Beaucoup de critiques français adorent ce style "rétropical" brumeux en noir et blanc entièrement filmé en studio, qui évoque un Yann Gonzalez assagi, et il n'est pas exclu qu'on retrouve le film au palmarès à mon grand désarrois. La critique internationale est elle moins enthousiaste.
Heureusement je finis la journée sur une note plus positive. Gazer (4/5) est un premier film autoproduit par Ryan J. Sloan et une bande de potes du New Jersey. L'histoire est celle d'une jeune femme qui souffre d'une maladie mentale qui altère sa perception de sa réalité et qui va se trouver mêlée à une affaire criminelle. C'est écrit d'une façon admirable, dans un style années 70, et l'interprétation de Ariella Mastroianni (rien à voir avec Marcello) est impeccable. Je mise un billet sur ce réalisateur : si son film avait bénéficié d'un financement normal, on aurait pu le trouver dans la sélection officielle.
21 mai
Grosse journée aujourd'hui avec cinq films. The apprentice (3/5), d'Ali Abbasi, décrit d'une façon très sage le début de la carrière de Donald Trump, dans l'immobilier. L'intérêt est surtout de nature informative : on voit bien dans quel moule s'est créé le Trump d'aujourd'hui, et l'importance de Roy Cohn, magistralement interprété par Jeremy Strong. La particularité de cinéma d'Abbasi est complètement dissoute dans ce projet trop lisse, mais plaisant. On ne peut pas en dire autant du film suivant, Les linceuls (2/5), un énième mauvais Cronenberg. Le film commence plutôt bien, dans une atmosphère à la fois lugubre et rationnelle, avant de sombrer par la faute d'un scénario déficient dans une soupe infâme dans laquelle tous les fils de l'intrigue complotiste semblent former une masse informe de spaghettis trop cuits.
La compétition se réveille à la mi-journée avec un des meilleurs films vus depuis longtemps, le formidable Anora (5/5 ) de Sean Baker. Il faut imaginer un grand huit émotionnel, qui commencerait comme une romcom coquine, avant de devenir une sorte de virée nocturne filmée par les frères Safdie et qui se finirait comme un mélodrame russe. C'est exceptionnel de drôlerie, de maîtrise dans la mise en scène, de rythme et de rebondissements. Il y a au milieu du film une scène d'anthologie qui a déchainé des salves d'applaudissements en pleine séance dans le GTL, une situation que je n'avais pas vécu depuis bien longtemps (disons, depuis Toni Erdmann pour ceux qui y était).
Fin de journée plus tranquille au cinéma les Arcades où j'enchaîne deux films. Dans la sélection Acid, Ce n'est qu'un au revoir (3/5), de Guillaume Brac, est le touchant enregistrement de l'amitié qui cimente un petit groupe de lycéen(ne)s, dans les dernières semaines de leur scolarité. C'est très bien fait. L'espagnol Jonas Trueba déçoit par contre, avec son nouveau film, The other way around (1/5). Sa finesse d'observation est ici diluée dans un développement trop long et répétitif, encombré d'une fantaisie meta (on voit la confection du film en même temps que le film), dont je me suis dit qu'elle ne servait qu'à cacher la vacuité du propos.
20 mai
Comme d'habitude, je commence par la compétition. Le nouveau Serebrennikov, Limonov, the ballad (3/5) est meilleur que ses deux précédents opus, plutôt ratés à mon sens. Le style tantôt baroque tantôt apaisé du cinéaste russe est bien adapté à l'itinéraire de Limonov, qui n'est décidément pas un personnage sympathique (en fait, c'est une belle ordure). La virtuosité mise en oeuvre ne permet toutefois pas à l'émotion de surgir. Le film de la Française Coralie Fargeat, The substance (4/5) est le film dont tout Cannes parle ce matin. Un peu à la manière de Titane il y a trois ans, ce film de body horror trempé dans Barbie, à la fois drôle et horrifique, a réveillé une compétition un peu sage. Beaucoup d'hémoglobine et différentes déformations corporelles, dans un style pop épuré. Un film qui a du corps (et même des corps).
Au début de My sunshine (3/5), film japonais de Hiroshi Okuyama présenté à Un Certain Regard, on pense tenir le feel good movie qui remonte le moral en milieu de festival, mais non, cette histoire d'un jeune garçon timide qui pense se réaliser dans le patinage artistique ne tourne pas si bien. C'est mignon, mais la comparaison souvent faite avec Kore-Eda me semble excessive. A noter que le film offre une vision originale d'un Japon complètement enneigé. Pour finir, Miséricorde (4/5) d'Alain Guiraudie, à Debussy. C'est du Guiraudie de très belle facture, tourné en huis-clos dans un petit village de l'Aveyron, et qui ménage surprise sur surprise, dans une atmosphère amusante : une sorte de Théorème cévenol si vous pouvez imaginer cela, emmené par une troupe d'acteurs excellente, Catherine Frot en tête. Le personnage du prêtre est déjà culte.
19 mai
Audiard réveille la compétition et propose un film parfait, de l'étoffe dont sont faites les Palmes d'or. Emilia Perez (5/5) est un défi osé : il décrit comment un parrain de cartel mexicain devient une femme, et il inclut des passages de comédie musicale. Ce mélange improbable est réussi dans tous les domaines : plaisir esthétique, émotions et suspense. La mise en scène est souveraine.
Expérience radicalement différente à la Quinzaine, où je découvre un film indien complètement barré et plutôt réjouissant : Sister midnight (3/5). On suit une jeune femme devenir une sorte de vampire, dans un style qui rappelle par moment Tati. Le scénario peine à tenir la longueur, mais c'est plutôt sympa. A un certain regard Boris Lojkine propose la chronique d'un migrant guinéen, livreur Uber à Paris, dans les 48 heures qui précèdent son entretien avec l'Ofpra. L'histoire de Souleymane (4/5), c'est du Dardenne en mieux, car plus incarné et moins doloriste. Fin de soirée tristounette à la Semaine avec un film américain se déroulant dans la communauté chinoise de New-York autour de la thématique du deuil : Blue sun palace (1/5). Je me suis dit pendant le film que la réalisatrice Constance Tsang avait vraiment utilisé tous les outils que le cinéma met à sa disposition pour rendre son film ennuyeux.
18 mai
Je reprends la compétition ce matin avec Kinds of kindness (4/5) de Yorgos Lanthimos, qui retourne ici à ses premières amours, genre Canine ou The lobster. Décors réalistes percutés par des situations anormales et souvent absurdes : c'est du Lanthimos pur jus. Le film est décomposé en trois sketchs de valeur inégale. J'ai adoré le premier, moins le second et je trouve que le troisième est un peu long. La troupe d'acteurs est au top, Jesse Plemons et Emma Stone en tête. Oh, Canada (1/5) de Paul Schrader, est l'adaptation d'un roman de Russell Banks. En multipliant les sujets (la vieillesse, la confusion des souvenirs, les choix personnels) et les procédés, le film m'a complètement perdu. Je n'ai trouvé aucun intérêt dans le personnage principal, ni dans les péripéties de sa vie. Le type de film qu'on oublie cinq minutes après être sorti de la salle.
Troisième film de la compétition à la suite au GTL pour Caught by the tides (2/5), du Chinois Jia Zhang-Ke qui semble livrer ici un film-somme traversant sa filmographie comme plusieurs décennies d'histoire chinoise. Les procédés et format sont multiples, la narration presque inexistante, et le film ne comprend presqu'aucun dialogue. C'est un peu Godard dans l'empire du Milieu : intéressant, par moment beau, mais globalement ennuyeux. Pour finir, La prisonnière de Bordeaux (1/5) réunit Hafsia Herzi et Isabelle Huppert dans un film très mineur de Patricia Mazuy. Deux visiteuses de détenus de milieux très différents sympathisent. Le scénario est beaucoup trop faible pour maintenir vraiment l'intérêt. Les deux actrices n'ont pas l'air très copines à la fin de la projection et Isabelle Huppert part même de la salle avant la fin du générique : du jamais-vu pour moi à la Quinzaine.
17 mai
Ce matin commence par un miracle : je trouve une invitation pour entrer au GTL voir Megalopolis (4/5) de Francis Ford Coppola, peut-être le film le plus attendu du Festival. Impossible de parler brièvement de ce peplum rétro-futuriste, véritable fourre-tout cyberpunk qui contient plus d'idées de mise en scène, d'images et d'intrigues qu'une centaine de films classiques. C'est souvent génial, parfois terrifiant de mauvais goût, mais j'ai été fasciné tout du long : c'est un film qu'on peut adorer et détester simultanément. Je ne pense pas avoir jamais rien vu de comparable. Le film est descendu par 90 % de la critique et défendu par les autres.
Toujours en compétition j'enchaîne avec Trois kilomètres avant la fin du monde (4/5) du roumain Emanuel Parvu. On dirait du Mungiu (écriture millimétrique, sens du cadre hors du commun, écheveau de relations et jeux de pouvoir qui étouffe les personnages) mais tourné dans les superbes paysages du delta du Danube. Incroyable vitalité de la "nouvelle vague" roumaine.
Pour finir la journée, séance Cannes Premières à Debussy avec le nouveau film de Nabil Ayouch, Everybody loves Tounda (3/5). Le sujet est une jeune femme qui rêve de devenir une cheikha (chanteuse traditionnelle pour faire simple) reconnue. Le film vaut surtout par l'interprétation pleine d'énergie de l'actrice Nisrin Erradi. Beaucoup de femmes fortes dans les films de ce début de festival. Fin de soirée en rattrapage Un Certain Regard salle Varda pour découvrir le film de fiction du fameux documentariste américain Roberto Minervini, Les damnés (4/5). En 1860, des soldats américains égarés doivent défendre une position lors de la Guerre de Sécession : c'est un peu le désert des Tartares filmé de façon très naturaliste, un peu à la façon d'une Kelly Reichardt. Beau, lent, pesant, et heureusement très court.
16 mai
Cap sur la compétition avec trois films à la suite. La séance de 9h dans la salle Agnès Varda constitue pour moi un choc de première ampleur, et la révélation d'une actrice incroyable qui semble tout brûler sur son passage (Malou Khebizi, photo ci-contre). Premier film de la réalisatrice Agathe Riedinger, Diamant brut (5/5) devrait rafler quelque chose (Caméra d'Or a minima, et prix d'interprétation féminine). Ce sera désormais LE film de référence sur la culture des influenceuses, qui ne regarde pas ce milieu de haut. Pour le style, il faut imaginer une Andrea Arnold revivifiée par la Méditerranée. C'est très beau de voir naître ainsi une cinéaste.
Le suédois Magnus Von Horn choisit un style très différent (noir et blanc stylé, décors proprets) pour compter une histoire d'une noirceur absolue. J'ai bien aimé La jeune fille à l'aiguille (3/5), en particulier pour ce contraste étonnant et aussi par l'originalité de l'histoire, réellement romanesque. J'enchaîne sans souffler avec la montée des marches du nouveau film d'Andrea Arnold, Bird (3/5). Si l'Anglaise excelle toujours à décrire avec sensibilité un milieu marginal, elle échoue à mon sens ici à y adosser un volet fantastique. Cela reste toutefois d'un bon niveau.
Pour finir, direction la Quinzaine. Thierry de Peretti adapte un roman de Jérôme Ferrari : A son image (1/5). L'intrigue balaye plusieurs décennies d'histoire du nationalisme corse à travers la destinée d'une photographe. Mal écrit, mal monté, mal dialogué, mal joué et moyennement réalisé : c'est pour moi un échec total.
15 mai
Cette première journée est principalement consacrée aux films d'ouverture des différentes sections. A la Quinzaine des Cinéastes on commence avec le film posthume de la réalisatrice Sophie Fillières, décédée trois semaines après le tournage de Ma vie ma gueule (3/5), foudroyée par la maladie. Agnès Jaoui, véritable alter ego de la réalisatrice dans le film, est sur scène, ainsi que ses deux enfants (Adam et Agathe Bonitzer, tous deux acteurs) qui ont finalisé le montage, pour un moment très émouvant. Le film est amusant, doux, sensible. On passe un très bon moment, même s'il manque un petit quelque chose pour être vraiment emporté. Le deuxième acte (2/5), qui lui fait l'ouverture de l'officielle, ne m'a pas enthousiasmé. C'est le Dupieux que je n'aime pas trop : des idées brillantes rapidement esquissées, un manque d'approfondissement des situations. Bref du travail bâclé et terriblement auto-centré, qui scintille par moment.
Je passe ensuite toute la soirée dans la très belle salle de la Semaine de la critique. Le film d'ouverture, Les fantômes (4/5) de Jonathan Millet est une première oeuvre étonnante de maîtrise, au niveau du scénario comme de la mise en scène. On suit avec intérêt la traque d'un criminel de guerre par un Syrien réfugié en Alsace, mais le film parle aussi du deuil et de l'exil. Un cinéaste très prometteur. Je finis un peu fatigué cette première journée par un film argentin qui n'est pas sans qualité, mais auquel je n'accroche pas vraiment : Simon de la montaña (3/5). Il s'agit du coming of age d'un groupe d'adolescents qui présentent la particularité d'être légèrement handicapés. L'intérêt du film, qui traite de sujets mille fois vus (la révolte contre l'autorité, les conneries en bande, ma découverte de la sexualité) est ici transcendée par le jeu de l'acteur principal et l'aspect incroyablement naturaliste du film. Demain, cap sur la compétition.