Tom McCarthy n'est pas un réalisateur très porté sur l'esbrouffe. Ses films précédents (Le visiteur, Les winners) sont tellement sages qu'ils sont passés quasiment inaperçus.
Spotlight se situe dans cette veine de film presque atones, dans lesquels la mise en scène est transparente et la lumière neutre.
Il ne faut pas y chercher un montage épileptique, des moments de lyrisme échevelés ou des cliffhangers vertigineux : le film est plutôt construit comme le cinéma US des années 70 (on pense à Pakula par exemple), solidement, efficacement, et sans chichi.
L'intérêt de Spotlight réside principalement dans les deux aspects suivants : le casting est impeccable et les faits racontés passionants.
En ce qui concerne les acteurs, chacun joue une partition parfaite. Michael Keaton est immense, Rachel McAdams étonnante de détermination, Mark Ruffalo parfait en jeune chien fou qui ronge son os. Tous les seconds rôles sont excellents : Liev Schreiber en patron mutique et déterminé, John Slaterry dans un registre semblable à celui de son personnage dans Mad men, Stanley Tucci en avocat surbooké et désabusé.
Le scénario, s'il est linéaire et sans aspérité, maintient (pratiquement) toujours l'intérêt du spectateur en éveil. Il montre parfaitement bien la difficulté et la lenteur d'une enquête journalistique au long cours et constitue un formidable témoignage de l'opiniâtreté nécessaire pour parvenir à de grands résultats dans ce domaine.
Quant au fond de l'affaire, que je ne souhaite pas trop détailler dans cet article pour ne pas vous gâcher le plaisir de la découverte, il est ... sidérant.
Je vous propose aujourd'hui une rencontre avec le réalisateur du très beau Je suis un soldat (lire ma critique).
Louise Bourgoin semble tellement coller au personnage de Sandrine qu'on a l'impression que le film a été écrit pour elle...
C'est le cas. J'ai rencontré Louise lors d'un atelier de théâtre dirigé par Camilla Saraceni. A cette occasion, j'ai rencontré à la fois la Louise que je pouvais connaître à travers les comédies qu'elle a tourné, une jeune femme très vive, intelligente et drôle, et j'ai aussi vu une femme férue d'art contemporain, qui avait envie de faire des films d'auteurs. On a beaucoup parlé d'où on venait, sociologiquement, avec pas mal de ressemblance dans nos deux parcours.
Tout à coup je me suis dit qu'il y avait une profondeur chez cette jeune femme que je n'avais encore jamais vu à l'écran. J'ai eu envie d'écrire pour elle. Il y avait comme un défi de montrer une Louise Bourgoin qu'on n'avait pas encore vu au cinéma. Tout cela arrivait au moment où elle-même amorçait un virage dans ses choix, puisqu'elle venait de faire le film d'Axelle Ropert (Tirez la langue, Mademoiselle). Elle avait aussi tourné dans le film de Nicole Garcia (Un beau dimanche) et s'apprêtait à jouer dans un téléfilm de Lucas Belvaux (La fin de la nuit).
Mon désir est donc entré en résonance avec ses choix.
Elle a un aspect terrien dans le film qui est assez étonnant. Elle parvient à en devenir presque quelconque physiquement, alors qu'elle est évidemment très belle !
Oui, on a travaillé cet aspect. C'est Louise qui m'a par exemple proposé de se couper les cheveux, en disant que Sandrine ne pouvait pas trop prendre soin de son physique. Mon but était de faire oublier que c'était Louise Bourgoin au spectateur.
Louise n'a jamais eu d'animaux domestiques. Elle a donc fait un travail de préparation important en allant pendant deux mois dans un chenil, deux fois par semaine. Elle rentrait dans les cages, donnait à manger aux chiens, les faisait jouer, pour avoir la plus grande aisance possible. C'est ce travail qui contribue aussi à lui donner cet aspect terrien.
Et puis Louise a un instinct de jeu que j'ai rarement rencontré. Elle a une intuition redoutable qui lui permet d'aborder son personnage de manière très intime. Son jeu n'est en rien extérieur.
J'ai été très sensible à l’esthétique du film. Il a un aspect presque documentaire, et en même temps les plans sont très composés. Le contraste apporte beaucoup de force au film, je trouve.
Au cœur d’une narration classique, l'idée était d'emmener le spectateur vers des zones plus poétiques ou plus abstraites, par le biais de l'image, du son ou de la mise en scène. Par exemple le plan rouge avec le lac, la manière dont Sandrine se lave de manière frénétique, le plan dans le café où ce dernier se vide sans qu'on s'en aperçoive...
Ces plans un peu abstraits ramènent à une solitude, une sensation. Nous avons beaucoup travaillé la photographie dans ce sens avec mon chef opérateur, David Chizallet, qui, par ailleurs, a eu une belle année, puisqu'il a aussi signé la photographie de Mustang et Les anarchistes.
La photographie est particulière, dans des tonalités plutôt froides pour les décors. Quelles étaient les idées directrices dans ce domaine ?
Le contraste a été travaillé au coeur même de l'image. Les fonds sont sur une colorimétrie très froide dans les bleus, et on a ramené de la chaleur et de la carnation sur les visages par des projecteurs qui amènent du rouge et de l'orange de façon très ciblée, sur les peaux.
Les décors sont parfaitement adaptés à l'histoire. Où avez-vous tourné ?
Nous avons tourné en Belgique et dans la région de Roubaix. Nous avons eu la chance de trouver des décors remarquables comme celui de la scène de nuit qui met en scène la police et les trafiquants : avec ces énormes piliers, on ne pouvait pas rêver mieux au niveau de l'ambiance, un peu mafieuse, qui rappelle le cinéma américain des années 70.
Un autre décor formidable, c'est le hangar des trafiquants.
Ce décor a été créé de toute pièce par la chef décoratrice Véronique Mélery, qui a entièrement construit ce décor. On a trouvé un hangar désaffecté, qui était complètement mangé par la végétation. On le voit lors du travelling latéral lorsque Sandrine vient chercher les caniches qu'elle va revendre. C'était complètement vide, et Véronique a créé les cages, et la mezzanine au premier étage avec le personnage de Fabien (Thomas Scimeca) qui y dort. Elle a ajouté les lumières rouges qui servent à chauffer les chiots et contribuent à donner une ambiance de tripot clandestin.
Le trafic de chien est un sujet original. D’où vient votre idée de scénario ?
L'origine du projet n'est pas le trafic d'animaux. Avec mon co-scénariste François Decodts, nous sommes partis de la question de la honte sociale : qu'est ce que cela signifie d'avoir trente ans et le sentiment de ne pas avoir réussi, à un âge où tous les autres ont construit les fondements de leur vie ?
Une fois qu'on avait ramené le personnage chez sa mère, on a eu envie de la plonger dans un travail que personne n'avait envie de faire, dans un milieu sale, bruyant. Très vite nous est venue l'idée du trafic de chien, et en même temps la volonté de faire basculer le film dans un thriller social. Les éléments du trafic deviennent tout à coup des éléments allégoriques, et notre volonté était que ce trafic puisse parler de la violence et de la cruauté contemporaine.
Sandrine n'est pas seule victime de cette honte sociale, son beau-frère l'est également.
Oui, c'est un personnage qui est comme une variation de celui de Sandrine. Il est presque dans la catégorie des travailleurs pauvres. Malgré deux salaires, son couple n'arrive pas à accéder à un plaisir simple : un petit pavillon dans la banlieue de Roubaix. Son personnage nous intéressait aussi vis à vis de celui de Sandrine, parce qu’au moment où lui dit "Mais comment font les autres ?", Sandrine y arrive en faisant le choix de rentrer dans l'illégalité, les poches pleines d'argent sale. La question que cela pose, c’est : "jusqu'où est-on prêt à aller pour s’en sortir ?"
Jean Hugues Anglade dégage une grande dureté, mais il y a aussi une sorte d’ambiguïté sensuelle entre son personnage et Sandrine…
L'idée qu'il y ait quelque chose de potentiellement incestueux entre les deux personnages a été évoquée lors de l'écriture du scénario. Nous avons décidé de ne pas retenir cette idée, mais les acteurs l'ont néanmoins perçu entre les lignes. Et il en reste quelque chose qui imprègne le film sans qu'on sache très bien par où ça passe...
Cela fait partie de ce qu'a apporté Jean-Hugues, des nuances sur lesquelles on ne peut pas mettre de mots. C'est un très, très grand acteur.
Comment avez vous vécu la sélection de votre film à Cannes ?
Comme une très grande surprise et comme une chance inouïe. Avec un premier long-métrage, se retrouver dans une sélection aussi prestigieuse qu’Un certain regard, c'était très précieux. Cela m'a permis de faire beaucoup de rencontres, notamment avec des programmateurs de festivals.
Quelles sont vos projets ?
Je retravaille avec le même co-scénariste. Nous voulons surtout éviter de faire Je suis un soldat 2. On est parti sur un projet très différent tant sur la forme que sur le fond. J'espère faire quelque chose d'aussi profond, mais de plus léger sur la forme, avec plus d'humour.
Merci à Laurent Larivière pour sa disponibilité et sa gentillesse.
Un petit peu à la manière de 9 mois ferme en 2013, Encore heureux apporte un petit courant d'air frais dans la comédie française.
Sandrine Kiberlain apporte dans les deux films une irrésistible touche de fantaisie loufoque, mâtinée ici de rouerie candide : elle est épatante dans le rôle d'une mère apprenant dans les premières scènes à ses enfants l'art du vol en supermarché.
En trompant son mari (Edouard Baer) avec l'immonde Benjamin Biolay, elle parvient à ajouter avec désinvolture le mauvais goût à l'infidélité.
Benoit Graffin signe une comédie agréable et symathique, bien servie par des dialogues de Nicolas Bedos. Son ton gentiment libertaire, les tours de passe-passe répétés du scénario et la façon d'accélérer à volonté le défilement du temps donnent au film un ton alerte et décalé.
L'alacrité du scénario est le point fort du film : il semble toujours devoir retomber sur ses pieds après avoir multiplié les invraisemblances les plus éhontées. Le sommet étant atteint dans la scène ahurissante où la formidable Bulle Ogier se fait passer pour qui elle n'est pas.
Si le film ne raconte rien sur notre société, il dit peut-être beaucoup sur l'esprit français : l'immoralité y est célébrée, pourvu qu'elle soit débrouillarde et généreuse.
Parmi les séries récentes, The affair s'avère l'une des plus addictives.
Le principe de base est particulièrement original : on suit une aventure extra-conjugale en alternant les points de vue. Chaque épisode est strictement découpé en deux parties : la moitié est consacrée à la version de Noah, l'autre à celle d'Allison.
L'incroyable potentiel narratif de ce procédé éclate lors des deux premiers épisodes. Les mêmes scènes sont vues sous des angles différents et parfois changent du tout au tout suivant le narrateur : les circonstances, les paroles tenues, les vêtements, les attitudes, et mêmes les actes. On mesure à travers cet artifice qui érige l'effet Rashomon en sujet central le degré de perversité des deux scénaristes : Sarah Treem et Hagai Levi (à qui on doit déjà la déroutante et envoutante série En analyse).
A partir d'une intrigue amoureuse classique, la série développe ensuite une intrigue criminelle (un meurtre a été commis, et toute la série n'est finalement qu'un colossal flash back, sur le même modèle que True detective). Elle devient alors un peu plus désordonnée et confuse, tout en restant parfaitement addictive.
La grande réussite de la Saison 1 tient également à un casting de haute volée : Dominic West (que les fans de la plus grande série de tous les temps, The wire, connaissent bien) est excellent, on s'attache rapidement à Ruth Wilson, et les deux conjoints trompés sont très bons aussi (Joshua Jackson était un pilier de Fringe).
J'attends avec impatience la saison 2, dont on dit le plus grand bien.
A l'occasion de la sortie le 10 février du nouveau film de Pablo Trapero, El clan, énorme succès en Argentine, je vous propose de gagner 5 x 2 invitations valables partout en France.
Pour ce faire :
- répondez à la question suivante : "Dans quelle ville se déroule l'action du film ?"
Les cinéastes japonais possèdent cette incroyable capacité de mêler le réalisme le plus ordinaire (ici des vues urbaines de Shibuya, le quartier le plus dense de Tokyo) à un onirisme exacerbé (ici un monde parallèle habité par les animaux).
Le jeune héros passe de l'un à l'autre par le biais d'un passage d'une grande poésie, un peu sur le mode de la voie 93/4 d'Harry Potter.
C'est d'ailleurs dans ces aller-retours successifs entre les deux mondes que le film de Mamoru Hosoda trouve sa force, comme c'était d'ailleurs le cas dans un des films précédents de Hosoda, Summer Wars.
Une autre des caractéristiques du Garçon et la bête est sa capacité à se montrer dans un premier temps à la fois complexe et très sec dans son traitement : le personnage de la Bête est peu agréable et il faudra attendre la toute fin pour que se dessine son adoucissement. On est, comme chez Miyazaki, à mille lieues des minauderies mielleuses ou des méchants franchement sadiques de l'animation US.
Les personnages de Hosoda sont complexes : les forts ne sont pas forcément gentils, les méchants peuvent souffrir et les faibles sans personnalité sont sympathiques.
Le film est donc un petit miracle d'imagination, un récit d'initiation à la fois merveilleux et réaliste : il faut aller le découvrir.
Mamoru Hosoda sur Christoblog : Summer Wars (****)
Il y a une ambiguité terrible dans le film d'Eva Husson : on ne sait jamais vraiment si la connerie des jeunes qu'on voit à l'écran est volontairement mise en exergue, ou pas.
Dans le premier de cas de figure (ils sont vraiment aussi cons), alors le film n'est pas intéressant parce que la vie des cons ne vaut que si elle est filmée de façon brillante ou décalée, et non pas comme une bleuette éthérée qui se finit en apothéose moralisatrice, façon Larry Clark explore la Bibliothèque rose.
Dans le deuxième cas (ils ne sont pas aussi cons), la réalisatrice échoue complètement à nous faire ressentir la perversité et/ou l'inconscience de ces jeunes, et encore moins l'ambiguité morale de la situation. En montrant le ciel pour exprimer les sentiments (sur le mode simpliste de "un nuage = une contrariété"), Eva Husson filme avec ses pieds. C'est comme si Mia Hansen-Love tournait un Partouze à Biarritz.
Dans les deux cas, l'aventure est un cul-de-sac esthétique, sentimental, narratif. Pour justifier un pareil ratage, il faut entourer le film d'une série de palliatifs qui fonctionnent comme des sous-titres : un complément au titre (Une histoire d'amour moderne) et le traditionnel carton "Inspiré de faits réels" en générique de fin.
Comme si l'inanité vaporeuse et grisâtre de ce qu'on venait de voir devait être justifiée.
Le nouvel opus de Star wars est une sorte de reboot de l'original, passé avec respect au dépoussiérant numérique, 38 ans après.
On n'en finirait pas d'énumérer les hommages, les clins d'oeil complices, les citations, les personnages et vaisseaux revenants, les analogies.
Les stormtroopers ont toujours autant l'air de playmobils vaguement articulés, les planètes sont toujours aussi désertiques, les méchants ont la même voix caverneuse, les bars regroupent toujours la même faune bizarre, les engins spatiaux ne brillent pas par leur originalité.
JJ Abrams, après avoir donné un petit coup de jeune à la licence Star trek, s'acquitte donc de sa tâche avec conscience, sans génie et sans véritablement imprimer sa personnalité au produit. On notera simplement quelques éléments attribuables au wonderboy : une virtuosité incroyable dans certaines scènes de bataille (je pense au travelling qui montre les combats de Poe en arrière plan alors que Finn erre sur le champ de bataille), un sens aigu des décors (par exemple dans l'épave du vaisseau géant) et des éclairs d'ambiguité dans quelques scènes (dont celle qui réunit Han Solo et son fils).
Rien de déshonorant ni d'enthousiasmant dans cet opus, qui apporte un peu de fraîcheur, et de diversité politiquement correcte, avec les personnages "malgré eux" que sont Finn et Rey (excellente et tonique Daisy Ridley, héroïne typiquement Abramsienne, qui rappelle la Sydney Bristow d'Alias).
On attend maintenant la suite. Pour savoir, entre autres, qui est Rey.
Il n'y a pas beaucoup de cinéastes dont j'ai vu tous les films, mais Tarantino fait partie de ceux-là.
Après l'euphorie de la découverte générée par Reservoir dogs et Pulp fiction, la saga tarantinesque m'avait déçu à petit feu.
C'est donc avec beaucoup d'a priori négatifs que je suis aller voir le huitième opus : méfiant, contrarié, en partie conditionné à être déçu, inquiet de m'ennuyer pendant 2 heures et 48 minutes.
Et, magie du cinéma, nouvelle preuve que les mauvais augures de la critique ne préjugeront jamais du ressenti que peut procurer un film, j'ai beaucoup aimé.
En premier lieu, la mise en place est longue et verbeuse. Certains amoureux de l'hémoglobine instantanée s'ennuieront, mais j'ai trouvé ces scènes d'exposition délicieuses, intrigantes et presque shakespeariennes. On retrouve dans la politesse à la fois obséquieuse et stupide des dialogues ce qui fait le charme du cinéma de Tarantino : les acteurs (tous excellentissimes) se délectent. Ils savourent chacune des répliques, la mâchonnant, la mimant, l'exagérant. Tarantino est avant tout un admirable directeur d'acteurs.
Côté mise en scène, on n'est pas loin de la perfection. Mouvements de caméra insensés, montage au micron, sens du cadre absolu (comme on parle d'oreille absolue). Le scénario intrigue, émoustille, surprend.
Tarantino propose un divertissement total, intelligent et maîtrisé, comme une sorte de loooong expresso allongé. Il faut certes souffrir quelques tics maisons (des bras seront coupés et des têtes explosées), et un manque d'originalité indubitable, mais la densité de matière cinématographique garantit le plaisir du cinéphile.
Qu'un film d'amour mette en scène un couple homosexuel ou un couple hétérosexuel, on a besoin de croire à l'attraction mutuelle des deux protagonistes.
De ce point de vue, je n'ai pas du tout cru en l'histoire de Carol et Therese. Le film ne m'a autorisé aucune empathie : il m'a fait le même effet qu'un congélateur fera à une bûche glacée.
Cate Blanchett est un personnage mal dessiné, prédatrice sexuelle se transformant laborieusement en amoureuse transie. Son physique est froid, son désespoir poli, ses pulsions raisonnées. Rooney Mara affiche un joli minois sans aspérité, qui n'exprime qu'une vague et terne personnalité.
J'ai traversé ce film comme on regarde l'oeil hagard une belle reconstitution de train de luxe dans un musée du Limousin : l'objet est beau, sans enjeu sociologique ou dramaturgique, juste le témoin désuet et inutile d'un temps passé. Dans Carol, à l'image du personnage joué par Kyle Chandler, cette potiche de mari, tous les êtres vivants semblent secondaires et comme passés par un bain de naphtaline. C'est certes très bien filmé, mais le scénario du film ne permettait en réalité d'envisager qu'un modeste court-métrage.
Sorte de bel objet qu'on laissera traîner avec ostentation sur sa table basse mentale, le film de Todd Haynes semble obstinément se refuser à fournir la moindre émotion.
Aller voir le nouveau Noah Baumbach devient une sorte de réflexe : c'est comme aller voir le nouveau Woody Allen.
D'ailleurs on pense souvent au deuxième quand on voit Mistress America : Manhattan comme le parangon de coolitude, l'excitation des rues, le débit de Greta Gerwig qui surjoue comme Woody seul peut le faire, la percussion de certains dialogues frappants, l'aspect choral doucement déjanté de la communauté bobo.
Ce qu'il y a d'étonnant dans cette affaire, c'est de comparer deux réalisateurs dont l'un pourrait être le grand-père de l'autre (Baumbach : 49 ans / Allen : 80 ans). Le petit jeune a tout à prouver dans l'affaire : il n'a produit ni son September, ni sa Rose pourpre du Caire, ni son Manhattan.
Les films de Baumbach s'enchaînent ainsi sur le même tempo : le suivant ressemble au précédent en plus coloré (Frances Ha était tourné en noir et blanc) ou en moins Greta Gerwig (seul While we're young ne comprend pas cette actrice au générique). Ce sont de bien subtiles variations pour un propos qui reste toujours un peu le même : la vie est compliquée au coeur de New-York, quand il s'agit de choisir entre une soirée fancy et une tentative de devenir artiste.
Dans cet opus, plutôt meilleur que les précédents, on pourra apprécier la scène de la villa de Mamie-Claire et de Dylan, réglée comme du papier à musique et fertile en rebondissements comme autant de potlachs à retardement.
La difficulté à vivre sa jeunesse sous la dictature Ben Ali : on peut légitimement craindre qu'un pitch comme celui-ci engendre un film ruisselant de bons sentiments, parfaite caution morale pour les festivals désireux de soigner leur image.
Le film de Leyla Bouzid semble d'abord cautionner cette crainte : le personnage de Farah est presque trop solaire, et ses élans bigrement naïfs.
Pourtant, plus l'intrigue se développe et plus l'impression initiale s'estompe. A peine j'ouvre les yeux aborde bien des sujets et recèle son lot de surprises en tout genre, y compris de formidables moments musicaux. Même s'il est parfois maladroit ou un peu démonstratif, il intrigue et interpelle.
Parmi les réussites incontestables du film, il faut signaler la performance de la chanteuse Ghalia Benali, jouant la mère, admirable de prestance.
Le film est intéressant par ses ressorts dramatiques, sa mise en scène et son aspect quasi documentaire sur la Tunisie d'avant le printemps arabe : il faudra suivre la suite de la carrière de Leyla Bouzid.