Rendez-vous à Tokyo utilise le procédé du film "à rebours", c'est à dire que plus le film avance, plus on recule dans le passé par le biais de flash-backs successifs.
Le procédé n'est pas utilisé ici dans un but de construction intellectuelle visant à faire comprendre progressivement ce qu'on a vu auparavant (comme dans l'excellent Peppermint Candy), mais plutôt comme une façon de donner à sentir la construction et la dilution du sentiment amoureux.
En cela, le film le Daigo Matsui est assez réussi. Si on peine dans un premier temps à entrer dans le concept du film, il faut avouer qu'on finit progressivement par se laisser gagner par une sorte de sourde nostalgie, balloté par un air du temps qui possède un charme indiscutable. On suit les évolutions de la relation entre Yo et Teruo avec un intérêt croissant.
Tout n'est pas parfait (le personnage sur le banc n'apporte pas grand-chose par exemple), mais la délicatesse du film, associée au tableau sensible de la métropole tokyoïte, finissent par emporter l'adhésion. Un nouveau réalisateur japonais à suivre.
Formidable film que cet essai multiforme dans lequel deux actrices prennent la place de deux soeurs parties rejoindre le djihad.
La mère et les deux autres soeurs jouent leur propre rôle, se livrent face caméra, rejouent des scènes passées, sont filmées dans leur vie quotidienne ou dans des lieux emblématiques de leur passé. Le tout est très maîtrisé et ce qui aurait pu apparaître comme un collage informe finit par donner vie au drame qu'a vécu cette famille, sous une forme résolument inédite.
On est saisi par les vérités brutes que le film parvient à exprimer : l'embrigadement est en grande partie la faute des parents (les problèmes du père, la violence de la mère), mais les circonstances (la pauvreté) et le hasard (le prédicateur et le vagin qui prend feu) jouent aussi un rôle.
Le procédé est tellement puissant que l'inconfort n'est souvent pas loin. On est parfois gêné des minauderies de comédiennes en herbe des soeurs non actrices alors que le drame est toujours là, ou dubitatif devant certaines scènes lors desquelles le linge sale de la famille semble se laver devant nous.
Les filles d'Olfa est à la fois une psychanalyse de groupe, un "méta-film" d'un genre nouveau, un digest sur la société tunisienne, une réflexion sur la transmission et le destin, et un documentaire en prise directe avec la réalité. Un film inclassable et brillant.
Jaime Rosales est sûrement le réalisateur espagnol le plus sous-estimé en France.
Son cinéma est en effet d'une sensibilité rare et d'une grande qualité formelle.
Dans ce film, le Catalan s'attache à faire le simple portrait d'une jeune mère célibataire de notre temps, pleine d'énergie mais pauvre en moyens, et lestée par deux enfants.
On suit avec intérêt les tentatives de la jeune femme pour se rapprocher de trois hommes différents : un culturiste potentiellement violent, le père de ses deux enfants, puis un homme sensible déjà père lui aussi.
S'il ne se passe pas grand-chose d'un point de vue narratif, la qualité du portrait est telle que le film laisse finalement une trace sensible dans l'esprit du spectateur, séduit par l'énergie interne du personnage de Julia, joué par l'excellente Anna Castillo, qui irradie la pellicule, et par le sentiment de spontanéité naturelle qui ruisselle de chaque plan.
Les tournesols sauvages réussit un mélange parfait de réalisme cru et de sensibilité intelligente, captant les variations d'humeur des différents personnages en seulement quelques plans, parfois zébrés d'audacieuses ellipses.
Un très beau film.
Jaime Rosales dur Christoblog : Petra - 2019 (***)
De ce long film dense et puissant, on se demande ce qui mérite d'être mis en avant tant tout y semble parfait.
L'écriture d'abord est merveilleuse. On ne s'y ennuie pas une minute, tout y est savamment pesé. Anatomie d'une chute est d'une finesse ahurissante en terme de progression dramatique et de tension psychologique.
Les acteurs y sont splendides, Sandra Huller en tête, qui joue d'une façon vertigineuse une femme dont on ne sait trop quoi penser : autrice géniale unie à un mari médiocre ou monstre pervers et froid ? Le casting est tout simplement parfait.
La mise en scène au sens large (direction artistique, image, direction d'acteur) accompagne tout cela de main de maître : de la promenade inaugurale du chien dans la neige au huis clos étouffant du procès, en passant par la scène magnifique de la dispute revécue, tout est d'une limpide efficacité.
Comme dans tout bon film de procès, on passe d'une conviction à l'autre, au gré des prestations d'experts qui assènent avec la même conviction des évidences contradictoires.
Thriller psychologique hors norme et réflexion sociologique sur les rapports homme/femme au sein du couple, Anatomie du chute est une Palme d'Or enthousiasmante, tectonique des égos filmée de main de maître(sse).
Comme souvent (toujours ?) chez Dupieux, il y a cette excellente idée de départ : un spectateur qui trouve la pièce de théâtre qu'il regarde très mauvaise, décide de l'interrompre.
Sur cette idée originale porteuse de nombreux développements possibles, Dupieux brode une fable plutôt agréable, au texte souvent savoureux, magnifiquement servi par un Raphaël Quenard qui prend de film en film une épaisseur considérable. On n'oubliera pas de sitôt son interprétation à la fois calme et fiévreuse, émouvante et horripilante, amusante et inquiétante.
Yannick doit donc probablement son relatif succès à la prestation de son acteur principal (Pio Marmaï est aussi très bien), tant le film tourne assez vite un peu court, jouant un peu trop d'un même jeu de ficelles, certes efficaces, mais un poil lassantes. La fin ne m'a pas convaincu non plus, rompant le pacte burlesque grinçant qui fait le charme du film.
Rappelons-nous ce qui nous plaisait dans les James Bond de l'ancien temps : un héros charismatique, des personnages secondaires bien dessinés, des scènes d'action spectaculaires et réalistes, des décors somptueux, une écriture complexe mais lisible.
Aujourd'hui, ce que la franchise 007 n'offre plus, Ethan Hunt le dispense à foison. Mission Impossible 7 est en effet un film d'action comme on n'en fait plus beaucoup. Passé une première séquence un peu poussive dans le désert qui fait craindre le pire, on est entraîné dans une aventure aux multiples personnages reliés par des histoires complexes, trouvant souvent leur origine dans les épisodes précédents.
Le scénario évite ainsi les principaux écueils de ce type de production : le manichéisme et la superficialité. Les scènes d'action sont vraiment impressionnantes, revisitant les grands classiques (course poursuite en voiture, combat sur le toit d'un train) avec brio et une pointe d' humour bienvenue.
Les principaux décors (l'aéroport d'Abu Dhabi, Rome, Venise, le train) sont exploités à fond. Pas seulement comme carte postale (ce qui est maintenant le cas dans les James Bond), mais comme terrain de jeu à part entière dont il est plaisant d'explorer les coins et les recoins.
L'ensemble est teinté d'une réflexion plutôt réussie sur l'IA et la façon dont le numérique envahit nos vies, et d'un vague sentiment de nostalgie triste et désabusée, qui font des héros de véritables êtres humains.
Les 2h47 du film passent très vite, et franchement, vous auriez du mal de vous priver de ce shoot de plaisir pur, à l'ancienne. Une réussite.
Au fur et à mesure que la filmographie de Nuri Bilge Ceylan se remplit, son statut de plus grand réalisateur vivant se confirme.
Les herbes sèches permettent de retrouver la richesse exceptionnelle de Winter Sleep et de Il était une fois en Anatolie : tout dans le film respire l'intelligence et le talent. Les thématiques abordées sont diverses et profondes, triangle amoureux, accusation de harcèlement, corruption, terrorisme, propriété, rapport au corps, majesté de la nature,... on ne peut que s'épuiser à lister tout ce que film charrie comme interrogation, débat et interpellation.
Le propos pourrait sembler abscons s'il n'était servi par un sens incroyable de la mise en scène. Les paysages hivernaux sont sublimés par l'oeil de Ceylan, et les mouvements de caméra sont souvent d'une beauté à couper le souffle. La scène du repas entre le personnage principal et Nuray (prix d'interprétation féminine à Cannes pour Merve Dizdar) est de toute beauté. Un immense moment de cinéma, bousculé par une scène qui rompt le quatrième mur dans un élan sidérant. Il y a dans cette séquence un plan filmé au-dessus de la tête du personnage féminin, qui marque un moment de bascule, et qui m'a littéralement sidéré par sa beauté.
Ajoutons à tout cela des photographies sublimes (c'est le premier métier de Ceylan), un souffle constant qui font passer les 197 minutes du films en un éclair, des idées à tous les plans, une immersion infiniment exotique dans l'Est de la Turquie, un sens de la nuance qui n'a aucun équivalent dans le cinéma mondial actuel, et vous obtiendrez un des tout meilleur film de l'année.
A l'occasion de sa sortie, je vous propose avec Wild Side de gagner 2 exemplaires du très beau mediabook (DVD + livre + Blu-ray) du chef d'oeuvre de Léo McCarey,Cette sacrée vérité, avec Cary Grant et Irene Dunne.
Pour ce faire :
- répondez à la question suivante : quel est le nom du chien qui figure dans le film ?
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Un tirage au sort départagera les gagnants. Vous recevrez ensuite le DVD envoyé par le distributeur. NB : un des deux DVD sera attribué par tirage au sort à un participant ayant aimé ma page FB oumon compte Twitter ou s'étant abonné à la Newsletter du blog (n'oubliez pas pour participer à ce tirage au sort spécial de me donner votre pseudo dans votre réponse, pour que je fasse le lien).
Une nuit commence comme Before sunrise : un homme et une femme se rencontre dans les transports en commun (le train là, le métro ici), puis passent une nuit à errer dans une grande ville (Vienne là, Paris ici), à tomber amoureux l'un de l'autre et à se raconter leur vie jusqu'au petit matin. Dans les deux films, on voit les lieux qu'ils fréquentent vides, on découvre des pans de leur passé par éclair, et on ne sait pas jusqu'à la fin s'ils se reverront ou pas.
Il y a pourtant une différence de taille entre les deux films, que je ne dévoilerai pas ici pour ne pas gâcher le plaisir du spectateur (et même si le film lui-même donne un peu trop vite à mon goût des éléments à ce sujet).
J'ai vraiment accroché à cette histoire toute simple, racontée avec de très modestes moyens, et presque exclusivement basée sur la complicité amicale d'Alex Lutz et Karin Viard, tous deux excellents, que les deux protagonistes parviennent miraculeusement à transformer en chaleur amoureuse. J'ai trouvé notamment que le film parvenait très bien à donner à ressentir temps qui passe, et la façon dont évoluent les sentiments.
Une nuit confirme pour moi le talent d'Alex Lutz, qui donne ici, après Guy, une nouvelle preuve de son talent de directeur d'acteur et de scénariste.
Loin d'atteindre les sommets de la filmographie Pixar, Elémentaire marque un retour à une certaine qualité standard, susceptible de plaire au plus grand nombre.
J'ai apprécié l'animation parfaite, la construction logique d'un monde dans lequel chaque élément (feu, eau, terre, air) a son quartier, et les idées qui fourmillent en relation avec les propriétés physiques du feu et de l'eau. De ce point de vue, Elémentaire prend des airs de petit cours de physique (comment fabrique-t-on le verre ?).
Le propos sur la diversité est très consensuel mais bien mené, et la faculté de s'insérer dans un monde plus vaste quand on est issu d'une minorité est assez bien vue. Le réalisateur Peter Sohn a clairement indiqué que les personnages des parents de Flam étaient inspirés de l'histoire de ses propres parents, immigrés coréens.
L'histoire d'amour entre la volcanique Flam et le placide Flack, sans être très originale, est toute mignonne.
Il manque cependant une petite étincelle de folie, une once de cruauté bienveillante, un méchant convaincant, bref quelque chose de saillant, pour que le film soit pleinement satisfaisant pour un public adulte.
Les films de Bruno Poladydès sont à mon sens assez inégaux, mais celui-ci est véritablement délicieux !
Je ne m'attendais pas à voir un chef d'œuvre, tout juste un plaisant divertissement, mais au final Wahou ! s'avère à la fois plus profond et plus amusant que ce que j'espérais.
On rit en effet assez franchement au numéro des différents acteurs et actrices, qui semblent ici prendre un grand plaisir à jouer ensemble. Sabine Azéma, 74 ans, en fait 15 de moins, et sa malice enjouée continue à faire merveille : on n'oubliera pas de sitôt sa formidable tirade sur ce qui se passe dans les entrées de maison. Karin Viard rayonne littéralement, alors que Bruno Podalydès excelle en agent immobilier raté et mielleux. Son frère Denis réussit en une scène muette à nous faire rire, alors que Roschdy Zem livre une courte prestation très drôle de père possessif puis tout à coup enjoué suite à un amusant quiproquo.
On sourit et on rit en permanence donc, mais on est aussi gagné par l'émotion à plusieurs occasion. Une scène est en particulier réussie, qui montre une infirmière à bout de nerf jouée par l'excellente Florence Muller. Ce mélange d'émotion et de drôlerie est assez rare dans le cinéma français.
Le film est amusant et émouvant, mais il est aussi très bien réalisé, avec un mélange réussi de tendresse bienveillante et de subtil détachement, assaisonnée de petites pointes de malice (comme la caricature du jeune couple et de ses Bromptons). Les cartons de fin, qui parodient les messages de fin de film du style "Dix ans après, Paul est devenu père de trois enfants", sont irrésistibles de drôlerie.
En 2021, Nanni Moretti s'était révélé sacrément mauvais perdant, en déclarant à propos de la Palme d'or, Titane : "Vieillir soudainement. Ca arrive. Surtout quand un de vos films participe à un festival. Et qu’il ne gagne pas. Et au lieu de ça, c’est un autre film qui gagne dont le premier rôle tombe enceinte d’une Cadillac. Tu vieillis d’un coup. Bien sûr."
Impossible pour moi de ne pas repenser à cette déclaration lors des scènes de Vers un avenir radieux dans lesquelles Moretti s'énerve contre un réalisateur tournant ce qu'il juge être des scènes de violences gratuites.
A ce moment-là, le réalisateur italien semble effectivement tout à coup pencher du côté de la ringardise : sa charge grossière contre un cinéma spectaculaire et violent (qui est celui de Ducourneau, Bong Joon-Ho ou même Tarantino) tombe à plat, révélant probablement ce qu'il pense vraiment sous couvert d'un second degré bien commode.
Tout le dernier film de Moretti m'a paru triste, expression désabusée d'une longue boursouflure d'ego, ressassant des obsessions qui étaient charmantes à l'époque de Journal intime (les balades en deux roues dans le quartier, le communisme), mais sont devenues désormais plutôt énervantes. Comme un vieil oncle dont les plaisanteries entendues mille fois ne font plus rire. Avec le temps, le caractère acariâtre de Moretti, qui charmait à ses débuts par son caractère asocial et original, est devenu une rengaine sans grâce de vieil homme, ne proposant plus grand-chose de neuf.
L'autodérision n'est pas charmante quand elle n'est plus légère.
Je ne mets pas la note la plus basse parce que je remémore les attachements passés, et que le ton Moretti fait encore ponctuellement mouche (comme lors de la scène chez l'ambassadeur), mais j'ai été déçu.
Omar la fraise commence plutôt bien. La plongée qu'il propose dans une Alger inaccoutumée, mix de petite délinquance décontractée et de convivialité exubérante, est plutôt agréable.
Dans ce contexte de pieds nickelés sans prétention on est prêt à beaucoup pardonner au couple Reda Kateb / Benoit Magimel, excellents tous les deux, y compris l'introduction d'une mièvre histoire d'amour. La formidable utilisation des décors naturels d'Alger donne beaucoup de charme au film d'Elias Belkeddar, qui prend parfois des airs de tragi-comédie à l'italienne.
Malheureusement, le fragile équilibre du film se délite assez rapidement, par la faute d'un scénario qui tourne en rond, puis choisit des voies totalement improbables, qui détruisent son charme.
C'est dommage, car il y avait de quoi faire avec tous ces ingrédients un portrait doux-amer de malfrats à la petite semaine, dans un décor formidable.
On guettera avec attention le deuxième film d'Elias Belkeddar.
Pas facile de défendre (un petit peu) ce film fragile de Claire Denis, tant il cumule de faiblesses et d'approximations.
Alors, OK, son scénario filandreux n'est pas passionnant, son propos est ténu, ses développements approximatifs, son intrigue confuse et son rythme émolient.
Mais il me faut avouer, à rebours de la majorité de la critique, que j'ai été assez sensible à l'histoire d'amour naissant entre les deux personnages joués par l'excellente Margaret Qualley (une future grande, c'est clair) et Joe Alwyn. J'ai rarement eu cette sensation de voir un sentiment éclore à ce point à l'écran.
L'autre point fort du film, c'est la moiteur qui baigne le film, une moiteur symbolique et physique à la fois, qui m'a vaguement rappelé les romans de Graham Green et de Malcom Lowry, moiteur qui imbibe une atmosphère de complot permanent, d'embrouilles politique et de faux-semblants tropicaux.
Tel un cocktail bien chargé en rhum et arrosé par le score toujours délicieux des Tindersticks, le film m'a gentiment enivré, et bercé dans une molle torpeur dans laquelle l'apparition irréelle de Benny Safdie m'a ravi.
Si vous avez trouvé comme moi que les derniers Wes Anderson commençaient à ressasser la même recette, alors n'allez surtout pas voir Asteroid city.
Le dernier opus de Wes Anderson apparaît en effet comme une compilation à bout de souffle de tout son cinéma précédent, dans lequel tous les effets bien connus sont égrenés d'une manière presque robotique : couleurs pastels jaunâtres, personnages hiératiques qui semblent manipulés comme le seraient des marionnettes, mise en abyme arty, effets de symétrie en veux-tu en voilà, split screen, discours verbeux, détails dans tous les coins du cadre, etc.
A quoi tout cela sert-il ? Voilà la question que je me suis posé tout au long du film, qui ne génère aucune émotion, n'intrigue pas, ne surprend pas, et en un mot, ennuie.
Même les dialogues, qui souvent chez Anderson font mouche, semblent ici tristement amidonnés, comme l'unique décor, dont l'artificialité géométrique m'a rebuté. On en vient à scruter sans grand intérêt les petits nouveaux entrant dans la famille, et en particulier Scarlett Johansson, assez fade en Marilyn de cire.
Tout cet attirail formel et froid illustre des thèmes qui ne m'ont pas intéressé (l'Amérique éternelle, la famille, le théâtre des années 50). Même l'extra-terrestre est tristounet.
Un raté total pour moi, que les plus passionnés des fans consacreront peut-être comme le summum de Wes Anderson, considérant que le "système" du cinéaste trouve ici sa réalisation la plus aboutie.
Pas très facile d'expliquer ce que ce film a d'exceptionnel, si on le considère dans un premier temps uniquement sous l'angle de son synopsis : un électricien tente de dépanner l'installation d'un homme handicapé en trouvant (difficilement) la bonne pièce.
Si on ajoute le fait que le film doit comprendre une quinzaine de lignes de dialogue en tout (dont la moitié constituées de "Salam") et vous comprendrez que L'odeur du vent n'est pas le film le plus facile à conseiller.
Pourtant, cela faisait longtemps que je n'avais pas été ému de cette façon. Les plans tout d'abord sont tous, sans aucune exception, composés d'une façon admirable. Non seulement les paysages iraniens sont de toute beauté, mais la lumière, le cadrage et la durée de chaque plan rendent l'expérience de vision du film particulièrement immersive. La prise de son est également fantastique.
Si chaque scène est un véritable petit tableau, leur enchaînement mutique amène à ce qu'on se pose rapidement une question : pourquoi notre héros fait-il tout ça ? Et la réponse est toute simple : par bonté d'âme. Pour aider son prochain, sans en attendre de remerciements. C'est un argument fragile, mais qui remplit le film de la même façon qu'un gaz remplit une bouteille vide quelque soit sa quantité : la bonté irradie le film de bout en bout, lorsque un homme cueille un bouquet de fleur pour un aveugle, comme lorsqu'un autre répare silencieusement une voiture.
Une leçon de vie magnifiquement mise en image. A découvrir de toute urgence.
Le dernier opus de Koji Fukada (Suis-moi je te fuis / Fuis-moi je te suis) nous avait laissé un peu sur notre faim. Le format série resserré pour le cinéma ne fonctionnait pas très bien.
Avec Love life, le réalisateur japonais revient à ce que l'on préfère chez lui : une mise en scène élégante, une écriture au scalpel et des événements qui bousculent simultanément les personnages et les spectateurs.
Le film commence ici comme le tableau en demi-teinte d'un couple presque normal : elle a un enfant d'une première union, il a des parents un peu envahissants qui habitent dans l'immeuble d'en face. On sent vaguement que quelque chose d'anormal plane au-dessus de la famille : une curieuse cérémonie d'anniversaire pour le beau-père, l'ex petite amie du mari qui réapparaît, des paroles acerbes qui s'échangent.
Le style Fukada est là : le regard d'un entomologiste qui observe des fourmis humaines se débattre dans le labyrinthe de la réalité, se heurtant à leurs sentiments, leurs désirs, et surtout ici, leur culpabilité.
Dans Love life, la communication semble impossible entre les principaux personnages. La mise en scène excelle à décrire leur isolement par de multiples et subtils procédés : plan lointain, jeu de transparence et de reflets, bande-son travaillée. A l'image du sublime dernier plan, le maximum de connivence qui semble accessible dans ce monde absurde, c'est de marcher un petit bout de chemin l'un à côté de l'autre.
Un beau film, ample et délié, riche en signes et en symboles.
C'est avec beaucoup de plaisir que je retrouve cette année le festival, son ambiance à la fois professionnelle et décontractée, ses avions en papier, son cadre idyllique, ses échanges cosmopolites, et sa programmation pléthorique (plus de 400 films, courts-métrages compris).
11 juin
C'est la première fois que le festival ouvre un dimanche, puisque cette année il a été rallongé d'une journée. La cérémonie d'ouverture est évidemment marquée par l'émotion causée par l'attaque au couteau qui s'est déroulée il y a trois jours. A travers les différents discours, le festival s'affirme comme une force d'amour et d'acceptation de la différence, face à la barbarie.
En apéritif, nous avons droit à un court-métrage des studios Disney en exclusivité mondiale. Once upon a Studio est basé sur une idée simplissime : il s'agit de prendre une photo de famille des personnages emblématiques de Disney. Ainsi se croisent dans ce court-métrage les très anciens et les plus modernes, de Mickey à la Reine des neiges en passant par Robin des Bois, et des dizaines d'autres. C'est rythmé, amusant et même émouvant : chaque génération s'y retrouve. L'animation est simplement parfaite.
Nous voyons ensuite le nouveau film de Benoit Chieux, Sirocco et le royaume des courants d'air (2/5), qui sera LE gros film d'animation français du Noël 2023. Il s'agit d'un projet original, qui rappelle les productions du studio Ghibli, notamment par son imagination débordante en terme de formes et de couleurs (avec en particulier un bestiaire de toute beauté). L'histoire, qui aborde plusieurs thèmes, est assez solide. J'ai des réserves sur la qualité de l'animation assez sommaire, et sur le manque de caractérisation des personnages qui empêche de pleinement s'impliquer émotionnellement dans le film. C'est une grande différence avec le meilleur de la production d'animation actuelle, comme Suzume.
12 juin
Robot dreams (4/5), de l'espagnol Pablo Berger (Blancanieves) est un petit miracle comme seule l'animation peut en produire. Comment est il possible de captiver le spectateur avec l'histoire de l'amitié d'un chien et d'un robot, dans un New-York habité par les animaux, sans aucun dialogue, et pendant 1h30 ? Le film explore toute une gamme de sensation et d'émotion par la seule force de l'animation et de la mise en scène : solitude, bonheur partagé, espérance, nostalgie, tristesse, résignation. C'est très beau, et loin d'être simpliste.
Le film de fin de soirée est plus ardu. Il s'agit là encore d'un OVNI, dans un tout autre genre. Art college 1994 (3/5), du chinois Liu Jian, présenté à Berlin, raconte le spleen d'étudiants chinois en art plastique, dans les années 90. Pas d'action, de longues conversations sur Matisse et Kant, une sourde envie d'Amérique, une incapacité à vivre sa vie et avancer dans ses projets. C'est d'un point de vue visuel parfois magistral, avec une animation très proche de la prise de vue réelle. Une expérience hors du commun, lors de laquelle l'émerveillement n'est jamais très loin de l'ennui le plus profond, et réciproquement.
15 juin
Ce soir, je découvre le film de Chiara Malta et Sébastien Laudenbach, Linda veut du poulet (3/5), qui faisait partie de la sélection ACID Cannes 2023. Le film est plein d'idées intéressantes, d'un point de vue narratif comme de celui de l'animation (très comparable à celle de La jeune fille sans main). Il s'agit d'une sensible chronique qui raconte le deuil d'une vive petite fille qui a perdu son papa. Le ton est attendrissant et cocasse, et les dialogues sont parfaitement incarnés par Esteban, Clotilde Hesme et Laetitia Dosch. Il manque un petit quelque chose pour que je sois complètement convaincu : un rythme un peu plus soutenu, un trait plus incisif ou une fantaisie plus débridée.
Et voilà, c'est fini pour cette année, à l'année prochaine !
Il y a beaucoup de films dans L'île rouge, qui me plaisent plus ou moins.
Le premier, et le plus important, est la vision par un enfant de sept ans de la vie familiale dans une base militaire française de Madagascar. Ce film-là est plutôt réussi. Les états d'âme des adultes, l'intrication de l'imaginaire et du réel, les subtils décalages liés à la sensibilité de l'enfant (que ses frères et son père traite ostensiblement de gonzesse) : tout cela est bien rendu par Campillo, qui règle ainsi quelques comptes avec son enfance.
Mais il y a dans L'île rouge beaucoup d'autres films, qui me plaisent moins et qui ne s'allient pas très bien avec le propos principal. En vrac : des aventures de Fantômette mises en image d'une façon assez laide, des incises sensorielles comme dans 120 battements par minute (le gravier, les paysages, l'oeil de crocodile), et enfin une parenthèse politique en fin de film qui ne semble pas connectée avec la première partie, ni par la forme, ni par le ton.
La mayonnaise n'a pas pris dans mon esprit et après avoir été agréablement surpris par le début du film, j'en suis progressivement sorti. Le jeu des acteurs, un peu artificiel à mon goût, et l'absence d'interaction avec la vie de la base militaire ont également contribué à me laissé en dehors du projet proposé.
Au festival d'animation d'Annecy 2022, j'avais été accueilli à l'entrée d'une des salles du Pathé par une grande femme rayonnante qui m'avait tendu une carte postale promotionnelle, et m'avait souhaité bon film. La Lettonne Signe Baumane accueillait ainsi en toute décontraction les quelques spectateurs de son film (nous n'étions pas très nombreux).
My love affair with marriage est à l'image de sa réalisatrice : vif, enjoué, direct. Il regorge aussi d'imagination : effets visuels variés et plaisants, utilisation de la musique pour quelques scènes de comédie musicale irrésistibles, personnages délicieusement croqués.
On suit avec délectation les tribulations de Zelma, dans un voyage à la fois physique (la Russie profonde, la Lettonie, le Danemark), biologique et d'émancipation. Ses différents mariages, en incluant tentatives avortées et remariage, sont très drôles à suivre, et on ne s'ennuie pas une seconde dans ce périple intérieur qui mène une petite fille de sept ans à se libérer progressivement pour devenir une jeune fille de vingt-neuf ans.