Qui trop embrasse mal étreint : voilà qui pourrait résumer Sibyl.
Sur le papier tout est formidable : un scénario hitchcokien, une actrice au sommet, une réalisatrice en pleine phase ascendante.
Pourtant, rien ne parvient à fonctionner à l'écran. Les tonalités tout le temps changeantes du film, le découpage inutilement compliqué, les commentaires en voix off qui alourdissent le film, les redites qui surlignent le propos : Sibyl croule finalement sous l'accumulation de ses intentions.
Si Virginie Efira est magnifique et Sandra Hüller parfaite, les autres acteurs tournent un peu en mode automatique : Adèle Exarchopoulos excelle dans ce qu'elle sait le mieux faire (pleurer avec excrétion), Niels Schneider est joli à regarder et Gaspard Ulliel n'est pas très bon.
En somme, le film aurait pu être bon, mais il patine, faute à une surabondance d'effets. On n'en voudra pas à Justine Triet, qui ne parvient jamais à nous intéresser vraiment à ces personnages, et on attendra l'essai suivant.
Palme d'Or : Parasite de Bong Joon-Ho (c'était aussi ma Palme, et celle de la presse internationale)
Grand Prix : Atlantique de Mati Diop (un film sympathique et plein de promesses, mais que j'ai trouvé un peu fragile. On peut dire que c'est un signe d'encouragement, et de renouvellement. Discutable, mais pas idiot)
Prix du jury ex-aequo : Les Misérables de Ladj Ly et Bacuraude Kleber Mendonça Filho et Juliano Dornelles (mérité pour les deux, surtout pour Ladj Ly)
Prix d'interprétation féminine : Emily Beecham dans Little Joe. (c'est le bug de ce Palmarès, même si l'actrice ne démérite pas dans le film. Il y avait tellement mieux ailleurs, Virginie Efira par exemple, ou Léa Seydoux, ou Noémie Merlant)
Prix d'interprétation masculine : Antonio Banderas dans Douleur et Gloire. (normal, il est magnifique)
Prix de la mise en scène : les Dardenne pourLe jeune Ahmed (étonnant à première vue vu la concurrence, ce choix n'est pas complètement aberrant car pendant le film, je me souviens m'être dit "c'est quand même hyper bien fait", indépendamment du scénario, qui ne vaut rien)
Prix du scénario : Portait de la jeune fille en feu de Céline Sciamma (pourquoi pas, je n'ai pas trop aimé le film qui est besogneux, mais c'est un soulagement pour moi de ne pas le voir plus haut)
Mention spéciale : It must be heaven de Elia Suleiman (un film spécial auquel ce prix va très bien)
Au final, un des meilleurs Palmarès de ces dernières années.Très heureux de ne pas voir la bouillie mystique de Malick au Palmarès. Un peu déçu pour Bellochio, Loach, Diao et Desplechin qui ont signé de très beaux films, mais il semblerait que la prime ait été donné à la jeunesse.
Merci de m'avoir suivi, et à l'année prochaine !
25 mai
Je profite d'être encore à Cannes en ce dernier jour pour rattraper deux films de la compétition que j'avais raté (le dernier jour, tous les films sont re-projeté, mais une seule fois).
Le lac aux oies sauvages (5/5) du chinois Yinan Diao est une splendeur visuelle, probablement ce que j'ai vu de plus beau pendant mes dix jours cannois. La photographie est magnifique, chaque plan étant baigné d'une lumière quasi surnaturelle. Certaines scènes sont d'une beauté à couper le souffle, l'histoire est bouleversante et la vision de la Chine contemporaine très instructive.
Le film Les siffleurs (2/5) du roumain Corneliu Porumboiu est un objet étrange, sorte de polar vintage qui me rappelle de vieilles séries télé, dans lequel aucun personnage n'est vraiment intéressant, et dont on se fout de l'intrigue. Il reste quelques bouts de mise en scène à admirer, mais bon, c'est quand même très faible.
24 mai
La journée commence avec les 3h30 très contreversées de Mektoub my love : Intermezzo (3/5) de Kechiche. On est ici un petit peu au-delà de ce qu'est le cinéma, puisqu'on est plongé pendant tout le film (hormis les 15 premières minutes sur une plage) dans une boîte de nuit à regarder des jeunes twerker, discuter, boire, s'allumer et avoir des relations sexuelles (cunnilingus d'une quinzaine de minutes dans les toilettes, qu'on jurerait non simulé). Bref, c'est presque plus de l'art contemporain que du cinéma. Curieusement, comme l'on dit deux spectatrices à la fin du film à mes côtés, c'est étonnant qu'on ne se soit pas plus fait chier. Les débats sur les réseaux sociaux vont bon train, concernant le malegaze de Kechiche, l'absence d'Ophélie Bau à la conférence de presse et les accusations répétées d'abus sur les tournages de Kechiche. L'expérience mérite pour moi d'être vécue, même si les principales qualités de film précédent (Mektoub my love : Canto Uno) ne sont pas là.
A la suite, les 1h20 de Il était une fois dans l'est (3/5) de la russe Larisa Sadilova à Un certain regard passent en un clin d'oeil. Il s'agit de la chronique douce amère d'un double adultère dans un petit village de la Russie profonde et c'est apaisant.
Pour finir, suite (et fin) de la compétition : It must be heaven (2/5), du palestinien Elia Suleiman est une collection de vignettes absurdes et/ou burlesques. Le réalisateur silencieux promène sa silhouette et son chapeau de paille en Palestine, à Paris et à New-York, donnant à voir à travers de petits haïkus visuels les travers de notre civilisation. Un Tati contemporain, dont l'humour me laisse assez froid.
Pour finir, émouvant de voir Justine Triet (très) enceinte regarder son film Sibyl (3/5) pieds nus. Malgré quelques qualités (Virginie Efira impeccable, une histoire intéressante), le film ne m'a pas vraiment emporté comme je l'espérais. Critique à venir très vite sur Christoblog.
23 mai
Début de journée avec le film de clôture de la Quinzaine, Yves (2/5) de Benoit Forgeard. Sur le papier, le pitch était intéressant : un rappeur tombe sous l'emprise de son frigo connecté et intelligent. Malheureusement la farce est indigeste et le film tourne à la comédie sentimentale qui se voudrait déjantée, mais n'y arrive pas.
J'enchaîne ensuite trois films de la compétition. Roubaix, une lumière (4/5), d'Arnaud Desplechin, est très beau. Le film traite avec une douceur incroyable de faits divers sordide. Roschdy Zem est magnifique de calme et de sérénité. Léa Seydoux et Sara Forestier sont aussi formidables. Une franche réussite qui dans n'importe quel autre Festival paraîtrait un bijou, mais cette année à Cannes, il y a du lourd.
Le nouveau film de Dolan, Matthias et Maxime (2/5) est meilleur que ces deux derniers (pas difficile), mais est assez mineur. Cet amour de jeunesse qu'on devine autobiographique présente peu de relief et n'intéresserait probablement pas grand-monde si Xavier Dolan n'en était pas le réalisateur / acteur. Il faudra un jour que le jeune canadien parvienne à tuer sa mère, encore bien nocive dans ce dernier opus.
Enfin, les 2h20 de la fresque de Marco Bellochio, Le traître (4/5), passent très vite, preuve de la qualité du film qui raconte l'histoire du repenti de la mafia qui a permis au juge Falcone de faire condamner des centaines de mafiosi. C'est du beau cinéma classique et l'acteur Pierfrancesco Favino est exceptionnel (pris d'interprétation possible).
22 mai
Après une relative grasse matinée (le réveil a sonné à 8h au lieu de 6h30), et une vaine deuxième tentative d'accéder au Tarantino, je consacre ma journée aux sections parallèles avant de revenir à la compétition pour les deux derniers jours.
A la Quinzaine, Les particules (3/5), premier film de Blaise Harrison est intéressant sans être génial. Tourné dans le pays de Gex, le film décrit de façon assez naturaliste le quotidien d'adolescents, tout en y mêlant des éléments oniriques liés au fait que la région est traversée par l'accélérateur de particules du CERN, le LHC (d'où le titre). Un petit peu décousu, mais le réalisateur est à suivre.
A Un Certain Regard, je vois un film chinois de facture assez traditionnelle (c'est à dire sans la lenteur / noirceur qu'on peut attribuer à la production chinoise visible en Festival) : Summer of Changsha (3/5) de Zu Feng. Cela commence comme une intrigue policière classique (un bras coupé est retrouvé dans une rivière) avant d'évoluer vers un drame sentimental.
Pas mal, mais le meilleur est à venir : La vie invisible d'Euridice Gusmao (5/5) est un film impressionnant à beaucoup d'égards. Le brésilien Karim Aïnouz dresse le portrait de deux soeurs que le patriarcat sépare sur plusieurs décennies, et il y a du mélodrame romanesque à la puissance 10 dans ce film fleuve (2h19) qui s'étire sur plusieurs décennies. Une vraie révélation, avec une mise en scène irréprochable et une interprétation top niveau de deux grandes actrices brésiliennes.
21 mai
Début de journée qui commence comme celle de hier s'est terminée : avec un film d'animation, une fois n'est pas coutume. La fameuse invasion des ours en Sicile (3/5) est une adaptation d'un conte de Buzatti, réalisé par le grand dessinateur de BD Lorenzo Mattotti. C'est beau et plaisant : le film sera à conseiller aux enfants comme une excellente alternative à l'imagerie Disney, apportant le même genre de renouvellement esthétique que le fit en son temps Michel Ocelot.
J'enchaîne avec un film hors compétition, le formidable La belle époque (4/5). Dans la catégorie film français grand public de qualité, le film de Nicolas Bedos remplit le même office que Le grand bain l'année dernière, en encore mieux. Fanny Ardant (dont habituellement je ne suis pas fan) est excellente, tout comme Daniel Auteuil. Je prédis quelques millions d'entrée.
Le petit détour en début d'après-midi à la Quinzaine s'avère catastrophique : Por el dinero (1/5) est un film argentin absolument nul. Une sorte de méta cinéma qui se moque de lui-même en pensant être drôle. Cela dure 1h20, mais après 20 minutes je pensais déjà qu'il s'était écoulé 2 heures.
A 17h, tout le monde sur la Croisette ne pensait qu'à une chose : voir le Tarantino. En 8 ans d'expériences cannoises, je crois que je n'ai jamais vu autant de personnes chercher une place. Du délire.
Du coup, j'en ai profité pour faire un vrai repas, et j'ai réussi in extremis à me faufiler dans la salle pour la montée des marches de Parasite (5/5) de Bong Joon-Ho à 22h. Le film, dont il ne faut pas dire grand-chose pour ne pas déflorer le plaisir du spectateur, est formidable, admirablement maîtrisé de tous les points de vue. Une sorte de croisement de Kore-Eda et de Park Chan-Wook si vous pouvez imaginer. On devrait le retrouver au Palmarès.
20 mai
Démarrage en douceur ce matin à la Quinzaine avec Une fille facile (3/5) de Rebecca Zlotowski. Le pôle d'attraction principal du film est évidemment Zahia Dehar (l'affaire Ribéry, etc), qui joue très dénudée dans le film et dont je craignais qu'elle génère un effet "bête de foire" autour du film. Au final, ce que j'ai vu est la gentille chronique d'émancipation d'une autre jeune fille, jouée par Mina Farid, et le film trouve un ton juste et attachant. Benoit Magimel est très bon.
Vient ensuite un des morceaux de résistance de la compétition, les trois heures de Une vie cachée (2/5) de Terrence Malick. Je trouve que les tics malickiens, dans lesquels j'inclus la bouillie poético-mystique en voix off, auraient dû être mis en sourdine au regard du sujet, l'objection de conscience d'un autrichien qui refusa de prêter serment à Hitler (et qui parle anglais dans le film, contrairement aux méchants nazis qui baragouinent l'allemand). Ce n'est pas le cas, on est dans la même emphase que dans The tree of life. Je n'ai pas aimé, même si on ne peut nier qu'il y a des plans superbes.
Le jeune Ahmed (3/5) des frères Dardenne est intéressant. Il s'empare d'un sujet difficile (la fanatisation des plus jeunes) mais ne développe pas complètement ses idées. On a un sentiment d'inachevé en regardant ce film court, qu'on dirait presque même écourté par une fin bizarre. Un petit Dardenne, mais stimulant par les réflexions qu'il génère.
Enfin, la principale satisfaction de la journée viendra de ma première incursion à la Semaine de la Critique. J'ai perdu mon corps (4/5) est un premier film d'animation français, de Jérémy Clapin. Tout part d'une idée folle : une main coupée part à la recherche de son corps, ce qui va nous entraîner dans toutes une série de flashbacks et d'aventures émouvantes, amusantes et mélancoliques. Un très beau film, qui je l'espère aura une belle carrière en salle.
19 mai
Journée cinéma français aujourd'hui, qui commence à Un certain regard avec le dernier film de Christophe Honoré, Chambre 212 (5/5). Honoré s'y révèle un excellent scénariste (quelle inventivité !), un formidable metteur en scène et un directeur d'acteur époustouflant. Chiara Mastroianni y est impériale. Un de mes coups de coeur 2019, sans aucun doute.
J'enchaîne à la Quinzaine avec Perdrix (4/5) de Erwan Le Duc. C'est "l'instant fraîcheur" de ce Festival, un peu comme le fut Les combattants il y a quelques années : une comédie burlesque parfois hilarante, parfois mélancolique, servie par un casting d'exception (Fanny Ardant, Swann Arlaud, Maud Wyler). Délectable.
Je reviens ensuite à la compétition avec Portrait de la jeune fille en feu(2/5) de Céline Sciamma, qui me déçoit énormément. Le synopsis du film est simpliste (un huis clos entre deux femmes qui évolue de façon hyper-prévisible en histoire d'amour), les dialogues compassés, la mise en scène fadasse. Le film ne présente d'intérêt que si on est amoureux(se) d'Adèle Haenel, qui est le coeur vibrant du film, et son unique intérêt. Comme ce n'est pas mon cas, je me suis ennuyé à mourir. Petit complément non contradictoire avec ce que je viens d'écrire : Xavier Dolan a adoré.
18 mai
Journée consacrée aux sections parallèles. A la Quinzaine, le formidable film de l'américain d'origine russe Kirill Mikhanovsky, Give me liberty (4/5), très remarqué à Sundance où une version incomplète a été montrée, est une excellente surprise. A travers la journée mouvementée d'un jeune ambulancier, on va rire, pleurer, et pleurer de rire, en découvrant plusieurs communautés différentes, toutes très attachantes. A la suite, le nouveau film de Nicolas Pariser, Alice et le maire (3/5), avec Fabrice Luchini et Anaïs Demoustier, est un film agréable sans être renversant, qui fait voir la politique sous un angle différent.
Pour finir la journée, projection bourrée d'émotion de Port authority(3/5) de Danielle Lessovitz. A travers une histoire d'amour, on découvre un New-York paupérisé et la fraternité de la communauté LGBT. A la fin de la projection un des acteurs se jette sur scène pour danser lors du générique. Un magnifique moment, doux et triste à la fois.
17 mai
Aujourd'hui, c'était pour moi journée Sélection officielle au Grand Théâtre Lumière. A 8h30, réveil en fanfare avec le dernier Ken Loach, excellent : Sorry we missed you (5/5). Dans la lignée de Moi, Daniel Blake Loach dissèque avec son complice Laverty les dernières mutations de notre société, ici l'uberisation. Par tout autre que Loach, cela paraîtrait too much, mais l'attention portée aux personnages et la qualité du scénario sont tellement bons que le miracle se reproduit une fois de plus.
Rocketman (4/5) est un biopic d'Elton John super efficace et très bien filmé par Dexter Fletcher. Contrairement à Bohemian Rhapsody, le film a une véritable personnalité, et les scènes de comédies musicales sont formidables. Little Joe (1/5) de l'autrichienne Jessica Hausner est très décevant. Malgré une idée de base particulièrement originale et riche de développements narratifs (et métaphysiques) potentiels, le film est froid, voire glacial. Une erreur de casting : le film aurait par exemple pu être remplacé avantageusement en compétition par Une grande fille (cf ci-dessous).
Clou de la soirée, la montée des marches de Douleur et gloire (5/5) du grand Pedro Almodovar, avec un Antonio Banderas exceptionnel. Le film est riche, dense, profond, émouvant. Il constitue une mise en abyme maîtrisée et puissante de l'homme et du cinéaste. Ca sent la Palme d'Or, et vous pouvez le voir au cinéma dès maintenant.
16 mai
Première journée "complète", avec quatre films au compteur. On commence à Un certain regard avec Une grande fille (4/5) de Kantemir Balagov, qui avait été très remarqué il y a deux ans au même endroit avec Tesnota. Ce deuxième film est moins convaincant que le premier. Il multiplie les scènes dérangeantes en les étirant plus que nécessaire, mais formellement c'est une splendeur. Un "film de Festival" par excellence, comme ceux de Loznitsa.
A la Quinzaine, On va tout péter (1/5), le documentaire de Lech Kowalski sur les GMS, représente pour moi le degré 0 du documentaire : pas de tranche de vie, pas de scénarisation, pas de contrechamps. Aucun intérêt hormis le sujet lui-même, mais cela ne suffit évidemment pas. Je reviens à la compétition pour un des films les plus attendus de cette année : Atlantique (2/5) de la réalisatrice Mati Diop (première réalisatrice noire en compétition en 72 éditions). Le film est plein de bonnes intentions, aussi bien dans son scénario que dans sa mise en scène, mais il semble lui manquer dans chaque domaine un petit plus pour franchir la marche de la compétition. On croirait par moment voir Claire Denis tourner au Sénégal.
Enfin, j'arrive de justesse (avant-dernier à entrer) à choper une séance de rattrapage du film d'ouverture de la Quinzaine, Le daim (4/5) de Quentin Dupieux avec Jean Dujardin. Beaucoup disent qu'il s'agit d'un film mineur et réussi de Dupieux : pour moi, c'est celui que ... je préfère. Les errements aléatoires des films précédents (Réalité, Wrong cops, Rubber) semblent ici de canaliser sur un sujet bien identifié, formidablement joué par Dujardin, qui acquière ici pour moi le statut de grand acteur. 1h17 de pur plaisir cinématographique.
15 mai
Premier choc du Festival cet après-midi pour moi avec la montée des marches du premier film Les misérables (5/5) de Ladj Ly. Issu du collectif Kourtrajmé venu collectivement le soutenir (Romain Goupil, Kim Shapiron, JR et Mathieu Kassovitz étaient entre autres présents), le jeune réalisateur propose une oeuvre très maîtrisée, à la fois puissante et subtile, en prise directe avec la réalité mais très travaillée. Ce serait fort étonnant que ce film tourné en et par la banlieue ne trouve pas son chemin jusqu'au Palmarès.
J'enchaîne ensuite avec Bacurau (3/5) des brésiliens Kleber Mendonça Filho et Juliano Dornelles. Après les oeuvres précédentes de KMF (Les bruits de Recife et Aquarius), le film était très attendu, mais il m'a un peu déçu. Pas facile de rentrer dans ce western dystopique, mais une fois qu'on y est on peut apprécier. Etonnant de constater que le film partage beaucoup de points communs avec le Jarmusch (en mieux quand même) : hommage au film de genre, problème de scénario et de rythme, qualité de l'interprétation, scènes gore, éléments fantastiques, message politique peu subtil.
14 mai
Le Festival commence pour moi au Majestic de Lille, qui s'embrouille un peu dans la retransmission de la cérémonie d'ouverture : on en rate je pense une bonne moitié le temps que le projectionniste trouve le bon canal.
Le film de Jarmusch qui fait l'ouverture, The dead don't die (2/5) ne me convainc pas du tout. Je le trouve lent, paresseux, sans imagination, poussif. Il ne vaut pour moi que par quelques éclairs plaisants (la trombine de Bill Murray en particulier, toujours parfait) et une atmosphère d'Amérique profonde bien composée. Le mélange d'horreur, de comédie décalée et de film à message politique est assez indigeste à mon goût.
Ce soir vendredi 17 mai 2019, j'ai eu la chance d'assister à la projection de Douleur et gloire dans le Grand Théâtre Lumière de Cannes, en présence de l'équipe du film.
Et le moins que l'on puisse dire, c'est que l'étreinte qu'échangèrent il y a quelques minutes Antonio Banderas et Pedro Almodovar avait une intensité incroyable.
Le film est en effet une mise en abyme à plusieurs niveaux concernant l'homme et le cinéaste, interprété magistralement par l'acteur espagnol.
Après un départ plutôt sage, baignant dans la lumière dorée des souvenirs d'enfance, Douleur et gloire empreinte brutalement des chemins plus escapés : il va être question d'héroïne, d'écriture, de problèmes de santé et de souvenirs plus ou moins agréables.
Le film décolle à partir du moment où la mise en abyme se résout dans la rencontre de Federico / Marcello avec Salvador / Pedro. Ce moment de cinéma, un des plus beaux en matière de sentiments amoureux que j'ai pu voir ces dix dernières années, fait décoller le film vers des hauteurs qui semblent compatibles avec l'idée d'une Palme d'or.
Justesse des sentiments, perfection de la mise en scène, intelligence du montage, performance exceptionnelles de tous les acteurs : dans sa deuxième partie, le film-somme d'Almodovar semble capable de cumuler tous les superlatifs dans tous les domaines.
Quelle mouche à bien pu piquer Jim Jarmusch de se lancer dans un projet qui mêle film de zombie, comédie froidement décalée, critique de la société de consommation et film à message politique ?
De cet assemblage hétéroclite ne ressortent que très peu de points positifs : une galerie de portraits-vignettes plutôt réussis dans la première partie du film, un Bill Murray au sommet de son art, certaines scènes joliment menées et une ambiance cohérente qui pourrait évoquer un Twin Peaks de peinture naïve.
Le film accumule par ailleurs toute une série de défauts dont le principal est le scénario, absolument catastrophique : il sacrifie le développement de certains personnages (les jeunes du Centre par exemple), accumule les pirouettes gênantes (les personnages qui connaissent le script comme dans un mauvais Blier) et les situations sans queue ni tête (le personnage joué par Tilda Swinton).
Au final, The dead don't die apparaît plus comme une succession de scènes tournées au bénéfice de copains / acteurs qu'une oeuvre pensée dans sa globalité. Si le résultat n'est pas totalement méprisable, c'est parce qu'il y a dans la caméra de Jarmusch une délicatesse qui parvient parfois à faire mouche. De justesse.
Le propos de ce film brésilien est tout à fait estimable. Pour faire simple, il donne à voir la réalité du quotidien d'une tribu indienne isolée en forêt, sous le prétexte d'une fiction aux contours un peu lâche (un jeune homme a du mal à faire le deuil de son père, alors qu'il est en train de devenir chaman).
Si le début du film est assez beau et suffisamment intrigant pour titiller notre curiosité, il perd assez rapidement de son pouvoir d'attraction, notamment lors d'une longue séquence urbaine dont l'intérêt m'a en grande partie échappé.
Le manque d'expressivité des acteurs, le regret de ne pas voir creusés les dessous socio-politiques, l'image en 16mm loin d'être parfaite : tous ces éléments pénalisent un peu le film de Joao Salaviza et Renée Nader Messora, dont j'aurais aimé pouvoir dire plus de bien.
En matière de films tentant de restituer la magie de la forêt tropicale, ceux de Weerasethakul (Tropical malady) et Ciro Guerra (L'étreinte du serpent) ont, il est vrai, placé la barre très haut.
A voir si l'aspect documentaire vous intéresse avant tout, car de ce point de vue, Le chant de la forêt est tout à fait digne d'intérêt.
Il faut sans nul doute avoir l'esprit un peu tordu pour imaginer un tel film (et pour l'aimer aussi, je suppose).
Cela commence comme une chronique bourgeoise sous prozac : une jeune femme très avenante arrive comme stagiaire chez un célèbre artiste pervers narcissique.
On se doute assez vite que quelque chose d'anormal sous-tend leur relation, mais on est bien en mal d'imaginer les rebondissements retords et spectaculaire que le réalisateur va nous infliger pendant 1h47, à travers un montage compliqué qui alterne sept périodes dans un beau désordre chronologigue.
Petra est un film glacial et intellectuel, dans lequel la jouissance réside dans l'assemblage minutieux d'un puzzle diabolique, servi par une mise en scène fluide qui aime à filmer les espaces vides, semblant surprendre presque par hasard les interactions entre personnages.
J'ai aimé la construction et le brio glacé du film. Le fait qu'il soit dénué d'émotions ne m'a pas dérangé. J'ai pourtant quelques scrupules à le conseiller : il y a chez Jaime Rosales l'aspect glacial d'Haneke allié à la stimulation intellectuelle de Farhadi, le tout sous influence de la tragédie grecque. Pas évident que le croisement plaise au grand nombre.
Du (très) beau monde dans la section Un certain regard, qui ferait le plaisir de nombreux festivals dans le monde, avec entre autres les nouveaux films de Bruno Dumont, Christophe Honoré, Albert Serra et Kantemir Balagov, le réalisateur d'un excellent premier film déjà présenté dans cette section il y a deux ans, Tesnota. A signaler deux films d'animation dans cette section, ce qui est assez rare : Les hirondelles de Kaboul de Zabou Breitman adapté d'un roman de Yasmina Khadra et La fameuse invasion des ours en Sicile de l'auteur de BD cultissime Lorenzo Mattotti.
Sélection officielle
Dans le cadre des séances spéciales, Elton John est attendu en personne pour la présentation du biopic qui lui est consacré, Rocketman. Une projection où on se bousculera, c'est sûr. A noter aussi Les plus belles années d'une vie, de Claude Lelouch, qui reprend les personnages d'Un homme et une femme, 50 ans après, et trois documentaires signés (excusez du peu), Alain Cavalier, Abel Ferrara et Werner Herzorg.
C'est La belle époque, de Nicolas Bedos, qui remplit cette année la case "film français grand public" qui a si bien réussi au Grand bain l'année dernière.
La Quinzaine des réalisateurs
Pour sa première sélection après avoir succédé au règne de 7 ans d'Edouard Waintrop, le jeune Paolo Moretti frappe fort d'entrée avec une série impressionnante de grands noms : Lav Diaz, Bertrand Bonello, Takashi Miike, Fabrice Lucchini (dans le nouveau film de Nicolas Pariser, Alice et le maire), Robert Pattinson et Willem Dafoe (dans The lightouse, le nouveau film très attendu de Robert Eggers, a qui l'on doit The witch), Rebecca Zlotowski et Quentin Dupieux.
Il surprend aussi avec d'autres invités qu'on n'a jamais vu à Cannes (16 en tout) mais dont les quelques lignes de synopsis donne l'impression d'une volonté de fantaisie particulièrement rafraîchissante : il sera entre autre question d'un rappeur qui discute avec son frigo intelligent, d'un concert prolétarien, d'un fantôme, d'un ambulancier malchanceux et de pratiques sado-maso (dans un film finlandais au titre évocateur : Les chiens ne portent pas de pantalons).
Les séances spéciales, avec une master class de Robert Rodriguez suivi d'un moyen métrage inédit (Red 11), tourné avec 7000 $, et un court-métrage de 35 minutes de Luca Guadagnino (avec Julianne Moore et Kyle MacLachlan), feront également le plein.
Semaine de la critique
Après une année somptueuse en 2018, la Semaine de la Critique propose comme souvent un programme intrigant et prometteur, dans lequel on notera tout particulièrement Vivarium de l'irlandais Lorcan Finnegan, film fantastique avec Jesse Eisenberg et Imogen Poots.
ACID
Dans la petite dernière des sélections cannoise, 5 fictions et 4 documentaires. Peu de noms connus dans cette liste qui vise justement à faire découvrir de nouveaux réalisateurs au public et (surtout) aux distributeurs, sauf peut-être L'angle mort, de Patrick Mario Bernard et Pierre Trividic, avec Isabelle Carré et Golshifteh Farahani.
Tout ce qu'on pouvait dire de mal à propos des Petits mouchoirs peut être ici redit avec autant de force.
En vrac, et sans être très original, on peut déplorer la pauvreté du scénario qui n'effleure que les drames profonds pour ne s'intéresser qu'aux coucheries de tous les personnages, l'aspect promo-clip du bassin d'Arcachon et cette fois-ci de l'initiation au saut en parachute, l'impression désagréable d'entre-soi chichiteux, les plans mièvres et/ou clichés (dont les couchers de soleil, mon Dieu !), le cabotinage de certains acteurs (Cluzet en fait trop et Garcia est insupportable), etc.
L'impression que donne au final le film, c'est que Guillaume Canet est un réalisateur enthousiaste et techniquement plutôt bon, qui ne peut malheureusement pas s'empêcher de commettre inévitablement d'énormes fautes de goût.
C'est d'autant plus dommage que le film commence beaucoup mieux qu'il ne finit. La première demi-heure est plutôt agréable, prodiguant une ambiance en demi-teinte d'ouverture de maison et de ressassements mélancoliques. Cotillard, Lelouch et surtout Lafitte sont alors tous plutôt convaincants.
A voir éventuellement si vous avez vu le premier, pour vous faire une idée. Pour moi, c'est kif-kif.
Excellente surprise que ce film belge délicieusement rétro. Tout est parfait dans ce revival de film noir des années 50 : le scénario machiavélique, les couleurs pétantes, la reconstitution d'époque, le jeu des deux actrices principales, la mise en scène inventive toute en symétrie.
Le réalisateur Olivier Masset-Depasse dépasse (!) ce qui aurait pu être un exercice de style brillant pour nous entraîner beaucoup plus loin, quelque part entre le Hitchcock de Vertigo et le Clouzot des Diaboliques. En voyant ce type de films, je me prends à mesurer à quel point les scénarios des films d'aujourd'hui sont timorés en matière d'imagination et de noirceur, à part bien entendu dans le cinéma asiatique.
Si le film est une pleine réussite, c'est en grande partie grâce à ces deux actrices : la brune Veerle Baetens (qu'on a vu dans Alabama Monroe et Les Ardennes) répond parfaitement à la blonde Anne Coesens, par ailleurs épouse dans la vie du réalisateur.
Duelles impressionne par sa compacité et la cohérence de son projet artistique. Je le conseille vivement.
Le cinéma d'André Téchiné semble au fil du temps tendre vers un certain classicisme : personnages bien dessinés, intrigue qui se nourrit de l'interaction entre les protagonistes, montage classique, décors naturels magnifiés.
L'adieu à la nuit est de ce point de vue une vraie réussite. Catherine Deneuve excelle dans ce rôle de grand-mère terrienne, et pour son huitième film avec son complice André Téchiné, elle fait la preuve qu'elle est vraiment une actrice monstrueuse. Kacey Mottet Klein et Oulaya Hamamra (si vous pensez l'avoir déjà vu crever l'écran, ne cherchez pas, c'est dans Divines) fournissent à la grande Catherine une opposition de haut niveau.
Sur le sujet casse-gueule de la radicalisation, Téchiné réalise un quasi sans-faute. On perçoit que le film se base sur une soigneuse documentation, et la façon dont les modalités d'un exil en Syrie sont décrites est glaçante de précision (les coûts à engager, le rôle des intermédiaires...).
Les raisons de la radicalisation d'Alex ne sont qu'esquissées, mais le peu qu'on en comprend (une raison de vivre, une quête de pureté, un rejet du mode de vie occidental, l'absence de la mère) suffit à donner une vraie épaisseur à sa démarche.
La mise en scène est remarquablement vive et enlevée pour un monsieur de 76 ans.
En résumé, un bon moment, peut-être (et c'est le reproche principal qu'on peut faire au film) un peu trop long.