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Christoblog

Articles avec #iran

Les graines du figuier sauvage

Le texte qui a servi de support à ma présentation du film hier 21 octobre, au Dôme Cinéma d'Albertville :

Le cinéma iranien est depuis de nombreuses décennies un des cinémas les plus productifs de la planète, alors que les conditions politiques de sa production sont très difficiles, puisque depuis la révolution de 1979 le régime persécute globalement les artistes. Au vu de la qualité déjà incroyable de sa cinématographie, on peut rêver de ce que produiraient les talents iraniens dans un terreau plus favorable !

Le cinéma iranien est né au tout début du XXème siècle et la première salle de cinéma a ouvert à Téhéran en 1904. De nombreuses générations de cinéastes se sont succédées tout au long du siècle au sein d’une industrie prospère, jusqu’à l’émergence d’un mouvement qu’on a appelé La nouvelle vague iranienne, dont Abbas Kiarostami (1940-2016) est le fer de lance. Vous avez peut-être vu quelques-uns de ses films, qui ont rencontré un grand succès en Occident (Où est la maison de mon ami ?, Close-up, Au travers des oliviers…).

Un autre cinéaste iranien, plus jeune, a lui aussi trouvé le chemin d’un succès international, Asghar Farhadi (1972-) (A propos d’Elly, Le client, Un héros). Ces deux très grands cinéastes ont eu des problèmes avec le régime des mollahs, mais ils ont en quelque sorte joué au chat et à la souris avec les autorités de leur pays, essayant de faire en sorte que leurs messages puissent passer, sans que la censure interdise leur film. Par exemple Kiarostami, s’est vu imposé de remplacer une musique de Louis Amstrong par de la musique traditionnelle dans son chef d’oeuvre Le goût de la cerise (Palme d’or à Cannes), et Farhadi s’est vu brutalement retiré son autorisation de tournage alors qu’il tournait Une séparation, qui reste à ce jour le plus grand succès en France du cinéma iranien (le film sortira finalement quand même en Iran).

Ces deux grands cinéastes ont donc subi au long de leur carrière intimidations, menaces, brimades, mais n’ont pas vraiment eu à craindre pour leur sécurité et leur intégrité physique. Ces deux chefs de file se sont aussi, au cours de leur carrière, « évadés » ponctuellement en tournant régulièrement à l’étranger, et plus particulièrement en France, retrouvant ainsi temporairement une totale liberté et pouvant filmer des stars occidentales (Juliette Binoche dans Copie conforme pour Kiarostami, Tahar Rahim et Bérénice Béjo dans Le Passé, Penelope Cruz et Javier Bardem dans Everybody knows, pour Farhadi).

Mohammad Rasoulov (1972-), dont nous allons voir le nouveau film ce soir, était dans une situation bien plus difficile que ses deux illustres collègues dont je viens de parler. Comme un autre très talentueux réalisateur iranien, Jafar Panahi (1960-), qui fut par ailleurs assistant de Kiarostami, Rasoulov persiste lui à tourner en Iran, de façon totalement clandestine, donc sans déclarer son activité et en renonçant totalement à ce que ses films soient vus en Iran, au péril de sa liberté, et même, on peut le dire, de sa vie. Rasoulov a été condamnés de nombreuses fois à la prison, en 2010, 2019, en 2023.

Le 8 mai 2024, il est de nouveau condamné à huit ans de prison, alors que le film que vous allez voir ce soir est sélectionné en compétition pour le Festival de Cannes. Estimant qu’il ne pourra pas supporter cette nouvelle incarcération, il parvient à quitter le pays dans des conditions rocambolesques, parvient en Allemagne, rejoint la France probablement aisé par les Services secrets français et peut assister à la projection de son film à Cannes, dans une ambiance indescriptible, vous pouvez l’imaginer. Il faut souligner que Cannes a toujours soutenu les cinéastes persécutés dans leur pays.

Les principaux films diffusés en France de Rasoulov sont : Au revoir (2011), Les manuscrits en brûlent pas (2013), Un homme intègre (2017), pour moi son meilleur film avant Les graines du figuier sauvage, et enfin Le diable n’existe pas (2020), un film a sketch qui a obtenu l’Ours d’or, la principale récompense au Festival de Berlin. Il faut avoir en tête que toutes les images que vous allez voir ont été tournées furtivement, avec des acteurs et des techniciens recrutés par la bande et qui risquent beaucoup à faire ce film. Rasoulov lui-même était très peu présent sur le tournage pour des raisons de sécurité et donnait souvent ses instructions par talkie-walkie, dissimulé à proximité. C’est assez incroyable quand on voit la qualité exceptionnelle du film, que ce soit en matière d’image, de mise en scène, de jeu des acteurs ou de montage.

D’abord Rasoulov raconte que l’idée du film lors de son dernier séjour en prison. Un groupe de dignitaire du régime s’est approché de lui et l’un d’entre eux lui a offert un stylo et lui a dit : « Je me désole de voir des gens comme vous ici. Je ne sais quoi répondre à ma femme et mes enfants qui m’interrogent sur ce que nous faisons ». Ce qui lui a donné le thème principal du film. Les souvenirs de prison de Rasoulov sont parfois édifiants. Il raconte par exempleque tous les voleurs de sa prison avaient les mains bandées : la charia imposait deleur couper un doigt… avant que les autorités ne les envoient à la clinique d’à côtépour une greffe qui par ailleurs ne prend pas toujours !

Quelques nouvelles maintenant des personnes qui ont contribué au film. La monteuse par exemple, dont on ne connait pas l’identité exacte (les véritables noms de l’équipe technique ne figure pas au générique), est restée en Iran, mais ne collabore plus qu’aux films qui se réalisent sans autorisation. C’est une façon de résister pour elle : « Accepter de travailler dans le cadre de la censure est une sorte de collaboration », dit-elle dans un article du Monde. Une prise de risque de plus en plus fréquente, malgré les risques encourus : 71 films iraniens clandestins auraient été envoyés à Cannes cette année !

Le chef opérateur du film a eu une descente de police dans son bureau et tout son matériel a été confisqué. Il ne peut plus travailler et il est sous pression constante. Les deux acteurs principaux, le juge (Mizagh Zare) et sa femme (Soheila Golestani), sont toujours en Iran, et sont bien sûr sous la menace d’un emprisonnement. Rasoulov a d’ailleurs brandi leur 2 photos lors de sa montée des marches à Cannes.

Les trois plus jeunes actrices du film (les deux filles du couple et leur copine blessée à l’oeil) ont quitté le pays et vivent désormais à Berlin. Elles racontent que le tournage, avec une équipe d’une vingtaine de personne, s’est déroulé de janvier à mars de cette année, dans la plus grande discrétion. Elles racontent qu’elles n’en ont parlé à leur proche par précaution. Se sentant menacées, elles fuient le pays au printemps, sans même saluer leur famille, laissant téléphones portables et tout appareil électronique derrière elles.

Le destin du juge peut être vu comme une métaphore de l’évolution (et de la dégradation progressive) du régime jusqu’à une fin désirée par Rasoulov et la majorité de la société iranienne. Le film évolue ainsi du confinement oppressant de l’appartement au grands espaces de la libération, qui finissent par voir le tyran mis à terre (et même en terre, sans qu’on ait à lui tirer dessus). Le pacte « faustien » dont on voit la signature dans les premiers plan (pervertir les relations humaines sur une base religieuse jusqu’à se faire détester par tous, pour acquérir pouvoir et confort) est celui du juge, mais n’est-ce pas aussi l’évolution du régime depuis la Révolution ?

Un des points remarquables du film ce sont les changements de registre successifs : d’abord chronique familiale et sociale assez classique, puis suspense psychologique à la Hitchcock (whodunit ? qui l’a fait ?), puis séance de torture psychologique (l’interrogatoire insoutenable, qui marque le point du basculement du film, le moment où le juge franchit un point de non-retour avec sa famille), puis road movie à travers le pays (les films tournés dans les voitures ne se comptent plus dans le cinéma iranien, ex : Le goût de la cerise, Taxi Téhéran, Querelles, Hit the road), puis quasi-film d’action horrifique dans la maison, puis western final dans un décor incroyable. C’est comme si le film « encapsulait » dans sa trame narrative plusieurs « micro- films » documentant de façon la plus complète possible la situation générale de la société iranienne contemporaine.

Un autre point remarquable du film à mon sens est le portrait de la mère, qui tente désespérément de concilier l’inconciliable,toujours sur un fil en essayant de résoudre les paradoxes à son échelle (son mari vsses filles, la nécessité de respectabilité vs l’empathie avec la jeune blessée, l’intérieur vs l’extérieur, le passé vs le futur). De tenir la cellule familiale vivante malgré les tensions qui menacent de la désintégrer.

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Les graines du figuier sauvage

Sensation du dernier Festival de Cannes (beaucoup voyait en lui la Palme d'or), le nouveau film de Mohammad Rasoulof est remarquable.

Comme souvent dans les films iraniens, le scénario est un bijou de thriller psychologique. Nous entrons dans une famille de la classe moyenne : le père est juge (donc proche du régime), les filles sont des jeunes de leur temps, adeptes des réseaux sociaux, et la mère essaye de ménager les bonnes relations entre tous. Les choses se gâtent quand l'arme du juge disparaît mystérieusement, alors qu'une amie de l'ainée des filles est blessée lors d'une manifestation. 

Sur cette base solide, Rasoulof déploie une intrigue qui tient en haleine le spectateur durant toute la durée du film (2h46 tout de même). Les graines du figuier sauvage est donc successivement (et parfois alternativement) un drame social, une chronique familiale, un huis-clos oppressant, un suspens psychologique, un thriller horrifique et un western. 

Il y a quelque chose de réellement fascinant dans le contraste entre l'extrême qualité du film (la direction d'acteurs exceptionnelle, l'écriture imparable, la mise en scène d'une efficacité rare) et les conditions précaires dans lequel il a été tourné : une clandestinité complète, Rasoulof étant lui-même souvent absent du lieu de tournage, et des moyens ridiculement faibles.

On ne peut que frissonner d'admiration devant le talent d'un homme qui parvient à un tel niveau de maîtrise dans l'exercice de son art, alors que sa liberté est menacée par un des pires régimes de la planète.

Le film, qui brille par sa capacité à nous égarer, culmine dans une scène d'anthologie, véritable pivot du film, qui restera longtemps dans le coeur de chacun des spectateurs. Cette scène d'interrogatoire fait basculer les personnages dans une nouvelle histoire, et donne au film une tonalité encore plus grave.

Bien au-delà d'une oeuvre didactique en hommage au mouvement Femme Vie Liberté (ce que le film est tout de même, mais indirectement), Les graines du figuier sauvage est un véritable chef d'oeuvre, déstabilisant et émouvant, qui culmine dans un final d'anthologie.

Un sommet de l'année, sans aucun doute.

Mohammad Rasoulof sur Christoblog : Au revoir - 2011 (***) / Un homme intègre - 2017 (***) / Le diable n'existe pas - 2020 (**)

 

4e

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L'odeur du vent

Pas très facile d'expliquer ce que ce film a d'exceptionnel, si on le considère dans un premier temps uniquement sous l'angle de son synopsis : un électricien tente de dépanner l'installation d'un homme handicapé en trouvant (difficilement) la bonne pièce.

Si on ajoute le fait que le film doit comprendre une quinzaine de lignes de dialogue en tout (dont la moitié constituées de "Salam") et vous comprendrez que L'odeur du vent n'est pas le film le plus facile à conseiller.

Pourtant, cela faisait longtemps que je n'avais pas été ému de cette façon. Les plans tout d'abord sont tous, sans aucune exception, composés d'une façon admirable. Non seulement les paysages iraniens sont de toute beauté, mais la lumière, le cadrage et la durée de chaque plan rendent l'expérience de vision du film particulièrement immersive. La prise de son est également fantastique.

Si chaque scène est un véritable petit tableau, leur enchaînement mutique amène à ce qu'on se pose rapidement une question : pourquoi notre héros fait-il tout ça ? Et la réponse est toute simple : par bonté d'âme. Pour aider son prochain, sans en attendre de remerciements. C'est un argument fragile, mais qui remplit le film de la même façon qu'un gaz remplit une bouteille vide quelque soit sa quantité : la bonté irradie le film de bout en bout, lorsque un homme cueille un bouquet de fleur pour un aveugle, comme lorsqu'un autre répare silencieusement une voiture.

Une leçon de vie magnifiquement mise en image. A découvrir de toute urgence.

 

3e

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Aucun ours

Comme à chaque film de Jafar Panahi, la première chose qui frappe à la vision d'Aucun ours, c'est l'extrême intelligence du cinéaste. 

Intelligence dans le procédé mis en place (la réalité vécue par les acteurs d'un film dans le film, en parallèle de ce que vit Panahi lui-même dans un village isolé d'où il dirige le film), intelligence dans les ressorts manipulés pour maintenir notre intérêt (fausses pistes et coups de théâtre) et intelligence enfin dans l'acuité avec laquelle sont montrés les rapports humains.

Si nous sommes habitués à des démonstrations de savoir-faire de la part de Panahi (il y a des plans-séquences d'une formidable virtuosité dans ce film réalisé avec trois sous), on est plutôt surpris ici de voir l'émotion affleurer progressivement, jusqu'à un double final surprenant, pessimiste et bouleversant.

Dans ce film doux amer qui condamne deux aliénations (le pouvoir politique iranien et les traditions villageoises rétrogrades), la placide silhouette du cinéaste maintenant emprisonné est terriblement fragile. Et émouvante.

A voir absolument.

Jafar Panahi sur Christoblog : Ceci n'est pas un film - 2011 (***) / Taxi Téhéran - 2015 (****) / Trois visages - 2018 (**)

 

3e

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Leila et ses frères

Pour ceux qui ont vu La loi de Téhéran, il y aura peut-être une petite déception lors de la découverte du nouveau film de Saeed Roustaee : si le film a le même sens du rythme que son prédécesseur, il est moins tape-à-l'oeil et moins immédiatement spectaculaire.

Pourtant Leila et ses frères est d'une profondeur et d'une subtilité qui surpasse le film précédent de Roustaee. 

On est littéralement emporté par le flux insensé que propose cette chronique familiale qui emprunte à la fois au machiavélisme millimétré des scénarios de Farhadi et aux thrillers psychologiques occidentaux. Les personnages sont fermement et subtilement dessinés, l'évolution de l'intrigue terriblement efficace et le tableau de la société iranienne d'une férocité éclairante (patriarcat, poids des traditions, décisions politiques). Les punchlines se comptent par dizaines et sont à la fois d'une grande cruauté et pleines de sentiments, évoquant par instant la tradition du grand roman russe.

Par le foisonnement de ses intentions et la maestria de sa mise en scène (la séquence du mariage est un chef d'oeuvre), Leila et ses frères s'impose comme un des meilleurs films de l'année, si ce n'est le meilleur. Il s'avère aussi être un des films plus féministe de la rentrée : l'avis de Leila, qui est d'évidence le plus rationnel et le moins sujet aux influences de l'ego, n'y est jamais pris en compte.

Saeed Roustaee sur Christoblog : La loi de Téhéran - 2021 (****)

 

4e

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Hit the road

Ce qui est remarquable dans Hit the road, c'est l'équilibre délicat que le film parvient à maintenir tout au long ce ces 93 minutes, entre circonstances dramatiques et distance humoristique.

Le père est taciturne et déverse son acidité placide sur tous et toutes. La mère est magnifique, pleine de force et de beauté intérieure. Le petit garçon, insupportable pipelette, est drolatique. L'autre fils, jeune adulte, ne dit rien, et on comprend rapidement que le sujet du film, c'est son avenir.

Tout cela est déjà vu, mais sublimé ici par une légèreté presque poétique, agrémentée d'un grain de folie et d'une bonne dose d'auto-dérision. C'est léger, filmé avec une grâce toute iranienne (les cinéastes iraniens n'ont pas d'équivalent quand il s'agit de développer toute une dramaturgie à l'intérieur d'une voiture). Ce beau road movie se déroule dans des paysages magnifiques, qui donnent au film une tonalité profonde et vitale.

Un bijou.

 

3e

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Un héros

Comme c'est souvent le cas quand un réalisateur s'expatrie, Asghar Farhadi retrouve pleinement son talent en retournant tourner dans son pays d'origine.

Un héros développe la petite mécanique farhadienne avec une précision diabolique : le bien et le mal semblent les deux faces d'une même pièce, on peut adopter les points de vue des différents personnages à tour de rôle et on est sans cesse tiraillé entre plusieurs considérations, perdu dans une galaxie de dilemmes moraux.

Le film est délicieux car totalement imprévisible : ce à quoi on s'attend n'arrive généralement pas, et à l'inverse Farhadi nous emmène dans des scènes à la fois improbables et férocement réalistes, comme celle de l'enfermement de Rahim dans le magasin.

Le meilleur film de l'iranien depuis Une séparation se termine sur un plan d'exception, peut-être le plus beau vu au cinéma cette année. Le cadre est composé de deux parties : à droite un avenir possible lumineux, à gauche celui vers lequel le personnage va se diriger, du fait de l'enchaînement des évènements, dont il est partiellement responsable (c'est cette finesse qui distingue ce film de celui, poussif et lourdingue, de Rasoulof). Au milieu, une zone grise, celle de notre conscience.

Un héros réussit de multiples prodiges. L'un des plus brillants est de parler merveilleusement bien des réseaux sociaux sans à aucun moment filmer un écran de téléphone : quel autre cinéaste peut être aussi intelligent ? Un autre est de ne pas répondre à la question comprise dans le titre.

Une fête pour l'esprit.

Asghar Farhadi sur Christoblog : Les enfants de Belleville - 2004 (***) / A propos d'Elly - 2009 (***) / Une séparation - 2010 (****) / A propos d'Une séparation : le vide avec un film autour / Le passé - 2013 (**) / Le client - 2016 (***) / Everybody knows - 2018 (**)

 

4e

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Le diable n'existe pas

Le nouvel opus de Mohammad Rasoulof enfonce des portes ouvertes d'un point de vue moral : la peine de mort c'est mal, demander à des conscrits d'être les bourreaux c'est pas cool, et faire exécuter des opposants politiques par des innocents qui veulent juste une perm, c'est pire.

Les scénarios des quatre histoires complètement indépendantes qui composent ce film avancent comme des chars d'assaut, autour de ces quelques idées édifiantes. Leur effets sont tellement calculés qu'ils en paraissent au pire putassiers façon Michel Franco (le premier segment), au mieux simplement prévisibles et tristement sentimentaux (le troisième et le quatrième).

C'est le second chapitre qui m'a vraiment intéressé : il y a dans le huis clos du dortoir une vraie tension psychologique, puis dans la deuxième partie une effervescence sauvage qui rappelle un peu le très bon La loi de Téhéran, qui lui aussi traite (en partie) de la peine de mort, avec une autre puissance.

Pas le meilleur Rasoulof, loin s'en faut. Un homme intègre et Au revoir possédaient une profondeur psychologique bien supérieure. On peut supposer que l'Ours d'or lui a été donné sur une base plus politique qu'artistique.

Son film suivant (Les graines du figuier sauvage) sera, lui, un chef-d'oeuvre.

 

2e

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La loi de Téhéran

Le film de Saeed Roustayi mérite-t-il son excellente réputation et l'accueil chaleureux de la critique dont il fait l'objet ?

La réponse est oui, mille fois oui. Tout est en effet admirable dans La loi de Téhéran : le rythme effréné du début (la première course poursuite est époustouflante), la richesse des interactions entre les différents personnages, le glissement progressif vers le point de vue du criminel et le caractère extrêmement spectaculaire de sa mise en scène.

Ce film, nouveau témoin de l'extraordinaire vitalité du cinéma iranien, n'est pas seulement un polar ultra-efficace, c'est aussi un formidable thriller psychologique (je n'ai pu m'empêcher de penser au cinéma de Farhadi durant toute la seconde partie), un tableau saisissant de la société iranienne, et un drame poignant en ce qui concerne les dernières scènes. Les acteurs sont excellents, et rarement une masse de figurants aura été aussi impressionnante.

A ne rater sous aucun prétexte.

 

4e

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La permission

J'ai beau aimer les cinémas du Sud en général et le cinéma iranien en particulier, je dois avouer que le film de Soheil Beiraghi m'a un peu déçu.

Certes, on retrouve ici les qualités qu'on trouve presqu'à coup sûr dans les films en provenance de Téhéran : sûreté de la mise en scène, excellente direction d'acteurs, mise en relief de la complexité des relations humaines.

Mais cette histoire d'une joueuse de futsall empêchée de sortir de son pays par un mari mécontent (tirée d'un fait réel) est un peu trop simple pour remplir tout un long-métrage. Le scénario use donc de différents subterfuges pour que le temps s'écoule : une course poursuite un peu ridicule et qui apparaît en déphasage avec le reste de l'intrigue, des atermoiements répétitifs et des scènes trop longuement étirées.

La permission se laisse toutefois regarder comme un témoignage supplémentaire sur la condition de la femme en Iran. Sur une thématique proche (le pouvoir discrétionnaire d'un mari sur une femme libre, dans une société corsetée) était montré avec bien plus d'intensité dans le formidable film de la regrettée Ronit Elkabetz, Le procés de Viviane Ansalem.    

 

2e

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Trois visages

Il est certes un peu surfait, voire provocateur, de dire que le talent permet de transformer les pires contraintes en opportunités de création. Et pourtant c'est exactement ce que m'inspire le dernier film de Jafar Panahi.

Rappelons que le cinéaste iranien, interdit de tournage dans son pays, doit perpétuellement trouver de nouvelles ruses pour confectionner ses films en toute clandestinité. Cela l'oblige évidemment à une grande économie moyen : tournage dans des lieux improbables (son appartement dans Ceci n'est pas un film, l'intérieur d'un taxi dans Taxi Téhéran), nombre de prises limitées, direction artistique réduite au minimum.

Les limitations de tous ordres oblige Panahi à être particulièrement imaginatif en matière de scénario et celui de Trois visages est génial : une actrice célèbre reçoit la vidéo d'une adolescente voulant devenir comédienne, et qui se suicide parce que l'actrice n'a pas répondu à un mail d'appel à l'aide.

Bien entendu, l'actrice célèbre est rongée par la culpabilité et part à la recherche de la jeune fille, accompagnée de Jafar Panahi, jouant son propre rôle. S'en suit un road movie jouissif au tempo lent, durant lequel la rationalité froide et un peu distante de Panahi se confronte à des situations burlesques et profondes, dans le cadre champêtre de la campagne iranienne. La grand-mère qui teste sa tombe, le frère colérique, le taureau reproducteur qui fait une chute, les règles de klaxons sont autant de scènes qui font mouche dans ce brûlot placide et pince sans-rire.

Si les ressorts narratifs de ce conte moderne s'essoufflent un poil dans la deuxième partie du film, l'ensemble est suffisamment brillant pour dire que Trois visages mérite son Prix du Festival au Festival de Cannes 2018.

Jafar Panahi sur Christoblog : Taxi Téhéran - 2015 (****) / Ceci n'est pas un film - 2011 (***)

 

2e

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Un homme intègre

Les références que convoque le dernier film de Mohammad Rasoulof sont plutôt flatteuses : l'argument ressemble en partie à celui du chef d'oeuvre de Zvyagintsev Leviathan (la lutte du pot de terre contre le pot de fer, en pays corrompu) , alors que le style, à base d'ellipses délibérées, évoque irrésistiblement celui de Farhadi, en particulier dans Une séparation.

Un homme intègre est un poil moins convaincant que les films précédemment évoqués, principalement parce que l'interprétation de l'acteur principal est trop monocorde. Il constitue toutefois une pièce de choix, qui révèle son intérêt principalement dans la dernière partie. 

Pour résumer le propos sans déflorer l'intrigue plus que nécessaire, on dira que l'homme juste doit réfléchir à deux fois à ce qu'il fait (d'une part) et que l'apparence est parfois bien éloignée de la réalité (d'autre part). Vous pouvez penser qu'il s'agit là de bien communes banalités, mais le mérite de Rasoulof est d'en fournir une illustration complexe, en multipliant les fausses pistes. 

Le film a de nombreuses qualités : il dresse un tableau saisissant de l'Iran contemporain (corruption à tous les étages), joue avec la notion de bien et de mal sur un mode dostoïevkien, et bénéficie d'une qualité de photographie et de mise en scène évidente.

A ne pas rater pour les amoureux de cinéma iranien.

 

3e

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Téhéran tabou

Le choc que procurent les premières scènes de Téhéran tabou (une prostituée taille une pipe à un conducteur alors que son petit garçon rêvasse sur la banquette arrière), est durable.

Le film impose sa dureté sur la longueur. Tout y est noir en effet : la misère sexuelle des hommes, la condition de la femme réduite à demander l'aval de l'homme pour toute chose, le spleen des avorteurs à la petite semaine, les proxénètes qui exportent des vierges vers Dubaï, les juges corrompus et dépravés, le spleen d'un petit garçon muet qui ne parvient pas à se scolariser.

Rien n'est agréable à l'âme, si ce n'est peut-être la bonté innée du personnage principal, pute au grand coeur, que rien ne semble vouloir arrêter.

Le film brille par ailleurs de multiples atours formels et esthétiques : un scénario fouillé et palpitant, une utilisation de la rotoscopie (procédé qui crée de l'animation à partir de prises de vue réelles) qui laisse pantois, une apreté dans le propos qui sidère, une poésie diffuse qui ennivre.

Téhéran tabou est tour à tour beau, émouvant et intrigant.

Une belle découverte.

 

3e

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Le client

Le client ressemble par bien des aspects à Une séparation : un évènement central dont on ne sait pas tout, une observation des rapports de classe, un scénario virtuose, une mise en scène subtile.

L'intérêt majeur de l'intrigue, c'est de distiller le doute du début à la fin. On se pose toute une série de questions qui s'avèrent progressivement ne pas être le coeur du film : L'immeuble va-t-il s'effondrer ? Que contiennent vraiment les affaires que la femme a laissé ? Etc.

Les ressorts du film sont donc approximativement les mêmes que ceux d'Une séparation, avec ici une construction moins rigoureuse, plus flottante, que dans le plus grand succès de Farhadi. 

On admire dans Le client le talent du réalisateur iranien pour diriger ses acteurs, et sa subtilité dans l'approche des dilemmes moraux, ici autour du thème de la vengeance : peut-elle s'exercer contre l'avis de la victime ? On pourra aussi s'amuser à rechercher dans le scénario les circonvolutions illogiques dues au fait que les femmes doivent toujours être voilées à l'écran.

Comme toujours dans le cinéma de Farhadi, la stimulation intellectuelle et la beauté de la mise en scène se complètent parfaitement, avec peut-être un tout petit manque d'intensité. Je n'ai pas non plus parfaitement compris l'intérêt de montrer de si nombreux passages de la pièce d'Arthur Miller (si j'exclus le fait que Farhadi a réalisé sa thèse de fin d'étude sur l'auteur britannique).

Ces quelques (petites) réserves ne doivent pas vous empêcher d'aller voir Le client.

Asghar Farhadi sur Christoblog : Les enfants de Belleville - 2004 (***) / A propos d'Elly - 2009 (***) / Une séparation - 2010 (****) / A propos d'Une séparation : le vide avec un film autour / Le passé - 2013 (**)

 

3e

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Soy nero

Dans Soy Nero, le réalisateur iranien Rafi Pitts raconte l'histoire des "green card soldiers", immigrés illégaux qui s'engagent dans l'armée américaine pour obtenir la nationalité américaine après deux ans de service.

Il suit donc les traces de Nero, jeune mexicain ayant grandi à Los Angeles avant d'être expulsé, qui tente de rentrer à nouveau aux USA pour s'engager.

L'odyssée de Nero est filmée en plusieurs actes, durant lesquels il traverse la frontière, puis une partie des Etats-Unis, avant de se retrouver quelque part au Moyen-Orient. Nero fait d'étranges rencontres, dont un vieli américain qui semble avoir enlevé sa petite fille, qui s'avèrent toutes un peu bizarres, ou malsaines.

Sorte de Candide moderne qui observe avec étonnement le comportement de ses semblables, il progresse dans des plans magnifiquement mis en scène, tendu placidement vers son but : devenir américain.

Rafi Pitts est ici épaulé par le grand scénariste roumain Razvan Radulescu (qui travaille habituellement avec Muntean et Mungiu), et le film gagne dans cette collaboration une coloration étrange et souvent séduisante, à l'image de cette scène curieuse dans le champ d'éoliennes.

Sans être renversant, Soy Nero est très intéressant, d'une beauté parfois frappante. Il peine toutefois à générer de l'émotion, préférant s'adresser au cerveau qu'au coeur. On pourra regretter certains de ses choix conceptuel, à l'image de ce dernier plan, dont l'interprétation est inutilement laissée à la libre interprétation du spectateur.    

Rafi Pitts sur Christoblog : The hunter - 2010 (**) 

 

2e

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Nous trois ou rien

Difficile de savoir quoi penser de ce film, qui commence comme une chronique familiale orientale, se poursuit par un drame politique, tourne à la farce (Alexandre Astier qui joue le Chah d'Iran sur le mode Kaamelott) et se termine en hommage touchant à l'intégration.

Le film a des difficultés à trouver le ton juste sur la durée, mais il est vraiment très difficile de ne pas se laisser toucher à un moment ou à un autre par l'humanité des personnages, la justesse d'une scène ou le caractère édifiant d'une situation. 

On navigue donc des presque larmes (l'assassinat des amis) au presque rire (Chokri et sa manie du vol de vêtement) jusqu'à l'épilogue émouvant qui met en relation les images du film et les photos des personnes ayant inspiré chaque personnage. Ce qu'on pensait avoir été dessiné à trop gros traits (la fresque sur l'immeuble par exemple), s'avère alors tout à fait réel, et donne a posteriori au film un caractère fort respectable.

Touchant et amusant, à défaut d'être bouleversant.

 

2e  

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Red rose

Réalisé en Grèce par une réalisatrice qui vit désormais à Paris, Red rose est un bijou comme seuls les cinéastes iraniens semblent pouvoir en proposer.

Le film raconte la rencontre fortuite à Téhéran d'un homme de cinquante ans et d'une jeune femme contestataire, qui manifeste durant les évènements de 2009.

Lui ne sort pratiquement plus de son appartement, elle se bat pour la liberté en twittant et en postant des vidéos des manifestations.

Red rose est conçu comme un huis clos (on pense bien sûr au film de Jafar Panahi Ceci n'est pas un film) et fonctionne parfaitement comme cela : le monde extérieur pénètre dans l'appartement d'Ali par le biais de multiples personnages, et ce dernier ne sortira pas indemne de cette aventure.

Sepideh Farsi construit son film habilement, en dirigeant avec finesse d'excellents acteurs iraniens et en proposant une progression psychologique très intéressante du personnage d'Ali. Elle enlace de façon remarquable les scènes tournées en studio et les petits films de téléphones portables (véritables !), récupérés sur Internet. 

Le tout donne à l'ambiance du film une tonalité à la fois crépusculaire et sensuelle. Une réussite.

 

3e

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Le président

J'aurais vraiment aimé dire du bien de ce film : j'apprécie énormément le cinéma iranien, et la figure de Makhmalbaf, patriarche cinéaste (sa femme et se deux filles font également des films), est éminemment sympathique.

Malheureusement, Le président est une fable un peu lourdingue qui ne trouve jamais son point d'équilibre. 

Le film commence par un tableau engoncé de dictateur mégalomane, se transforme ensuite en manuel de survie en milieu hostile, en rendant le vieillard tyrannique presque sympathique, pour finir en western néo-réaliste façon Sergio Leone meets Rossellini.

On ressort de tout cela franchement déboussolé, fugitivement intéressé par certaines péripéties (la visite à la prostituée) et quelques idées de cinéma (la façon dont est filmé le retour du mari qui découvre que sa femme ne l'a pas attendu). 

Le film se déroule dans un pays imaginaire, et a été touné en Géorgie : Makhmalbaf est un éternel exilé. Si les acteurs géorgiens sont plutôt bons, la qualité technique du film est globalement en-dessous des standards de qualité habituels en terme de photographie et de montage. Le propos général est décousu et pétri de bonne intentions.

Le film était présenté à Venise en 2014, dans la section paralllèle Orizzonti.

 

1e

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Taxi Téhéran

On connait bien la situation de Jafar Panahi. Censuré dans son propre pays, il tourne des films comme il peut, sans équipe technique, et les transmet en Occident comme des lettres volées.

Pour celui-ci, Panahi développe une idée limpide : mettre ses petites caméras DV dans un taxi et prendre les passagers qui se présentent. 

Il donne à son aventure un faux air de documentaire, mais il est évident que tout est parfaitement scénarisé : il s'agit bien d'une fiction, qui simule un documentaire. 

Il semble que la contrainte galvanise Panahi. Toute la première partie du film est un chef d'oeuvre d'invention entre rire et larmes, dans lequel chaque réplique semble calculée pour susciter une émotion différente : émotion, étonnement, rire étouffé, stupéfaction, intérêt. A ce titre la scène du blessé est un morceau d'anthologie qui figurera dans les meilleurs moments de cinéma de l'année. 

On pourrait croire que Panahi est limité par son installation. C'est tout le contraire qui se passe. Il donne une formidable leçon de scénario par son script millimétrique (beaucoup d'évènements semblent inutiles et ne prennent sens que dans la suite de l'histoire), par son montage admirable (à l'image des deux longs plans qui ouvrent et ferment le film) et ses choix de placements de caméra (et même de choix d'appareils : téléphone, appareil photo de la petite fille).

Même si la fin du film est un peu moins percutant que le début, Taxi Téhéran laisse derrière lui une trace indéfinissable et puissante, dans laquelle se mêle le plaisir d'avoir rencontré simultanément un être dont on voudrait être l'ami, et une cohorte de personnages ébouriffants qui nous ont plongé dans la réalité iranienne contemporaine. 

Jafar Panahi sur Christoblog : Ceci n'est pas un film

 

4e 

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L'escale

http://fr.web.img5.acsta.net/r_640_600/b_1_d6d6d6/pictures/210/205/21020542_20130717173436722.jpgLorsque le réalisateur Kaveh Bakhtiari, d'origine iranienne mais qui a grandit en Suisse, apprend que son cousin iranien est immigré clandestin bloqué à Athènes, il ne sait pas encore qu'il tient là un remarquable sujet de documentaire.

Il lui faudra d'abord retrouver son cousin, puis vivre dans l'appartement qui abrite les 6 ou 7 clandestins, pour commencer à construire un véritable film.

Comme souvent quand un documentaire est particulièrement réussi, L'escale parvient à être aussi captivant d'un point de vue dramaturgique qu'une oeuvre de fiction.

On s'attache progressivement à la personnalité de chacun des migrants, qui essayent tous de rejoindre des pays plus au nord, où se trouve généralement des membres de leur famille. On frémit des dangers qu'ils affrontent (la mort, la prison), même si ces risques ne sont jamais montrés frontalement à l'écran. On se réjouit, soulagés, lorsqu'on apprend qu'un de la bande a réussi à "passer".

La mise en scène de Bakhtiari, en collant au plus près des clandestins, en refusant de filmer autre chose que leur vie quotidienne, est remarquable d'efficacité. Elle peut-être extrêmement touchante, comme lorsque le groupe se risque à une sortie à la plage.

Une belle oeuvre, qui présente l'immense intérêt de montrer que l'immigration, au-delà des chiffres, est avant une affaire de visages et de destinées.

 

3e

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