Pulp est un groupe de rock des années 90, mais vous n'avez pas besoin d'être fan pour apprécier cet excellent documentaire de Florian Habicht.
D'abord parce que la star du film est avant tout la ville de Sheffield, cité industrieuse du nord de l'Angleterre, d'où est originaire le groupe. Le film montre superbement la ville à l'occasion du dernier concert du groupe en 2011 : son aspect quelconque, ses kiosques à journaux, ses friches industrielles, ses terrains de foot.
Il montre aussi ses habitants, qui connaissent presque tous le groupe, quelque soit leur âge, leur sexe ou leur origine. Leur propos sont souvent délicieux, et on oubliera pas de sitôt le jeune aux cheveux teints, la chorale locale (irrésistible Help the aged) et les deux enfants assénant un message définitif à tous les parents de la planète.
Tous ces gens sont attachants et leur admiration raisonnée pour l'intelligence de Jarvis Cocker emporte l'adhésion.
Loué par des amis aussi sensibles, le chanteur de Pulp, à la fois dandy charismatique et grande asperge dégingandée, paraît irrésistible et foutrement intelligent. Drôle, inspiré, complètement possédé sur scène, il emporte le coeur du public dans un concert renversant.
Une magnifique découverte, qui n'a pratiquement pas été distribuée en France, comme malheureusement beaucoup d'excellents documentaires.
Du 13 au 24 mai 2015, vous pourrez suivre le Festival de Cannes en direct, tous les jours, sur Christoblog, mais aussi pour plus de réactivité encore sur Facebook et Twitter.
En compétition
Cette année, grosse présence française en compétitiion officielle, respectant parfaitement la parité : 2 réalisateurs (Jacques Audiard avec Dheepan, et Stéphane Brizé, auteur du merveilleux Quelques heures de printemps, avec La loi du marché) et 2 réalisatrices (Maïwen avec Mon roi, et Valérie Donzelli avec Marguerite et Julien, tiré d'un scénario écrit pour Truffaut mais jamais tourné).
Thierry Frémaux a même ajouté un cinquième film en complément, tourné aux USA par Guillaume Nicloux : Valley of love, avec Gérard Depardieu et Isabelle Huppert.
L'autre pays très présent sera l'Italie avec trois poids lourds habitués des palmarès cannois : Nanni Moretti avec Mia Madre cherchera sa deuxième Palme d'Or, Paolo Sorrentino avec Youth poursuivra une série exceptionnelle de sélection (rappellons que tous ses films ont été présentés en compétition à Cannes) et Matteo Garrone risque d'affoler la Croisette avec Tale of tales, film fantastique sanglant et libertin.
En 2014 j'avais espéré la Palme pour Nuri Bilge Ceylan : je parierais cette année sur une Palme pour un de mes deux réalisateurs préférés : Jia Zhang-Ke avec Mountains may depart ou le délicieux Hirokazu Kore-Eda avec Notre petite soeur, dont les premières images fixes m'émeuvent déjà aux larmes. A noter le retour du grand taïwanais Hou Hsiao Hsien avec un film d'art martial déjà culte au vu de son incroyable durée de tournage (quatre ans) et de ses dépassements budgétaires : The assassin.
Modeste sélection américaine cette année : Gus Van Sant cherchera une seconde Palme d'Or avec The sea of trees, tourné au Japon, et Todd Haynes présentera une histoire d'amour lesbien dans les années 50 : Carol. Cate Blanchett et Rooney Mara seront-elles les Léa Seydoux et Adèle Exarchopoulos de 2015 ? Le canadien Denis Villeneuve a tourné aux USA Sicario, un thriller avec Benicio del Toro.
J'attendrai énormément de Louder than bombs du norvégien Joachim Trier, dont j'avais adoré Oslo, 31 août.
Enfin, trois outsiders peu connu : le grec Yorgos Lanthimos, fer de lance de la nouvelle vague de cinéastes grecs, présentera The lobster (un film "auquel on ne comprend pas tout" a dit Thierry Frémaux), l'australien Justin Kurzel, très remarqué pour son premier film ultra violent Les crimes de Snowtown, présentera un Macbeth avec Marion Cotillard. Enfin, un premier film se déroulant dans un camp de concentration, Le fils deSaul du jeune hongrois Laszlo Nemes, va à coup sûr relancer le débat sur la représentation de la Shoah au cinéma.
L'Amérique latine sera représentée par Chronic du mexicain Michel Franco.
A noter l'absence d'Arnaud Desplechin et de Miguel Gomes, relégués à la Quinzaine, et de Weerasethakul, Mendoza et Kawase, exilés à Un certain regard. On remarquera également l'absence de films espagnols, anglais, africains et allemands.
Un certain regard
Ces dernières années, la section Un certain regard semblait servir de séance de Ligue 2 pour de grands auteurs non retenus (Sofia Coppola, Claire Denis, Pascale Ferran...). Thierry Frémaux confirme cette année avec sa liste complémentaire : AN, de Naomi Kawase, Rak ti Khon Kaen d'Apichatpong Weerathekakul et Taklub du philippin Brillante Mendoza étaient tous les trois annoncés en compétition.
La sélection comporte cependant beaucoup de découvertes pures avec des films en provenance de Roumanie, de Corée, d'Inde (deux films pour chacun de ces trois pays, ce qui dessine une belle cartographie de la vitalité cinéphilique mondiale), d'Islande, de Croatie, d'Iran, d'Ethiopie (pour la première fois à Cannes) et du Mexique.
Même élan de fraîcheur pour les deux films français sélectionnés : le premier film de Laurent Larivière (Je suis un soldat) et le deuxième film d'Alice Winocour, très remarquée pour son premier, Augustine (Maryland). Ce dernier promet une montée des marches classieuse avec Diane Kruger et Matthias Schoenaerts.
Deux films un peu à part. The other side, un documentaire de l'italien Roberto Minervini, qui montre les dessous du rêve américain et arrive avec un buzz incroyable et Vers l'autre rive, film de fantômes, du très élégant Kiyoshi Kurosawa.
Hors compétition
Les films en sélection, mais hors compétition, fleurent bon les USA et le box office : Pete Docter de Disney/Pixar pour Vice-Versa, George Miller pour Mad Max Fury Road, Mark Osborne (Kung fu Panda) pour un film d'animation tiré de Saint Exupéry, Le petit prince, et Woody Allen pour Irrational man.
Quelques autres films seront projetés à Cannes, qui feraient le bonheur de n'importe quel festival au monde : le premier film de Natalie Portman (Une histoire d'amour et de ténèbres) et les derniers films de Samuel Benchetrit (Asphalte), Souleymane Cissé (Oka), Barbet Schroeder (Amnesia) et Robert Guédiguian (Une histoire de fou).
Qu'il est agréable parfois de voir un bon film académique ! Dans Le labyrinthe du silence, vous chercherez en vain une quelconque originalité du point de vue cinématographique. L'histoire qu'il raconte est par contre passionnante, les acteurs excellents, et le scénario formidablement écrit.
Nous sommes en 1958 en Allemagne, et peu d'Allemands connaissent le nom d'Auschwitz. Un jeune procureur va être amené, par un concours de circonstances improbable, à s'intéresser au sujet. Cette quête menée au départ par ambition va se transformer peu à peu en réflexion sur son pays, sa famille et ses valeurs.
Le film brille par de nombreuses facettes : il refuse obstinément de sombrer dans le sentimentalisme de bas étage, évite soigneusement toute une série de défauts inhérents à ce type de reconstitution (les intrigues privées sur-représentées, les arrangements avec l'histoire, les raccourcis faciles) et propose une reconstitution du début des années 60 admirable.
Le labyrinthe du silence est beau, émouvant, et diablement intéressant. Allez-y de ma part.
Que Peter Bogdanovitch revienne à la réalisation après plus de 10 ans de silence pour réaliser un film à la Woody Allen a quelque chose d'irréel.
Petite musique jazzy, ambiance new-yorkaise, dès les premières images on se croit dans le nouvel opus allenien. Owen Wilson semble d'ailleurs frappé de mimétisme : il a le phrasé, les intonations et l'air faussement candide de maître Woody. Si sa composition est assez plaisante (on le méprise au début, pour finalement l'apprécier), elle n'apporte pas grand-chose de neuf.
Heureusement que les autres personnages apportent une touche un petit peu originale à cette screwball comedy. Je pense bien sûr en premier lieu à Jennifer Aniston, qui campe une psy ravagée et violente absolument craquante. Mais aussi à Imogen Poots, en gourde très convaincante, ou à l'excellent Will Forte, parfait en beau gosse faux-cul.
Broadway therapy est un film d'acteurs, bien servi par une mise en scène solide et un montage au rythme métronomique. Pas inoubliable, mais qui se laisse regarder.
Prenez le cadre. Non seulement le film est au format carré, mais Alonso ajoute un raffinement totalement inutile : les coins sont arrondis. Du coup, on a l'impression de regarder une vieille photo pendant 1h50.
Le scénario est squelettique et tourne assez vite au n'importe quoi fantastico-mystique. Le réalisateur déclare lui-même dans une interview dans Libération : "Aujourd'hui encore, je ne comprends pas tout de Jauja". Et nous encore moins, évidemment...
Les critiques s'extasient devant une photographie qui n'est pas si extraordinaire que ça, même si les paysages de Patagonie sont assez photogéniques. Le grain du film est un peu gros, ce qui donne à certaines images un aspect granuleux assez désagréable.
Beaucoup de spectateurs prendront le film pour une provocation, et le détesteront. Que représente par exemple cette jeune fille des derniers plans : une réincarnation ? Une vision ? On cherche en vain un sens à cet exercice poseur et sans intérêt.
Un film de festival, qui creuse le fossé entre la critique ampoulée et les spectateurs, même bienveillants, même cinéphiles.
Difficile de trouver quelque chose de bon dans le dernier film de Wim Wenders.
La mise en scène est pachydermique, le montage semble fait à la tronçonneuse, la musique est une sorte de brouet néo-hitchcockien.
La photographie est souvent d'une laideur absolue (des lumières trop bleues, trop rouges, trop oranges).
Les acteurs semblent enfermés dans une gangue qui les cantonne stictement à leur rôle. James Franco inspire ainsi deux sentiments différents : l'envie de lui botter le cul, et celui de lui donner des baffes.
Le scénario ressasse sans originalité les thèmes du deuil et de la culpabilité, suite à un accident de la route.
Seules lueurs dans le film, la scène initiale de l'accident et celle de la fête foraine, dans lesquelles Wenders parvient à instiller un soupçon de malaise, et à ressembler (de loin) à du bon Polanski.
Dans le genre film-de-banlieue-au-héros-mutique-qui-se-finira-mal, Jamais de la vie est plutôt réussi.
Pierre Jolivet, qui est un réalisateur très estimable (je me souviens avoir adoré Simple mortel), réussit plutôt bien sa première partie de film. Olivier Gourmet compose un anti-héros particulièrement opaque - probablement son meilleur rôle - et le film tisse autour de lui une trame narrative intrigante.
Les seconds rôles sont réussis (étonnant Benabar en patron sympa) et la photographie glauque rend très présente la cité dans laquelle l'intrigue se déroule.
Malheureusement, la deuxième partie du film verse un peu plus dans la facilité et le déjà-vu, même si la réalisation reste sèche et intéressante.
A voir pour le numéro d'acteur de Gourmet, si on apprécie sa dégaine de gros ours à la fois bedonnant et musclé.
On connait bien la situation de Jafar Panahi. Censuré dans son propre pays, il tourne des films comme il peut, sans équipe technique, et les transmet en Occident comme des lettres volées.
Pour celui-ci, Panahi développe une idée limpide : mettre ses petites caméras DV dans un taxi et prendre les passagers qui se présentent.
Il donne à son aventure un faux air de documentaire, mais il est évident que tout est parfaitement scénarisé : il s'agit bien d'une fiction, qui simule un documentaire.
Il semble que la contrainte galvanise Panahi. Toute la première partie du film est un chef d'oeuvre d'invention entre rire et larmes, dans lequel chaque réplique semble calculée pour susciter une émotion différente : émotion, étonnement, rire étouffé, stupéfaction, intérêt. A ce titre la scène du blessé est un morceau d'anthologie qui figurera dans les meilleurs moments de cinéma de l'année.
On pourrait croire que Panahi est limité par son installation. C'est tout le contraire qui se passe. Il donne une formidable leçon de scénario par son script millimétrique (beaucoup d'évènements semblent inutiles et ne prennent sens que dans la suite de l'histoire), par son montage admirable (à l'image des deux longs plans qui ouvrent et ferment le film) et ses choix de placements de caméra (et même de choix d'appareils : téléphone, appareil photo de la petite fille).
Même si la fin du film est un peu moins percutant que le début, Taxi Téhéran laisse derrière lui une trace indéfinissable et puissante, dans laquelle se mêle le plaisir d'avoir rencontré simultanément un être dont on voudrait être l'ami, et une cohorte de personnages ébouriffants qui nous ont plongé dans la réalité iranienne contemporaine.
S'il y a bien un film que je m'attendais à ne pas aimer, c'est bien celui-ci. Les références à Lynch et Refn étaient un peu lourdes à porter, et le réalisateur, Ryan Gosling, vraiment trop beau gosse pour être intelligent. Je m'attendais donc à sortir la sulfateuse à sarcasmes pour dégommer une oeuvre que je j'avais déjà prévu de qualifier de pompeuse et de maniérée, sans l'avoir vu, bien sûr.
Mais la mauvaise foi, parfois, n'est pas récompensée. Lost river est en effet réussi en tout point.
D'abord, le décor fantasmagorique d'une ville abandonnée d'après la crise est absolument fabuleux (il s'agit en grande partie de Detroit). Les décors constituent un des atouts indiscutables du film.
Dans ce contexte désolé et post-apocalyptique, campons les personnages. Une femme seule (incroyable Christina Hendricks, la secrétaire rousse à l'abondante poitrine de Mad men) élève seule deux garçons. Le plus grand des deux est amoureux de la fille d'en face, dont la mère a arrêté de parler quand son mari est mort. Il y a aussi dans ce monde bizarre et en même temps très familier, un méchant qui découpe les lèvres de ses ennemis aux ciseaux (pas joli, joli, le résultat), un cabaret macabre dans lequel le (faux ?) sang coule à flot, et une ville engloutie.
Présenté comme cela, on pourrait imaginer que le film est un pensum lourdingue : il est au contraire une chronique intimiste dans laquelle chaque personnage trouve exactement le bon ton, la bonne posture.
La mise en scène est imaginative (presque trop, on sent parfois que Gosling s'enflamme - au propre comme au figuré), les seconds rôles impeccables (Reda Kateb, Paul Mendehlson et son incroyable danse).
Le film est une fête pour l'imagination, les péripéties s'enchaînant avec souplesse dans une ambiance délicate, très bien servie par un montage au cordeau et une photographie superbe de Benoit Debie, le directeur photo le plus en vue du moment (Refn, Noé, Korine...).
Un très beau premier film, qui consacre sans conteste un futur grand talent.
Les lecteurs assidus de Christoblog savent que je suis un fan du cinéma en provenance du pays du matin calme.
Le premier film de Sung Bo-Shim présente tout ce que j'aime dans le cinéma coréen : cela commence par une chronique sociale très bien filmée qui décrit avec beaucoup de justesse et de talent le quotidien d'un équipage de pêcheurs dont le bateau est sur le déclin.
Une façon de renflouer les caisses est de transporter des clandestins chinois qui cherchent à migrer vers la Corée. Commence alors un autre film, qui change complètement de point de vue, et vire au thriller horrifique - et passablement gore.
Le film réussit ces prodiges qu'un cinéma encore vraiment jeune peut se permettre : une rupture de ton brutale, des effets spectaculaires qui ne craignent jamais de flirter avec le mauvais goût, une énergie de tous les instants.
C'est plaisant à regarder, étonnant, rythmé comme un morceau de rock, et d'une qualité technique (photographie, direction artistique, réalisation) trois crans au-dessus de la production US lambda.
Je le conseille vivement aux amateurs de sensations fortes et de mets épicés.
On pouvait espérer de Benoit Jacquot qu'il réitère sa performance des Adieux à la reine.
Malheureusement, son dernier film ne fait qu'emprunter au précédent ses astuces formelles, sans en retrouver la grâce.
Autant le style Jacquot (des mouvements de caméra recherchés, un apprêt dans la forme et dans le jeu des acteurs) s'adaptait à la fresque fin de règne des Adieux, autant son formalisme outrancier tombe ici à plat, dans l'atmosphère très intime que l'intrigue confère au film.
Léa Seydoux confirme ici son statut d'actrice au répertoire limité, alors que Vincent Lindon joue le bourru mystérieux avec son manque de finesse habituel.
On ne rentre pas dans cette histoire dans laquelle la servante ne parait jamais vraiment de basse extraction, et dont l'histoire ne semble à aucun moment crédible. Le casting est réellement catastrophique, à l'image de Vincent Lacoste, toujours aussi mauvais.
Dans ce contexte décevant, la mise en scène de Jacquot parait artificielle et compassée, et on ne croit pas l'ombre d'un instant à cette histoire qui manque cruellement de sensualité.
J'ai deux problèmes avec ce film : le fond et la forme.
D'abord sur le fond, Dear white people ressuscite une sorte de racisme black envers les Blancs. Quel sens a aujourd'hui ce tableau d'une confrérie black power luttant pour la reconnaissance de sa culture, et ostracisant les Blancs de sa "zone" ? Dans l'Amérique d'Obama tout cela sent le réchauffé : le Malcolm X à la petite semaine, le Spike Lee antidaté.
Comprenons-nous bien : je ne dis pas que les problèmes de racisme n'existent plus aux Etats Unis (cf Ferguson), mais que leur représentation ne transite plus aujourd'hui par la promotion de la négritude et autres balivernes.
D'ailleurs, le film ne sait pas trop sur quel pied danser exactement. Ses tentatives de catégorisations à la hussarde (les trois types de Blacks, sur le mode des trois types de .... gays ? d'asiats ? de rebeux ?) n'entrent pas vraiment en résonance avec le monde contemporain.
Sur la forme, le film de Justin Simien (récompensé à Sundance), verse dans un formalisme outrancier qui s'épuise sur la distance : faux campus reconstitué, tableaux vivants, cartons de film muet, ralentis expressifs. C'est lourd, désuet et truffé de références inconnues du grand public européen.
Dear white people manque toutes ses cibles. En romcomisant son intrigue il affadit son propos (quels développements stupides sur la fin : couples mixtes hétéro et gays, et même le papa blanc de l'héroïne black, bouh, sortez les mouchoirs). En stigmatisant ses protagonistes, il empêche l'identification.