A la folie
Personne (ou presque) ne connait les films de Wang Bing, et c'est bien dommage
Il faut dire que la plupart sont des documentaires aux durées dissuasives : on se souvient des 9 heures de A l'ouest des rails, narrant la fermeture d'un gigantesque complexe industriel dans le nord de la Chine.
Le nouvel opus de Wang Bing ne dure que 4 heures, et se déroule cette fois-ci au Yunnan, dans le sud de la Chine.
Dès les premières minutes du film, nous sommes immédiatement plongés dans la vie de l'hôpital psychiatrique. Comme à son habitude, Wang Bing se refuse à tout didactisme. Il place sa caméra au plus près des hommes, et laisse la situation se dérouler en la filmant. Au deuxième étage de l'immeuble-prison-hôpital, un couloir-balcon grillagé entoure la cour rectangulaire à ciel ouvert. Les pauvres chambres s'ouvrent sur le couloir, et la caméra ne quitte pratiquement jamais ce monde d'angles droits : couloir, chambre, neige, nuit, jour, couloir, cour, soleil, chambre, nuit, jour.
Le génie de Wang Bing est de parvenir à nous émouvoir aux larmes, malgré le dispositif austère de son film. Il parvient à ce miracle en nous faisant découvrir des personnages extraordinaires, placés dans des situtations extraordinaires : on se souviendra éternellement de ce jeune homme faisant son footing de nuit dans le couloir, de tel autre dont on suit les premières heures d'internement, du pauvre homme que la femme visite en lui expliquant qu'il ne peut pas revenir, de celui qui est puni par la pose de menottes. Chacun des destins montré est bouleversant, d'autant plus que la plupart des internés ne paraissent pas réellement malades.
Si les quatre heures de projection ne semblent pas si longues c'est aussi parce que Wang Bing possède un sens aigu du montage. On ne s'ennuie jamais parce que les scènes d'action succèdent à d'autres plus oniriques (plusieurs séquences montrant les activités nocturnes des plus malades semblent provenir d'un rêve). Le film comprend aussi de véritable petites histoires (une histoire d'amour), des échappées belles (on suit un homme qui est libéré), et des surprises.
On entre dans la salle en craignant d'avoir à supporter des visions insupportables et violentes de malades mentaux, on en ressort ému et bouleversé en ayant l'impression d'avoir assisté à une représentation de la comédie humaine en milieu clos, pleine de douceur.
Le film a été présenté au festival de Venise 2013 et j'ai eu la chance de le voir au Festival des 3 continents : Wang Bing est resté discuter avec nous près d'une heure après le film. Un grand monsieur, et sûrement un des dix plus grands réalisateurs en activité.