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Christoblog

Articles avec #j'aime

EO

1h29 de décalage permanent, au service d'une exploration poétique, sensorielle et cruelle de la condition humaine et animale : voici le nouveau projet du fantasque Skolimowski.

On croit suivre un âne, mais c'est plutôt les différentes variantes de l'être humain que nous allons découvrir, comme si l'animal était l'oeil de Dieu. Et ce n'est pas très joli : cruauté gratuite, égoïsme, inconséquence, stupidité, futilité pour bien peu de compassion.  

Côté animal et nature, le film propose quelques images saisissantes, qui forcent l'admiration et font sentir la majesté du monde non humain. Je pense par exemple à cette balade de nuit dans une forêt diablement inquiétante, ou au paysage de la cascade et du pont. Les images et le design sonore font de EO une oeuvre souvent sublime.

Les parti-pris de mise en scène sont radicaux et fonctionnent à la perfection. Il y a une brillante idée de cinéma toutes les 3 minutes. EO (Hi Han en anglais...) est court, dense et parfaitement rythmé. Surprenant, atrocement drôle et parfaitement maîtrisé : un des meilleurs films de l'année, sans aucun doute, qui se finit sur une scène poignante. 

Jerzy Skolimowski sur Christoblog : Deep end - 1970 (****) / Essential killing - 2010 (**) / 11 minutes - 2017 (**)

 

3e

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Le Petit Nicolas - Qu'est-ce qu'on attend pour être heureux ?

C'est un sentiment ambivalent que génère ce film.

D'un côté, l'aspect biographique qui concerne les deux protagonistes (Goscinny et Sempé) est assez intéressant, et leur amitié est bien rendue. Sans être renversant, cette partie du film peut vous donner un éclairage nouveau sur les deux compères, et plus particulièrement sur la vie de Goscinny.

De l'autre, les séances d'animation qui mettent en scène les histoires du Petit Nicolas sont un peu trop sages pour être vraiment captivantes. Un fumet désuet se dégage de ces illustrations sages, dont on ne sait s'il découle du récit originel de Sempé ou de l'adaptation insipide qu'en propose le film.

Ce n'est pas que les histoires soient en elle-même simplistes mais leur portage à l'écran semble les renvoyer ... à un autre siècle.

Le film peine donc à emporter l'assentiment, par excès de conformisme respectueux. 

 

2e

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L'innocent

Ces dernières années, le Festival de Cannes a veillé à accueillir pour chaque édition une comédie française de qualité, Le grand bain, La belle époque et en 2022 L'innocent.

On n'attendait pas forcément Louis Garrel dans cet exercice, mais son film réussit parfaitement à cumuler les qualités de genres aussi différents que le polar, la comédie romantique et le film de braquage. 

Après un démarrage assez typique du cinéma français psychologisant, le film vire brusquement vers le burlesque et la comédie assumée, mâtinée d'un réel suspense. On se laisse littéralement happer par le scénario malin de Garrel, et à ce titre, la scène du repas dans le restaurant routier est peut-être le meilleur moment de cinéma de cette année.

Dans ce véritable bonbon générateur d'un immense sourire, Noémie Merland révèle un tempérament comique formidable alors qu'Anouk Grinbert réalise un come-back réjouissant. Une pépite.

 

3e

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Juste sous vos yeux

On avait peut-être un peu perdu Hong Sang-Soo ces derniers temps, dans un dédale de recherches vagues et d'approximations vaporeuses.

Ce retour en grâce est d'autant plus appréciable qu'il prend ici un tour de fausse simplicité. Cela commence comme un retour dans la ville natale, des retrouvailles avec une soeur un peu perdue de vue, puis une rencontre artistico-amoureuse pleine de nostalgie. 

Tout ce qu'on voit est à la fois simple, et marqué du sceau de la solennité définitive qui sera révélée en fin de film, dans un plan d'une beauté déchirante. Le cinéma de HSS, souvent marqué par une superficialité apparente est ici tout à coup empreint d'une profondeur peu courante chez le cinéaste coréen. On peut peut-être y discerner les premières alertes de l'âge.

Le résultat, sec et resserré comme un coup de trique (1h25 de mémoire compressée), est étonnant de brièveté émouvante. On y retrouve quelques gimmmicks classiques de HSS (un rêve dont on ne saura rien, des plans au début du film qui se répéteront à la fin, de l'alcool à gogo), mais pour une fois ils paraissent ici comme atténués, affaiblis.

Pour la première fois, je crois qu'un film de Hong Sang-Soo m'a tiré une larme.

Le film, malheureusement, n'est visible que dans quelques salles en France.

 

3e

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Sans filtre

Au fil des films, Ruben Ostlund semble abandonner ses ambitions initiales (une noirceur qui tirait vers le questionnement métaphysique) pour s'orienter vers la pochade avinée, sous couvert de farce aimablement caustique.

Il bricole ici avec un brio matois trois films en un. Le premier se résume quasiment à une conversation agitée entre deux jeunes gens très superficiels (elle influenceuse, lui top-modèle). C'est très fin, et Ostlund est doué pour souligner tous nos petits travers en très peu de scènes, découpées au scalpel. Couple, rapport entre sexes, réseaux sociaux, culte de l'apparence : les cibles sont faciles à dézinguer et la charge n'est pas originale, mais toujours aussi précise.

Le deuxième film est le coeur de Sans filtre : la croisière abuse, pourrait-on dire. Tantôt drôle, parfois lourdingue, avec une longue séquence pleine de vomi et de défécations. Une scène vaut à elle seule le déplacement, le concours de citation de Lénine et Marx entre le capitaine américain communiste et le capitaliste russe. Il faudra aimer le burlesque pour apprécier.

La troisième, une sorte de Koh-Lanta dans laquelle les classes sociales s'inversent, m'a beaucoup moins convaincu. Cette partie m'a semblé pataude et prévisible, même si certains éclairs font mouche.

En résumé, Ostlund reproduit sa recette spéciale Palme d'Or avec succès, en changeant simplement de cible : c'était l'art contemporain dans The square, c'est le capitalisme ici.

Sans filtre (quel titre étrange au passage...) est donc plaisant et on s'amuse raisonnablement en le regardant, sans que l'on puisse déduire quoi que ce soit des intentions ou idées de son auteur. Toute lecture politique du film pourra être contestée, voire inversée. Quant aux émotions, inutile d'en chercher ici.

Le prochain projet du Suédois concernerait un voyage en avion qui tourne mal. Rendez-vous à Cannes 2024 ?

Ruben Ostlund sur Christoblog :  Snow therapy - 2014 (****) / The square - 2017 (**)

 

2e

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Les enfants des autres

Abandonnant le schéma de ses derniers films (Une fille facile, Planétarium, Grand Central), dans lesquels son propos était trop intellectuel pour vraiment séduire, Rebecca Zlotowski retrouve ici l'efficacité dramatique de son premier film, jusqu'alors le meilleur, Belle Epine.

Les enfants des autres revêt la forme d'un mélodrame pur : intrigue dépouillée (voire même simpliste), mise en scène plate, effets renforçant les effets de narration (fermeture à l'iris à la fin de chaque plan terminant une séquence), attention extrême aux petites choses de la vie, sentiment du temps qui passe, refus du happy end facile et poids de la fatalité.

Pour sublimer cette forme assez ingrate, il faut une interprète à la hauteur, capable de parcourir la gamme des émotions la plus large possible : du désir brut (le scène de la douche) à la sérénité résignée en passant par la joie, la tendresse, le désespoir, la gêne, la déception. Virginie Efira trouve peut-être ici son rôle le plus complet, celui qui donne à voir toute la palette de son talent. Le reste du casting, Roschdy Zem (qui a visiblement prêté son T-shirt de Springsteen à sa partenaire), en tête.

Un beau film, osé et réussi, sensible et délicat, qui relance la carrière de Rebecca Zlotowski et confirme le statut de très grande actrice qui est désormais celui de Virginie Efira.

Rebecca Zlotowski sur Christoblog : Belle épine - 2010 (***) / Grand central - 2013 (*) / Une fille facile - 2019 (**)

 

3e

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Sing a bit of harmony

La puissance des anime japonais, en matière d'énergie positive et de narration décomplexée, n'a pas aujourd'hui d'équivalent dans le monde. Ce que propose ici Yasuhiro Yoshiura se situe à un niveau d'imagination débridée que peu de productions américaines ou européennes pourront atteindre. 

Le pitch est casse-gueule : une intelligence artificielle est envoyée "incognito" dans une école par un groupe de chercheur en informatique, sous la forme d'une jeune fille. Las ! Elle est démasquée immédiatement, et l'intrigue doit donc rebondir vers d'autres pistes complexes, très émouvantes et pour certaines, un peu tirées par les cheveux !

Ce qui fait tenir un tel projet debout, c'est l'incroyable optimisme qui draine l'ensemble. Le scénario ose tout, sublime tous les poncifs en provoquant sourires, pleurs, rires, étonnements, avec un sens du rythme qui rappelle celui de la grande comédie musicale américaine. C'est enlevé et très maîtrisé dans la progression dramatique, jusqu'à un final formidablement réussi.

Pour les amateurs du genre, du très solide. Le film, que j'ai découvert à Annecy, est malheureusement très mal distribué en France.

 

3e

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Chronique d'une liaison passagère

On se retrouve toujours en terrain connu (et entre gens de qualité) dans un nouvel Emmanuel Mouret.

Ce nouvel opus ne déroge pas à la règle. Les petits cartons qui rythment la chronique, l'écoulement du temps, le sens du rythme aiguisé, la vertu performative des dialogues, la sincérité des sentiments - et leur fugacité : tout est délicieux et surprenant, comme d'habitude.

La maturité venant, le réalisateur s'assagit tout de même, et le propos se fait ici plus grave. Les situations sont moins cocasses que dans sa jeunesse, et la chronique se teinte ici d'une pointe de nostalgie et de regret. Cette inflexion, que l'on sentait poindre dans ses deux derniers films, se matérialise ici par de nouveaux types de plans : un arrêt silencieux sur une nuque qui s'incline, des plans fixes sur les lieux qu'ont fréquenté les personnages, une façon de filmer les personnages de dos. Autant de petites respirations douces-amères qui permettent de méditer sur la pertinence des choix que font les personnages.

Kiberlain, et surtout Macaigne, sont dirigés de main de maître et dévoilent une profondeur qu'on ne leur connaît pas forcément.

Un bon cru, peut-être moins subtil que d'habitude, et moins riche narrativement que Les choses qu'ont dit, les choses qu'ont fait, mais très agréable à regarder.

 

3e

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Tout le monde aime Jeanne

Ce premier film de Céline Devaux est plutôt réussi.

Blanche Gardin y joue de façon assez drôle (bien qu'un peu monotone) une jeune chef d'entreprise dépressive qui retourne à Lisbonne vider l'appartement de sa mère. Cette dernière s'est jeté d'un pont, après avoir essayé d'appeler ses deux enfants, qui n'ont pas répondu à cette ultime tentative de communication.

Sur la base de ce pitch lugubre, le film parvient à nous attendrir et à nous amuser, notamment par la grâce de petites séances d'animation qui représentent ce qui se passe dans le cerveau de Jeanne. Le petit personnage aux longs cheveux, double de Jeanne, représente successivement mauvaise conscience, pensée évanescente et petit diable tentateur. Ce procédé donne au film un rythme alerte et décalé, qui s'estompe malheureusement un peu dans sa deuxième partie.

Laurent Laffite en histrion kleptomane et Maxence Tual en frère doux et attentionné complète le joli casting de Tout le monde aime Jeanne, qui brille aussi par une jolie direction artistique (l'appartement de la mère est un personnage à part entière). Le point fort du film est aussi en quelque sorte son point faible : la grave légèreté qui séduit initialement menace sur la longueur de se transformer en superficialité un peu vaine.

Un moment plaisant tout de même.

 

2e

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Rodeo

Lors du dernier festival de Cannes, Rodeo a eu très bonne presse et Lola Quivoron est apparue comme une nouvelle sensation à suivre.

Son premier film est en effet marqué par une forte personnalité et un irrépressible désir de cinéma. On sent dès la prochaine scène (intense, incompréhensible, speed) qu'une cinéaste naît sous nos yeux. Il y a du Kechiche au féminin dans la façon dont Lola Quiveron parvient à saisir les vibrations du réel et le souffle vital du désir.

Dans cette histoire de jeune fille qui fait sa place dans un milieu masculin (celui du cross-bitume, qui n'a rien à voir avec les rodéos dont l'actualité se fait l'écho) on sent qu'il y a beaucoup de personnel, et de vécu. Ce personnage m'a irrésistiblement fait penser à celui joué par Sasha Lane dans American honey.

Les jeunes acteurs/trices qui constituent le casting sont très bons. La mise en scène est inventive, et sert un scénario alerte et prenant. Le petit bémol en ce qui me concerne est la fin du film : je n'ai pas vraiment compris ce que je voyais et il me semble que les intentions sont hésitantes quant à la façon de conclure cette belle histoire initiatique.

A noter que Rodeo fait l'objet d'une campagne de trolls qui ont réussi à faire baisser drastiquement la note Spectateurs du film sous Allociné : ces idiots surfent sur la polémique actuelle liée au rodéos urbains et à leurs victimes, et n'ont évidemment pas vu le film.

A découvrir.

 

3e

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Revoir Paris

Revoir Paris est le grand film qu'on attendait sur les attentats de 2015, et leurs conséquences.

Alice Winocour réalise un tour de force : s'attaquer frontalement à la réalité de l'attentat (ce qu'esquivait le très beau Amanda, assez proche dans son style), tout  en maintenant tout au long de ses développements une délicatesse admirable.

Tout est en effet esquissé dans cette errance presque fantastique : les fantômes rôdent sous différentes formes sans jamais être envahissants, les voix off constellent le film d'éclairs de poésie, Paris semble un décor de film de zombie qu'il s'agit de reconquérir, comme l'indique le titre, splendide.

Une émotion brute et digne sourd de tous les plans. La composition de Virginie Efira, une fois de plus souveraine, emporte Revoir Paris vers des sommets de sensibilité. Il faut absolument découvrir ce film, un des plus beaux réalisés sur la résilience.

Alice Winocour sur Christoblog : Maryland - 2015 (**) / Proxima - 2019 (**)

 

4e

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Les cinq diables

Le deuxième film de Léa Mysius contient plusieurs films.

Le premier est le portrait d'une petite fille qui possède un pouvoir surnaturel : voyager dans le temps en sentant une odeur. L'idée est très jolie et donne lieu à de beaux moment poétiques (les "bocaux à odeurs") et à un moment d'une grande intensité, un des plus beaux jumpscare vu récemment au cinéma.

Le second serait la chronique de la vie en province d'un couple mixte dont les liens se distendent doucement sur fond de non-dits. L'utilisation pertinente des décors (on songe à La nuit du 12, tourné dans la même région), la délicatesse de l'approche de Léa Mysius et l'intensité du jeu d'Adèle Exarchopoulos rendent cet aspect du film attachant, même s'il ne brille pas par son originalité.

Le troisième est une histoire de sorcellerie ancrée dans le passé, resurgissant à l'occasion du retour d'un membre de la famille. Cette partie du film est plus lourde que les autres, plus convenue et surtout un peu énervante par son aspect "je vous distille les indices petit à petit, tout en vous laissant deviner rapidement le tableau d'ensemble". Cette partie fantastique se double elle même d'une boucle temporelle paradoxale. 

Les trois parties du film ne parviennent pas tout à fait à s'emboîter les unes avec les autres et semblent coexister artificiellement. Le film est trop écrit, ne laissant pas l'émotion surgir de la mise en scène. L'impression générale est toutefois positive, le talent de Léa Mysius réalisatrice surpassant (de peu) les carences de Léa Mysius scénariste.

Léa Mysius sur Christoblog : Ava - 2017 (***)

 

2e

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Trois mille ans à t'attendre

Le goût du merveilleux au cinéma ne fait plus recette.

Il est d'autant plus intéressant de voir le patriarche George Miller proposer une relecture des Mille et une nuits arrangée à la sauce moderne : le génie Idriss Elba est confronté à des problématiques qu'on comprend parfaitement (se rendre utile, socialiser, ne pas passer quelques milliers d'années sans activité !) et Tilda Swinton, égale à elle-même (c'est à dire intelligente), en narratologiste.

Alors, bien sûr, le scénario est fait de bric (des resucées de classiques) et de broc (des inventions souvent inspirées, comme celle des instruments de musique du roi Salomon), mais au final, le savoir-faire de sieur Miller emporte le morceau : le film se laisse regarder avec gourmandise, et pour peu qu'on ait gardé son âme d'enfant, il est même parfois régressivement jouissif. La mise en scène imaginative et le montage nerveux y sont pour beaucoup.

Un film de divertissement de bonne qualité, ode à l'altérité, qui nous change de la soupe insipide servie par les usines à super-héros.

 

2e

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Flee

D'abord disponible sur la plateforme d'Arte, ce film d'animation du Danois Jonas Poher Rasmussen sort aujourd'hui en salle.

Il est original à plusieurs titres.

Dans sa forme d'abord. Il mélange différentes techniques, suivant l'effet recherché : animation classique pour la trame principale, images d'archive en prise de vue réelle pour contextualiser les séquences, dessin au fusain pour les scènes les plus marquées par l'émotion. Ce mix fonctionne bien et apporte beaucoup au film.

Par son contenu ensuite. Si les films sur les migrants sont assez nombreux, on n'avait jamais vu au cinéma une filière qui conduit des réfugiés d'Afghanistan en Europe, en passant par la Russie et les pays Baltes. Cet aspect est vraiment original, et les longs passages qui relatent la vie de la famille afghane dans un Moscou enneigé sont très réussis. Le héros enfin est homosexuel : cela ajoute évidemment à la complexité de sa situation.

L'histoire est celle d'un ami du réalisateur. Cela rend encore plus attachant ce film délicat, qui possède de plus une intrigue pleine de suspense. Flee a été primé à Annecy, et a réalisé un exploit me semble-t-il unique : être nommé aux Oscars dans trois catégories différentes (Meilleur film en langue étrangère, Meilleur documentaire, Meilleur film d'animation).

 

2e

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Leila et ses frères

Pour ceux qui ont vu La loi de Téhéran, il y aura peut-être une petite déception lors de la découverte du nouveau film de Saeed Roustaee : si le film a le même sens du rythme que son prédécesseur, il est moins tape-à-l'oeil et moins immédiatement spectaculaire.

Pourtant Leila et ses frères est d'une profondeur et d'une subtilité qui surpasse le film précédent de Roustaee. 

On est littéralement emporté par le flux insensé que propose cette chronique familiale qui emprunte à la fois au machiavélisme millimétré des scénarios de Farhadi et aux thrillers psychologiques occidentaux. Les personnages sont fermement et subtilement dessinés, l'évolution de l'intrigue terriblement efficace et le tableau de la société iranienne d'une férocité éclairante (patriarcat, poids des traditions, décisions politiques). Les punchlines se comptent par dizaines et sont à la fois d'une grande cruauté et pleines de sentiments, évoquant par instant la tradition du grand roman russe.

Par le foisonnement de ses intentions et la maestria de sa mise en scène (la séquence du mariage est un chef d'oeuvre), Leila et ses frères s'impose comme un des meilleurs films de l'année, si ce n'est le meilleur. Il s'avère aussi être un des films plus féministe de la rentrée : l'avis de Leila, qui est d'évidence le plus rationnel et le moins sujet aux influences de l'ego, n'y est jamais pris en compte.

Saeed Roustaee sur Christoblog : La loi de Téhéran - 2021 (****)

 

4e

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As bestas

Beaucoup d'éléments intéressants dans le dernier thriller psychologique de Rodrigo Sorogoyen : une vraie maestria dans la mise en scène, sèche, nerveuse et souvent inspirée, et un casting irréprochable. La prestation de Ménochet est une fois de plus impressionnante, à la fois par la présence physique qu'il impose à l'écran, et les éclairs de fragilité qu'il parvient à insérer dans son rôle de personnage massif. Marina Fois est elle aussi excellente, dans un rôle où son jeu dépouillé fait merveille.

Le film ennuie toutefois par moment, du fait de l'étirement inutile de certaines scènes, et d'une inadéquation entre le script (qui tient en 5 lignes) et la durée du film (2h17). Autrement dit, tout est bien dans le film, mais tout y semble exagérément délayé.

Le personnage de la fille ne m'a pas semblé extrêmement utile dans le développement du film, et le sujet de la différence de classe sociale entre les protag aurait pu être à mon sens creusé. Reste au final une oeuvre intéressante, parsemée de moments de tension bien réalisés.

Rodrigo Sorogoyen sur Christoblog : Que Dios no perdone - 2017 (*) / El reino - 2019 (***) / Madre - 2020 (**) 

2e

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Rifkin's festival

Certes, Rifkin's festival recycle pour une énième fois de nombreux thèmes cher au cinéaste : l'hypocondrie, la judaïcité, les affres de la création. Si ces sujets donnent encore ici l'occasion de jouir de savoureuses et cinglante punchlines, on peut être lassés par la redite.

L'intérêt du film (pas immense, je l'avoue) réside plutôt pour moi dans la couche discrète mais bien présente de mélancolie dépressive qui recouvre les péripéties exposées.

L'histoire entre les personnages joués par Wallace Shawn (alter ego de Woody Allen) et Elena Alaya est assez touchante : il s'agit de l'opportunité d'une rencontre entre deux êtres que la vie n'a pas gâté, et qui finalement ne se réalisera ni sur le mode amoureux, ni a fortiori sexuel. Ainsi, ceux qui critiquent Rifkin's festival sur le mode de "un vieux libidineux cherche à se taper une petite jeune" sont bien mal avisés : il n'y a rien de pervers, ni même de sensuel entre ces deux-là, si ce n'est l'envie diffuse et mutuelle d'être apprécié pour ce qu'on est.

La critique est d'autant plus étrange que dans le même temps le personnage féminin de Sue succombe charnellement à celui joué par Louis Garrel, d'autant meilleur ici qu'il joue une tête à claque.

C'est donc une tonalité élégiaque, nostalgique et peut-être testamentaire qui domine ici, renforcée par les rêves en noir et blanc en hommage aux grands cinéastes européens qu'Allen admire et par la lumière qui baigne les doux paysages de la côte basque.

Pas un chef-d'oeuvre, mais pas une catastrophe non plus.

 

2e

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Les nuits de Masshad

Le nouveau film d'Ali Abbasi est un réquisitoire sans pitié contre toute la société iranienne. 

Abbasi vit en Suède, l'actrice principale Zar Amir Ebrahimi (justement récompensée à Cannes) à Paris, et la plupart de l'équipe du film ne pourra pas retourner à Téhéran sans risquer beaucoup. Les nuits de Masshad sont donc d'entrée un peu plus qu'un film : un acte politique, un coup de pied dans la fourmilière bien pensante des mollahs.

Dans un premier temps, le film, tourné en Jordanie, reconstitue le trajet d'un tueur de prostituées dans la ville sainte iranienne de Masshad. Il s'inspire d'un fait divers réel. Les meurtres sont montrés de façon frontale, non emphatique. La mise en scène met en valeur une tension évidente entre mission spirituelle et désir sexuel.

Certains y voient une certaine complaisance : peut-être leur cerveau leur joue-t-il des tours et trouve -t-il un peu trop d'intérêt au spectacle qui leur est proposé ? Pour ma part, je n'ai vu aucune complaisance dans ces scènes, mais une crudité qui finalement est une sorte d'hommage aux victimes : nul besoin d'édulcorer leur assassinat pour le montrer plus joli et moins cruel.

Cette première partie est étouffante. Mais elle n'est qu'une introduction pour la deuxième partie, encore plus cinglante et brutale. Le meurtrier ne regrette rien, mais une bonne partie de la société iranienne le défend et le traite en héros, encourageant massivement les meurtres de femmes impures.

Le pouvoir religieux surfe habilement sur la vague, entretient une sorte de parodie de justice et tire son épingle du jeu en manipulant le meurtrier lors d'une scène extraordinaire. 

On sort du film rincé, haletant et confondu par le rythme effréné imposé par Abbasi, estomaqué par le jeu des acteurs et la beauté de la mise en scène. Et cloué à notre siège par une dernière scène terrible.

Magnifique.

 

4e

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La nuit du 12

On peut regarder le dernier film de Dominik Moll sous deux angles.

Le premier est l'enquête policière qui décrit la quête longue et infructueuse d'un jeune commissaire, joué avec beaucoup de finesse par l'excellent Bastien Bouillon.

Sous cet angle le film est très réussi. Il est à la fois très réaliste dans sa description du travail ingrat des policiers (la photocopieuse est souvent en panne) et dans sa façon de décrire leur espoir obsessionnel de trouver une réponse à leur question. La psychologie des différents protagonistes est formidablement creusée. Bien sûr, il est difficile de ne pas songer à un Zodiac savoyard.

Le deuxième angle sous lequel on peut envisager le film, c'est sa dénonciation de la violence endémique qu'exercent les hommes envers les femmes, ou que les hommes pensent pouvoir exercer envers les femmes. Il le fait sans vulgarité et avec beaucoup de subtilité, montrant comment ce machisme atavique finit par infuser dans beaucoup d'esprits, y compris des femmes. Dans La nuit du 12, la masculinité est intrinsèquement toxique.

Un des meilleurs films français de l'année.

Dominik Moll sur Chistoblog : Seules les bêtes - 2019 (***)

 

3e

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Elvis

Le début du film laisse présager le pire : montage épileptique, caméra prise de tournis, idées de raccord d'une vulgarité crasse, couleurs agressives. Pour être bref, la mise en scène que seul peut produire un ego au stade ultime de l'hypertrophie.

Heureusement, cela ne dure que dix minutes. Le style de Luhrmann s'assagit progressivement (même s'il reste hyper-démonstratif) pour petit à petit épouser avec une relative délicatesse l'épopée d'un héros qu'on va découvrir génial et torturé. L'emphase véhiculée par le trop-plein d'intentions du film convient finalement bien à la personnalité d'Elvis et à sa tragique histoire : elle est à l'image de ses costumes et de ses déhanchements, outrancière et séduisante.

Si on arrive à juguler son aversion au mauvais goût (j'y suis parvenu, hormis peut-être pour la dernière demi-heure) on ne peut être que séduit par cette histoire saisissante, jouée merveilleusement par deux acteurs prodigieux : Tom Hanks, incroyable de perversité avenante, et  Austin Butler, dont la rayonnante animalité n'a rien à envier à celle du King.

La perversion des rapports entre le colonel et Elvis est sondée avec une grande acuité, le lien qui unit le chanteur à la communauté noire est montrée avec une empathie communicative et les 2h39 du film s'écoulent vite, et bien.

Allez, disons-le, une réussite qui enthousiasmera tous les amoureux du rock (qui ne mourra jamais) et pourra bien intéresser les autres.

 

3e

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