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Christoblog

Youth

Il faut aujourd'hui un certain aplomb pour défendre Sorrentino.

Il faut en tout cas résister à l'influence du triumvirat de la bien-pensance cinéphilique tendance soporifique thaïlandaise : Libération, Les Inrocks, Les Cahiers. Pour ces gens-là, Sorrentino est définitivement classé avec une véhémence haineuse comme un réalisateur pompier (lire ma Lettre ouverte aux Cahiers), alors que Gomes et Weerasethakul, pour ne citer qu'eux, sont géniaux avant même d'avoir levé leur caméra.

Pour le spectateur vierge de tout a priori que je suis, la vision d'un film de Sorrentino génère deux émotions opposées : le plaisir que procurent les trouvailles baroques d'un réalisateur surdoué, et l'ennui qui découle de voir ces trouvailles juxtaposées sans constituer un ensemble cohérent et profond.

Dans La Grande Belleza, le plaisir était largement supérieur à l'ennui, parce que le sujet se prêtait admirablement à la démesure triste de la mise en scène.

Ici, et même si le film abordent les mêmes sujets que le précédent (la vieillesse, la sublimation par l'art, la déchéance physique), ce n'est pas tout à fait le cas.

Si la photo est toujours admirable, les images incroyablement bien composées, le plaisir est un peu gâché par une impression d'épate à tout prix (la scène d'ouverture, le clip de la pop star, le concert de la fin). La retenue de Michael Caine (excellent) et de Harvey Keitel fait pourtant mouche au début du film. Associée à le netteté suisse, cette sourdine inhabituelle donne une tonalité nouvelle au cinéma de Sorrentino : on navigue dans une sorte d'humour british, et les répliques spirituelles fusent.

Malheureusement, l'équilibre précaire du film se délite dans son dernier tiers (le pitoyable concert de fin, atrocement filmé, la lévitation du bonze, ridicule).

Je rêve d'un jour où Sorrentino débarassera son cinéma de toutes ses scories (Hitler ! Maradona ! Miss Monde qui pense ?!) pour exprimer pleinement ses incroyables qualités de plasticiens et d'amuseur.

Paolo Sorrentino sur Christoblog : This must be the place (***) / La grande belleza (***)

 

2e

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B
Eh bien moi, je suis sorti de la salle bouleversé, heureux, au-delà de l'enthousiasme. Je n'ai pas trouvé qu'il y avait de "jolies" scènes (cet adjectif ne convient pas à Sorrentino), mais des scènes essentielles, légères ou graves, s'agençant tel un puzzle dans une Suisse faussement bucolique. Oui, en toute simplicité, je trouve "Youth" monstrueusement cinématographique, un peu à la manière dont un Fellini était parfois excessif. Peut-être faut-il avoir un certain âge pour entendre cette musique-la, cette métaphysique du 7ème Art, où tout est dit sans pesanteur, souvent avec humour même si un sanglot se coince dans la gorge comme à la fin de la Grande Bellezza. Selon moi (mais je comprends que des spectateurs moins concernés s'ennuient un peu), tout est dit sur le vieillissement inéluctable... les corps qui s'effondrent ou se boursouflent... les amours qui passent et trépassent... la paternité défaillante... la Beauté miraculeuse du corps féminin... le narcissisme des artistes, leur cruauté aussi au service de leur seul Art (au détriment de leurs proches)... etc. Mais une telle polyphonie ne tiendrait évidemment pas sans des interprètes parfaitement à leur place : actrices et acteurs virtuoses ici ! Et la musique ! Quelle splendeur, cette musique minimaliste de David Lang, un peu à la Arvo Pärt, qui mérite qu'on reste assis dans l'obscurité de la salle, jusqu'à la dernière ligne du générique. Bref, c'est fort, c'est beau, c'est drôle, c'est pathétique, c'est moderne (la TV, Miss Univers), c'est constamment intelligent - sans être cérébral -, superbement visuel - sans être esthétisant - c'est inépuisable et envoûtant... avec des enchaînements subtils et dans une mise en scène d'une très grande fluidité. Par exemple - et il me faut ici froncer le sourcil, Chris, comme tu l'as fait à propos des Cahier, et toujours concernant les enchaînements intelligents des séquences. Un exemple : suite à un dialogue incisif sur le Désir, qui seul allège et libère, on voit le bonze (enfin) en lévitation. J'ai trouvé poétique et souriante cette métaphore alors que tu déclares tout de go : " la lévitation du bonze, ridicule". Non, elle t'a semblé à toi ridicule, parce que tu n'as pas suivi, à ce moment-là, ou que tu es imperméable au message subliminal du réalisateur, n'y voyant qu'un gag redondant ! Idem pour le concert de la fin - "le pitoyable concert de fin". Non, non et non, pitoyable POUR TOI, alors que j'y ai vu, moi, une sorte de péroraison sublime, transfigurée par la beauté de la partition orchestrale (à défaut de la captation "atrocement filmée" (sic) : c'est le retour et la revanche de la Vie, de la Beauté qui "seule sauvera le monde". Peut-être aussi chacune de nos pitoyables existences de bipèdes sans grâce et "si lourds, si lourds..." (soupirait Céline peu de temps avant de mourir). Donc, trop d'outrance péremptoire dans le propos nuit une fois encore à la légitimité de la critique, ici ou ailleurs.<br /> <br /> Bref, je mets 4 étoiles à ce chef-d’œuvre - et ça n'engage que moi ! - et j'attends avec impatience, si possible à Cannes 2016, le nouvel opus du grand, très grand Sorrentino, clown triste et surdoué.
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C
Très beau commentaire, qui me donne envie de revoir le film !!
B
Tout à fait d'accord ! Je suis sortie de la salle avec une impression mitigée. Alors que "la grande belleza" m'avait semblé être un bijou de délicatesse et d'intelligence, je trouve que Sorrentino ici en fait parfois trop. Il réutilise les mêmes ficelles et cela peut sonner faux, malgré de très jolies scènes. Le film souffre aussi de certaines longueurs.
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