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Christoblog

Articles avec #j'aime

Hotel by the river

Dans la très dense filmographie de Hong Sang-Soo, Hotel by the river se distingue de plusieurs manières.

Ici, pour une fois, il n'est pas vraiment question de rapports amoureux (tous les personnages sont seuls, séparés, divorcés, célibataires ou veufs). Plusieurs des motifs habituels du cinéma de HSS sont par ailleurs absents : pas de découpages en plusieurs parties distinctes, pas de légèreté incisive dans les dialogues, peu de lâcheté et de ridicule.  

Hotel by the river est marqué par une sorte de gravité qui est peu courante dans le cinéma du cinéaste coréen, une gravité qui n'est ni plombante ni superficielle : juste poétique et parfois presque métaphysique.

Le film se situe en effet sur une ligne de crête qui sépare la réalité brute de l'onirisme feutré. On peut le voir comme la représentation naturaliste de destins qui se croisent dans un hôtel quelconque, ou comme une métaphore d'un état ou d'un lieu qui pourrait être totalement rêvé ou imaginaire, sorte de limbes ou de purgatoire.

Le film regorge de détails qui tendent à prouver que ce qu'on voit ne correspond pas à la réalité : plusieurs personnes qui se trouvent dans la même pièce sans se voir, une baisse brutale de température, un personnage invisible mais déterminant (le patron de l'établissement), une chute de neige incroyablement rapide, des comportements étranges, des pressentiments qui se réalisent.

L'art subtil de HSS se déploie ici avec un degré de maîtrise et de profondeur inégalé à mon sens, vertige quasi lynchien ou fable poétique, suivant le degré de concentration du spectateur.

 

3e

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César et Rosalie

Dans la série assez extraordinaire de quatre films majeurs que Claude Sautet réalisa entre 1970 et 1974, César et Rosalie occupe une place de choix : sorte de Jules et Jim en mode provincial, ce film assez truffaldien séduit par sa vivacité.

La gouaille irrésistible d'Yves Montand, dont le jeu se situe ici entre un Belmondo italien et un Fernandel isérois, emporte littéralement le film. Dès les premières scènes, l'acteur pousse la narration vers l'avant, à la fois déterminé, menteur et désarmant de franchise. 

Comparé à son extraordinaire abattage, les autres protagonistes semblent un peu fade. Sami Frey n'est pas formidablement convaincant dans son rôle de beau gosse mi-ironique mi-conciliant. Romy Schneider quant à elle brille surtout par sa fragilité émouvante et sa volonté d'airain, en grande partie insondable. Si son jeu n'est pas très expressif, sa présence irradie la pellicule.

Sautet filme cette trouble histoire de trouple avec une modernité assez remarquable, multipliant les mouvements de caméra élégants et les idées imparables (ce plan magnifique avec le corps dénudé de Rosalie barrant le premier plan, allongé sur le lit, alors que David écrit au bureau).

Ce beau film a admirablement bien vieilli et constitue encore aujourd'hui un exemple étonnant d'étude de moeurs à la fois subtile et originale.

 

3e

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On connait la chanson

Parsemer une histoire somme toute assez insignifiante de morceaux de chansons françaises que les personnages entonnent en play-back au milieu d'une conversation : il fallait oser. 

Alain Resnais l'a fait, et ce fut je pense le premier. Le procédé est étonnant, relativement plaisant et donne au film cet esprit si particulier, mélange d'exigence cinéphilique et de culture populaire. Ce fut à l'époque un grand succès public (le plus gros box office pour Resnais, plus de deux millions de spectateurs) et critique (Prix Louis Delluc et quelques Césars).

On connait la chanson peut se regarder de deux façons différentes. Au premier degré, c'est une sorte de comédie vaudevillesque assez quelconque : les personnages sont caricaturaux, les péripéties téléphonées, le jeu des acteurs parfois outrancier, la mise en scène transparente. A part quelques éléments spécifiques, comme la belle relation qui se noue entre les personnages de Bacri et de Dussolier, le scénario de Jaoui et Bacri est moyen.

Au second degré, si on s'attache à guetter l'irruption des morceaux chantés, qu'on soupèse leur pertinence au regard de la psychologie des personnages, qu'on repère les petits détails (Jane Birkin chante en play-back son propre tube vieux de quinze ans), qu'on se réjouit des situations les plus improbables (Dussolier qui chante Bashung sur son cheval), alors le film devient un jeu délicat et légèrement euphorisant.

Un ovni, si typiquement français.

 

2e

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Split

Cet opus de M. Night Shyalaman a beaucoup séduit les critiques français sans que je m'explique totalement l'enthousiasme collectif, des Inrocks aux Cahiers du Cinéma.

Bien sûr, le film est agréable à regarder. Shyalaman est à la fois un excellent conteur (quand il maîtrise son imagination) et un cinéaste au style fluide, séduisant et efficace. Une sorte de Fincher pop.

Le synopsis est intéressant, au moins pour la première partie du film, et l'interprétation de James McAvoy est formidable. Cerise sur le gâteau, on y retrouve Anya Taylor-Joy, devenue immensément populaire aujourd'hui avec Le jeu de la dame.

Le sujet principal du film, le trouble de personnalité multiple, fournit un substrat dramatique à fort potentiel, mais n'est curieusement pas exploité à son maximum, puisqu'on ne fait connaissance qu'avec un petit nombre des 23 personnalités présentes dans le crâne du personnage principal. Si on veut en savoir plus sur le sujet, mieux vaut lire le formidable livre de Daniel Keyes, Les 1001 vies de Billy Milligan.  

Si la mise en place est excitante et les premiers développements prometteurs, j'ai trouvé que la fin grand-guignolesque du film nuisait à son intérêt et à la densité de son propos.

Un divertissement honorable, qui ne tient pas toutes ses promesses.

 

2e

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Matrix

Expérience étonnante de revoir le film des soeurs Wachowski (qui à l'époque étaient frères) plus de vingt ans après sa sortie.

Le début de Matrix garde tout son potentiel de séduction : vitesse d'exécution, mystère diffus et séduisant, explications rationnelles assez rapides, personnages attachants. L'idée motrice du film (le monde tel que nous le connaissons ne pourrait être qu'une illusion) recycle bien sûr des questionnements philosophiques sur la nature de la perception de la réalité qui sont très anciens et ont nourri bien des oeuvres de Platon à Descartes, mais le traitement du sujet est ici parfaitement juste et très ludique. 

Il est impressionnant de voir à quel point plusieurs scènes de la première partie du film ont marqué durablement l'imaginaire collectif : la fille en rouge, le "suivez le lapin blanc", la pilule bleue ou la rouge. Autre point notable : la direction artistique du film (décors, costumes, accessoires) a très bien vieilli.

Malheureusement, toute la seconde partie du film est aussi poussive que le souvenir que j'en gardais. Elle se réduit à une enfilade de scènes d'action hyper stylisées sans beaucoup d'intérêt, ringardisées par les jeux vidéos et s'inspirant vaguement de films asiatiques, sans en atteindre le niveau d'élégance. Les pantalonnades au ralenti de Keanu Reeves paraissent aujourd'hui vues et revues.

Donc, à la fois lassant et intellectuellement stimulant. 

 

2e

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La vierge mise à nu par ses prétendants

Troisième film de Hong Sang-Soo, La vierge mise à nu par ses prétendants est la première manifestation dans la filmographie du coréen de sa propension aux exercices de distorsion de la réalité.

Le film est, comme souvent chez HSS, découpé en deux parties distinctes.

La première raconte d'une façon assez inhabituelle pour lui une histoire d'amour simple et partagée, presque idéale, découpée en sept tableaux. La seconde reprend la même histoire, tableau par tableau, en montrant quelques scènes complémentaires à chaque fois. Mais contrairement à un effet Rashomon "simple", les scènes ne sont pas exactement les mêmes que dans la première partie : par exemple une fourchette tombe à la place d'une cuillère, un personnage dit quelque chose au lieu d'un autre, etc. 

L'interprétation de ce que l'on voit est donc complexe, si l'on se demande où se situe la réalité : dans la partie A (potentiellement vue à travers les yeux de l'amoureux transis), dans la partie B (plus mitigée, plus complexe, peut-être donc la même histoire vue par la femme), quelque part entre les deux ?

Le résultat est extrêmement stimulant, très agréable à regarder (un très beau noir et blanc qui sera utilisé dans beaucoup d'autres films par le coréen, dont le très beau Matins calmes à Séoul), parfaitement construit.

Après les deux premiers films qui comportaient encore des tentatives plus ou moins réussies, La vierge... est pour moi la première complète réussite de Hong Sang-Soo.

 

3e

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Vénus et Fleur

Le deuxième long-métrage d'Emmanuel Mouret est d'une belle audace, quand on y pense.

Son ton à la fois littéraire et coquin, ses personnages attachants à la limite de la caricature, ses allures de conte moral strict, ses excentricités formelles (les personnages s'appellent Vénus, Fleur, Dieu et Bonheur) : il fallait oser en 2003 à la fois s'inspirer de Rohmer et parvenir à s'en démarquer.

Si le film est vraiment réussi, en dépit d'un synopsis un peu prévisible, c'est principalement par la grâce des deux inconnues qui jouent les rôles principaux : la timide Isabelle Pirès et la solaire Veroushka Knoge. Les deux personnalités se complètent parfaitement et le talent de Mouret pour capter les moindres variations de leurs sentiments fait ici merveille. Dommage qu'aucune des deux n'ait développé une véritable carrière suite à ce film.

La photographie est très intéressante, l'utilisation des décors judicieuse et on s'amuse à apercevoir un cameo de Mouret lui-même, façon Hitchcock. Vénus et Fleur est léger, et porte en lui les germes des futures réussites de Mouret : amour du jeu, intransigeance pour analyser les élans de l'âme et élégance pour les porter à l'écran.

Très plaisant, Vénus et Fleur est pour moi la première réussite dans la filmographie du réalisateur marseillais.     

 

2e

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Un air de famille

Tiré d'une pièce à succès du duo Bacri Jaoui (Molière du meilleur spectacle comique en 1995), le film de Klapisch est plus que du théâtre filmé. 

Si le décor unique et confiné du bar miteux que tient Henri est bien au centre du film, et en constitue même un personnage à part entière, le cinéaste parvient à imprimer son style par de nombreuses idées et effets : brèves escapades à l'extérieur, effets de transparence et de reflets sur de multiples objets, variétés des cadres et des points de vue, exploitation maximale des espaces (cave, annexe, escalier).

Le film vaut évidemment beaucoup par la qualité de l'écriture et la justesse de l'interprétation. Agnès Jaoui, Catherine Frot, Jean Pierre Bacri, Jean Pierre Darroussin sont tout simplement géniaux. Ils parviennent à jouer des personnages très proches de la caricature, tout en ne paraissant à aucun moment caricaturaux eux-même. Petit à petit, chacun laisse sourdre des émotions particulièrement intenses et fait subtilement évoluer son comportement.

Le personnage de Yoyo est en ce sens sûrement le plus formidable : à la bêtise insondable qu'on croit d'abord discerner chez ce personnage, Catherine Frot parvient progressivement à superposer une volonté de vivre rayonnante (qui se concrétise dans la magnifique scène de danse), puis un sentiment d'injustice très émouvant et enfin une belle empathie.

Comme les meilleures des comédies italiennes, Un air de famille parvient à nous faire sourire avec des personnages faisant face à des abîmes de douleur. Dans son genre modeste, il est parfait.

 

3e

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Pieces of a woman

Drôle de parcours que celui du hongrois Kornel Mundruczo, du cinéma d'auteur exigeant et fantastique (White god, La lune de Jupiter) à ce mélodrame Netflix calibré pour gagner aux Oscars.

En voyant ses films précédents, on avait bien détecté chez lui une virtuosité extrême dans la mise en scène, et notamment dans les mouvements de caméra. 

On retrouve ici cette capacité à faire se faufiler la caméra dans tous les recoins d'un décor ou d'une pièce, dès la première scène sur le pont, puis évidemment lors de la fameuse scène de l'accouchement, tournée en un seul plan séquence d'une petite demi-heure. Disons-le, le résultat n'est pas désagréable à regarder, au contraire. Le problème, c'est que quand les mouvements de caméra deviennent un peu trop visibles (pour moi pendant le repas familial par exemple), ils nuisent à la crédibilité de la scène et à mon implication dans l'appréhension de la psychologie des personnages. 

De la même façon, si la scène de l'accouchement est impressionnante (sans être insupportable), je me questionne sur l'utilité de l'avoir étirée sur une aussi grande durée.

Le film est porté à bout de bras par la performance de Vanessa Kirby, impressionnante de maîtrise et d'intériorité, en route pour le prix d'interprétation aux Oscars après l'avoir reçu à Venise. Elle est épaulée brillamment par le reste du casting, en particulier Shia LaBeouf.

Un film intéressant, qui propose de beaux pics d'émotion (le procès par exemple), mais qui est limité par un synopsis qui suit un chemin très balisé et qui n'évite pas certaines balourdises (comme la scène finale). A noter que Mundruczo a vécu avec sa femme une situation similaire à celle que montre le film. 

Kornel Mundruczo sur Christoblog : White dog - 2014 (**) / La lune du Jupiter - 2017 (***)

 

2e

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Le pouvoir de la province de Kangwon

Deuxième film de Hong Sang-Soo, Le pouvoir est un film assez ardu pour ceux qui ne sont pas familier avec l'oeuvre du coréen.

Son premier film (Le jour où le cochon est tombé dans le puits) était une sorte de manifeste dense et marqué par un quasi trop-plein d'intentions. Son deuxième est également un manifeste, mais qui annonce une autre partie de son oeuvre : moins conceptuelle, plus subtile, plus cruelle, plus épurée.

On trouve ainsi pour la première fois une structure en dyptique, assez simple, que HSS réutilisera de nombreuses fois. Les liens temporels entre les deux parties du film (le graffiti sur le palier de la porte, la même scène de train) sont subtils et mêmes parfois presque surnaturels (le poisson rouge qui disparaît dans la deuxième partie est-il l'animal qu'enterre Ji-Sook dans la première ?). Hong pose ici des jalons de sa réflexion sur le temps et les coïncidences qu'il approfondira par la suite.

Le pouvoir est aussi marqué par le désespoir et la présence omniprésente de la violence : harcèlement, assassinat de la femme dans la montagne, pulsion de suicide, corruption pour obtenir un poste, dispute en tout genre, crise soudaine de colère, avortement traumatisant. Sous ses dehors légers et son air "de ne pas y toucher", le cinéma de Hong remue ici les immondices de l'âme humaine, mais il le fait avec distinction.

La structure du film est toutefois un peu lâche et l'ensemble peut sembler manquer de cohérence. Il est en tout cas pour moi moins riche que Le cochon, moins subtil que La vierge, et globalement moins maîtrisé que le reste de l'oeuvre de HSS. 

C'est enfin peut-être le film le plus noir de son auteur, puisqu'ici aucun sourire ne vient adoucir le noir tableau de la condition humaine qu'il dessine.

 

2e

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Conte de cinéma

Conte de cinéma est le sixième film de Hong Sang-Soo. Après la trilogie qui l'a fait connaître en occident, puis deux films ambitieux pour lesquels il a bénéficié de plus de moyens (Turning gate et La femme est l'avenir de l'homme), le réalisateur coréen conçoit ici son premier film dont la construction entière est basée sur un concept qui trouble le spectateur. Conte de cinéma inaugure ainsi une lignée qui aura de nombreux successeur dans la filmographie de Hong Sang-Soo (de Hill of freedom à Un jour avec, un jour sans).

Nous assistons dans la première partie du film à une histoire dont le sujet, le ton et la réalisation détonne légèrement par rapport aux autres films de HSS, même si on y trouve des thématiques habituelles du cinéastes (la lâcheté masculine, le suicide). Par exemple c'est la première fois que le zoom optique est utilisé, me semble-t-il.

Au milieu du film, on comprend qu'on vient de voir un film réalisé par un cinéaste qui est en train de mourir (les subtils décalages détectés sont donc normaux, puisque le film n'est pas de HSS !). L'actrice principale du film sort d'une salle de cinéma où elle regardait le même film que nous, et est suivie par un homme qui la drague, et lui révèle être celui qui a inspiré le personnage principal du film. S'en suit une seconde partie très sombre, peut-être une des plus noire de tout le cinéma de HSS, dans laquelle la femme s'avérera particulièrement dure.

Le film dans son entier semble marqué par l'emprise de la mort (suicide, maladie). Les mensonges et l'incompréhension entre les êtres humains semblent portés ici à leur maximum, et le sens de la vie s'échappe des mains des protagonistes comme du sable entre les doigts, sous l'ombre tutélaire de la tour de Séoul, qui ouvre le film et revient régulièrement tout au long de ce long-métrage.

D'un point de vue formel, le cinéma de HSS s'allège un peu dans Conte de cinéma. La durée diminue nettement, la touche est plus légère, même si elle reste cruelle. Il s'agit sans nul doute d'une des oeuvres pivots de la filmographie du coréen.

Intellectuellement très stimulant. 

 

2e

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Peur de rien

Après trois longs-métrages réalisés au Liban, Danielle Arbid tourne Peur de rien en  France. Bien qu'elle s'en défende, il est très tentant de voir dans ce récit d'initiation (et d'intégration) d'une jeune libanaise à Paris, une sorte de manifeste en partie autobiographique.

Sans être exceptionnel, Peur de rien séduit principalement par la fraîcheur de son casting et de sa réalisation.

La jeune Manal Issa, détectée lors d'un casting sauvage, apporte tout d'abord son innocence résolue au film. On a l'impression, et c'est probablement vrai, que l'évolution de son personnage suit en partie celle de l'actrice : d'abord volontaire et maladroite, puis de plus en plus sereine et assurée. Ces trois amants successifs sont joués par des acteurs formidables : Paul Hamy (qu'on verra exploser deux ans plus tard dans le très bon film L'autre continent), Damien Chapelle et enfin Vincent Lacoste, égal à lui-même.

A l'unisson de l'histoire et de son actrice principale, la réalisation est fraîche et enlevée, très proche de ses acteurs, multipliant prises de son directes, caméras subjectives, plans rapprochés. Certaines situations et seconds rôles apportent beaucoup de charme au film (Dominique Blanc en prof, India Hair en jeune royaliste).

Le résultat est un joli portrait de jeune fille devenant jeune femme, doublé d'un sensible récit autour du thème de l'intégration. 


3e

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Les sept de Chicago

Les sept de Chicago est l'expression parfaite du génie d'Aaron Sorkin. Si tout est bon dans ce film, ce sont le scénario, la construction et les dialogues qui le portent véritablement vers les sommets.  

Commençons par le sujet, tout à fait intéressant. Je ne connaissais pas cette histoire des émeutes en marge du Congrès démocrate de 1968. Au-delà de l'aspect anecdotique de la situation, il est absolument passionnant de considérer Les sept de Chicago à l'aune de la situation américaine actuelle.

Le casting du film est lui aussi impressionnant. Il ne repose pas sur quelques stars comme c'est parfois le cas, mais sur la qualité globale d'une vingtaine de personnes, et sur une complémentarité formidable entre les différents protagonistes.

Les péripéties et les dialogues, comme je l'ai dit plus haut, sont captivants. On connaît les qualités immenses d'Aaron Sorkin sur ce point (The west wing, Steve Jobs, The social network, Le grand jeu), mais il atteint ici un point d'incandescence parfait, parvenant à équilibrer le légendaire aspect "mitraillette" de ses dialogues et des scènes plus posées, voire lentes.

Enfin, et ce n'est pas la moindre surprise de ce film, la réalisation au sens large, bien que sobre, est de grande qualité.

Je ne peux donc que vous conseiller cet excellent film de procès, modèle du genre. Pour moi la meilleure exclusivité Netflix vue à ce jour.

Aaron Sorkin sur Christoblog : The social network - 2010 (**) / Steve Jobs - 2015 (**) / Le grand jeu - 2017 (***)

 

4e

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Lupin

Lupin, la nouvelle production Netflix au casting d'enfer (Omar Sy, Ludivine Sagnier, Clotilde Hesme, Nicole Garcia), se regarde avec plaisir, comme on lit une BD d'aventure ou on mange un paquet de Haribo.

L'écriture de la série, qu'on doit au britannique George Kay, est assez élégante. L'idée du fan d'Arsène Lupin qui s'inspire des aventures de son héros pour concevoir ses propres actions est bien vue, et les trois premiers épisodes de la première saison se dévorent. Chacun de ses trois épisodes adopte un style dans lequel Omar Sy se glisse  avec délectation (film de casse, de prison, de séquestration), sur un ton léger et enlevé, qui parvient à être agréable sans être parodique.

Le quatrième épisode est superflu et franchement mièvre, et le cinquième est un épisode de transition qui nous laisse sur notre faim. J'attends la suite avec impatience : la question principale est de savoir si Kay va parvenir à maintenir le délicat équilibre que cette première partie propose, entre spectaculaire et intime, nostalgie et modernité. Je suis curieux de voir également comment certains personnages vont se développer ou non (Claire, Juliette, Benjamin).

La mise en scène est typique des productions Netflix : efficace, balisée, tape à l'oeil et utilisant plus de drones que nécessaire. A noter que Marcela Said (Mariana, L'été des poissons volants) a réalisé deux épisodes, ce qui est très étonnant. 

Lupin est un divertissement sans prétention, dans lequel Omar Sy fait merveille. La série est parfois gentillette, voire simpliste. Elle use de ficelles parfois grossières, mais il s'en dégage une atmosphère rétro et bon enfant qui n'est pas désagréable, et procure un plaisir régressif. 

 

2e

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Les derniers jours d'une ville

Sorti en 2017, ce film de l'Egyptien Tamer El Saïd est une curiosité a bien des égards. Il est passé par la Berlinale et a remporté la récompense suprême au Festival des 3 Continents de Nantes.

Sa première particularité est de présenter tous les atours d'un documentaire, ou du moins d'une auto-fiction, alors qu'il est entièrement scénarisé.

On suit un cinéaste qui cherche à changer d'appartement dans une ville du Caire pré-inserructionnelle. On croise sa mère gravement malade, sa copine qui part à l'étranger et des copains qui vivent dans d'autres villes (Berlin, Beyrouth, Bagdad). 

Le film est déroutant dans le rapport ambigu à la réalité qu'il entretient. Il n'est pas facile par exemple dans un premier temps de démêler ce qu'on voit à l'écran : le film lui-même ou les images du film autobiographique que le cinéaste est en train de tourner ?

Après une demi-heure, on a compris le principe du film, et on peut alors apprécier pleinement ce beau portrait du Caire, à la fois sous l'angle de la vie quotidienne (les cafés, les mendiants, les immeubles) et sous l'angle de la prémonition politique (la répression policière, l'islamisme qui s'infiltre partout, y compris dans les ascenseurs...). Les derniers jours d'une ville fourmille également de multiples détails qui intriguent et interpellent (une femme récurrente avec des fleurs blanche comme chez Kieslowski, l'aspect kafkaïen des visites d'appartement). 

Il se dégage de ce joli film ambitieux une douce mélancolie parfois un peu apprêtée, mais au final plutôt agréable.

 

2e

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Soul

Fut un temps où chaque nouveau Pixar parvenait à nous surprendre. 

Ce n'est plus réellement le cas aujourd'hui.

Même si Soul est agréable, il suit un chemin désormais bien balisé et facilement attribuable à la "patte" Pixar : une animation irréprochable à la pointe de la technique numérique (certains objets ont une apparence de réalité totale), une intrigue qui mêle habilement humour et considérations métaphysiques, et enfin une tentative de faire surgir en nous de profondes émotions liées à l'enfance. 

Les aspects métaphysiques sont ici assez limités. Il est vaguement question de ce qu'est l'âme, mais le sujet n'est qu'effleuré pour être rapidement remplacé par un ressort plus classique de changement de corps.  Quant aux émotions, qui faisaient tout le sel de Vice versa ou de Toy story par exemple, elles se résument à des poncifs assez éculés : l'amour d'une mère, le don de soi, la peur de mourir. 

La philosophie générale du film se résume à un banal (et un peu niais) "C'est beau la vie, profitons-en", énième revisitation du carpe diem, ce qui est un peu court.

Ces réserves étant faites, le savoir-faire est toujours là. Certaines scènes sont très réussies (celle du coiffeur par exemple), l'animation de l'au-delà est assez originale et les personnages sont globalement sympathiques. Les scènes de musique sont jolies (mais moins réussies que dans Coco), la construction du film habile. L'atmosphère new-yorkaise est particulièrement bien rendue.

Un divertissement honorable, pour moi toutefois en retrait de la moyenne des productions Pixar. 

 

2e

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Les affameurs

Deuxième des cinq westerns ayant réuni James Stewart et Anthony Mann, Les affameurs est une réussite. 

Il faut tout d'abord signaler le formidable décor que constitue l'Oregon, dans lequel est tourné une majorité du film, et en particulier le mont Hood, autour duquel les protagonistes semblent tourner, comme s'il y avait un esprit tutélaire dans cette montagne à la silhouette très particulière de petit mont Fuji.

Le rôle de méchant, joué par l'excellent Arthur Kennedy, est l'autre point fort de ce western rigoureusement classique. Il présente la particularité d'être pendant toute la première moitié du film absolument adorable, alter ego séduisant du gentil joué comme d'habitude par le gracile James Stewart. Les points communs entre ces deux personnages "miroirs"  (un passé identique, un amour partagé, un courage équivalent) donne beaucoup d'intérêt au début du film, et l'intérêt dramatique de l'intrigue est renforcé par le fait qu'ils se sauvent la vie mutuellement plusieurs fois. 

Les affameurs a donc une structure de drame épuré : décors signifiants dans lesquels on sent viscéralement les difficultés rencontrées par le convoi de pionniers, personnages complexes qui finissent par s'opposer dans un conflit fratricide, mise en scène inspirée (quelle séquence époustouflante dans la ville en proie à la fièvre de la ruée vers l'or !).

La deuxième partie, plus conventionnelle, m'a un peu moins plu, même si la poursuite invisible qu'effectue le personnage joué par Stewart a un aspect résolument moderne, et presque fantastique.

Un beau western.


3e

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Le jeu de la dame

Sensation surprise de l'année 2020, la mini-série Netflix consacrée à une jeune prodige des échecs dans les années 50 permet de passer un bon moment.

L'histoire est sympathique, bien qu'archi-rebattue (une vocation et une faiblesse, des apprentissages, des échecs, puis l'atteinte du graal). L'écriture ne brille pas par son originalité, et la réalisation est très sage, avec cet aspect propret et académique qui caractérise les produits Netflix.

Ce qui explique probablement le succès de la série, au-delà de l'aspect exotique du jeu d'échecs, c'est l'incroyable prestation de la jeune actrice Anya Taylor-Joy, qui crève l'écran. C'est peu dire que l'intérêt qu'on éprouve à regarder Le jeu de la dame réside principalement dans sa frimousse d'écureuil, son étude résolue et son allure déliée.

Les scénaristes ont bien aidé Anya Taylor-Joy en affublant son personnage d'une faiblesse qui la rend plus humaine, en développant son personnage dans une optique résolument féministe et en l'entourant d'un casting de seconds rôles exceptionnels, dont l'excellente Chloe Pirrie. Il faut également reconnaître que les décors sont magnifiques, et que les péripéties échiquéennes sont assez bien rendues à l'écran.

Un divertissement sans aspérité.

 

3e

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Hill of freedom

Hill of freedom marque dans la filmographie de Hong Sang-Soo le début d'un travail intense sur la destruction de la trame logique et temporelle de la narration, qui culminera dans ses deux films suivants, Un jour avec, un jour sans, puis plus encore Yourself and yours.

Ici, le montage obéit à un concept ludique assez bien trouvé  : une femme lit une longue lettre, les feuilles tombent dans un escalier et les scènes vont être assemblées dans cet ordre aléatoire. 

Le résultat est stimulant intellectuellement. S'il n'est pas très difficile de "recoller" les différents éléments de l'histoire pour en faire un tout cohérent, le procédé apporte au film une coloration légèrement décalée, qui est très agréable, renforcée par le caractère étrange de certains dialogues métaphysiques (sur le temps par exemple). L'aspect ludique de la construction du film va jusqu'à inclure (si je puis dire) des scènes "manquantes" (comme la bagarre), ou des rêves, pour mieux nous égarer.

Le sujet du film est probablement l'incommunicabilité entre les êtres humains (et surtout entre les hommes et les femmes), comme souvent chez HSS. Tout amène ici les protagonistes à mal se comprendre : le problème de la langue (le personnage principal est japonais et ne parle pas coréen), les malentendus, les occasions manquées, les histoires avortées.

Le cinéma du coréen trouve ici une expression quasiment parfaite dans sa forme : légère comme une fugue de Bach, ne s'encombrant d'aucun effet accessoire, parfaitement maîtrisée dans sa structure dépouillée. Les personnages du film semblent être des mouches se heurtant obstinément à une vitre, et une sorte de nihilisme forcené émane de Hill of freedom

 

3e

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The crown

On peut s'intéresser à la série The crown à trois niveaux différents.

Le premier est le contexte historique de l'Angleterre, et de sa place dans le monde, au fil des années. On découvre ainsi, si on est comme moi assez ignorant sur le sujet, les subtilités de la crise du canal de Suez, la valse des premiers ministres ou le fonctionnement étrange du Commonwealth.

Le deuxième niveau, ce sont bien sûr les anecdotes à propos de la famille royale. La découverte dans ce domaine, c'est que l'histoire des Windsor est plus proche de Détective que de Point de vue. En vrac, dans ce cercle familial élargi, on découvre des cousins nazis, une mère schizofrène nonne dans un monastère orthodoxe, des handicapés mentaux déclarés morts, des alcooliques, des pulsions de mésalliance, des abdications mal digérées, des pervers malfaisants, des troubles psychologiques de différente nature, des intrusions nocturnes, des morts violentes, des adultères en tout genre.

Enfin, le troisième niveau, qui est bien sûr le sujet principal de la série, ce sombre coeur qui palpite en son centre, c'est la royauté, qui justifie tout et n'excuse rien. La série réalise ce prodige de nous faire croire que quelque chose de spécial émane de ce ramassis d'idiots méprisants et d'incapables congénitaux, un mélange d'honneur dont on ne connaît plus le sens, et d'impassibilité éternelle (la reine ne subsiste qu'en en faisant le moins possible).

La réalisation de The crown est typique des productions Netflix : un peu engoncée, très formatée et pour tout dire parfois de mauvais goût. Alors que le plus souvent ces défauts nuisent aux séries concernées (Stranger things, La casa de papel), ils l'enrichissent plutôt ici : les moeurs sont ici immorales, mais elles sont filmées avec une solennité qui colle parfaitement à l'image de la famille royale, mais non à ses pratiques dissolues.

Chaque épisode est centré sur une thématique ou une anecdote et se concentre pratiquement sur ce seul sujet. C'est une écriture très spéciale, qui a peu d'équivalent à ma connaissance dans les séries modernes, et qui donne ce résultat rare de produire des épisodes ennuyeux dont on pourrait se passer, et des chefs-d'oeuvres comme ce sublime épisode 3 de la saison 3, centré sur la catastrophe d'Aberfan au Pays de Galles, digne d'un grand film.

C'est sûrement ce mélange étonnant de profondeur historique, de roman-photo, de film noir et de belles images (les voyages de Philip sont en particulier magnifiquement filmés) qui rend la série si addictive. Le casting est également impérial, Claire Foy et Olivia Coleman en tête. Les spécificités de la saison 4, avec l'introduction de deux personnages majeurs (Margaret Thatcher et Lady Diana), ne modifient en rien ce que je pense de la série.

Un régal.

 

4e

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