Le nouveau film de Patricia Mazuy commence plutôt bien. On est à la fois intrigué et charmé par la rencontre entre la bourgeoise Huppert et la prolo Herzi (je caricature à dessein, car le film, d'une certaine façon, le fait aussi).
Malheureusement, le charme n'opère que quelques minutes. La mise en scène lourdingue, le scénario écrit avec des moufles (François Bégaudeau fort peu inspiré sur ce coup), l'invraisemblance des situations (la scène de cambriolage est l'une des plus ridicules vues depuis longtemps), le manque de connivence entre les deux actrices, l'accumulation de clichés et de caricatures, le manque de relief des personnages secondaires, rendent assez rapidement le film insupportable.
D'une comédie légère est pétillante, Patricia Mazuy passe à un thriller social auquel on ne croît pas : c'est un échec complet.
Il faut une sacrée assurance à Elise Girard pour proposer ce film étrange, dans lequel il ne se passe pas grand-chose et qui ne propose finalement que la juxtaposition de deux paysages désolés : celui extérieur d'un Japon comme déserté et celui intérieur, composé par une Isabelle Huppert endeuillée plus huppertienne que jamais.
De cette confrontation, dans laquelle l'acteur Tsuyoshi Inara semble faire partie du paysage, il ressort un sentiment de douce morbidité : le mort s'efface progressivement dans une jolie mise en scène, pour que la vie se ré-immisce dans la vie de Sidonie.
Tout cela est mené tambour mollissant, si je puis dire, dans des Limbes grisâtres, hall d'aéroport désert, hôtels tout droit sortis de Shining, séances de dédicaces diaphanes et interviews irréelles.
Sidonie au Japon est beau parce qu'imparfaitement lugubre. Malgré tous ses efforts pour amener la désespérance à un point d'incandescence, il parvient à nous émouvoir par la seule force de la mise en scène.
Ce nouvel opus de François Ozon est une sucrerie acidulée et colorée.
Une pièce de théâtre oubliée et un peu ringarde des années 30 est ici le véhicule d'un propos délibérément dans l'air du temps, important sur le fond (les femmes actrices de leur accomplissement, contre les hommes en majorité malfaisants) et léger sur la forme (les personnages sont réduits à des silhouettes, les jeux de mots approximatifs pleuvent à volonté, le film est émaillé de citations cocasses).
Il ne faut donc chercher ici ni profondeur psychologique, ni mise en scène ébouriffante, ni écriture élaborée : nous sommes dans un monde de carton-pâte dans lequel chaque acteur/trice fait son petit numéro, par ailleurs convaincant dans l'ensemble, dans un registre qui relève plus du théâtre de boulevard que du film d'auteur. Les artifices de mise en scène (les inserts en noir et blanc, les coupures de journaux du générique de fin) relèvent clairement du burlesque.
L'ambiance est donc à l'amusement, et la dose de poison et de mauvais esprit qu'Ozon aime instiller habituellement dans ses films est ici très, très légère. J'avais pour ma part préféré Potiche, dans le genre "numéro d'acteur + guimauve + comédie noire".
Mon crime est un divertissement honorable devant lequel il est légitime de sourire, et qui a également le mérite de mettre sur le devant de la scène deux grandes actrices, Rebecca Marder et Nadia Tereszkiewicz (un couple à la Audrey Hepburn / Marylin Monroe), qu'on n'a pas fini de voir sur les écrans.
La syndicaliste s'essaye à plusieurs styles, mais ne parvient à être convaincant dans aucun d'entre eux.
Le film esquisse par exemple une explication de l’imbroglio ayant impliqué Areva et EDF, mais la façon dont le scénario survole les enjeux de ces grandes manœuvres n’aide en rien la compréhension des évènements. Il n'est donc pas un bon film politique.
La syndicaliste dresse également le portrait d’une militante de la CFDT dans l’exercice de son métier, mais c’est peu dire qu’Isabelle Huppert approche ici le degré 0 de la crédibilité : on a l’impression que le métier de syndicaliste consiste à répondre au téléphone, faire des effets de manches et se dorer la pillule au bord du lac d’Annecy dans une maison dont la valeur doit approcher les deux millions d’euros au bas mot.
Alors peut-être le film est il un thriller métaphysique qui montre à quel point la vérité est difficile à saisir ? Cela aurait pu être le cas, à condition de ménager un suspens plus équilibré jusqu’à la fin du film, par exemple en prêtant à l'enquêteur un comportement un peu moins antipathique (Pierre Deladonchamps est plus caricatural que jamais en méchant flic).
Tentons une dernière hypothèse : La syndicaliste serait avant tout un beau portrait de femme. Cela aurait été à mon avis le meilleur film à faire, mais il aurait fallu une interprète plus subtile qu’Isabelle Huppert, qui ne sait plus jouer qu'elle même en train de jouer l'inflexibilité résolue.
Au final, voici le film que j'ai vu : l’illustration maladroite d’un fait divers passionnant, assez mal réalisée et souffrant d'un problème de rythme, recouverte d’un vernis politico-féministe inoffensif.
Je n'ai pas grand-chose à reprocher au film de Thomas Kruithof, si ce n'est peut-être un petit manque de crédibilité dans le jeu d'Isabelle Huppert (elle est très mauvaise dans l'exercice du discours) et une facilité dans l'écriture de certains passage (par exemple le dénouement).
Pourtant je n'ai pas été complètement enthousiasmé par Les promesses. J'ai très souvent eu l'impression d'être devant un épisode de Baron noir, en moins cynique et sans beaucoup plus de moyens.
J'ai suivi, c'est vrai, avec un certain plaisir les vicissitudes de cette maire de banlieue (c'est d'ailleurs un des intérêts du film de donner à voir la vie des quartiers sans drogue et sans violence), et peut-être encore plus les états d'âme de Reda Kateb, parfait comme d'habitude.
Un bon film sur l'exercice de la politique, auquel je préfère toutefois l'indépassable L'exercice de l'Etat de Pierre Schoeller.
Ce Chabrol commence très bien, installant un trouble diffus dont on peine à saisir l'essence, dans un style on ne peut plus hitchcockien.
J'ai été charmé par le jeu à la fois pesant et précis d'Isabelle Huppert, par la goujaterie élégante de Dutronc et la jeunesse éclatante d'Anna Mouglalis. La première partie du film laisse deviner de multiples interprétations possibles de la réalité, et tous les évènements peuvent signifier plusieurs choses.
Malheureusement, Merci pour le chocolat abandonne tout à coup son ambiguïté initiale pour finalement dévoiler le coeur de son intrigue. Sa légèreté froide et distinguée disparaît brutalement, et le film devient subitement plus lourd, didactique et pour tout dire moins intéressant.
La mise en scène, au diapason de son scénario, évolue d'une sobre virtuosité (pas courante chez Chabrol qui ne se distingue pas habituellement par ses cadres et ses mouvements de caméra) à une démonstrativité qu'on aurait aimé éviter (à l'image de la dernière sortie nocturne en voiture, filmée et écrite avec des gants de boxe).
Un bon cru au total tout de même, notamment grâce à la performance d'Isabelle Huppert.
Claude Chabrol sur Christoblog : Bellamy - 2009 (*)
Autant le dire tout de suite, je ne partage pas l'enthousiasme collectif autour de ce film de Bertrand Tavernier.
Bien entendu, Coup de torchon n'est pas sans intérêt. La prestation hallucinée de Philippe Noiret restera un de ses rôles les plus forts, mélange parfois irrésistible de bêtise benoîte et de méchanceté candide.
Au chapitre des incontestables points forts du film, il faut également signaler l'incroyable "génie du lieu", qui permet à Tavernier de proposer ici des décors naturels qui sont aussi importants (voire plus) que les personnages du film. Le scénario, adapté de Jim Thompson, est également très plaisant : tordu, complexe et ample.
Mes réserves maintenant. Si Noiret est incontestablement bon, je trouve que les autres personnages, réduits à de simples caricatures grimaçantes, nuisent à la densité dramatique du film. Eddy Mitchel, Jean-Pierre Marielle, Guy Marchand, Stéphane Audran sont volontairement dans l'excès et donnent au film, au travers de scènes qui sont elle-mêmes sur-écrites, une connotation de parodie cartoonesque qui dénote avec la prestation de Noiret.
La mise en scène de Tavernier ne me convainc pas non plus dans le film : désordonnée, redondante, parfois maladroite et globalement assez datée. Le montage enfin m'a semblé lâche, et le film un peu long.
Coup de torchon brille par sa noirceur et sa singularité dans le cinéma français : c'est une curiosité qui mérite d'être vue et permet tout de même de passer un bon moment.
Dans la filmographie de Hong Sang-Soo, La caméra de Claire fait figure d'oeuvre mineure. Tourné en quelques jours, sans prétention métaphysique, morale ou esthétique, le dernier film du prolifique coréen brille par sa modestie délicieuse.
Je retrouve du coup le plaisir (un peu perdu ces derniers temps) de me laisser bercer par la petite musique habituelle de Hong Sang-Soo : zoom dès le premier plan du film, homme infect et femmes finalement remarquables, alcool, éléments récurrents (ici le chien), etc.
Sous l'apparence lâche de l'intrigue et l'aspect décousu du montage, se dissimule une rigueur dans le scénario qui se révèle dans les derniers plans. L'atmosphère irréelle des ruelles cannoises filmées en marge du Festival contribue pour beaucoup à la tonalité du film, fable spleenétique et rohmérienne, exercice de style minuté à la seconde : le film dure 1h et 9 minutes, et on redécouvre qu'un film court, c'est délicieux.
Kim Min-Hee parvient en un seul plan à exprimer toute une série d'émotions délicates, alors que sa compatriote Jang Mi-Hee lui donne parfaitement la réplique. Isabelle Huppert, affublée d'un affreux chapeau et d'une bonhommie innocente et légèrement surnaturelle, est parfaite - la candeur lui va presque mieux que la perversité.
Il faudra cette fois-ci être encore plus de mauvaise foi que d'habitude pour dire du bien du nouvel Haneke.
Creux et vain, moche et ennuyeux, Haneke sombre progressivement dans l'auto-citation (la référence à Amour dans la bouche du personnage joué par Trintignant) et la caricature de son propre cinéma.
J'ai eu envie à Cannes (et je n'étais pas le seul, toute la salle était crispée et tendue) de lui hurler : mais réveille-toi, nom d'un chien, renouvelle-toi, ose un peu quelque chose de nouveau !
Avant Haneke perturbait, maintenant il ennuie. Aucun des personnages de Happy end ne nous intéresse. Plusieurs scènes sonnent faux à un point que cela en devient gênant ou risible (comme la visite de l'inspecteur du travail sur le chantier : on voit bien qu'Haneke ne sait pas ce qu'est un chantier, un travail, et donc a fortiori un inspecteur du travail).
Le pire est le traitement réservé aux migrants, lamentable de hauteur condescendante. Ce sont alors des tombereaux d'insultes qu'on a envie de déverser sur la pose du réalisateur.
Minable.
Michael Haneke sur Christoblog : Le ruban blanc - 2009 (**) / Amour - 2012 (**)
Il est assez rare de voir un film français entremêler aussi habilement différents genres.
En suivant les premiers pas de Nora dans son nouveau job, on se demande à quoi on est en train d'assister : une description d'un certain milieu d'affaire où les intérêts financiers priment sur toute autre considération, une success story de jeune femme dans un monde de mâles dominants ?
Quand le personnage du père de Nora entre en scène (Bacri qui joue le misanthrope plus qu'il ne l'a jamais fait, c'est vous dire), on ne comprend vraiment plus : le film semble devenir une comédie dramatique familiale.... d'autant plus qu'une histoire d'amour contrariée avec l'énervant Vincent Lacoste vient en plus polluer le propos.
En faisant progresser à grand coup d'ellipse son film, Pascal Bonitzer flirte même avec le genre fantastique (le chien, les ouvriers plonais), avant de revenir progressivement à une résolution d'intrigue assez sage, concluant un exercice qui, à défaut d'être renversant, est très agréable à suivre.
Il faut signaler comme point fort du film, l'incroyable casting, avec des performances renversantes de Lambert Wilson, Isabelle Huppert et Pascal Greggory.
Cela faisait bien longtemps qu'un film ne m'avait pas autant captivé, de sa première image, un plan inoubliable sur le regard d'un chat, à la dernière.
La grande réussite de Elle, c'est ce pouvoir, complètement perdu dans la plupart des films d'auteur aujourd'hui, de surprendre son spectateur de plusieurs façons différentes.
L'intrigue d'abord, particulièrement tordue, et dont je ne dévoilerai rien, qui multiplie les surprises et les coups de théâtre. Je ne parle pas ici de la principale ligne narrative, somme toute prévisible, mais de toutes les autres : la relation au père, les intrigues dans l'entreprise de jeux vidéo, l'évolution des relations entre les personnages, la relation au fils.
Les réactions de Michèle, le personnage principal, constituent le deuxième facteur d'étonnement du film. J'ai été complètement bluffé par Isabelle Huppert, qui ici sublime son rôle dans un style qui lui colle à la peau : on ne sait jamais ce que cette diablesse va inventer.
On aura rarement vu un personnage féminin plus décapant, plus intransigeant et plus désirant que celui-ci. Ce qu'elle dit est souvent en même temps plein de bon sens et profondément dérangeant.
Verhoeven, par ses choix de montage et de mise en scène, accentue au maximum tous ces effets et dynamite littéralement une certaine qualité française dans son film : il coupe court des scènes qu'on s'attend à voir durer, il en invente d'autres qu'on se dit n'avoir jamais vu (le sang dans la mousse de la baignoire), il construit des rapprochements improbables.
Elle est donc un film qui ne respecte rien, si ce n'est l'irréfragable liberté de son personnage principal. C'est jouissif.
Il y a une sorte de masochisme dans mon activité de blogueur : me forcer à aller voir des films de réalisateurs/trices, dont j'ai abondamment détesté tous les films (voir ci-dessous). Appelons ça conscience professionnelle, ou conviction optimiste qu'on n'est jamais à l'abri d'une bonne surprise.
Avec son nouveau film, Ours d'argent à Berlin, Mia Hansen Love, réussit presque à me conforter dans ma position : je n'ai pas détesté (pour une fois) L'avenir, même si je n'irais pas jusqu'à dire que je l'ai aimé.
Isabelle Huppert joue ici comme joue habituellement Isabelle Huppert : en imitant Isabelle Huppert. Port de tête magnifique, dos bien droit, hésitation bien amenée dans les dialogues, menton en galoche parfois pointé vers le haut, habile jeu avec la commissure des lèvres, air surpris un peu idiot et compassé ("Et moi qui pensais que tu m'aimerais toujours"). Bref, comme d'hab.
La pauvre Isabelle (en fait son personnage s'appelle Nathalie, mais ce prénom ne va pas du tout à Isabelle) passe par bien des malheurs dans le film : son mari la quitte, sa mère meurt, un jeune étudiant qu'elle admire la déçoit, son éditeur la vire. Mais comme elle est proche de philo, elle trouve du réconfort chez Lévinas ou Jankélévitch. Et puis elle est grand-mère et le bébé a un très beau sourire.
Voilà.
Je ne sais pas trop vous dire d'autre, parce que le film ne se distingue pas par un trait particulier. Il est plutôt agréable à regarder, le sentiment du temps qui passe est assez bien rendu (c'est la principale qualité de Mia Hansen-Love). J'ai juste eu souvent l'impression que les personnage ne parlait pas au bon moment, de telle façon que la musique des dialogues chez Mia Hansen-Love semble toujours sonner faux à mes oreilles.
A la fin du film, je me demandais quel était le propos et l'intérêt du film. Ce n'est pas bon signe.
Voilà un film qui hésite sur ton titre. Ce n'est pas bon signe.
Louder than bombs à Cannes, assorti à une drôle d'affiche de personnes faisant du trampoline : le marketing du nouveau film de Joachim Trier ne m'avait pas convaincu sur la Croisette.
Transformé désormais en Back home avec une affiche beaucoup plus consensuelle (Isabelle Huppert y est bien visible), le film ne m'enthousiasme pas plus.
A vrai dire, c'est un calvaire pour moi d'écrire du mal d'un film dont j'attendais un éblouissement intégral. Je résume : l'opus précédent de Trier, Oslo, 31 août, est un film merveilleux, un des chef d'oeuvre du XXIème siècle. Je me présente à Cannes, le 18 mai 2015, le coeur tout ébouriffé d'une émotion prête à éclore, et je vois, je vois... un pensum d'une grande complexité, mêlant toutes sortes de thématiques fort différentes, mais n'atteignant à aucun moment ni la perfection plastique, ni l'émotion irréfragable, que procurait Oslo.
Certes la mise en scène est toujours élégante, mais elle ne parvient à aucun moment à me faire entrer dans le film. Gabriel Byrne adopte comme à son habitude l'expressivité de l'huitre en fin de vie. Isabelle Huppert semble à côté de son rôle, à moins que son rôle soit d'être "à côté", mais dans les deux cas, ce n'est guère passionant.
Le film regorge de thématiques dont une seule aurait suffi à faire tout un film : blues du jeune père, émois adolescents, révélation tardive d'adultère... De cette accumulation étouffante de pathos résulte un sentiment de trop-plein : on a envie de supplier Joachim Trier de retrouver cette distinction superbe d'Oslo.
Trop sage, trop désireux d'être parfait, Back home laisse son scénario gargantuesque étouffer les talents de son réalisateur. Dommage.
Asphalte est au cinéma ce que les chatons sont à Internet : ça ne fait de mal à personne et beaucoup sont prêts à aimer (le "c'est trop mimi ! " se transformant ici en "un véritable coup de coeur ! ").
Le film est un brouet de bons sentiments qui s'auto-exaltent dans un décor de banlieue parsemé d'habitants hébétés, ce qui permettra à quelques critiques de s'exclamer "On n'a jamais filmé les cités comme ça ! "
D'abord, le mec désagréable et dans la lune, Gustave Kervern, reprend son rôle de Dans la cour. Comme la vie est bien faite, il sera puni de sa mauvaise action initiale, puis il rencontrera par hasard une infirmière désespérée (mais qui revêt les traits d'une grande bourgeoise de Valeria Bruni Tedeschi). La vie est belle : il s'inventera photographe et se lèvera de son fauteuil roulant (miracle de l'amour !) pour une marche zombiesque d'un ridicule extrême.
Ensuite, une actrice sur le retour (Isabelle Huppert, follement crédible) séduit platoniquement un jeune homme qui boit du lait et n'aime pas les films en noir et blanc, mais les aime quand même au final, parce que tu vois l'actrice est jolie quand elle est jeune, et le cinéma ça peut être bien quand l'histoire est bien. Même en noir et blanc. Vous voyez la légèreté du truc.
Et enfin, un cosmonaute américain atterrit chez une maman arabe qui lui fait sa meilleure recette de couscous. Comme elle lui donne le maillot de l'OM de son fils, alors l'américain est heureux et lui répare une fuite d'eau. Mais il n'y arrive pas. Alors un hélicoptère de la NASA vient le chercher dans la cité (sans se faire caillasser).
Voilà. Tout cela serait simplement mauvais si l'emballage n'allait piocher insidieusement chez plusieurs auteurs : la façon de filmer la ville chez Kaurismaki, le décalage chez le trio Gordon/Abel/Romy, le personnage joué par Kervern chez Salvadori, l'aspect grinçant des premières scènes justement chez le duo Délépine/Kervern, les plans fixes de personnages mutiques chez Roy Andersson, etc.
Du coup Asphalte n'est pas simplement un navet, il en devient une escroquerie intellectuelle.
Impossible de regarder Depardieu sans voir l'histrion bouffonique pro-Poutine, anarchiste de droite et bonbonne vivante.
Toujours est-il, quoiqu'on pense du bonhomme, que le personnage qu'il joue dans le film de Guillaume Nicloux est diablement émouvant : patient, rationnel et bienveillant. Isabelle Huppert est elle planante, subtile et craquelée.
Leur rencontre, dans des décors qui sont prodigieusement suggestifs, est tout à fait surprenante. Quels paysages ! S'il y a un endroit où le doigt de Dieu peut se matérialiser, c'est bien la Vallée de la Mort. On ne s'attend à rien de ce qui nous est proposé, et c'est bien l'intérêt du film : ce que construit Guillaume Nicloux est une rêverie épurée qui fonctionne très bien.
Le montage est alerte, il y a une sorte de magie qui transpire du film, une volonté de croire de façon "rationnelle" à l'incroyable, sans scepticisme idiot. Les dialogues sont superbement écrits, les lettres sont merveilleuses, le ton du film est incroyablement juste. On a envie d'y croire.
Le fantastique est nulle part, mais les signes étranges sont partout : tête de chien, jeune fille sur le court de tennis, nains.
Quand Depardieu s'exclame "Bien sûr qu'on est responsables...", l'histoire du personnage entre irrésistiblement en phase avec l'histoire de l'acteur (et de son fils, ... Guillaume), et le film apparaît alors pour ce qu'il est : un documentaire sur l'acteur.
Valley of love vaut finalement par ce qu'on pouvait en craindre : il est d'un parfait bon goût, alors qu'on attendait le pire.
Présenté par certains comme le renouveau de la comédie française, Tip top s'avère au final en être plutôt le fossoyeur.
Le titre d'abord : il faut oser appeler son film Excellent, Super, Formidable ou Tip Top. Mieux vaut assurer, et être certains que les spectateurs ne sortiront pas de la salle en pensant comme moi : " Il aurait pu appeler son film : Nul, Caca ou Mauvais ".
Les acteurs et actrices ensuite : Huppert fait du super Huppert en perverse sadique, Kiberlain fait du super super Kiberlain, en ingénue timide et voyeuse, Damiens fait du Damiens extra. Bref, vous l'avez compris, Serge Bozon demande à chaque acteur d'accentuer ses propres travers en espérant en tirer un effet comique, et cela ne fonctionne pas. Les personnages ne sont que des caricatures, résumés à un de leur trait particulier, et qui ne semblent jamais intéragir entre eux.
Le scénario est incompréhensible (même Damiens, dans une interview, avoue ne pas avoir compris ce qu'il tournait), et Tip top se résume bien trop souvent à une suite sans rythme de vignettes mal filmées, sans lien entre elles.
Le film est bourré d'intentions un peu hypes et souvent désagréables, comme la photographie, volontairement très frontale, avec des éclairages plats et artificiels, sans profondeur de champ, qui donne à l'oeuvre une esthétique de fond de tiroirs télévisuels un peu sale. Le vague sujet des relations entre la France et l'Algérie est massacré sous prétexte d'être abordé sous un angle nouveau.
Tip top est un produit snob, qui ne se respecte pas lui-même.
La belle endormie est construit autour d'un fait divers qui a divisé l'Italie : l'histoire d'Eluana Englaro, jeune fille plongée dans le coma depuis 17 ans, que son père a décidé de "débrancher", provoquant la colère du Vatican et moult débats, y compris au Parlement, tenté de légiférer en urgence.
Marco Bellocchio ne montre à aucun moment Eluana ou sa famille, mais construit une fiction ample et romanesque autour de plusieurs personnages en rapport avec cette affaire, mais sans liens entre eux : un sénateur, sa fille, un couple de frères dont un est bipolaire, un médecin, une droguée, une actrice dont la fille est également dans le coma (splendide Isabelle Huppert).
On suit avec intérêt l'évolution de tous ces personnages, qui en quelques jours traversent plusieurs états d'âme, et doivent faire face à des décisions fondamentales, de plusieurs types.
Même si les histoires sont d'intérêt très inégal, j'ai été franchement séduit par la mise en scène de Bellocchio (on pense parfois à l'Almodovar de Parle avec elle, évidemment), et par l'intensité qu'il réussit à donner à certaines scènes. Alba Rohrwacher m'a tapé une fois de plus dans l'oeil, son interprétation est à la fois fine et dense.
Le film est aussi clairement politique, et profondément critique envers l'influence de la religion catholique. Certaines scènes sont édifiantes, comme celle dans laquelle on voit les sénateurs suivre les débats de leur sauna, comme directement sortis de la Rome antique.
Bellocchio parvient à évoquer bien d'autres sujets que l'euthanasie, et réussit un film bancal, singulier, un peu trop éparpillé, mais finalement aimable.
Les lignes de Wellington aurait pu être un film de Raoul Ruiz, puisque ce dernier y a travaillé avant de disparaître, mais c'est finalement un film de Valeria Sarmiento, la compagne du maître.
Le film nous transporte au début du XIXème siècle, durant la guerre opposant le Portugal, aidé des anglais, aux troupes napoléoniennes du général Masséna.
Le récit est très curieusement agencé, puisqu'on fait successivement connaissance avec une quinzaine de personnages qui semblent n'avoir aucun rapport entre eux, avant que leur destinée ne se rejoignent subtilement (et très partiellement).
Le scénariste Carlos Saboga tisse le même genre d'entrelacs savants qui faisaient le charme des Mystères de Lisbonne, d'une façon toutefois plus intellectuelle et moins romanesque que dans le chef d'oeuvre de Ruiz. On est ici plus du côté de Perec que de celui des Mille et une nuits ou d'Alexandre Dumas.
La réalisation de Valéria Sarmiento est souple, classique, mais il faut le dire, sans les éclairs de génie et les travellings de folie de son défunt mari. L'ambiance morbide et cruelle de l'exode est toutefois envoûtante, et on a rarement vu un film de guerre aussi long (2h31) sans y entendre quasiment un coup de fusil. Les ruptures de ton orientent l'oeuvre dans sa deuxième partie vers une farce languide et par moment désespérément noire : toutes les femmes (même vieilles, même mortes) semblent devoir y être violées, et par les deux camps s'il vous plait.
Un film hors norme, une curiosité dans laquelle quelques stars viennent, parfois brièvement, saluer le maître Ruiz : Catherine Deneuve, Michel Piccoli, Isabelle Huppert, Melvil Poupaud, Mathieu Amalric, Elsa Zylberstein, Marisa Paredes, John Malkovitch.
Les fidèles lecteurs de Christoblog savent combien j'apprécie le petite musique de Hong Sang-Soo.
C'est donc avec une émotion particulière que j'attendais à Cannes la projection d'In another country en sélection officielle, en me demandant si la greffe Isabelle Huppert allait fonctionner
Et la réponse est oui, l'actrice française s'intègre parfaitement à l'univers si particulier du Woody Allen coréen.
Le principe du film frôle le génie : trois histoires différentes, un même lieu, des anecdotes similaires (l'héroïne cherche toujours un phare), des bouts de dialogues identiques. Isabelle Huppert joue avec beaucoup de talent successivement une réalisatrice de cinéma, une européenne qui attend son amant coréen et une femme qui voyage avec son amie.
Si les péripéties de chacun des tryptiques sont somme toute négligeables, c'est que pour une fois la forme prévaut sur le fond. La mise en parallèle de ces trois histoires réinterroge brillament les thèmes chers au réalisateur : les relations hommes / femmes, les diverses façons de se ridiculiser, les petites mesquineries, les occasions ratées, le poids du destin, l'indécision, l'alcool. Ces thématiques trouvent dans le décalage culturel entre la Française et ses partenaires coréens un nouvel espace à investir. Il ressort de tout cela le fort sentiment que les hommes coréens sont ... des obsédés sexuels de premier ordre.
Fascinant à regarder, comme un kaléidoscope de la condition humaine amoureuse, le film est également extrêmement drôle grâce au personnage du maître nageur joué par Yu Yung-San, présent dans les trois derniers films de Hong Sang-Soo. Son apparition dans la première histoire donne lieu à une scène d'anthologie, sous forme d'une chanson improvisée sous une tente, probablement le moment le plus drôle de tout le Festival de Cannes. On retiendra une autre scène hilarante dans laquelle un moine zen, sensé être détaché de tout, se voit demander son stylo Mont-Blanc par une Isabelle Huppert sans aucune gêne.
Comme dans d'autres films de HSS, on peut s'amuser à remarquer mille détails, comme par exemple ces objets qui voyagent d'une histoire à l'autre (une bouteille de bière abandonnée sur la plage, un parapluie dissimulé).
C'est drôle, brillant, pétillant, modeste et par moment franchement génial.
La jeune carrière de Brillante Mendoza est déjà bien remplie : un film culte très violent (Kinatay), la description provocante d'une famille tenant un cinéma porno (Serbis), un portrait de grand-mère sans concession (Lola).
Cette fois-ci, Mendoza raconte l'enlèvement d'un groupe de touristes aux Philippines, en se basant sur les actions bien réelles du groupe terroriste Abu Sayyaf.
Le film est très prenant par sa façon de proposer un réalisme sans concession. Les scènes de violence sont extrêmement bien faites, la nature y est montrée avec une sorte de réalisme poétique qui évoque le cinéma de Malick, débarrassé de son côté new age. On est littéralement happé par toute la première partie du film, bulldozer narratif naviguant en pleine mer, s'enfonçant dans la jungle, visitant un hôpital, tuant des soldats et sacrifiant des otages. Tout est remarquable dans cette première partie : il est clair que Mendoza est un formaliste hors pair, sa façon de filmer est hyper-sensible et sa narration parfaitement fluide. Le moindre détail semble pensé, les acteurs sont absolument parfaits et la sensation de naturalisme atteint des sommets. Les ravisseurs comme les otages sont montrés avec de multiples nuances, en dehors de tout cliché.
La prise d'otages s'éternisant (mais c'est peut-être aussi un charme du film) plus d'un an, la routine s'empare à la fois de l'histoire et de sa narration, rendant la deuxième partie du film moins passionnante, d'autant que l'interprétation d'Isabelle Huppert m'a parue inégale.
Ceci dit, le film a forcé mon admiration par ses qualités formelles et sa puissance narrative. Mendoza est sans conteste un grand cinéaste de demain.