Christophe Honoré a déjà démontré qu'il savait filmer de façon fluide et libre une bande d'acteurs, dans le très beau Guermantes par exemple.
Ici, il échoue totalement à intéresser son spectateur. Les atermoiements du clan Deneuve sont non seulement peu intéressants, mais même parfois pitoyables, à l'image de ce match de volley sur une plage italienne qui donne l'impression de voir une bande de happy few des quartiers huppés rencontrer un ballon pour la première fois. J'ai parfois eu l'impression que le scénario du film était dicté par une IA (et si on refaisait la scène de la fontaine de Trévi ?)
Le film n'est porté que par une batterie de sous-textes, qui, s'ils vous échappent - et pensons aux spectateurs qui ne savent rien de la vie privée de Chiara Mastroianni - vous rendront le film aussi sympathique qu'une soirée lors de laquelle vos voisins vous montrent leurs films de famille. C'est d'autant plus triste que le sujet porte en lui un potentiel d'exploitation (psychanalytique, mythologique, cinématographique) colossal.
Les tentatives de "poétisation" (le chien, le soldat anglais) ne font que témoigner de la vacuité intrinsèque du projet, qui ne ressemble en rien à un film de cinéma.
Très décevant, cet Honoré est un autel élevé à la culture de l'entre-soi, sur lequel la statue de Marcello trône sans émouvoir.
La fermeture des cinémas est l'occasion de voir des films qu'on n'aurait jamais pris le temps de voir dans des circonstances normales.
La chasse à l'homme, d'Edouard Molinaro, est ainsi une curiosité de 1964 à découvrir sur Netflix en ce moment.
Le point fort du film est sans aucun doute son casting impressionnant : Jean Paul Belmondo, Claude Rich, Jean Claude Brialy, Françoise Dorléac, Catherine Deneuve, Michel Serrault, Bernard Blier, Francis Blanche, Marie Laforêt, Marie Dubois, Micheline Presle, et beaucoup d'autres.
La chasse à l'homme est découpé en trois parties et une multitudes de petit sketchs. La première partie, consacrée au personnage joué par Bébel est délicieuse, et ce dernier dégage un charme absolument irrésistible. La partie consacrée à Claude Rich est plus classique, vaudeville assez classe, à base de mari cocu, d'ingénue pas si ingénue et de femme dans le placard. Blier y est excellent. La dernière partie, tournée en Grèce, est alerte et pleine de charme. Françoise Dorléac y est rayonnante.
Le tout est bien balancé et sans prétention, dialogué de main de maître par Audiard, et se laisse regarder avec plaisir et gourmandise.
Les grands réalisateurs étrangers, lorsqu'ils tournent un film en France, semblent perdre une bonne partie de leur génie. Je ne connais pas d'exception à cette règle, qui a touché Kiyoshi Kurosawa, Asghar Farhadi, Abbas Kiarostami et bien d'autres.
Le mal touche maintenant un de mes chouchou, le japonais Kore-Eda.
Le début de La vérité est en tout point catastrophique : jeu approximatif des acteurs, dialogues artificiels, intrigue inconsistante, erreur de casting, péripéties ridicules, montage à la va-vite, scénario flottant. On a mal pour le réalisateur des formidables Notre petite soeur et Une affaire de famille.
Petit à petit cependant, le film se redresse quelque peu, grâce à une performance encore exceptionnelle de Catherine Deneuve, dont les prestations forcent de plus en plus le respect : au fur et à mesure que son corps s'use, ses sens semblent s'aiguiser.
La subtilité habituelle de Kore-Eda, faite d'une dureté impitoyable mêlée à la tendresse du regard, s'installe en fin de film et on retrouve dans les trente dernières minutes la patte du japonais (par exemple quand le personnage de Juliette Binoche écrit les répliques que prononcent la petite fille). La rivalité féroce des actrices se mêle alors à la douceur acidulée et dépourvue d'ambigüité du personnage de Manon : c'est le Kore-Eda qu'on aime, salé et sucré à la fois.
Malheureusement l'amélioration est trop tardive pour corriger la mauvaise impression du début.
On a déjà vu mille fois au cinéma le thème de la réunion de famille qui tourne au règlement de compte par le biais de révélations successives, le mètre-étalon en la matière étant bien entendu Festen.
La contribution qu'apporte Cédric Kahn au genre n'apporte pas grand-chose : les frères dissemblables s'engueulent, les enfants courent partout, la grand-mère toute puissante est bienveillante, et la fille qui a disparu depuis trois ans cache un lourd secret.
Je pourrais, au regard de la prestation par moment très prenante d'Emmanuelle Bercot, être indulgent vis à vis de ce film quelconque, s'il n'était pas aussi mal écrit. Les dialogues semblent souvent plaqués, certaines scènes ne fonctionnent pas du tout (l'accident de voiture par exemple) et globalement tout le film souffre d'un manque de rythme.
Le cinéma d'André Téchiné semble au fil du temps tendre vers un certain classicisme : personnages bien dessinés, intrigue qui se nourrit de l'interaction entre les protagonistes, montage classique, décors naturels magnifiés.
L'adieu à la nuit est de ce point de vue une vraie réussite. Catherine Deneuve excelle dans ce rôle de grand-mère terrienne, et pour son huitième film avec son complice André Téchiné, elle fait la preuve qu'elle est vraiment une actrice monstrueuse. Kacey Mottet Klein et Oulaya Hamamra (si vous pensez l'avoir déjà vu crever l'écran, ne cherchez pas, c'est dans Divines) fournissent à la grande Catherine une opposition de haut niveau.
Sur le sujet casse-gueule de la radicalisation, Téchiné réalise un quasi sans-faute. On perçoit que le film se base sur une soigneuse documentation, et la façon dont les modalités d'un exil en Syrie sont décrites est glaçante de précision (les coûts à engager, le rôle des intermédiaires...).
Les raisons de la radicalisation d'Alex ne sont qu'esquissées, mais le peu qu'on en comprend (une raison de vivre, une quête de pureté, un rejet du mode de vie occidental, l'absence de la mère) suffit à donner une vraie épaisseur à sa démarche.
La mise en scène est remarquablement vive et enlevée pour un monsieur de 76 ans.
En résumé, un bon moment, peut-être (et c'est le reproche principal qu'on peut faire au film) un peu trop long.
Jaco van Dormael n'est pas réellement un cinéaste subtil, mais son film est drôle, réjouissant et longuement blasphématoire. Cela devrait inciter un bon nombre de spectateurs à aller se faire plaisir.
Le tout nouveau testament regorge de trouvailles : l'idée géniale des dates de décès balancées dans la nature (et toutes les digressions que cette plaisanterie autorise), la machine à laver, la création de l'homme, le nombre d'apôtres calé sur les équipes de hockey ou de base-ball.
Chaque personnage est croqué en quelques plans vifs et acidulés, comme dans une Amélie Poulain sous acide.
Si les rapports entre les six personnages se construisent un peu benoitement, le film parvient à maintenir son rythme grâce à un mauvais goût poétique et lourdingue qui pourra rappeler dans ses meilleurs moments les Monty Python : plus c'est gros, plus c'est drôle. Van Dormael se maintient constament à la limite de la pochade bon enfant et du burlesque (le gorille, l'Ouzbekistan). Il emporte le morceau par ses trouvailles visuelles insensées (la main qui danse, le poisson fluorescent) et la gouaille gourmande de ses bons mots.
Il y a une grande qualité dans le film d'Emmanuelle Bercot, rare dans le cinéma français : La tête haute parvient à donner l'exacte mesure du temps passe.
Bien sûr le film possède bien d'autres atouts, à commencer par une mise en scène énergique et une interprétation hors pair du jeune acteur (sensationnel Rod Paradot) et des autres personnages, mais sa force subtile c'est bien de montrer l'évolution lente et erratique des différents protagonistes.
Catherine Deneuve campe une juge patiente, mais qui sait faire évoluer ses options. Benoit Magimel, solide comme un roc dans les premières scènes, peut péter les plombs. Sara Forestier oscille entre démission dépressive, amour larmoyant et niaiserie blessante. Rod Paradot lui-même progresse par oscillations successives : tour à tour trublion explosif, blessé épidermique, amant violent, boule de nerf qui se raisonne.
On assiste à son évolution comme à un combat de boxe. Sonné par les coups échangés, abasourdi par la violence des émotions, rivé à l'entretien d'une faible lueur d'espoir qui ne semble être vue que par les proches de Malony.
Le film est une ode énergisante à la ferme bienveillance et à la résilience, un film d'amour gonflé à l'adrénaline, comme on en voit peu.
Fut un temps où le dernier Téchiné représentait quelque chose.
Aujourd'hui, je peux me permettre de critiquer son dernier film de façon désinvolte, plusieurs semaines après son passage sur les écrans, et je pense que beaucoup de mes lecteurs ne se seront même pas rendu compte de sa sortie.
Vous savez donc peut-être que le film est une sorte de reconstitution de la célèbre affaire Le Roux. Le problème, c'est que Téchiné se contente de filmer sagement, on pourrait dire benoîtement à la manière d'un reportage sur France 3, ce qu'on sait de cette affaire, sans prendre parti quant à l'issue. Du coup, le scénario semble inabouti et comme atone. C'est d'autant plus dommage que les comédiens sont au meilleur de leur forme.
Catherine Deneuve est une fois de plus souveraine, alors que Canet trouve ici son meilleur rôle, et que Adèle Haenel confirme une partie de son potentiel.
Inoffensif, le film montre comment l'emprise psychologique se construit sur une misère affective. C'est propre, inodore, et sans saveur.
On pouvait craindre beaucoup de choses à la lecture du script et du casting du nouveau film de Pierre Salvadori : des numéros d'acteurs un peu vains, une sorte de surenchère dans le misérabilisme psychologique, une petite chose parisienne étriquée à la mesure d'une cour d'immeuble, un succédanné d'esprit grolandais avec le snobisme chic que cela comprend.
Et puis non. Dans la cour évite tous les pièges évidents qui le guettaient : il est superbement réalisé, bien rythmé, et les acteurs sont tous formidables. Kervern est parfait en dépressif conciliant et de bonne volonté, Deneuve montre des choses qu'elle n'avait jamais montré (et avec quel brio !), les second rôles sont tous parfaits (Pio Marmai continuellement défoncé, Feodor Atkine en mari rationnel). Le scénario est suffisamment malin pour nous entraîner vers une fin guère prévisible.
Pierre Salvadori tient sur la durée un équilibre délicat entre comédie douce-amère et drame psychologique, sur un mode à la fois réaliste et poétique. Tout y précis, concis, délicat, mesuré. Du bel ouvrage.
Les lignes de Wellington aurait pu être un film de Raoul Ruiz, puisque ce dernier y a travaillé avant de disparaître, mais c'est finalement un film de Valeria Sarmiento, la compagne du maître.
Le film nous transporte au début du XIXème siècle, durant la guerre opposant le Portugal, aidé des anglais, aux troupes napoléoniennes du général Masséna.
Le récit est très curieusement agencé, puisqu'on fait successivement connaissance avec une quinzaine de personnages qui semblent n'avoir aucun rapport entre eux, avant que leur destinée ne se rejoignent subtilement (et très partiellement).
Le scénariste Carlos Saboga tisse le même genre d'entrelacs savants qui faisaient le charme des Mystères de Lisbonne, d'une façon toutefois plus intellectuelle et moins romanesque que dans le chef d'oeuvre de Ruiz. On est ici plus du côté de Perec que de celui des Mille et une nuits ou d'Alexandre Dumas.
La réalisation de Valéria Sarmiento est souple, classique, mais il faut le dire, sans les éclairs de génie et les travellings de folie de son défunt mari. L'ambiance morbide et cruelle de l'exode est toutefois envoûtante, et on a rarement vu un film de guerre aussi long (2h31) sans y entendre quasiment un coup de fusil. Les ruptures de ton orientent l'oeuvre dans sa deuxième partie vers une farce languide et par moment désespérément noire : toutes les femmes (même vieilles, même mortes) semblent devoir y être violées, et par les deux camps s'il vous plait.
Un film hors norme, une curiosité dans laquelle quelques stars viennent, parfois brièvement, saluer le maître Ruiz : Catherine Deneuve, Michel Piccoli, Isabelle Huppert, Melvil Poupaud, Mathieu Amalric, Elsa Zylberstein, Marisa Paredes, John Malkovitch.
Dans Les Biens-aimés Christophe Honoré renoue avec le style qui fit le succès des Chansons d'amour : des passages chantés écrits par Alex Beaupain, une histoire mêlant amour et mort, homo et hétérosexualité, et enfin une pléiade d'acteurs tout entiers acquis à la cause du film.
Les deux films, au-delà de leur parenté formelle, sont pourtant assez différents. Les chansons d'amour creusaient en effet un sillon éminemment parisien, et son ton était délibérément romanesque (à l'image d'un Louis Garrel plus cabotin que jamais).
Ici, Christophe Honoré paraît assagi, mélancolique. L'histoire s'étire au long de plusieurs décennies, visite quantité de lieux (Prague, Paris, Londres) et se frotte à quelques grands évènement (le printemps de Prague, l'apparition du sida, le 11 septembre). Honoré sort donc apparemment de ses tropismes habituels, tout en y restant, car sous la surface rutilante du monde et de ses changements (chaque époque est très bien rendue) les sujets du film sont typiques d'Honoré : l'Amour, la Légèreté, la Deuil.
Au coeur du film, les deux personnages féminins sont merveilleux : Madeleine (jouée jeune par une incroyable Ludivine Sagnier, puis par une Catherine Deneuve plus coquine que jamais) et sa fille Véra (magnifique Chiara Mastroianni). La mère est une femme légère dans une époque qui s'y prête (les années 60), la fillle voudrait l'être mais croise un amour impossible dans une époque qui est bien pesante (les années 2000). Le fil conducteur du film, comme le refrain d'une des chansons le dit, pourrait donc être : "Les filles légères ont le coeur lourd". La scène durant laquelle est chantée ce morceau est représentative de ce qui fait la qualité du film : sobriété, intensité dramatique de ce qui se dit, mouvements de caméra discrets mais parfaitement au service de la scène (oh les beaux travellings !), jeu parfait des actrices.
Autour de ces deux phares féminins gravitent des hommes qui les vénèrent, les aiment, mais peinent à les rendre heureuses. Il faut noter que Milos Forman et Michel Delpech sont tous deux excellents. Louis Garrel, pour une fois, fait preuve d'une certaine retenue, tout en lâchant quelques saillies dont il a le secret. Deux quasi-inconnus - en tout cas pour moi - (Paul Schneider et Rasha Bukvic) complètent à merveille la plus belle distribution de l'année.
Les chansons de Beaupain surprennent toujours, à la fois simples, profondes, osées (les rimes délite/trique/(or)bite/(spout)nik). Elles constituent un élément important du film en éclairant les personnages de l'intérieur. La façon dont se répondent la première (Je peux vivre sans toi, pleine d'espièglerie) et la dernière (Je ne peux vivre sans t'aimer, pleine de tristesse) donne la juste mesure de ce film ambitieux et idéalement réussi : il conte le temps qui passe.
Si Christophe Honoré n'existait pas, qui nous parlerait d'amour ?
Après la réussite Potiche, j'ai eu envie de découvrir 8 femmes, un autre film d'Ozon avec Catherine Deneuve.
Il y a bien des points communs entre les deux films : une atmosphère de théâtre de boulevard, des couleurs criardes, des performances d'actrices. Pourtant, la où Potiche réussit parfaitement à créer une dynamique comique et nostalgique, 8 femmes reste bloqué sur son concept de base : numéros successifs parfois brillants, parfois ratés, qui cumulés ne font pas un vrai film.
Catherine Deneuve, Danièle Darrieux, Firmine Richard et Ludivine Sagnier assurent le minimum. Huppert est très bonne et Fanny Ardant assez performante dans un rôle de femme fatale qui lui va comme un gant (cette robe rouge !). Mes deux préférées sont Emmanuelle Béart, bombe sexuelle comme jamais, et Virginie Ledoyen, irrésistible en jeune fille modèle. Leurs confrontations sont les meilleurs moments de ce film, pas désagréable à regarder, mais qui n'arrive jamais à se départir de son côté artificiel.
Les 8 passages chantés sont de qualité variables mais contribuent à casser le rythme du film. A chaque fois, certaines actrices regardent la performance de l'autre en semblant apprécier la chansonnette, oublieuses de leur propre personnage. Ces passages sont alors révélateurs du problème principal du film : tout le monde regarde tout le monde jouer.
Je n'attendais pas grand-chose de Potiche. Une collection de personnalités frenchies bankable pour un salmigondis indigeste : j'avais déjà prévu l'intro de ma descente en flamme.
Et puis zut, je me suis passablement marré. Catherine Deneuve y trouve probablement le meilleur rôle de sa fin de carrière : elle y déploie une palette très étendue, épouse bafouée, femme de tête, politicarde, ex-nymphomane, en gardant toujours un maintien absolument parfait et un positivisme renversant. Toute en subtilité. Du grand art : triple bravo !
Luchini est parfaitement en phase avec son personnage, goujat archétypal, et son association avec Karin Viard est très plaisante. Judith Godrèche et Jérémie Renier sont parfaits. Seul Depardieu est une fois de plus un ton en-dessous, et son embonpoint augmente dramatiquement à chaque film : d'ici peu, il devrait avoir explosé comme l'obèse du Sens de la vie, des Monty Python.
L'intrigue se déroule tranquillement dans une atmosphère boulevardière agréable, et délicieusement pimentée à la sauce seventies. On a droit à des allusions à l'actualité (casse toi pauv'con) et à une réflexion finalement assez intéressante sur ce qui a changé (ou pas) depuis ces années-là.
Ozon affiche un mauvais goût assumé et adulte qui tranche franchement sur les tergiversations habituelles d'un certain cinéma français. Cet aspect du film, qui rappelle par plusieurs côtés les audaces de Demy (les couleurs, les sentiments - et les retours de bâton - assumés, les chansons, Catherine Deneuve), est le plus intéressant. Il culmine dans une dernière scène abracadabrante mais parfaite.
Film concept et film plaisir, film sûr de lui et pas si bête : il faut aller voir Potiche.
Alors d'abord, il y a le titre, d'une sophistication inutile.
Ensuite le film.
On a accompagné Honoré dans un tryptique parisien (excellent) qui se termine sur un quai de gare (dit comme ça, on dirait du Lelouch).
En l'occurrence celui de la gare Montparnasse, dans une scène bizarre, hybride, pas entièrement satisfaisante, voire franchement énervante, à l'image de tout le film.
En Bretagne, dans la première partie du film et sur sa terre natale, Honoré fait (en gros et pour résumer) du Desplechin façon Un conte de Noel, en moins bien. Maison familiale, intrigues entre membres de la famille, parents très forts, les points communs sont légion. Chiara Mastroianni jouait dans le Desplechin, la mère était Catherine Deneuve (vraie mère de Chiara), etc... on pourrait multiplier les effets de miroir à l'infini. Cette partie n'est pas convaincante. Honoré à la campagne c'est un peu comme le prince Charles pelletant du fumier, on n'y croit pas trop.
D'ailleurs, le fait de vouloir mettre un bébé animal dans les bras de chaque personnage prouve qu'Honoré n'est pas à l'aise. Faire jouer Julien Honoré (son frère) comme Garrel, pour ensuite mieux le confronter au vrai, bien plus fort, est aussi une marque d'indécision. Et je ne parle même pas des intrigues avortées, indignes d'un cinéaste de la trempe d'Honoré (la maladie du père, a priori très grave, qui disparait ensuite).
La deuxième partie, à Paris, n'est pas bien meilleure. On retrouve un peu le Garrel qu'on aime (ou qu'on aime détester, mais c'est pareil), un Jean Marc Barr quand même un peu salaud sous ses dehors très lisses et un coup de théâtre dramatique comme on les aime chez Honoré, mais sans relief véritable. Chiara Mastroianni, sans inspirer l'antipathie, ne suscite pas des tonnes d'empathie.
Bon, alors, pourquoi je ne peux pas me résoudre à dire que ce film est mauvais ?
A cause de la scène centrale - et bretonnante, représentation muette, superbe, de l'histoire de Katell, scène magistrale et qui éclaire le film de toute sa beauté. C'est peu et c'est beaucoup, mais c'est comme ça.
Aussi loin que ma mémoire puisse aller, je ne trouve pas de film qui se sauve (qui se redresse) par le biais d'une seule scène, allégorique qui plus est.
C'est parti pour les films de Cannes avec le film de Desplechin, qui frappe tout de suite fort.
Un conte de Noel est en effet un film profond, amusant, virtuose, émouvant, captivant, bref, une Palme d'Or en puissance.
Premier point : les acteurs. Amalric est absolument prodigieux. Il signe une performance époustouflante, tour à tour cabot, insupportable, séduisant, inquiétant. Il dégage une vitalité quasi sur-humaine : qu'il tombe face contre terre, qu'il se shoote au cocktail médocs+alcool, qu'il subisse une ponction lombaire, il se relève toujours alors que les autres le croient mort (et sa soeur en particulier).
Force de la nature, ou force de l'imaginaire desplechinesque plutôt, toujours prêt à désescalader les murs de brique. Toute la distribution est à l'avenant : Catherine Deneuve, comme un sphynx, et surtout son mari (Jean Paul Roussillon), adorable. Chiara Mastroianni, pleine de sensualité. Anne Consigny comme une vitalité à l'envers, un trou noir qui absorbe tout sentiment, toute joie. Cela faisait longtemps que je n'avais pas vu une distribution aussi éblouissante (et j'oublie Emmanuelle Devos, craquante en juive imperturbable au milieu de ce joyeux bordel). Et Melvil Poupaud, transparent et tellement commun qu'il en devient attendrissant.
Deuxième point : un scénario magnifique. Une intrigue au départ assez simple (une soeur bannit son frère, puis ce frère s'avère un donneur de moelle osseuse potentiel susceptible de sauver la mère) vite ramifiée, puis débordée par d'autres intrigues, petites, grandes, sauvages ou tristes. Le tout est foisonnant de vie, bruissant de cinéma.
Troisième point : une mise en scène à montrer dans toutes les écoles de cinéma. Inventive, percutante, inspirée. Les personnages qui s'adressent à la caméra, le diaphragme qui isole une partie de l'image, les cadrages inhabituels, le théâtre d'ombre, etc... on n'en finirait pas d'énumérer les preuves de virtuosité, mais cette virtuosité n'est pas gratuite, elle est au service des histoires que raconte de film, et c'est ce qui est merveilleux.
Que dire de plus ? ... le jeu subtil autour des concepts temporels. A l'enchainement quasi théâtral (unités de lieu, d'action, de temps) sur quelques jours de la deuxième partie du film, répond la profondeur que donne la première partie avec ses flash back 5 ans en arrière, et bien au delà pour tout ce qui concerne la mort du petit Joseph, ombre tutélaire qui plane sur tout le récit.
Et ce sens du rythme, exprimé dans un montage à la fois haletant et maîtrisé ! Et la façon de filmer les paysages urbains de Roubaix, terre natale de Desplechin ! Et comment un simple cadrage sur une photo ancienne peut susciter l'émotion ! Et la neige, simplement la neige ! Et le choix des musiques !
Si Sean Penn, que j'adore comme réalisateur, n'avait pas dit bêtement qu'il récompenserait un film "social" (ce qui aurait du le disqualifier immédiatement en tant que président du jury), nul doute que Un conte de Noel aurait été très proche de la Palme, ou au moins du prix spécial du jury.
Le lot de consolation attribué à Catherine Deneuve est triste, mais comme elle l'a reçu avec beaucoup de dignité (ou aurait dit le personnage du film), on le prendra comme un coup de chapeau à l'oeuvre toute entière.
Du grand art. 2h23 qui s'écoulent comme un rêve tissé de cruauté et d'élans, d'émotions et de beautés.
Les références vont bien sûr du côté de Bergman, mais d'un Bergman polisson, ou un peu bourré. D'un Dostoievski chez les Ch'tis, mais avec l'intensité d'un polar, l'insolence d'un Woody Allen et un sens de la réplique vacharde jouissif (le "elle conduisait mal" pourrait rester dans les annales).
Sûrement ce qui se fait de mieux dans le cinéma français aujourd'hui, et s'il vous plait à ne rater sous aucun prétexte.