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Christoblog

Articles avec #sandra huller

La zone d'intérêt

La zone d'intérêt (c'est le nom que les nazis donnaient à la région d'Auschwitz) est d'abord un roman de Martin Amis, qui est aussi salace que le film de Glazer est froid. 

Dans les deux cas, et bien que les personnages et les péripéties soient totalement différentes, il s'agit d'exposer la vie quotidienne de quidams nazis à proximité immédiate du camp d'extermination : dans le roman, ce sont surtout des coucheries de subalternes, dans le film il s'agit de la vie familiale et bourgeoise du chef du camp.

La zone d'intérêt ne manque pas ... d'intérêt. On est pétrifié, il faut l'avouer, par l'effroyable bande-son qui plaque un voile d'horreur auditive sur les images édéniques qui nous sont montrées. On est au début intrigué par le dispositif imaginé, les inserts curieux (la caméra infrarouge par exemple), les détails macabres parsemés ici et là (les os dans la rivière, les vêtements) et globalement l'ensemble des partis-pris de mise en scène (des plans très larges, un peu comme si le film était un assemblage de caméras de surveillance placées dans et autour de la maison).

L'effet de sidération m'a toutefois lassé : il ne se passe finalement pas grand-chose durant cette 1h45. A la façon d'une oeuvre d'art contemporain dans un musée, vous ne perdrez pratiquement rien si vous ne voyez que la première heure, ou la dernière. Quant à la partie consacrée au travail de Hoss à Orienburg, je trouve qu'elle fait chuter la tension que la proximité du camp parvient à installer dans la première partie. A force de filmer le creux pour tenter de faire deviner le plein, et de filmer banalement la banalité du mal, on peut légitimement se demander si le réalisateur ne rate pas sa cible. La comparaison naturelle avec Le fils de Saul, qui se coltinait le défi frontal d'introduire une caméra dans un camp n'est pas à mon sens à l'avantage de Glazer.

Pour synthétiser, je dirais que La zone d'intérêt est un film important, mais que son concept écrasant le rend peu aimable, et disons-le, relativement ennuyeux. On a d'ailleurs l'impression que Glazer, au milieu de son film, a besoin de recentrer lui-même son projet en lui donnant un peu de sens à travers un poème, comme si la simple juxtaposition quasi-surréaliste qu'il proposait jusqu'à présent ne lui semblait plus satisfaisante, ou trop ambigüe. De la même façon, le coup d'oeil final de Höss au monde contemporain résonne un peu comme un aveu d'impuissance : ce que le cinéaste a échoué à faire par la grâce de son art (honorer les victimes, faire ressentir viscéralement l'horreur), il le confie à un ultime effet maladroit qui sonne comme un repentir.

Jonathan Glazer sur Christoblog : Under the skin - 2013 (**)

 

2e

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Anatomie d'une chute

De ce long film dense et puissant, on se demande ce qui mérite d'être mis en avant tant tout y semble parfait.

L'écriture d'abord est merveilleuse. On ne s'y ennuie pas une minute, tout y est savamment pesé. Anatomie d'une chute est d'une finesse ahurissante en terme de progression dramatique et de tension psychologique.

Les acteurs y sont splendides, Sandra Huller en tête, qui joue d'une façon vertigineuse une femme dont on ne sait trop quoi penser : autrice géniale unie à un mari médiocre ou monstre pervers et froid ? Le casting est tout simplement parfait.

La mise en scène au sens large (direction artistique, image, direction d'acteur) accompagne tout cela de main de maître : de la promenade inaugurale du chien dans la neige au huis clos étouffant du procès, en passant par la scène magnifique de la dispute revécue, tout est d'une limpide efficacité.

Comme dans tout bon film de procès, on passe d'une conviction à l'autre, au gré des prestations d'experts qui assènent avec la même conviction des évidences contradictoires.

Thriller psychologique hors norme et réflexion sociologique sur les rapports homme/femme au sein du couple, Anatomie du chute est une Palme d'Or enthousiasmante, tectonique des égos filmée de main de maître(sse).

Justine Triet sur Christoblog : La bataille de Solférino - 2013 (***) / Victoria - 2016 (**) / Sibyl - 2019 (**)

 

4e

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Une valse dans les allées

Une valse dans les allées coche pratiquement toutes les cases de la liste des défauts qu'on prêtera bêtement à un film d'auteur allemand : glauque, lent, minimaliste.

Pourtant, on ne s'ennuie pas vraiment en regardant le film de Thomas Stuber.

Les acteurs sont d'abord très attachants. Le physique atypique de Franz Rogowki (devenu l'acteur fétiche de Petzold avec Transit et Ondine) sert bien son personnage borderline d'ex-délinquant lunaire. Sandra Hüller, inoubliable Ines de Toni Erdmann, est très touchante en employée maltraitée par son mari.

La romance distanciée entre ces deux oubliés de la vie est un exercice de style, certes un peu téléphoné, mais finalement conté de façon délicate et même poétique par instant.

Une autre des qualités du film est l'exploitation remarquable du décor que constitue un supermarché, ses parties ouvertes au public comme ses locaux techniques. La photographie, précise et blanchâtre, est très belle. La mélancolie attachée aux nombreux seconds rôles, détails et accessoires du film, par exemple l'irrésistible bruit de la mer que produit le chariot élévateur, rend le film définitivement sympathique.

 

2e

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Sibyl

Qui trop embrasse mal étreint : voilà qui pourrait résumer Sibyl

Sur le papier tout est formidable : un scénario hitchcokien, une actrice au sommet, une réalisatrice en pleine phase ascendante. 

Pourtant, rien ne parvient à fonctionner à l'écran. Les tonalités tout le temps changeantes du film, le découpage inutilement compliqué, les commentaires en voix off qui alourdissent le film, les redites qui surlignent le propos : Sibyl croule finalement sous l'accumulation de ses intentions. 

Si Virginie Efira est magnifique et Sandra Hüller parfaite, les autres acteurs tournent un peu en mode automatique : Adèle Exarchopoulos excelle dans ce qu'elle sait le mieux faire (pleurer avec excrétion), Niels Schneider est joli à regarder et Gaspard Ulliel n'est pas très bon.

En somme, le film aurait pu être bon, mais il patine, faute à une surabondance d'effets. On n'en voudra pas à Justine Triet, qui ne parvient jamais à nous intéresser vraiment à ces personnages, et on attendra l'essai suivant.

 

2e

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Toni Erdmann

Pour une fois, la publicité de l'affiche ("La Palme du public et de la presse") n'est pas mensongère.

De mémoire de festivalier, j'ai en effet rarement ressenti sur la Croisette un engouement aussi immédiat et unanime pour un film : le seul cas similaire qui me vienne à l'esprit, c'est celui de La vie d'Adèle.  

Toni Erdmann ne possède pourtant au départ rien de bien séduisant : un film allemand de 2h42, réalisé par une quasi inconnue du grand public. A Cannes, ceux qui avaient eu la chance de voir le film se moquaient cruellement des spectateurs timorés qui avaient zappé le film pour cause de nationalité / durée / manque de notoriété, et qui ne pouvaient le rattraper.

Les premières images du film renforcent d'ailleurs les a priori qu'on peut avoir à son encontre : image un peu sale, mise en scène qui ne ressemble à rien, intrigue qui démarre bien lentement. Rapidement cependant, Maren Ade parvient à nous intriguer : on réalise assez vite que l'écriture du film est millimétrique, que les développements du scénario sont imprévisibles et que les deux comédiens principaux sont tout simplement énormes.

L'intérêt pour le film monte ainsi crescendo d'une façon très étonnante, comme si le sismographe des émotions, à 0/10 avant l'entrée en salle, puis à 1/10 après dix minutes, montait régulièrement pour atteindre après une ou deux heures des 10/10 tonitruants, lors de plusieurs scènes d'anthologie, de types très différents au demeurant. 

A Cannes, la salle a applaudi de contentement et de surprise mêlés au moins deux fois (lors de la célèbre chanson, et au moment de la réception). Ce sont peut-être les moments de communion les plus forts que j'ai vécu à Cannes depuis cinq ans. L'ambiance y était alors euphorique.

Résumons nous : Toni Erdmann ne ressemble à aucun film que vous avez vu jusqu'à présent, et c'est pourquoi il est si difficile d'en parler. Tour à tour comédie de situation et drame sentimental, brûlot politique et fable morale, le film de Maren Ade est une pépite comme on en voit rarement, qui se permet d'embrasser plusieurs thématiques très différentes en profondeur.

Si le sujet des relations père / fille est au coeur du film, c'est loin d'être le seul abordé : Maren Ade y évoque aussi les relations entre pays riches et pays plus pauvres, les modes de fonctionnement du business international, les responsabilités individuelles, la misère sexuelle de notre époque et une dizaine d'autres sujets encore. 

Que le jury de Cannes ne lui ait décerné aucune récompense, alors qu'il les méritait toutes (scénario, mise en scène, interprétation) est incompréhensible. 

Le meilleur film de l'année, sans nul doute.

 

4e 

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