Interview de Laurent Larivière
Je vous propose aujourd'hui une rencontre avec le réalisateur du très beau Je suis un soldat (lire ma critique).
Louise Bourgoin semble tellement coller au personnage de Sandrine qu'on a l'impression que le film a été écrit pour elle...
C'est le cas. J'ai rencontré Louise lors d'un atelier de théâtre dirigé par Camilla Saraceni. A cette occasion, j'ai rencontré à la fois la Louise que je pouvais connaître à travers les comédies qu'elle a tourné, une jeune femme très vive, intelligente et drôle, et j'ai aussi vu une femme férue d'art contemporain, qui avait envie de faire des films d'auteurs. On a beaucoup parlé d'où on venait, sociologiquement, avec pas mal de ressemblance dans nos deux parcours.
Tout à coup je me suis dit qu'il y avait une profondeur chez cette jeune femme que je n'avais encore jamais vu à l'écran. J'ai eu envie d'écrire pour elle. Il y avait comme un défi de montrer une Louise Bourgoin qu'on n'avait pas encore vu au cinéma. Tout cela arrivait au moment où elle-même amorçait un virage dans ses choix, puisqu'elle venait de faire le film d'Axelle Ropert (Tirez la langue, Mademoiselle). Elle avait aussi tourné dans le film de Nicole Garcia (Un beau dimanche) et s'apprêtait à jouer dans un téléfilm de Lucas Belvaux (La fin de la nuit).
Mon désir est donc entré en résonance avec ses choix.
Elle a un aspect terrien dans le film qui est assez étonnant. Elle parvient à en devenir presque quelconque physiquement, alors qu'elle est évidemment très belle !
Oui, on a travaillé cet aspect. C'est Louise qui m'a par exemple proposé de se couper les cheveux, en disant que Sandrine ne pouvait pas trop prendre soin de son physique. Mon but était de faire oublier que c'était Louise Bourgoin au spectateur.
Louise n'a jamais eu d'animaux domestiques. Elle a donc fait un travail de préparation important en allant pendant deux mois dans un chenil, deux fois par semaine. Elle rentrait dans les cages, donnait à manger aux chiens, les faisait jouer, pour avoir la plus grande aisance possible. C'est ce travail qui contribue aussi à lui donner cet aspect terrien.
Et puis Louise a un instinct de jeu que j'ai rarement rencontré. Elle a une intuition redoutable qui lui permet d'aborder son personnage de manière très intime. Son jeu n'est en rien extérieur.
Oui, c'est un personnage qui est comme une variation de celui de Sandrine. Il est presque dans la catégorie des travailleurs pauvres. Malgré deux salaires, son couple n'arrive pas à accéder à un plaisir simple : un petit pavillon dans la banlieue de Roubaix. Son personnage nous intéressait aussi vis à vis de celui de Sandrine, parce qu’au moment où lui dit "Mais comment font les autres ?", Sandrine y arrive en faisant le choix de rentrer dans l'illégalité, les poches pleines d'argent sale. La question que cela pose, c’est : "jusqu'où est-on prêt à aller pour s’en sortir ?"
Jean Hugues Anglade dégage une grande dureté, mais il y a aussi une sorte d’ambiguïté sensuelle entre son personnage et Sandrine…
L'idée qu'il y ait quelque chose de potentiellement incestueux entre les deux personnages a été évoquée lors de l'écriture du scénario. Nous avons décidé de ne pas retenir cette idée, mais les acteurs l'ont néanmoins perçu entre les lignes. Et il en reste quelque chose qui imprègne le film sans qu'on sache très bien par où ça passe...
Cela fait partie de ce qu'a apporté Jean-Hugues, des nuances sur lesquelles on ne peut pas mettre de mots. C'est un très, très grand acteur.
Comment avez vous vécu la sélection de votre film à Cannes ?
Comme une très grande surprise et comme une chance inouïe. Avec un premier long-métrage, se retrouver dans une sélection aussi prestigieuse qu’Un certain regard, c'était très précieux. Cela m'a permis de faire beaucoup de rencontres, notamment avec des programmateurs de festivals.
Quelles sont vos projets ?
Je retravaille avec le même co-scénariste. Nous voulons surtout éviter de faire Je suis un soldat 2. On est parti sur un projet très différent tant sur la forme que sur le fond. J'espère faire quelque chose d'aussi profond, mais de plus léger sur la forme, avec plus d'humour.
Merci à Laurent Larivière pour sa disponibilité et sa gentillesse.
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