Nymphomaniac (Volume 1)
Je n'étais pas loin de craindre le pire en allant voir le dernier Lars von Trier : une sorte de démesure dans la dégradation de la femme, et de Charlotte Gainsbourg en particulier, voilà ce que le passé du réalisateur (Antéchrist), le titre et la bande-annonce me laissait présager.
Et puis vint la première scène, lors de laquelle Seligman, le personnage joué par le très bon Stellan Skarsgård, découvre Joe (Charlotte Gainsbourg) inconsciente. Elle est somptueuse. Les mouvements de caméra y sont divins, les cadrages et la bande-son audacieux, tout y est parfait.
A partir de cette entrée en matière alléchante, le film met en scène un dialogue entre une femme qui va raconter l'histoire de sa vie, et un vieil homme. Il y a de la Schéhérazade dans le personnage de Joe : Seligman est suspendu à la progression de l'histoire, et le couple s'amuse pour chacun des épisodes à faire correspondre les éléments du récit à quelque chose qui se trouve dans la pièce : une mouche pour pêcher, une fourchette à gâteau, un tableau, une cassette de musique. Ce procédé donne au film un charme intense, entremêlant détails et anecdotes philosophiques, scientifiques ou religieux avec le récit de Joe.
Le miracle de Nymphomaniac est bien là : on croit venir voir un film porno un peu trash, et on a droit à des exposés sur la suite de Fibonacci, sur la musique de JS Bach, ou sur les feuilles de frênes. Lars Von Trier utilise des procédés de mise en scène que certains ne trouveront pas forcément de très bon goût (vraies ou fausses images d'archive, noir et blanc un peu tapageur, split-screen, accélérés, incrustations, répétitions, musiques très contrastées), mais qui contribuent à donner à l'oeuvre l'aspect d'une construction subtile et ludique.
Autre surprise, on rit franchement à plusieurs reprises, et de différentes façons. On sursaute aussi, au moins une fois, je vous le garantis. Et on est aussi agréablement mal à l'aise lors d'une scène stupéfiante, lors de laquelle Uma Thurman donne toute la mesure de son talent.
Vous pensez sûrement à ce stade de la critique : mais quand va-t-il de parler de sexe ? Eh bien au risque de vous décevoir, je ne vais pas en dire grand-chose. Joe est victime d'une addiction au sexe, mais elle pourrait être tout autant dépendante de l'alcool, du mensonge ou du risque. La multiplication des partenaires (jusqu'à 10 par jour) donne à son activité sexuelle un aspect routinier qui en enlève pratiquement tout intérêt sensuel. La nymphomanie est donc ici plutôt le prétexte à décrire la solitude de Joe d'une part, et à fournir au film des ressorts scénaristiques intéressants, d'autre part.
Pour finir, il faut signaler que tout le casting est excellent, car outre les acteurs déjà nommés, Stacy Martin (Joe jeune) est confondante, et Shia LaBeouf, que je n'apprécie pas habituellement, est ici une parfaite tête à claque. Les seconds rôles sont éclatants : Christian Slater campe par exemple le père de Joe avec une belle dignité.
2014 commence en beauté.
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