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Christoblog

Grand tour

Voici une oeuvre conceptuelle par excellence.

Miguel Gomes nous propose de suivre en alternance deux sujets : le périple de personnages dans des décors de studio en carton-pâte d'une part, et des images actuelles des mêmes lieux filmés comme le ferait un touriste allemand aviné avec un vieux caméscope, d'autre part. Le tout dans un noir et blanc au gros grain.

Il faut une demi-heure pour comprendre ce que je viens d'écrire, puis encore une demi-heure pour comprendre que les deux personnages se suivent dans des temporalités différentes. Il reste ensuite plus d'une heure d'ennui profond pendant laquelle on a le temps de maudire Gomes sur tous les tons.

Tout cela est désespérant de pédanterie intellectuelle, et il manque ici la poésie moite et nostalgique qui rendait Tabou si attachant : la partie conceptuelle de l'art du portugais l'emporte maintenant complètement sur sa capacité à générer de l'émotion et des sensations - on voyait très bien ce combat épique entre deux conceptions du cinéma dans oeuvre fleuve Les mille et une nuit.

Au-delà de l'ennui que génère le film, les cartes postales de l'Asie du Sud-Est qui sont ici exposées, entre clichés éculés et nostalgie rétro, m'ont semblé véhiculer des relents de néo-colonialisme assez malsains. Je n'ai à vrai dire pas compris l'intention de l'auteur sur ce point.

L'ensemble de cet édifice douteux essaye de se maintenir debout en utilisant une voix off omniprésente et exaspérante.

Je n'ai pour ma part éprouvé qu'un agacement lancinant devant ce film, dont l'histoire est intéressante, mais qui se trouve irrémédiablement gâché par la prétention de Gomes. Seul point positif à mon sens : le film s'éclaire miraculeusement quand l'actrice Crista Alfaiate apparaît.

Miguel Gomes sur Christoblog : La gueule que tu mérites - 2004 (*) / Tabou - 2012 (***) / Les mille et une nuits, l'inquiet - 2015 (**)

 

1e

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The fall guy

Rattrapage Canal+

Le précédent film de David Leitch (Bullet train) m'avait plutôt plu.

J'avais apprécié son énergie survitaminée, son rythme imparable, l'utilisation parfaite d'un casting étonnant et enfin un goût pour la surenchère qui semblait sans limite.

Dans le scénario de The fall guy on retrouve l'aspect débridé de son prédécesseur, mais malheureusement ici en plus bavard et moins visuel. Le rythme me semble moins maîtrisé et surtout, le casting est beaucoup moins convaincant. Ryan Gosling n'est pas à la hauteur de Brad Pitt, et il ne retrouve pas la puissance comique irrésistible qu'il atteignait dans The nice guys, sous la direction de Shane BlackEmily Blunt est transparente et leur couple ne parvient pas à être "amoureusement" crédible.

Le résultat global ressemble à une marmite bouillonnante, pleine de gags, d'allusions, d'explosions, d'incises, de cascades et d'effets. On ne capte pas tout, et surtout, notre attention est sans cesse divertie de l'essentiel par l'accessoire.

Malgré Ryan Gosling, le film ne me semble pas assez intéressant pour mériter le déplacement.

David Leitch : Bullet train - 2022 (**)

 

2e

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Un p'tit truc en plus

Curieux de découvrir le phénomène qui a attiré plus de dix millions de spectateurs français en salle, j'ai profité de son arrivée sur Canal+ pour découvrir le film d'Artus.

Je m'attendais à beaucoup de choses mais pas vraiment à cette comédie à la fois extrêmement modeste et réalisée d'une façon hyper-efficace.

Pour commencer, disons que le film se situe dans une longue tradition de comédies françaises dites de caractères (et qui finalement remonte à Molière), dans lesquelles on rit de de certains traits de caractères des personnages : les malfrats sont très typés, les animateurs aussi et les pensionnaires de cette joyeuse pension également.

Le film ne se pense pas plus intelligent qu'il est, et il est aimable pour cela. Il utilise à la perfection la particularité de chacun de ses acteurs amateurs, en désamorçant d'office son dispositif afin de ne pas prêter le flan à l'accusation de voyeurisme (le personnage d'Artus est immédiatement démasqué comme non handicapé).

Son humour n'est pas très fin (il n'hésite pas à lorgner du côté du burlesque, voire du slapstick), et il vient nous chercher sur des sentiments primaires abordés sans subtilité (la fraternité, la tolérance, la bienveillance). Mais il le fait avec une honnêteté et une spontanéité qui entraîne l'adhésion d'une façon irrésistible : difficile de retenir ses larmes au milieu des nombreux rires que provoque Un p'tit truc en plus.

Sans aucune prétention, mais avec beaucoup de qualités, le plus grand succès français de l'année est un divertissement tout à fait honorable.   

 

2e

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La plus précieuse des marchandises

Pas facile de dire du mal de ce film très consensuel, traitant sous forme de conte la Shoah. 

Et pourtant rien ne va dans La plus précieuse des marchandises. L'animation 2D proposée par Michel Hazanivicius est d'abord d'une pauvreté rédhibitoire : si les illustrations sont "jolies", elle pâlissent en comparaison de ce que l'animation propose aujourd'hui (allez plutôt voir l'incroyable film Flow, vous comprendrez ce que je veux dire). 

Ensuite, le conte de Jean-Claude Grumberg ne contient pas assez de matière narrative pour remplir tout un long-métrage. Il aurait peut-être permis de donner un court-métrage sympathique d'une vingtaine de minute. Cet inconvénient se traduit à l'écran par un beaucoup de répétitions très lassantes : le train passe 36 fois, le pauvre bûcheron coupe plusieurs stères de bois à l'écran, etc.

Le film a aussi une propension, quoi que j'ai lu l'inverse dans de nombreuses critiques, à chercher à provoquer une larme facile chez le spectateur. La musique d'Alexandre Desplat, par exemple, surligne les situation susceptibles de générer de l'émotion.

Les voix des personnages ne m'ont pas non plus convaincu, en particulier celle de de Dominique Blanc, que j'aime pourtant beaucoup.

Enfin, et c'est peut-être pour moi le pire, le traitement à l'image des camps ne m'a pas paru adéquate. Sous réserve de "représentation", Hazanavicius s'estime légitime à montrer les corps suppliciés, mais le résultat m'a vraiment mis mal à l'aise, comme d'ailleurs la voix d'outre-tombe de Jean-louis Trintignant qui nous assène des phrases qui m'ont laissé perplexe ("Peut-être que tous ces morts ont été une illusion ?").

Je déconseille donc cet essai, qui me semble raté de plusieurs points de vue. 

Michel Hazanivicius sur Christoblog : OSS 117 ne répond plus - 2008 (***) / The artist - 2011 (**) /  The search - 2014 (***) / Coupez ! - 2022 (***)

 

1e

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Diamant brut

Premier film d'une jeune réalisatrice, Diamant brut révèle également une toute jeune actrice qui crève l'écran et dont on a pas fini d'entendre parler, Malou Khebizi. 

Nous sommes dans la banlieue de Fréjus, dans un milieu défavorisé et une famille exclusivement féminine : Liane, qui se rêve en star de télé-réalité, sa mère et sa petite soeur.

Agathe Riedinger filme tout ce petit monde caméra à l'épaule, avec beaucoup de style et de force. La vision qu'elle propose de cette classe sociale populaire est comme débarrassée des encombrants a priori qui caractérise habituellement ce type de film. Pas de misérabilisme surplombant, pas de jugement de valeur dans ce portrait d'une jeune fille biberonnée aux réseaux sociaux et qui ne se rêve qu'en personnalité instagrammable.

C'est vraiment le tour de force de Diamant brut : nous montrer sans fard une génération uniquement préoccupée par le paraître, lointaine descendante d'une ancêtre qui pourrait être la Loana du Loft, et nous la faire aimer. Liane devient par la grâce d'une direction d'actrice à fleur de peau une sorte de déesse de la superficialité épanouie, sûre d'elle et conquérante.

Diamant brut m'a rappelé le choc que j'avais ressenti en découvrant les trois premiers films d'Andrea Arnold : format 4/3, image un peu sale, inspiration parfois insensée de la mise en scène. Il réalise une sorte de miracle cinématographique : rendre la vacuité aimable par le seul vecteur d'une personnalité éclatante.

C'est une parfaite réussite.

 

4e

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No other land

L'immense mérite de ce film documentaire réalisé à huit mains (deux réalisateurs palestiniens et deux israéliens) est de faire ressentir presque physiquement la violence de la colonisation en Cisjordanie. 

L'arbitraire des actions de destruction des Israéliens, la résilience digne de Sisyphe des Palestiniens qui semblent toujours en capacité de reconstruire leur village séculaire, la violence décomplexée des colons couverte par l'armée : tout ici concourt à rendre les actions israéliennes profondément cruelles, sous des dehors de justifications froidement administratives.

Par ailleurs, mis à part le tableau d'une belle amitié entre l'activiste palestinien Basel et le journaliste israélien Yuval, le film ne propose pas grand chose en terme narratif. Il est aussi parfois très pauvre techniquement (beaucoup de plan sont tournés avec des téléphones portables) et un peu répétitif dans ses développements - la répétition servant en partie son propos, puisqu'il s'agit de rendre la réitération des persécutions littéralement insupportable.

Même si on peut regretter également que No other land ne donne pas de profondeur contextuelle à ce que l'on voit à l'écran, il faut tout de même aller voir ce film, qui donne comme nul autre une vision profondément immersive, et sur une longue durée, de ce qu'était la vie en Cisjordanie avant octobre 2023.

 

2e

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Trois amies

Rien de bien original dans cette nouvelle production d'Emmanuel Mouret.

Nous sommes toujours dans la gamme à la fois drôle, caustique et légèrement dépressive de ses derniers films. Ici la narration se déplace à Lyon, et débute par une voix off d'outre tombe, ce qui constitue deux (légères) nouveautés.

Pour le reste on se retrouve en terrain connu : des histoires d'amour qui se font et se défont, des sentiments qui fluctuent au fil du temps, des rapports humains souvent basés sur le non-dit ou les mensonges. Le seul personnage qui choisit de dire la vérité (sublime India Hair, qui trouve enfin ici un rôle à son niveau) provoque une tragédie.

Avec l'âge, l'intérêt frontal pour le sexe s'efface un peu du cinéma de Mouret pour laisser place à des réflexions de plus en plus grave au fil des films : c'est une progression que la filmographie de Woody Allen a connu et qui a culminé dans le chef-d'oeuvre September. Espérons que le réalisateur marseillais connaisse le même sort.

Les dialogues sont comme toujours ciselés à la perfection, le casting est formidable et la mise en scène, sobre et efficace), exploite à la perfection les décors lyonnais. On retrouve ici ou là les petits clins d'oeil qui donnent beaucoup de charme au cinéma de Mouret : quand Camille Cottin évoque une aventure extra-conjugale, son regard ne peut s'empêcher de glisser avec gourmandise vers les parties intimes d'une statue romaine du musée de Fourvière. 

Un cru classique mais solide, qui manie assez habilement la tragédie et la légèreté, tout en donnant des relations humaines une vision assez noire.

Emmanuel Mouret sur Christoblog  : Promène toi donc tout nu ! - 1999 (**) / Laissons Lucie faire ! - 1999 (**) / Vénus et Fleur - 2003 (**) / Changement d'adresse - 2006 (***) /  Un baiser s'il vous plait  - 2007 (****) / Fais moi plaisir - 2008 (**) / L'art d'aimer - 2011 (**) / Caprice - 2014 (**) / Mademoiselle de Jonquières - 2018 (***) / Les choses qu'on dit, les choses qu'on fait - 2020 (****) / Chronique d'une liaison passagère - 2022 (***)

 

3e

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Juré N°2

Une fois n'est pas coutume, j'ai beaucoup aimé ce film de Clint Eastwood.

Le mérite en revient probablement en grande partie au scénario de Jonathan Abrams, d'une finesse remarquable. L'intrigue (dont la bande annonce révèle un peu trop facilement le pitch) progresse rapidement au-delà de son point de départ, et ses développements sont très bien conçus.

Les retournements de situation sont excitants, les dilemmes des différents personnages captivants. Les cas de conscience qu'exposent élégamment le film se reflètent d'ailleurs dans le cerveau de chaque spectateur : qu'aurions nous fait à la place de Justin Kemp ?

Comme la mise en scène est d'une grande fluidité, que les dialogues sont ciselés et que le jeu des acteurs est impeccable, on passe un excellent moment. Nicolas Hoult (qui se fit d'abord remarquer dans A single man) est convaincant en juré anxieux, alors que Toni Collette offre une prestation remarquablement nuancée.

Un excellent film de procès et un très bon cru pour Eastwood, peut-être l'ultime pour le réalisateur de ... 94 ans.

Clint Eastwood sur Christoblog : Mystic river - 2003 (***) / Gran Torino - 2008 (***) / Invictus - 2009 (**) / Au-delà - 2010 (*) / J. Edgar - 2011 (**) / American sniper - 2015 (**) / Sully - 2016 (***) / La mule - 2019 (**) / Le cas Richard Lewell - 2020 (**)

 

3e

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Monsieur Aznavour

On peut aller voir Monsieur Aznavour simplement pour en savoir plus sur le chanteur.

De ce point de vue, le film de Grand corps malade et Mehdi Idir est une réussite : il est informatif et jamais ennuyeux. Le propos est donc intéressant pour ceux qui ne connaissent pas sur le bout du doigt la carrière d'Aznavour, et en particulier il apporte beaucoup d'éléments sur la période précédant la célébrité.

Mais pour moi, l'intérêt ultime du film réside dans l'interprétation étonnante de Tahar Rahim. Celle-ci oscille en effet durant tout le film entre un mimétisme troublant et une libre réinterprétation. C'est comme ci l'acteur Rahim contenait un océan intérieur constitué d'Aznavour : on ne voit parfois que Charles, puis à l'occasion d'un sourire les yeux rieur de Rahim s'imposent, puis, par la grâce d'un mouvement d'épaule, Aznavour repasse à la surface. Parfois, on voit dans la même scène plusieurs facettes à la suite : Aznvour sous un vernis de Rahim, Rahim tentant de faire émerger Aznavour, un hybride monstrueux des deux personnages. 

Pour le reste, l'écriture faiblit un peu dans la deuxième partie du film (l'histoire de Patrick est par exemple salement expédiée) et la mise en scène est parfois maladroite (les mouvements de caméra aériens qui n'apportent rien).

Mais la puissance d'évocation et la force interne des chansons (qu'on a le loisir d'entendre ici en entier) l'emportent toutefois : Monsieur Aznavour est un vrai beau film populaire à ne pas manquer.

Grand corps malade et Mehdi Idir sur Christoblog : Patients - 2016 (**) / La vie scolaire - 2019 (*)

 

3e

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Reality

Rattrapage Canal+

Le premier film de la réalisatrice Tina Satter est un film concept.

Il s'agit de retranscrire pratiquement en temps réel l'arrestation d'une présumée lanceuse d'alerte. Retranscrire est le mot qui convient, puisqu'un carton nous avertit en début de film que les dialogues sont exactement ceux enregistrés par le FBI.

Le film s'auto-contraint donc à une unité de temps, de lieu (la maison de Reality) et d'action (avouera-t-elle ?). 

La première partie du film est assez forte. Les deux agents du FBI (Josh Hamilton et Marchant Davies) jouent parfaitement les gentils, et le small talk qui tend à mettre Reality en confiance est tellement bien restitué qu'il en devient presque inquiétant. Le film est à la limite du fantastique quand il parvient à nous faire ressentir l'inquiétante tension qui existe entre les différents personnages.

Malheureusement, dans la deuxième partie, il peine à tenir son rythme et finit par rompre l'unité de temps en proposant quelques flash-backs inutiles, ainsi que quelques effets numériques qui rompent la concentration du spectateur. Le talent de Sydney Sweeney (révélée dans Euphoria) ne suffit pas à maintenir notre intérêt au plus haut niveau.

Tina Satter propose un film intéressant, par moment captivant, mais dont le propos est vraiment trop ténu pour tenir la durée d'un long-métrage. Une réalisatrice qu'il faudra toutefois suivre avec attention.

 

2e

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La garçonnière

Séance DVD

Dans la riche filmographie de Billy Wilder, La garçonnière marque un point d'inflexion notable : succédant à l'immense succès de Certains l'aiment chaud, c'est à partir de ce film qu'une véritable équipe va se constituer autour du réalisateur pour l'accompagner jusqu'à la fin de sa carrière. IAL Diamond, par exemple, son co-scénariste, ne travaillera plus qu'avec Billy Wilder jus qu'à la fin de sa carrière.

Il faut dire que le film est une réussite artistique sur tous les plans. Les décors d'Alexandre Trauner sont splendides : la fameuse salle de la compagnie d'assurance est une merveille d'ingéniosité, qui contraste magnifiquement avec le cocon intime de l'appartement. La photographie de Joseph LaShelle est magnifique, la direction d'acteur est au top.

La particularité du film est d'être une comédie triste, ou un drame drôle. Il met en scène deux personnages absolument seuls, menacés tous les deux par la dépression, et qui ont un comportement peu reluisant, englués dans l'écheveau des turpitudes de la société américaine des années 50 (volonté de réussir à tout prix, machisme institutionnalisé, superficialité des relations). 

De la rencontre de ces deux âmes solitaires émerge tout doucement une relation qui n'a rien de celle qui égaye les comédies romantiques traditionnelles, comme le montre la dernière réplique de Shirley MacLaine, qui répond à la déclaration d'amour enflammée de Jack Lemmon : "Tais toi et distribue". Pas vraiment romantique.

La garçonnière est un film très maîtrisé, duquel se dégage un fumet de sensations et d'émotions très divers : tristesse larvée, espoir ténu, incommunicabilité généralisée. Il est techniquement proche de la perfection. 

Billy Wilder sur Christoblog : Boulevard du crépuscule - 1950 (**)

 

3e

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The substance

The substance n'est pas réellement un film d'horreur. Moi qui suis assez sensible à l'épouvante, je n'ai jamais eu peur une seule fois en regardant le film de Coralie Fargeat, qui est plutôt à classer dans la catégorie "c'est tellement gros qu'on en rigole".

L'intérêt du film est assez compliqué à définir, le fait de l'apprécier découle probablement d'un effort de cinéphilie assumé. Il faut en effet accepter les conventions de genre (les développements gore sont en même temps extrêmement prévisibles et parfaitement efficaces) pour commencer à apprécier le film, par ailleurs d'une grande audace formelle : tout y est pensé pour servir le propos de l'intrigue, de la façon la plus spectaculaire possible, sans aucun souci de réalisme. Le film va vite et frappe fort, dans un univers à la Barbie.

La proposition initiale de The substance est assez simple. Il s'agit d'un pacte faustien qui permet de retrouver sa jeunesse temporairement (et pour être tout à fait précis, pour 50 % de son temps). On est donc au début du film dans une ambiance assez proche de celle des films de Lanthimos, ou du propos d'ouvrages comme Le portrait de Dorian Gray ou La peau de Chagrin.

Les digressions amusantes qui découlent de la proposition initiale arriveraient tout juste à faire de The substance une honnête série B, si ce n'était la deuxième partie du film, qui nous entraîne dans une spirale tout à fait imprévisible, qui résiste à la fois à la description rationnelle et au bon goût. Coralie Fargeat semble nous dire à chaque nouveau développement : "Vous n'aviez jamais vu ça ? Et bien je vais vous surprendre en faisant encore plus dingue !".

De ce film hors norme qui ne ressemble à rien, on peut probablement tirer de puissantes considérations sur le rapport des femmes à leur corps, sur le besoin d'amour ou sur le regard des hommes sur les femmes. On peut aussi savourer le plaisir de se laisser déborder par une avalanche de propositions cinématographiques plus étonnantes les unes que les autres.

Et qui laisse un peu groggy, suite à un dernier plan sidérant de parfait mauvais goût.

 

3e

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Le léopard des neiges

Le léopard des neiges est malheureusement le dernier film de Pema Tseden, décédé brutalement lors de la post-production de sa dernière oeuvre. Nous n'aurons donc plus de nouvelles du Tibet de sitôt : le réalisateur tibétain était en effet le seul qui trouvait avec régularité le chemin des écrans français.

Son dernier opus est centré sur une situation étrange : un léopard des neiges est retenu prisonnier dans un enclos de cultivateur, après avoir causé  une hécatombe dans le cheptel de ce dernier. L'éleveur souhaite être dédommagé, mais le léopard est une espèce protégée : qui gagnera ?

Ce dilemme donne lieu à toute une série de digression de natures très diverses : onirique avec le moine qui semble entrer en communication avec l'animal, administrativo-burlesque avec le défilé d'officiels et de policiers qui font le (long) déplacement, distancié et parfois caustique avec le regard d'une équipe de télévision qui vient faire un reportage, tendre et intime quand tout ce petit monde se regroupe pour manger.

L'ensemble est tout à fait charmant et intéressant, donne à voir le Tibet reculé d'aujourd'hui (sans évidemment aller sur le terrain polémique de l'action destructrice de la Chine) et permet de s'émerveiller devant le spectacle de la nature (à noter que l'animal est le résultat d'un prodigieux travail de synthèse numérique).

Un moment très agréable, même si la réalisation et la tenue du scénario dans la durée sont un peu inégales.

Pema Tseden sur Christoblog : Balloon - 2019 (***)

 

2e

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Flow

Voici un film d'animation qui ne ressemble à aucun autre.

Le "héros" du film est un chat qui ne parle pas, et n'a pas de nom. Ce rejet de l'anthropomorphisme, usuel dans le monde de l'animation, est déjà en soi un profond gage d'originalité.

La parti-pris naturaliste de la narration est ainsi captivant : nous vivons la soudaine montée des eaux exactement dans les mêmes conditions que notre héros-chat. Ses rencontres, ses découvertes et ses aventures deviennent les nôtres. C'est toute la magie du scénario de partir de situations très réalistes pour que les développements ultérieurs nous paraissent naturels.

La direction artistique du film est incroyablement inventive, dans un style qui pourra rappeler celui de certains jeux vidéos à ceux qui les pratiquent. Si cette esthétique ne vous dérange pas, alors vous allez vous régaler : les paysages et les architectures sont splendides, alors que la caractérisation des animaux qui accompagnent notre chat dans son périple est délicieusement précise (mention spéciale au lémurien kleptomane).

Les gestes naturels des animaux sont parfaitement rendus par l'animation. Leur comportement par contre relèvent en grand partie de l'humain et c'est tout l'intérêt du film : donner à voir une leçon morale de cette fable par ailleurs somptueusement illustrée.

Ce film d'animation bénéficie d'une vraie mise en scène et ses techniques de rendus de matière (le traitement de l'eau !) sont les plus beaux que j'ai jamais vu au cinéma. 

A ne pas rater, quelque soit votre âge. Flow est une odyssée captivante, qui place son réalisateur Gints Zilbalodis parmi les très grands de l'animation.  

 

3e

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Trois kilomètres jusqu'à la fin du monde

On retrouve dans ce film d'Emanuel Parvu la même rigueur millimétrée que celle qui fait le sel des films de son compatriote Cristian Mungiu : chaque nouvelle péripétie découle de choix qu'ont fait précédemment les personnages, conformément à leurs valeurs.

Ce qu'on voit à l'écran est donc le fruit, non du destin, mais uniquement du comportement des protagonistes : cela donne une force incroyable à ce type de film, qui paraît être une expérience "en laboratoire". Les êtres humains semblent y être comme des cobayes dont on observerait le comportement.

Cet effet est ici amplifié par le très bel écrin choisi par le réalisateur : un village du delta du Danube, environné par les eaux, comme une prison à ciel ouvert dont on ne peut partir qu'en bateau.

L'intrigue est assez classique. Pour résumer, on peut dire qu'il s'agit d'une chronique au scalpel de l'homophobie ordinaire. La puissance du film réside dans la façon dont tous les éléments de la société se liguent dans cette homophobie décomplexée. Le prêtre orthodoxe est en particulier au centre d'une scène qui restera dans la mémoire.

Trois kilomètres jusqu'à la fin du monde est un suspense psychologique de grande qualité, superbement mis en scène (cadre sublime, photographie inspirante, montage au cordeau). Il prouve que le cinéma roumain est encore un des meilleurs d'Europe.

 

3e

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