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Christoblog

Springsteen on Broadway (26/10/2017) Part 1

 Dehors 

Times Square, à un lancer de pierre, brille de mille feux alors que je me dirige vers l'entrée du Walter Kerr Theatre, situé dans une rue perpendiculaire au Great White Way, ce jeudi 26 octobre 2017.

L'entrée du théâtre est conforme à l'idée du minimalisme américain en matière de décorum : une immense enseigne lumineuse au lettrage vaguement ringard, un aperçu depuis la rue sur les fauteuils habillés de velours rouge, et quelques gentils réceptionnistes qui scannent sans chichi le précieux sésame de spectateurs ravis d'être là.

Avant de pénétrer dans l'antre que Springsteen occupe pendant 80 soirées, il faut encore faire un crochet sur le côté du bâtiment (une affreuse entrée de parking) pour passer sous un très laid détecteur de métaux. Mais peu importe, le jeu en vaut largement la chandelle.

Rappelons que les heureux spectateurs présents ce soir auront déboursé de 75 à 850 $, avec une moyenne de 503 $ la place. Une aubaine pour ceux qui auront trouvé leur bonheur lors des quelques minutes qui suivirent la mise en vente officielle. Les autres, qui se sont fournis au marché noir, sur des sites spécialisés (Stubhub, Viagogo), auront déboursé couramment 2000 $ et parait-il jusqu'à 8500 $ pour faire partie des 950 spectateurs présents chaque soir. Je regarde mes voisins en me demandant qui a payé ce prix pour réaliser son rêve...

Je m'installe avec ma fille au balcon. On est très haut, avec une vue plongeante sur la scène : du bois, un piano, des caisses de matos, des lampes industrielles. Comme la bière coûte 40 $, on se retient de boire un coup.

A côté de nous, beaucoup de parents avec leurs enfants (du père de 70 ans avec son fils de 50, à celui de 30 ans avec sa fille de 10 ans) et des couples plutôt âgés.

Le billet précise Show starts promptly, et à 19h55, panique dans les toilettes hommes : on sonne pour le début du spectacle. Accélération notoire de la vitesse de remontée de braguette, plus personne ne prend le temps de se laver les mains.

20h et 1 minute. Les lumières s'éteignent, un silence assourdissant envahit la salle. Quelques secondes et le Boss entre en scène par la gauche, démarche lente, jean et T-shirt noir. Du public commencent à monter ces "Bruuuuuuuuuuuuuce" spécifiques au public américain qui peuvent faire croire que les spectateurs sont en train de huer, ou de hurler doucement au loup.

 Acte 1 

Dès les premiers mots on sait que nous ne sommes pas un concert. Springsteen n'entame pas par un classique "Good night, New Yoooork", mais par un monologue assez long où il sera question, mezzo voce, d'avoir le sentiment d'être un imposteur, et en même temps de l'art du showman, de son magic trick.

Armé de sa seule guitare acoustique, Springsteen entame une version à rallonge de Growing up, sans cesse interrompu par des anecdotes ou de petites historiettes que ceux qui ont lu son autobiographie connaissent bien. 

Toute la première partie du show va être constituée d'histoires racontées, entrecoupées de chansons (lors de la deuxième partie, ce sera plutôt des chansons avec quelques vignettes parlées). L'enfance (une version très belle au piano de My hometown précédée d'une longue intro), le père (My father's house), puis la mère (The wish au piano). Si certains yeux restaient secs avant cette merveilleuse chanson peu connue, il ne l'étaient plus à la fin, je vous l'assure. Impossible de ne pas tomber raide amoureux de la femme dont Springsteen fait le portrait, dans la chanson elle-même et dans ce qu'il raconte sur elle. 

Après ces quatre chansons, durant lesquelles le Boss parle en égrénant souvent les mêmes accords, on réalise qu'on est captivé par quelque chose d'inconnu, ni vraiment un concert, ni une lecture, mais un mélange des deux, mâtiné de one-man show (Springsteen s'avère capable de faire rire sur commande toute la salle avec une simple mimique) et de prêche mystique (j'y reviendrai).

Quelques mots sur la salle : le son est exceptionnel (on entend distinctement le Boss reprendre son souffle), le public est dans un état de recueillement quasi religieux (on entendrais une mouche voler). Tout juste nous autorisons-nous à applaudir avidement à la fin de chaque morceau ou lorsque les paroles (et parfois un petit signe du Boss) semblent nous l'autoriser. Personne ne sort de téléphone portable, c'est strictement interdit, et il paraît (mais je ne l'ai pas vu ce soir là) que le personnel à une pratique géniale : il pointe vers l'offenseur une torche électrique qui le dénonce à toute la salle et le fait interrompre immédiatement sa coupable activité. Conséquence : aucune photo volée sur Internet. Celle ci-contre est donc une photo "officielle".

Après l'enfance, l'adolescence. Un Thunder road poignant, probablement une des plus belles versions que j'ai entendu - et je ne les compte plus. Bien que ni les paroles ni les arrangements soient modifiés la chanson sonne différemment. Elle semble avoir été écrite il y 40 ans pour être chantée aujourd'hui par un homme dont les plus belles années sont derrière lui.

The promised land est une ode aux grands espaces américains et cette version country, dépouillée, la fait là encore sonner bien différemment que sa version "comment faire en sorte que 90 000 personnes lèvent les bras en même temps dans un stade". Pour la fin de la chanson, le Boss s'éloigne du micro et finit sans amplification. J'aurai donc vécu cela une fois dans ma vie : entendre Springsteen chanter de sa vraie voix.

A suivre ce qui est pour moi le moment le plus saisissant de la soirée : un Born in the USA présenté par le Boss comme un "GI blues, a protest song". Longue intro flamboyante à la 12 cordes, puis tout à coup un moment suspendu dont tous les spectateurs médusés se souviendront longtemps. Le premier couplet a capella par un Springsteen transfiguré, livide, à la vois blanche, éloigné du micro.  La fin de la chanson, terrible plainte pleine de souffrance et de déception, à peine enjolivée de quelques notes, est un moment exceptionnel.

A suivre : Springsteen on Broadway Part 2

 

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