Capharnaüm
Bien sûr, certains commentateurs critiqueront le film sur l'air bien connu du moralisme bien-pensant : en mettant en scène un enfant de deux ans qui n'a pas conscience d'être filmé Nadine Labaki exploiterait la situation comme les pires personnages du film le font, l'esthétisation de la misère serait insupportable, etc.
Ceux et celles qui critiqueront le film à partir de ces arguments (et de leur nombreux dérivés) ont une vision du cinéma qui est auto-centrée sur leurs propres convictions. Pour les autres, qui essayent de voir le film comme une oeuvre de fiction dont ils n'ont pas à connaître les secrets de fabrication, Capharnaüm procurera probablement un intense sentiment de sidération.
On a en effet rarement vu entremêlés aussi efficacement des ingrédients aussi différents : une intrigue captivante, un aspect documentaire saisissant, des personnages incroyablement bien dessinés et une réalisation qui pourra rappeler le meilleur des films d'action.
Les détracteurs du film assimileront probablement Zaïn à une image universelle de la pauvreté et de la détresse enfantine, façon Gavroche du Proche-Orient. En réalité Zaïn n'est réductible à aucun stéréotype : il est un jeune garçon effronté, en colère, provocateur, débrouillard et décidé. Il porte sur ses épaules bien solides un film-tourbillon qui donne à voir beaucoup de misère et de complexité, mais aussi beaucoup de détermination et d'espoir.
En ce sens Capharnaüm n'est pas misérabiliste : il est plutôt le beau tableau d'une certaine rectitude morale, qui ne se résoud pas à échouer. On comprend que sous cet aspect, le final pourra paraître de mauvais goût aux inconditionnels de la tragédie dépressive.
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