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Christoblog

Lettre ouverte aux Cahiers du Cinéma : le lynchage intellectuel n'est pas digne de vous

Chers Cahiers du Cinéma

Dans votre numéro de mai 2015, l’article Billets cannois marque l'apothéose d’une tendance qui gangrène depuis plusieurs mois votre prestigieux magazine : Les Cahiers ne sont plus un journal de critiques et d'opinions, mais un journal de préjugés.

Autrement dit, il n’est plus nécessaire pour vous de voir les films pour écrire à leur propos.

 

Les Vieux sont nuls

Depuis votre article publié en 2014 (« L’âge du festival », N°689), on sait que les Cahiers n’aiment pas les cinéastes quinquagénaires. L’âge des réalisateurs est donc devenu, contre toute justification morale ou esthétique, un critère d’appréciation de la sélection officielle du Festival. Ainsi écrivez-vous cette année « la compétition se rajeunit et on ne peut que s’en réjouir », comme s'il y avait dans cet état de fait un gage de qualité.

Qu’un jeune cinéaste puisse faire un film terriblement classique, vieux en d’autres termes (comme je le pense de Michel Franco par exemple), ou qu’un cinéaste âgé puisse être puissamment novateur est pourtant une évidence. Ecrire de telles énormités vous amène logiquement à cette contradiction amusante : vous n’hésitez pas à consacrer une quarantaine de pages dans le même numéro à Manoel de Oliveira ... 107 ans !

 

Procès d'intention et copinage

Les Cahiers adorent Weerasethakul et Gomes. Cela vous conduit d’ailleurs à appeler le premier par son prénom, Apichatpong, ce qui me laisse perplexe : comment juger objectivement des films d’une personne dont on est suffisamment intime pour qu’on ne s’astreigne même plus à utiliser son patronyme ? Dans le même article, vous n’écrivez évidemment pas Paolo au lieu de Sorrentino, mais j’y reviendrai.

Si Thierry Frémaux (une autre de vos bêtes noires) ne sélectionne pas les films de vos chouchous, c’est à cause de sa ligne éditoriale qui indiquerait que « … les aventures formelles n’ont pas la priorité, quelque soit leur résultat ».

Ce qui est un raisonnement vicié à plusieurs titres : d’abord Cemetery of splendor et Les mille et une nuits ne sont pas particulièrement novateurs d’un point de vue formel (le projet de Gomes est original dans sa démarche intellectuelle, pas dans sa forme), d’autre part Le fils de Saul, The assassin ou Tale of tales, que vous les aimiez ou pas, le sont au moins autant.

Votre volonté de défendre envers et contre tout vos chouchous vous pousse à oublier un point essentiel du travail critique : vos protégés ne font pas forcément de bons films. Si Cemetery of splendor et Les milles et une nuits ne figurent pas en sélection, la raison en est peut-être simplement que leur niveau ne le permettait pas.

Il se trouve que j’ai vu 17 des films en compétition, et 22 autres dans les sections parallèles, dont les deux sus-cités. Pour ma part, comme pour beaucoup d’autres cinéphiles, la non-sélection de Gomes et de Weerasethakul ne sont pas des scandales.

Dans ce contexte, la reconnaissance des films d'Audiard, de Brizé et de Maïwenn par les frères Coen et l’absence des deux films de Gomes et Weerasethakul dans les Palmarès respectifs d’Un certain regard et de la Quinzaine vous feront l'effet d'une gifle : et si finalement il était possible que vous vous trompiez ?

 

Critiquer les réalisateurs plutôt que les films

Comme on l’a vu, Les Cahiers écrivent dans cet article ne pas aimer les vieux. Mais vous n’aimez pas non plus les castings internationaux, Stéphane Brizé, Matteo Garrone et Paolo Sorrentino. Ce dénigrement arbitraire envers des individus ou des groupes relève d'un lynchage intellectuel. 

Pour le Brizé par exemple, le travail critique sur les films est remplacé par un travail critique sur les affiches. Celle de La loi du marché ressemblerait à celle de Jamais de la vie, et donc les films se ressembleraient, consacrant de plus une politique des acteurs (alors qu’on ne puisse pas vraiment dire que Lindon soit une star mondiale !). On atteint là le degré 0 de la critique.

Pour ceux qui ont pris la peine de voir les deux films, il est de plus évident que le film de Jolivet (doté d’une mise en scène classique et d’un scénario standard aboutissant à des climax) n’a rien à voir avec celui de Brizé (aux parti-pris de mise en scène radicaux et poétiques, et bâti sur un scénario pour le moins évanescent).

 

Le Sorrentino bashing, activité favorite des Cahiers

Je ne reproche pas aux Cahiers d’avoir leurs opinions. C’est évidemment l’essence de la critique que d’exprimer une subjectivité. Mais j’attends d’eux qu’ils le fassent par rapport aux films vus. Quand dans l’article en question Laura Tuillier écrit à propos de Youth «… Michael Caine qui, grimé en Toni Servillo, semble imiter les poses blasées du héros de la Grande belleza », elle se livre au sport préféré des Cahiers : dire du mal de Paolo Sorrentino.

Une fois qu’elle aura vu le film, il faudra pourtant que la journaliste en convienne, les deux personnages, les deux milieux, les deux scénarios n’ont rien à voir.

Plus tôt dans l’article Sorrentino s’en prend encore pour son grade (son casting « gonflerait » son film … « mais en a-t-il vraiment besoin ?") avant qu’un coup de grâce particulièrement terrible conclue ses pages : une photo de Youth avec cette légende « Un invité (toujours) envahissant ».

Ce que sous-entend cette légende, c’est que Sorrentino a fait et fera toujours des films qui n’ont pas leur place à Cannes. C’est une sorte de mise à mort critique de nature fascisante : nous souhaiterions que tu n’existes pas, nous te détestons et nous préférons même utiliser la surface utile de notre magazine pour le dire plutôt que pour dire du bien d’un film que nous aimons.

Si le bouton rouge permettant de tuer professionnellement un cinéaste existait, nul doute que les journalistes des Cahiers l’utiliseraient.

 

Parler des films qu’on n’a pas vu amène à écrire de grosses bêtises

Pour finir, je relève cette phrase ignoble de Stéphane Delorme à propos du (superbe) film de Laszlo Nemes (au passage rabaissé au rôle d’assistant de Bela Tarr, ce dont on se contrefout, le film n’ayant en plus rien à voir avec l’œuvre du maître hongrois) : « le seul premier film en compétition … n’est visiblement pas là pour sa poésie, mais promis comme un film choc sur Auschwitz ».

Il s’avère au final que le film est une merveille, un acte cinématographique qui porte justement en lui une poésie immense et douloureuse, que le jury a justement récompensé.

 

Parler des films en les ayant vus, dire plutôt du bien des films qu’on aime que du mal des films qu’on aime pas, ne critiquer que les œuvres et non les cinéastes : un retour aux bases s’impose, messieurs et mesdames des Cahiers.

 

Commenter cet article

C
"Mais j’attends d’eux qu’ils le fassent par rapport aux films vus." l'ami chris aime pousser son indignation au rang de l'unique! ;)
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C
Le billet date de plus d'un an, mais en le relisant, je me dis que les Cahiers avaient quand même bien tendu le bâton dans leur edito, pour se faire battre...
Y
Je pense au contraire que c'est très bien aussi de parler de ce qu'on n'aime pas. C'est bien de parler de ce qu'on aime et de ce qu'on aime pas. Mais c'est encore mieux de parler de ce qu'on aime pas mais que l'on considère comme chef-d'oeuvre ou de ce que l'on aime mais que l'on considère comme un mauvais film. Car la critique n'est pas une question de goût, c'est une question de réflexion sur quelque chose de plus universel. Peu importe que l'universalité existe ou non, il faut y croire pour faire la critique d'un film ou d'une œuvre.<br /> Et ensuite, pourquoi dis-tu que les Cahiers sont contre les vieux ? Je pense que tu te trompes complètement sur ce point, car tu as simplement extrait la citation qui t'arranges en la prenant au premier degré, en occultant le fait que, juste après, les Cahiers du Cinéma disent justement qu'ils n'ont pas du tout aimé cette sélection ou « la compétition se rajeunit et on ne peut que s’en réjouir », ce qui prouve bien qu'ils disaient cela ironiquement. Ils veulent dire par là, justement, que le fait que la compétition se soit rajeunit n'apporte en rien une plus grande qualité à celle-ci...
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C
C'est très très bien de parler de ce qu'on aime pas.... à condition que ce soit des films qu'on a vu, et non pas des personnes. Et je ne crois pas du tout que la réflexion "la compétition se rajeunit..." soit ironique.
M
Un article qui n'a aucune légitimité puisque vous critiquez les cahiers seulement en fonction de votre avis - donc de votre subjectivité - sur les films. Les Cahiers ont le droit d'aimer Weerasethakul et Gomes, ils ont le droit de penser que leur non-sélection en compétition officielle à Cannes était injuste, ils ont le droit de détester Frémaux et Sorrentino, ce que vous ne semblez pas accepter uniquement parce que votre avis diffère du leur. <br /> Et cette phrase que vous plaquez à la fin de votre deuxième partie : "et si finalement il était possible que vous vous trompiez ?" marque une étroitesse d'esprit assez sidérante. Vous auriez raison quand vous dites que Weerasethakul et Gomes n'avaient pas leur place dans la compétition et les Cahiers auraient tort de s'insurger contre le choix de Frémaux ?<br /> De plus, les Cahiers n'ont jamais défendu les cinéastes plus jeunes (il ne suffit pas de sortir une phrase d'un de leurs articles pour pouvoir affirmer une telle bêtise) mais jugent les films en fonction d'une certaine vision du cinéma: c'est la radicalité de ce journal.<br /> Alors, avant de critiquer un journal, il faudrait peut-être l'avoir compris !
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C
Cher Matthias, merci d'avoir pris le temps de me lire. <br /> 1 - le principe d'un blog c'est d'exprimer son avis<br /> 2 - je ne reproche pas aux Cahiers d'aimer Gomes et de ne pas aimer Sorrentino, mais de le faire AVANT d'avoir vu leur film<br /> 3 - j'ai été abonné 10 ans aux Cahiers, je pense donc bien les connaître, le tournant que je dénonce ici est plutôt récent : il date de 2/3 ans, n'a rien à voir avec la radicalité mais plutôt avec une sorte de snobisme que Positif a su éviter dans son évolution
P
beaucoup à dire mais pour faire (un peu) court: je crois que nous sommes quand même encore très chanceux d'avoir un semblant de critique Presse et radio (la télé a abandonné, même celles qui se prétendent "indépendantes" comme "ça balance" semblent en fait totalement corrompues)...je ne suis plus abonné à "Positif" ou "Les Cahiers" ou "Starfix"... ou "Première" car trop chères et me suis refugié (un peu) sur Internet (parfois, car manque de temps) mais je suis ravi que certaines revues et radios existent encore...j'ai connu des pays sans ce genre de revues "and it's very shit!"...<br /> les gros nuls fainéants corrompus qui font mal leur travail, c'est dans toutes les professions et à tous les étages hiérarchiques, c'est aux "clients", "lecteurs" de faire leur tri au sein de la revue/entreprise pour voir qui est meilleur...<br /> <br /> mais pour cela, ils doivent avoir le choix et j'ai bien peur que si toutes ces revues meurent, on aura plus guère de choix. Les Distributeurs qui pullulent (secrètement) dans les commentaires internet et autres blogs sont pas forcément les plus justes et indépendants pour exprimer une opinion donc internet est loin de vouloir dire professionnalisme, honnêteté etc.<br /> <br /> mais super d'accord avec toi sur un point (que tu ne respectes pas trop, pas toujours, car parfois c'est trop dure de résister d'exprimer une déception ;-)...), il vaut mieux parler de ce qu'on aime...comme un peu le grand Toscan du Plantier...si on accès à la télé ou à un large lectorat, il vaut mieux profiter de cet espace pour motiver les gens et parler du positif.<br /> <br /> 1000% d'accord: 'Parler des films en les ayant vus, dire plutôt du bien des films qu’on aime que du mal des films qu’on aime pas, ne critiquer que les œuvres et non les cinéastes'
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B
"je pense aussi à la dérive de Benoit Jacquot qu'ils adorent."<br /> Ça se voit que vous ne lisez les Cahiers qu'une fois par an ! Parce que ça fait des années (depuis le départ de Frodon) qu'ils disent beaucoup de mal de Jacquot (notamment le dernier, défoncé).<br /> <br /> En tout cas j'imagine que vous avez adoré leur numéro de juin et leur retour de Cannes !
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C
J'ai lu les Cahiers pendant des années : j'ai été abonné pendant 10 ans. Je ne le suis plus depuis un an, et c'est vrai que je ne les lis plus systématiquement. Je n'ai pas lu le retour de Cannes, je me suis abonné à Positif à la place !