Snow therapy
Nul doute que le nouveau film de Ruben Ostlund va diviser la critique et les blogueurs.
D'un côté, ses détracteurs reprocheront au film son sens du dispositif : les craquements d'une famille de bobo scandinaves en vacances aux sports d'hiver, examinés avec un microscope impitoyable et désincarné. Ceux-là dénigreront le film en le qualifiant de froid et de cynique. Il pointeront la machinerie visant à construire un film apte à être reconnu en festival (ce qui ne manqua pas d'arriver à Cannes où il emporta le Prix du jury Un certain regard).
Il y a peu, j'aurais peut-être pu me ranger dans cette catégorie. J'aurais pu alors parler d'une sorte de Haneke tentant de faire de l'humour.
Mais contre toute attente, j'ai beaucoup aimé le film, qui me semble infiniment plus complexe que son pitch. Bien sûr, Ostlund commence par démonter sciemment toutes nos petites hypocrisies contemporaines : une certaine lâcheté, la tentation du bonheur parfait (mais insipide), l'abandon de notre part d'animalité, les petites lâchetés, l'incapacité à se regarder en face, l'importance du paraître, les blessures de l'ego masculin, l'usure du couple, ce satané principe de précaution, etc.
Si ce n'est jamais franchement hilarant, c'est souvent insupportable de justesse et sidérant de cruauté (comme l'incroyable scène ou nos deux héros boivent une bière et se font aborder par une jeune femme), à tel point que le sourire (jaune, c'est vrai) est pratiquement toujours là.
La démarche serait un peu vaine et factice, si Snow therapy n'était pas aussi un grand moment de cinéma. Ostlund y déploie une mise en scène souveraine et surprenante, qui mélangerait le sens du décors de Tati et la finesse des observations de Bergman. Son travail sur les sons est remarquable.
Il donne à voir une nature grandiose qui offre un contrepoint parfait à la mesquinerie de la petite famille. Il invente des scènes extrêmement surprenantes, telles celle qui met en scène un drone domestique flottant dans l'espace comme un OVNI. La diversion qu'apporte le couple de visiteur est aussi une idée brillante, qui apporte une échappatoire à l'enfermement mortifère du couple principal... avant de s'avérer un piège aussi redoutable.
Le film installe une atmosphère trouble et mystérieuse dans laquelle la réalité semble toujours à la limite du fantastique (cet étrange employé de l'hôtel toujours présent dans les moments de dispute, cette séquence de fin incroyablement ambigüe). En ce sens il dépasse et fait exploser le cadre dans lequel on pourrait être tenter de l'enfermer : une étude de caractère du bobo moderne.
Une oeuvre majeure, la première de 2015.
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