Kyuka est un intéressant film grec de Kostis Charamountis, présenté dans la décapante section ACID du dernier festival de Cannes.
Il est construit d'une façon très curieuse. Au début, on a l'impression qu'il s'agit d'un simple film de vacances montrant un homme et ses deux enfants vivre sur leur bateau, amarré dans une délicieuse île grecque.
Le scénario ne se dévoile que très lentement et va s'avérer d'une grande subtilité (je ne peux en révéler plus sans gâcher le plaisir de la découverte).
Le format 4/3, la qualité de la lumière, l'originalité du montage (une scène montée "à l'envers", des enchaînements parfois hyper-saccadés, des ellipses radicales, des séquences en boucle) rendent le film à la fois aimable et intrigant. Certaines scènes, comme une impayable séquence de pêche lors de laquelle deux hommes veulent absolument pêcher le plus gros poisson, sont extrêmement réussies, dans un style qui mêlent causticité, nostalgie et émotion.
Le tout pourra peut-être vous irriter par son caractère un peu trop artificiel, mais pour ma part j'ai été agréablement surpris par ce premier film prometteur.
Voici un documentaire qui met en évidence quelques tares de la société japonaise : déni des violences faites aux femmes, collusions entre puissants, emprise des conventions.
Son originalité est d'être réalisé par la victime du viol elle-même : la journaliste Shiori Ito, qui documente elle-même son chemin de croix.
Si le début du film est assez captivant, sur un mode de film policier (on voit notamment des images volées à la sécurité de l'hôtel dans lesquels la victime droguée est difficilement extirpée de la voiture), la suite est plus poussive. L'enquête de Shiori Ito n'en est pas vraiment une, et le film devient une chronique un peu languissante de la vie de la réalisatrice, qui écrit un livre, mais ne semble plus vraiment travailler à son enquête.
Le film ménage toutefois quelques moments vertigineux : la conversation téléphonique avec le portier de l'hôtel qui accepte de témoigner, celui avec le flic qui la drague lourdement.
Black box diaries constitue un témoignage poignant et important, fer de lance du #metooJapan.
Drôle de rencontre dans le Sud : un prof veuf et sa fille accueillent une famille étrange composée d'un couple et de deux enfants qui semblent non scolarisés.
Sur cette base assez sommaire, la réalisatrice Baya Kasmi construit un film presque entièrement basé sur le jeu des acteurs et actrices.
Il s'agit pour chacun d'exprimer avec le plus de subtilité possible les fractures profondes qui le traverse : deuil, incommunicabilité, enfance difficile, inadaptation à la société. C'est sans conteste Ramzy Bedia qui livre la meilleure prestation, touchant comme jamais. Si Vimala Pons est égale à elle-même (une expressivité hallucinante), Félix Moati est un poil excessif dans sa partition de jeune adulte passé par de nombreuses familles d'accueil, dont certaines étaient à l'évidence violentes.
Le film a certaines qualités : une capacité certaine a faire ressentir différents sentiments (joie, espoir, souffrance, déception), de belles idées originales (la capacité qu'a la jeune fille à "disparaître") et enfin une sensibilité évidente dans la description des ambiances méditerranéennes. Il a aussi certains défauts, notamment de petites faiblesses dans l'écriture et quelques chutes de rythme.
Le résultat est toutefois plaisant, et prometteur : on suivra attentivement la carrière de Baya Kasmi, jusqu'à présent surtout réputée en tant que scénariste, notamment chez Michel Leclerc.
Berlin, été 42 raconte l'histoire d'une jeune femme allemande et de ses amis, résistants de l'intérieur contre les nazis, ce qui constitue un sujet assez rarement vu au cinéma.
Andreas Dresen adopte une réalisation très sage, sur une écriture qui est elle d'une certaine complexité : la destinée de Hilde (excellente Liv Lisa Aries) ne s'éclaire que très progressivement, par le biais de flash-backs non contextualisés, qu'il faut progressivement assembler comme un puzzle pour prendre la mesure de l'ensemble des évènements.
Le récit devient alors poignant, et on ne peut être que bouleversé par la violence faite à Hilde, qui se trouve entraîner dans cette histoire par amour, plus que par idéologie. C'est d'ailleurs une des grandes forces du film de jouer sur le contraste entre la violence de la répression et les activités des jeunes gens, qui semblent bien innocentes dans la chaleur estivale de l'Allemagne.
L'itinénaire de Hilde en prison est d'une intensité parfois insoutenable, et rappelle un film récent dans lequel on suivait également le parcours d'une femme mise en prison par un régime totalitaire : Je suis toujours là, de Walter Salles.
Un très bon film allemand, qui était en compétition à la dernière Berlinale.
Ce nouveau film du réalisateur suédois Magnus von Horn est d'une noirceur absolue, tout comme un de ses films précédents, que je n'avais pas aimé du tout (Le lendemain).
Je ne pense pas avoir déjà vu un film de cette facture. Le contraste est saisissant entre le pessimisme fondamental du propos (pauvreté, mutilation de guerre, oppression de la femme, trafic d'enfants) et la recherche d'une esthétique très léchée (format 4/3, noir et blanc expressif, décors proprets, mise en scène élégante).
La jeune femme à l'aiguille est un film d'un autre temps, qui lorgne du côté de Dickens pour la forme mais qui pourtant procure des sensations très "modernes" (l'embryon d'une attirance sexuelle entre les deux femmes, la pure violence de certaines scènes, presque horrifiques).
J'ai été surpris par ce combo improbable de film d'époque / thriller psychologique / chronique romanesque au long court, par moment charmé, et aussi un petit peu déçu par la dernière partie du film.
En tout cas, une découverte pour les aventuriers cinéphiles !
Magnus von Horn sur Christoblog : Le lendemain - 2016 (*)
Ce film canadien raconte comment un jeune homme qui fuit son Québec natal devient berger en Provence (et accessoirement y rencontre l'amour). Il est tiré de l'histoire personnelle du co-scénariste Mathyas Lefebure, qui en a fait un livre (D'où viens tu, berger ?).
Il y a dans la réalisation de Sophie Deraspe une fraîcheur dont je ne sais pas si elle est typiquement canadienne, mais dont on n'a pas l'habitude sur les écrans français.
Il n'y a en effet dans cette histoire ni discours militant, ni angélisme, ni pathos, ni coups de théâtre dramatique, ni critique sociale : simplement la volonté de raconter une histoire assez simple d'une façon sensorielle. Bergers parvient de cette façon à être à la fois réaliste (parfois presque naturaliste) et par moment discrètement lyrique.
Pour maintenir cet équilibre délicat entre naïveté constructive et description évocatrice, il faut une interprétation sensible et parfois ambigüe. Félix Antoine-Duval et Solène Rigot apportent avec brio leur vivacité à ce drôle de couple qui se construit très progressivement, au contact d'une nature grandiose.
Je fais partie de ceux qui tente de défendre Paolo Sorrentino, quand il est attaqué de toute part pour des films que je juge intéressants, notamment quand le réalisateur italien n'hésite pas sur le dosage des effets baroques (comme dans La grande belleza).
Mais malheureusement, je ne peux pas grand-chose pour le soldat Sorrentino en ce qui concerne ce brouet sans saveur, juste illuminé de quelques passages sidérants.
Rien ne va dans cet opus. L'actrice principale d'abord : Celeste della Porta n'a malheureusement aucun charisme. Elle est censée représenter une divinité (la protectrice tutélaire de Naples), mais ne parvient qu'à évoquer une publicité pour produits de beauté.
Le scénario n'aide pas à ce qu'on s'intéresse au personnage titre : les dialogues qu'on lui met dans la bouche semblent être des phrases issues de comptes Instagram avec photo de chatons. C'est niais, et ridicule quand cela devient pseudo-philosophique : "L'avenir est plus grand que toi ou moi".
Le male gaze que certains reproche souvent à Sorrentino trouve aussi ici un summum gênant. Que Parthenope soit un peu stupide, soit, mais la caméra la chosifie trop volontiers, mettant en valeur ses perpétuels décolletés provocants, sans chercher à traquer l'expression d'une simple émotion.
Au final, j'a trouvé le film froid et désincarné, un comble quand il s'agit de rendre hommage à la bouillante Naples. Seules quelques scènes (le miracle, le bébé difforme, les supporters du Napoli) rappelle que le talent de Sorrentino ne s'exprime que dans la démesure.
J'ai vu ce film un peu ardu dans la furie cannoise de l'année dernière, et je dois dire qu'il ne m'avait pas marqué puisque j'ai du relire mes notes pour m'en souvenir.
Tout commence par une rencontre amoureuse assez joliment évoquée. La caméra semble flotter entre les deux personnages, s'attardant tour à tour sur le visage de celui qui écoute, puis sur celui qui parle. Il y a chez Constance Tsang un véritable don pour la mise en scène.
Mais après ce sympathique démarrage, et passé l'étonnement d'être à New-York alors qu'on se croirait en Chine, on s'ennuie vraiment. Le film prend son temps, sans qu'on comprenne bien où il veut nous emmener, laissant sans réponse beaucoup de questions que le spectateur est en droit de se poser.
J'ai fini par perdre pied, sortant du film et pestant contre cette succession de scènes allusives peu compréhensibles dans leur ensemble. Vers la fin du film, la torpeur formaliste atteint son acmé dans le très long plan de l'homme marchant le long d'une route.
Des idées et une vraie sensibilité, mais noyées dans le formol.
Décrire une profession peu montrée au cinéma (vulcanologue), donner de la Guadeloupe une vision non touristique, tenter une illustration de ce qu'est la gestion du risque par les autorités publiques : autant d'idées ambitieuses qui auraient pu donner un film original.
Malheureusement toutes ces bonnes intentions se heurtent à un manque de moyen criant qui finit par nuire au film. Difficile en effet de faire monter un suspense de film catastrophe sans avoir les moyens de montrer autre chose qu'un petit panache de fumée à l'horizon.
Si Marina Foïs est très bien, elle ne trouve pas de quoi vraiment s'exprimer dans un scénario un peu scolaire qui tente trop de choses. Aux thématiques déjà évoquées, il faudrait en effet encore ajouter le racisme latent dans l'île, la transmission du savoir, les couples mixtes, le sacrifice de la vie privée au profit de la carrière, l'identité culturelle guadeloupéenne. C'est trop pour qu'un seul de ces thèmes puisse être correctement illustré.
La mise en scène ne présente aucune aspérité, elle est aussi transparente que le scénario est évanescent.
Le principal intérêt du film est donc finalement presque documentaire : on approche de près la réalité du travail de vulcanologue, dans sa vérité scientifique un peu austère.
Le personnage principal de Black dog, ne parle quasiment pas. Juste sorti de prison, il se contente, pendant une bonne partie du film, de contempler les ruines de sa ville d'enfance qui se meurt, menacé par la famille du jeune garçon qu'il a tué.
On pense donc d'abord que ce film se situe dans une série d'oeuvres chinoises très noires, souvent déprimantes, comme People mountain, People sea, ou le polar Black coal.
Et puis Lang fait une série de rencontres qui change son existence : une jeune femme artiste dans un cirque ambulant et un chien retourné à l'état sauvage, à la silhouette extraordinaire (pour simplifier, une mante religieuse à pattes). Un chien tellement séduisant que l'acteur Eddie Peng l'a adopté à la fin du tournage.
Black dog devient alors une chronique attachante, d'une grande richesse. De grands évènements (les JO de Pékin, une éclipse de soleil, l'industrialisation du pays à marche forcée) viennent alors heurter avec douceur la vie quotidienne de Lang. Les évènements prennent des tours inattendus (j'ai eu plusieurs fois l'impression d'assister à la scène finale du film... qui rebondit alors).
Doté d'une image splendide, de décors qui constituent un personnage à part entière, et d'une interprétation de très haut niveau (à noter la présence du grand cinéaste Jia Zhang Ke dans un petit rôle), Black dog est captivant de bout en bout. Il offre en bonus plusieurs scènes d'anthologie, notamment la première, dans laquelle on voit une meute de chiens sauvages se précipiter sur une route, dans un décor de far-west.
Prix Un certain regard à Cannes 2024, et un des plus beaux films de cette année, assurément.
Ce film italien d'un réalisme intense m'a rappelé certaines oeuvres des années 70 et 80 : celles d'Ernano Olmi ou les premiers films des frères Taviani.
Nous sommes à la montagne, dans des conditions très rudes, et le propos du film est avant tout de faire ressentir l'importance des saisons, l'âpreté de la vie quotidienne et l'absence de perspectives enthousiasmantes, notamment pour les femmes.
Il réussit pleinement à remplir son cahier des charges : il est fort peu rieur, et pour tout dire souvent triste. Heureusement, l'intrigant visage de l'actrice principale Carlotta Gamba irradie la pellicule et nous sert de guide dans cette histoire sans grand éclat, mais d'une grande profondeur, servie par une troupe d'acteurs et d'actrices profondément attachants.
Vermiglio confirme le renouveau du cinéma italien, porté par une pléiade de réalisatrices de toutes générations, et qui présentent la caractéristique de nous donner à voir des destins de femmes à travers un large spectre temporel et spatial (Piccolo corpo, L'immensita, Il reste encore demain, Miele, etc). Après son très remarqué Maternal, Maura Delpero ajoute donc sa pierre à l'édifice.
Un film que je conseille aux amoureux du cinéma italien, des grands espaces ruraux et des immersions hyper réalistes.
On retrouve dans cette nouvelle proposition américaine de Bong Joon Ho beaucoup des thèmes qu'on a déjà vu dans ses films d'anticipation US : la neige et les classes sociales de Snowpiercer, les gentilles bébêtes et le propos écologiste d'Okja.
Disons-le tout net, ce n'est pas veine du génial coréen que je préfère : il me semble que dès qu'il quitte le substrat de la société (et de la famille) coréenne, son cynisme acéré et sa pertinence le désertent. Mieux vaut donc revoir Memories of murder, The host et Parasite.
Bien sûr, le talent du réalisateur est toujours manifeste quand il s'agit de manier la caméra : la mise en scène est aérienne, les effets spéciaux efficaces et les moments comiques bien amenés. S'il n'était pas beaucoup trop long (2h17), Mickey 17 serait une fantaisie récréative agréable à regarder.
Hormis son manque de rythme et son scénario inégal, le film pêche aussi un peu par une direction d'acteurs un peu trop outrancière (Mark Ruffalo en fait vraiment trop). Il perd en force satyrique ce qu'il pense gagner en fun cartoonesque.
Trop gentil pour être vraiment décapant, mais trop méchant pour être une comédie pure, Mickey 17 ne séduit que par moment : je pense notamment à toutes les apparitions de l'actrice Naomi Ackie qui campe une soldate dotée d'un très solide et réjouissant appétit sexuel.
Un Bong mineur. Vivement la prochaine livraison Made in Korea.
A l'occasion de la sortie en DVD chez Epicentre Films de Shambhala, le royaume des cieux, du réalisateur Min Bahadur Pham, le lundi 1er avril 2025, je vous propose de gagner le DVD du film.
Pour ce faire :
- Répondez aux questions suivantes:
1) Dans quel pays se déroule le film ?
2) Quelle est le nom du personnage principal ?
3) Quel est le dernier film d’Épicentre Films à être sorti en salle ?
- joignez votre adresse postale
- envoyez moi le toutpar iciavant le 07 avril, 20 h.
Un tirage au sort départagera les gagnants. Vous recevrez ensuite le DVD envoyé par le distributeur. NB : un des trois DVD sera attribué par tirage au sort à un participant ayant aimé ma page FB oumon compte Twitter ou s'étant abonné à la Newsletter du blog (n'oubliez pas pour participer à ce tirage au sort spécial de me donner votre pseudo dans votre réponse, pour que je fasse le lien).
Jesse Eisenberg nous propose avec A real pain un drôle de film, mineur par son propos (le road trip de deux cousins dissemblables), mais ô combien majeur dans son contexte (ils sont Juifs et le road trip a lieu en Pologne).
Le résultat est délicieux, par la grâce des deux acteurs principaux. Jesse Eisenberg est bluffant en geek père de famille, inhibé et fasciné par le trublion joué par Kieran Culkin, qui lui, renverse tout sur son passage.
C'est peu dire que l'acteur de Succession trouve ici un terrain d'expression à la mesure de son talent, dont on finit par penser qu'il est intimement lié à sa personnalité même : Culkin joue ici exactement la même composition que dans la fameuse série, celui d'un homme-enfant fantasque, vulgaire et attendrissant, qui entraîne la sympathie de tous.
Ce joli film présente beaucoup de qualités : il est rythmé, amusant et parfois surprenant. Il adopte une tonalité qui est étonnamment celle d'un cinéma d'auteur plus européen qu'américain, subtil et léger.
Pas une oeuvre exceptionnelle, mais un film touchant qui laisse voir avec douceur les failles des deux personnages principaux.
Pour son troisième film (les deux premiers ne sont pas sortis en France), le jeune réalisateur américain Brady Corbet, 36 ans, frappe un grand coup.
The brutalist est en effet une oeuvre dont on se souvient longtemps, d'une densité exceptionnelle de plusieurs points de vue : incroyablement ambitieuse techniquement, portant la direction d'acteur à un niveau souvent vertigineux et brassant une matière narrative d'une grande richesse.
Commençons par les aspects techniques. Le film est entièrement réalisé en Vistavision, un procédé sur pellicule qui garantit une qualité optimale aux images, et qui n'était plus utilisé depuis les années 80. Le résultat est époustouflant, offrant une qualité d'image rarement égalée, bien plus chaude et vivante que les prouesses numériques contemporaines.
Corbet multiplie aussi les effets de mise en scène, d'une façon toutefois assez discrète et au service de l'histoire qu'il raconte. C'est souvent réussi (le plan séquence du début, les ralentis pendant la réception, l'entracte obligatoire) et parfois moins (les images touristiques de Venise).
Du point de vue des acteurs, le travail est remarquable. Certaines scènes ont une densité émotionnelle (ou intellectuelle) que je n'avais pas vu au cinéma depuis longtemps. Si Adrien Brody livre une prestation hallucinante (et par instants hallucinée), Felicity Jones et Guy Pearce sont tous deux beaucoup plus que des faire-valoir.
L'enchevêtrement des thématiques abordées par le film est l'une de ses forces, et permet de ne jamais s'ennuyer durant les 3h20 de projection : destinée individuelle, capacité des USA à accueillir les nouveaux entrants (et les Juifs en particulier), trauma post-holocauste, réflexion sur la nature de l'architecture (et le Bauhaus en particulier), féminisme, handicap, jalousie, désir sexuel, obsession de l'artiste, écoulement du temps, fascination des USA pour les self-made men ... Et j'en oublie probablement, tellement The brutalist est riche de multiples croisements.
Mais l'art de Corbet, décidément un grand artiste à suivre désormais, réside au final dans le tour de force suivant : à partir de tous ces éléments édifiants, il parvient à faire une oeuvre quasi intimiste, dans laquelle le spectateur à l'impression marquante d'entrer en contact direct avec les personnages principaux, dont aucun n'est tout à fait aimable, ni irréprochable.
On a longtemps reproché au cinéma d'auteur français sa tendance au parisianisme, et plus globalement son incapacité à sortir des grandes métropoles pour s'intéresser aux périphéries et à la campagne.
Mais depuis plus d'un an, des cinéastes français proposent des films touchants dans lesquels la vie qui est menée dans la France profonde semble correctement représentée à l'écran, support d'histoires intenses (Chiens de la casse, Vingt Dieux, Nos enfants après eux, Le roman de Jim, En fanfare).
La pampa vient s'inscrire dans cette tendance. Nous sommes au bord de la Loire et les loisirs des deux jeunes lycéens que nous découvrons au début du film sont très communs : faire du moto-cross, draguer vaguement les filles, pénétrer dans les maisons abandonnées et profiter la nuit des piscines des autres.
Rien de bien anormal, jusqu'à ce qu'un évènement très particulier que je ne peux dévoiler ici vienne perturber cette vie tranquille. Le réalisateur Antoine Chevrollier, dont c'est ici le premier film (il a réalisé des épisodes du Bureau des légendes et de Baron noir), ne manque pas d'ambition. La pampa balaye en effet un spectre très large de thématiques : différence de classe sociale, deuil, homophobie, difficultés de communication entre générations, éveil du sentiment amoureux, déracinement, culpabilité.
Il faut une écriture subtile et l'interprétation incroyablement convaincante du jeune Sayyid el Alami pour que l'ensemble ne soit pas indigeste. C'est au contraire un souffle épique de coming of age tragique qui vient dynamiser ce beau tableau social.
Une révélation du dernier Festival de Cannes, où le film était présenté à la Semaine de la critique.
Présenté dans la presse comme un "western corse", Le Mohican s'avère victime de cette catégorisation rapide.
En effet, le film de Frédéric Farrucci ne bénéficie ni de l'efficacité d'un film de cavale survitaminé (je pense à l'excellent film belge de 2024, La nuit se traîne), ni de l'ampleur souvent shakespearienne des vrais westerns de la grande époque.
Mal écrit (plusieurs scènes semblent invraisemblables : comment Manenti peut-il distancer des poursuivants beaucoup plus véloces que lui ?), mal joué (les seconds rôles sont très mauvais) et moyennement réalisé, ce nouveau film prenant la Corse comme décor s'avère peut-être le moins bon de la longue série commencée en 2024. Le royaume était plus percutant et plus complexe.
En tant que simple cinéphile, puis-je aller à Cannes pendant le festival, voir des films, et en particulier puis-je assister à la montée des marches des films en compétition ?
C'est à cette question à la fois simple et compliquée que je vais essayer de répondre.
Première approche
D'abord, si vous allez sur le site internet du Festival, vous constaterez vite que le spectateur lambda est dissuadé de se présenter sur la Croisette. La seule possibilité qui apparait est celle de "l'accréditation Cinéphiles" dont vous trouverez le détail sur cette page. Après avoir créé un compte, il vous faudra fournir les éléments suivants : une lettre de motivation, une copie de pièce d'identité et une preuve que vous fréquentez assidûment les cinémas, par exemple en demandant à votre cinéma d'éditer la liste des films vus si vous avez une carte, ou en fournissant une preuve que vous avez une carte d'abonnement mensuel type UGC. Tout est assez bien expliqué sur le site. Une contribution de 24 euros est demandée dans le cadre de la politique environnement du festival. Je détaille plus bas le fonctionnement de l'accréditation Cinéphiles et les changements intervenus en 2023.
Les festivals de Cannes
Mais avant d'aller plus loin, il nous faut détailler les différentes sections. Le Festival de Cannes proprement dit, sous la houlette d'Iris Knobloch (qui a remplacé Pierre Lescure fin 2022) et Thierry Frémaux, comprend la célèbre Sélection officielle (Compétition, Hors compétition, Séances spéciales, Cannes premières), la section Un certain regard, ainsi que les sections moins courues comme Cannes Classics, Cannes Court métrage, le Cinéma de la plage. Géographiquement, toutes les projections du Festival "officiel" dont je parle ici ont lieu dans l'enceinte du Palais qui comprend plusieurs salles (Le Grand Théâtre Lumière, les salles Debussy, Bazin, Buñuel, Varda - cette dernière étant une salle amovible uniquement montée pour le Festival), à l'exception du Cinéma de la Plage dont les projections ont lieu... sur la plage Macé.
La Quinzaine des Cinéastes est une sélection totalement indépendante. Les projections ont lieu plus loin à l'est, au Théâtre Croisette (photo ci-contre), sous l'hôtel JW Marriott, entrée dans la rue Frédéric Amouretti.
La Semaine de la Critique, dont la sélection ne comporte que des premiers et deuxièmes films, se déroule encore plus loin sur la Croisette, à l'Espace Miramar, à l'angle de la rue Pasteur.
La programmation ACID est la dernière-née des manifestations, et la plus modeste. Les projections ont lieu principalement au cinéma les Arcades, 77 rue Félix Faure.
Tous ces lieux sont dans un périmètre de 15 minutes à pied autour du Palais.
Jamais sans mon badge
Quand vous marchez à Cannes, vous remarquez rapidement que les gens se promènent avec leur(s) badge(s) autour du cou en toute circonstance.
La première grande catégorie est constituée des badges Presse. Ils ont des couleurs différentes suivant l'importance du média, si j'ai bien compris, avec un code qui associe une couleur principale et une pastille qui peut être d'une couleur différente. Le badge blanc est ainsi exceptionnel, réservé aux big boss. Il y a des badges presse roses, bleus, jaunes (les moins prioritaires). Vous verrez ensuite des badges "Marché du film", réservé aux vendeurs, producteurs, acheteurs, et aussi des badges pour les techniciens et les photographes, tous d'une couleur particulière, qui varie selon les années.
Les badges Festivaliers professionnels sont les plus courants. Ils constituent le gros de la troupe, regroupant tous les professionnels du cinéma, qui viennent en masse au Festival.
Et enfin, le badge Cinéphiles, modeste, dont nous allons parler en détail ci-dessous, est le seul que vous pouvez obtenir.
Si on veut compliquer un peu, il faut signaler qu'il est possible d'accrocher à son tour de cou un Pass Quinzaine des cinéastes ou Semaine de la critique, ou les précieux sésames qui donnent accès aux endroits où l'on fait la fête. Mais bon, je ne m'étends pas, c'est assez compliqué comme ça.
L'accréditation Cinéphiles sert-elle à quelque chose ?
Si vous êtes un quidam, le seul badge que vous avez une chance d'obtenir est le badge Cinéphiles.
4000 étaient attribués chaque année jusqu'en 2023. Pour ma part j'ai tout simplement rempli un dossier sur le site du Festival, en mettant en avant mon goût pour le cinéma à travers Christoblog et en transmettant un scan de ma carte UGC illimité (et aussi un relevé bancaire prouvant que j'ai bien payé un abonnement UGC illimité en janvier), ou désormais un relevé de mes séances produit par mon cinéma habituel. La demande est à faire en février (date limite 1er mars en 2025).
Vous recevez une réponse par mail, l'organisation est efficace. Le badge est à retirer à l'espace accréditation, à la gare maritime, à deux pas à l'ouest du Palais (ouverture 9h - 18h, 20h le premier jour).
D'abord, douchons les enthousiasmes : l'accréditation Cinéphiles ne vous permet pas d'accéder facilement aux films de la sélection officielle dans le Grand Théâtre Lumière, dont ceux en compétition.
Pour ces derniers, avant de détailler d'autres méthodes d'accès plus bas, je précise tout de suite qu'il existe une queue "Accès Dernière minute" (ouverte pour toutes les séances mais qui ouvre un maximum de possibilités l'après-midi et à 22h), qui offre une possibilité aux badgés n'ayant pas obtenu de places d'entrer au Grand Théâtre Lumière quand il reste des sièges vides, mais l'accès n'est absolument pas garanti, et il arrive qu'aucune personne de cette queue ne soit autorisées à entrer. L'entrée de cette queue "Last minute" est à gauche quand on regarde les marches. Utile pour les réfractaires à la mendicité que je décrirai plus loin. Il y a également un accès dernière minute possible pour la salle Debussy, la salle Agnès Varda, les salles du Cineum et des Arcades.
Tous les jours, à l'Espace Cannes Cinéphiles (il était à l'intérieur du Palais en 2024, près de la sortie Méditerranée) sont parfois distribuées des places pour 3 ou 4 séances du festival moins fréquentées mais parfois passionnantes : Cannes Classic, séance de minuit, et surtout master class de cinéastes. Parfois aussi quelques places pour des séance de la sélection officielle quand un groupe de scolaires a fait défection. Je vous conseille d'y passer vous renseigner.
La nouveauté 2021 : l'application billetterie
Depuis 2021 toutes les accréditations, Cinéphiles compris, doivent réserver leur places sur une application de billetterie en ligne spécifique au Festival, pour toutes les séances, quelque soit la section. Les billets sont envoyés par mail ou disponibles sur le site et se présente sous la forme d'un billet avec QR Code (photo ci-joint).
En 2023 l'accès aux séances de Un certain regard, la Quinzaine, la Semaine, ACID et reprise de la compétition dans les salles annexes, était relativement faciles par ce biais, y compris pour les Cinéphiles (sauf pour quelques séances exceptionnelles, particulièrement courues).
En ce qui concerne les films en sélection officielle (en particulier la compétition), c'est plus compliqué. La probabilité que vous obteniez, en tant que Cinéphiles, des places pour la projection d'un film dans le Grand Théâtre Lumière par ce biais est assez faible (je dirais que j'en ai obtenu en moyenne une sur dix demandes environ). C'est pour les séances du matin, qui reprennent les films de la veille que vous avez le plus de chance, et pour les films très longs qui effraient le public (Nuri Bilge Ceylan ou Wang Bing en 2023 par exemple).
Vous pourrez par contre voir facilement les films de la compétition lors des projections dans les salles annexes (mais dans ce cas vous ne verrez jamais les équipes de film) : les Arcades au centre ville, que je vous conseille, le Studio 13 un peu plus loin dans une ambiance MJC qui détonne un peu (20 minutes à pied, ou bus 1, 2 et 20 arrêt Médiathéque), la Licorne (bus 1, 2 ou 20, arrêt Mairie Annexe), le Raimu à la Bocca (bus 1, MJC Ranguin, plus loin), le théâtre Alexandre III, à l'est de Cannes (19 boulevard Alexandre III, accessible à pied du Palais), et enfin depuis 2021 dans les magnifiques et immenses salles du Cineum de Cannes La Bocca. Un bus navette relie gratuitement le Palais au Cineum pour ceux qui ont un badge (il faut télécharger le QR code dédié au transport en bus sur son compte).
En conclusion, le badge Cinéphiles vous permettra de voir beaucoup de films durant votre séjour, mais si vous souhaitez vous immerger dans le coeur vital du Festival que constituent les projections de la sélection officielle dans le Grand Théâtre Lumière, et donc assister aux montées des marches, il vous faudra adopter une stratégie particulière que je détaillerai dans l'article suivant.
Avoir un truc rectangulaire qui pendouille sur sa poitrine à Cannes est donc quasiment indispensable pour se fondre dans la masse et procure un avantage psychologique certain sur celui ... qui est tout nu !
Je vous conseille donc fortement de tenter d'obtenir une accréditation Cinéphiles. Sans cette dernière, les moyens de voir des films est très limitée : obtenir une invitation bleue, ce qui est rare (j'en parle dans l'article suivant), acheter des billets à la Quinzaine, obtenir les quelques places gratuites octroyées à la Semaine et prendre des places dans les salles annexes en créant un compte "grand public".
Si on résume :
Films de la sélection officielle dans le Grand Théâtre Lumière
Films de la sélection officielle dans les salles "annexes"
Films des sections parallèles (Quinzaine, Semaine, ACID)
Avec accréditation Cinéphiles
Très difficile par la billetterie (sauf parfois la première séance du matin)
Alternatives :
- accès dernière minute
- quémander une place
- obtenir une invitation bleue
- exceptionnellement quelques invitations à glaner à l'espace Cinéphiles
Assez facile par la billetterie
Possible par la billetterie, suivant les séances, dans les salles principales de chaque section (ne pas hésiter à consulter souvent l'appli billetterie).
Facile par la billetterie dans les salles annexes
Sans rien
Invitation "bleue" seulement
Alternative :
- Quémander une place ET rentrer avec un "badgé"
Possible avec l'appli grand public (sauf Cineum)
Achats de billets très facile à la Quinzaine sur l'appli grand public, quelques places disponibles pour la Semaine et ACID sur l'appli grand public
Dans L'attachement, tous les ingrédients sont réunis pour une recette de film mièvre.
Et pourtant, grâce à un excellent sens du rythme, et à une qualité d'écriture et d'interprétation hors du commun, le film parvient à nous surprendre, puis à nous émouvoir. Il évolue dans une registre comparable à celui du Roman de Jim : celui de gens ordinaires, plutôt gentils en général et se débattant dans la vie comme ils le peuvent.
Valeria Bruni Tedeschi trouve ici un rôle qui lui va comme un gant, en quinquagénaire légèrement misanthrope et séduisante. Pio Marmaï est aussi très à l'aise, comme Raphael Quenard, à la fois égal à lui-même (chacune de ses lignes de dialogues semble frappée d'une inspiration géniale) et assez surprenant avec sa petite moustache de caïd de seconde zone. Vimala Pons s'affirme, après sa belle prestation dans Le beau rôle, comme une actrice en vogue du cinéma français.
L'attachement confirme le talent de Carine Tardieu, qui de film en film dessine une oeuvre singulière, marquée par l'exploration subtile de sentiments peu communs.
Le cinéma iranien ne cesse de nous surprendre, produisant régulièrement de nouvelles pépites.
Les réalisateurs doivent évidemment rivaliser d'inventivité pour tourner leurs films tout en contournant la censure.
Cette contrainte aboutit souvent, comme ici, à privilégier un tournage en huis clos, en se limitant à quelques scènes volées en extérieur. Le réalisateur Behtash Sanaeeha et la réalisatrice Maryam Morhadam tirent de cette contrainte un profit immense : Mahin et son bien-aimé improvisé Faramarz vont vivre une lune de miel express dans le cocon d'un appartement comme isolé du monde, mais auquel les dangers extérieurs viennent frapper.
La prestation de l'actrice Lili Farhadpour emporte le film vers des sommets : veuve à 70 ans, une fille à l'étranger, mais toujours une volonté de vivre qui irradie tout ce qui l'entoure jusqu'à lui faire désirer plus que tout l'opportunité de vivre à nouveau le sentiment d'aimer et d'être aimée.
Mon gâteau préféré bénéficie d'une mise en scène élégante et racée, privilégiant les décors et la façon dont les personnages s'inscrivent à l'intérieur de ceux-ci, à la fois physiquement et dans le temps. Plusieurs scènes sont inoubliables, à l'image de celle lors de laquelle nos deux tourtereaux dansent à en perdre l'équilibre : les corps se re-découvrent dans la danse et le contact physique.