The gazer est une curiosité de la Quinzaine des cinéastes 2024.
Le réalisateur Ryan J. Sloane se fend ici d'un hommage appuyé au cinéma des années 70 : trip nocturne, 16 mm au gros grain, équipe de tournage très réduite, ambiance de polar paranoïaque, lumières blafardes.
Le propos du film est original : il montre comment une jeune femme atteinte d'une maladie dégénérative lui faisant perdre la mémoire immédiate se retrouve impliquée dans une sordide affaire de meurtre. Elle doit constamment s'enregistrer elle-même à l'aide d'un vieux magnétophone pour garder trace de ce qu'elle vit.
La progression de sa quête se fait donc à l'ancienne, sans portable, et Frankie, jouée par la l'excellente Ariella Mastroianni (aucun rapport avec Marcello) doit donc progresser sur la base d'une stricte appréciation de la réalité. Réalité qui par ailleurs se délite en partie sous ses yeux, le réalisateur parvenant subtilement à nous rendre sensible les distorsions que le cerveau de Frankie éprouve.
Tout n'est pas palpitant dans The gazer, le film souffrant par moment d'une certaine nonchalance arty, mais la démarche est intéressante. Un film de cinéphile pour cinéphiles.
Le début de ce film argentin donne l'impression d'avoir été vu mille fois : un milieu difficile, un ado qui se cherche, un groupe de jeunes qui font des conneries, un beau-père sans autorité, une caméra à l'épaule et une approche naturaliste.
L'originalité tient ici aux décors inhabituels (la Cordillère des Andes constitue un majestueux arrière-plan) et surtout au contexte général : l'action se déroule en grande partie dans un établissement pour handicapés et la plupart des acteurs sont eux-mêmes porteurs d'un handicap.
Le sujet n'est pourtant pas celui-ci, le film montrant le handicap plutôt comme une opportunité que comme un problème. Ce dont veut nous parler le réalisateur, c'est à l'évidence de l'émancipation et de l'énergie juvéniles de ses personnages. Il y parvient souvent, donnant à voir des micro-aventures saisissantes (le bobsleigh artisanal) et débordantes d'énergie.
Le film souffre de quelques longueurs et redites, mais il faut lui reconnaître un souffle certain, à l'image d'une scène initiale décapante, filmée en pleine tempête dans des décors naturels.
L'acteur principal, Lorenzo Ferro, est magnétique.
Federico Luis, dont c'est le premier film, est un cinéaste à suivre.
Nous sommes nombreux (enfin, toute proportion gardée, ce n'est pas non plus Marvel) à suivre la carrière de Guillaume Brac, auteur de films tous plus délicieux et délicats les uns que les autres (Un monde sans femme, Tonnerre, A l'abordage).
Il y a dans la façon de filmer de Brac une attention aux autres et une modestie qui rendent chaque image estimable et aimable : il fallait qu'un jour cela se traduise dans un documentaire, ce qui est ici le cas.
Le réalisateur a tourné pendant quatre semaines les derniers moments de lycée d'un groupe de jeunes d'aujourd'hui, dans le Sud de la France.
On commence par des plans très larges, puis petit à petit on se rapproche d'un petit groupe dont on va apprendre à connaître les membres par des interviews individuels ou en petit groupe (ce sont surtout des filles).
De ces instantanés surgissent de très beaux moments, des fêlures, des drames, des espoirs et finalement autant de destinées individuelles. L'alternance de scènes tournées à l'extérieur (dans la nature) et à l'intérieur (dans le tout petit dortoir) donne au film une respiration apaisante. Certaines scènes sont très émouvantes, donnant à sentir la matérialité du temps qui passe et d'une certaine façon, .... celle du temps qui passera dans l'avenir.
J'avais remarqué les qualités d'écriture hors du commun de Grégory Magne en découvrant son film précédent : Les parfums, avec Emmanuelle Devos.
Il parvient dans ce nouvel opus à écrire avec encore plus de nuances et de subtilité. Sur un thème plutôt rébarbatif (quatre musiciens que tout oppose ont six jours pour préparer un concert ensemble), Les musiciens parvient à nous étonner, à nous charmer, et pour tout dire à nous émouvoir de la plus surprenante des façons.
Il utilise pour cela une panoplie d'outils plutôt rare dans le cinéma français : des micro-rebondissements, une attention constante aux sentiments des personnages, une capacité à faire sortir chacun de son stéréotype, un sens aigu du rythme, une faculté à faire ressentir la force du collectif et la puissance de la musique. Il rappelle par tous ces aspect un succès récent (et mérité) du cinéma français : En fanfare.
Si Valérie Donzelli se contente ici du minimum (et c'est tant mieux), Frédéric Pierrot fait une fois de plus éclater son talent inimitable, imposant à l'écran une présence physique digne d'un Jean Gabin ou d'un Lino Ventura. La musique de Grégoire Hetzel est par ailleurs magnifique.
Une oeuvre délicate et subtil, qui fait rire et pleurer : allez-y !
Grégory Magne sur Christoblog : Les parfums - 2019 (**)
Ils ne sont pas si nombreux les films qui tentent de capter notre attention pour nous montrer des personnages résolument antipathique.
C'est ce que propose ici le talentueux Mike Leigh, en dressant le portrait de Pansy, profondément inadaptée au monde (jusqu'à un point thérapeutique), et qui passe son temps à s'engueuler avec absolument tous ceux qui l'entourent, mari, fils, soeur, nièces et quidams.
Il faut l'indéboulonnable bienveillance de sa soeur Chantal, aussi solaire que Pansy est ténébreuse , pour petit à petit amener la pauvre femme à fendre l'armure.
Si le début du film est assez intéressant (tout est fait pour qu'on déteste l'héroïne, et cela marche jusqu'à en devenir comique), sa deuxième partie m'a laissé plus perplexe. A partir du moment où Pansy devient mutique, le ressort principal du film (détester celle qui nous énerve) se casse, et l'aspect un peu programmatique des autres personnages devient alors trop visible.
On se perd un peu dans un enchevêtrement de scènes dont on ne comprend plus trop le fil directeur. C'est dommage, car Deux soeurs proposait jusqu'alors une expérience hors du commun, poussant loin les curseurs dans le domaine de la malaisance.
Kyuka est un intéressant film grec de Kostis Charamountis, présenté dans la décapante section ACID du dernier festival de Cannes.
Il est construit d'une façon très curieuse. Au début, on a l'impression qu'il s'agit d'un simple film de vacances montrant un homme et ses deux enfants vivre sur leur bateau, amarré dans une délicieuse île grecque.
Le scénario ne se dévoile que très lentement et va s'avérer d'une grande subtilité (je ne peux en révéler plus sans gâcher le plaisir de la découverte).
Le format 4/3, la qualité de la lumière, l'originalité du montage (une scène montée "à l'envers", des enchaînements parfois hyper-saccadés, des ellipses radicales, des séquences en boucle) rendent le film à la fois aimable et intrigant. Certaines scènes, comme une impayable séquence de pêche lors de laquelle deux hommes veulent absolument pêcher le plus gros poisson, sont extrêmement réussies, dans un style qui mêlent causticité, nostalgie et émotion.
Le tout pourra peut-être vous irriter par son caractère un peu trop artificiel, mais pour ma part j'ai été agréablement surpris par ce premier film prometteur.
Voici un documentaire qui met en évidence quelques tares de la société japonaise : déni des violences faites aux femmes, collusions entre puissants, emprise des conventions.
Son originalité est d'être réalisé par la victime du viol elle-même : la journaliste Shiori Ito, qui documente elle-même son chemin de croix.
Si le début du film est assez captivant, sur un mode de film policier (on voit notamment des images volées à la sécurité de l'hôtel dans lesquels la victime droguée est difficilement extirpée de la voiture), la suite est plus poussive. L'enquête de Shiori Ito n'en est pas vraiment une, et le film devient une chronique un peu languissante de la vie de la réalisatrice, qui écrit un livre, mais ne semble plus vraiment travailler à son enquête.
Le film ménage toutefois quelques moments vertigineux : la conversation téléphonique avec le portier de l'hôtel qui accepte de témoigner, celui avec le flic qui la drague lourdement.
Black box diaries constitue un témoignage poignant et important, fer de lance du #metooJapan.
Drôle de rencontre dans le Sud : un prof veuf et sa fille accueillent une famille étrange composée d'un couple et de deux enfants qui semblent non scolarisés.
Sur cette base assez sommaire, la réalisatrice Baya Kasmi construit un film presque entièrement basé sur le jeu des acteurs et actrices.
Il s'agit pour chacun d'exprimer avec le plus de subtilité possible les fractures profondes qui le traverse : deuil, incommunicabilité, enfance difficile, inadaptation à la société. C'est sans conteste Ramzy Bedia qui livre la meilleure prestation, touchant comme jamais. Si Vimala Pons est égale à elle-même (une expressivité hallucinante), Félix Moati est un poil excessif dans sa partition de jeune adulte passé par de nombreuses familles d'accueil, dont certaines étaient à l'évidence violentes.
Le film a certaines qualités : une capacité certaine a faire ressentir différents sentiments (joie, espoir, souffrance, déception), de belles idées originales (la capacité qu'a la jeune fille à "disparaître") et enfin une sensibilité évidente dans la description des ambiances méditerranéennes. Il a aussi certains défauts, notamment de petites faiblesses dans l'écriture et quelques chutes de rythme.
Le résultat est toutefois plaisant, et prometteur : on suivra attentivement la carrière de Baya Kasmi, jusqu'à présent surtout réputée en tant que scénariste, notamment chez Michel Leclerc.
Berlin, été 42 raconte l'histoire d'une jeune femme allemande et de ses amis, résistants de l'intérieur contre les nazis, ce qui constitue un sujet assez rarement vu au cinéma.
Andreas Dresen adopte une réalisation très sage, sur une écriture qui est elle d'une certaine complexité : la destinée de Hilde (excellente Liv Lisa Aries) ne s'éclaire que très progressivement, par le biais de flash-backs non contextualisés, qu'il faut progressivement assembler comme un puzzle pour prendre la mesure de l'ensemble des évènements.
Le récit devient alors poignant, et on ne peut être que bouleversé par la violence faite à Hilde, qui se trouve entraîner dans cette histoire par amour, plus que par idéologie. C'est d'ailleurs une des grandes forces du film de jouer sur le contraste entre la violence de la répression et les activités des jeunes gens, qui semblent bien innocentes dans la chaleur estivale de l'Allemagne.
L'itinénaire de Hilde en prison est d'une intensité parfois insoutenable, et rappelle un film récent dans lequel on suivait également le parcours d'une femme mise en prison par un régime totalitaire : Je suis toujours là, de Walter Salles.
Un très bon film allemand, qui était en compétition à la dernière Berlinale.
Ce nouveau film du réalisateur suédois Magnus von Horn est d'une noirceur absolue, tout comme un de ses films précédents, que je n'avais pas aimé du tout (Le lendemain).
Je ne pense pas avoir déjà vu un film de cette facture. Le contraste est saisissant entre le pessimisme fondamental du propos (pauvreté, mutilation de guerre, oppression de la femme, trafic d'enfants) et la recherche d'une esthétique très léchée (format 4/3, noir et blanc expressif, décors proprets, mise en scène élégante).
La jeune femme à l'aiguille est un film d'un autre temps, qui lorgne du côté de Dickens pour la forme mais qui pourtant procure des sensations très "modernes" (l'embryon d'une attirance sexuelle entre les deux femmes, la pure violence de certaines scènes, presque horrifiques).
J'ai été surpris par ce combo improbable de film d'époque / thriller psychologique / chronique romanesque au long court, par moment charmé, et aussi un petit peu déçu par la dernière partie du film.
En tout cas, une découverte pour les aventuriers cinéphiles !
Magnus von Horn sur Christoblog : Le lendemain - 2016 (*)
Ce film canadien raconte comment un jeune homme qui fuit son Québec natal devient berger en Provence (et accessoirement y rencontre l'amour). Il est tiré de l'histoire personnelle du co-scénariste Mathyas Lefebure, qui en a fait un livre (D'où viens tu, berger ?).
Il y a dans la réalisation de Sophie Deraspe une fraîcheur dont je ne sais pas si elle est typiquement canadienne, mais dont on n'a pas l'habitude sur les écrans français.
Il n'y a en effet dans cette histoire ni discours militant, ni angélisme, ni pathos, ni coups de théâtre dramatique, ni critique sociale : simplement la volonté de raconter une histoire assez simple d'une façon sensorielle. Bergers parvient de cette façon à être à la fois réaliste (parfois presque naturaliste) et par moment discrètement lyrique.
Pour maintenir cet équilibre délicat entre naïveté constructive et description évocatrice, il faut une interprétation sensible et parfois ambigüe. Félix Antoine-Duval et Solène Rigot apportent avec brio leur vivacité à ce drôle de couple qui se construit très progressivement, au contact d'une nature grandiose.
Le personnage principal de Black dog, ne parle quasiment pas. Juste sorti de prison, il se contente, pendant une bonne partie du film, de contempler les ruines de sa ville d'enfance qui se meurt, menacé par la famille du jeune garçon qu'il a tué.
On pense donc d'abord que ce film se situe dans une série d'oeuvres chinoises très noires, souvent déprimantes, comme People mountain, People sea, ou le polar Black coal.
Et puis Lang fait une série de rencontres qui change son existence : une jeune femme artiste dans un cirque ambulant et un chien retourné à l'état sauvage, à la silhouette extraordinaire (pour simplifier, une mante religieuse à pattes). Un chien tellement séduisant que l'acteur Eddie Peng l'a adopté à la fin du tournage.
Black dog devient alors une chronique attachante, d'une grande richesse. De grands évènements (les JO de Pékin, une éclipse de soleil, l'industrialisation du pays à marche forcée) viennent alors heurter avec douceur la vie quotidienne de Lang. Les évènements prennent des tours inattendus (j'ai eu plusieurs fois l'impression d'assister à la scène finale du film... qui rebondit alors).
Doté d'une image splendide, de décors qui constituent un personnage à part entière, et d'une interprétation de très haut niveau (à noter la présence du grand cinéaste Jia Zhang Ke dans un petit rôle), Black dog est captivant de bout en bout. Il offre en bonus plusieurs scènes d'anthologie, notamment la première, dans laquelle on voit une meute de chiens sauvages se précipiter sur une route, dans un décor de far-west.
Prix Un certain regard à Cannes 2024, et un des plus beaux films de cette année, assurément.
Ce film italien d'un réalisme intense m'a rappelé certaines oeuvres des années 70 et 80 : celles d'Ernano Olmi ou les premiers films des frères Taviani.
Nous sommes à la montagne, dans des conditions très rudes, et le propos du film est avant tout de faire ressentir l'importance des saisons, l'âpreté de la vie quotidienne et l'absence de perspectives enthousiasmantes, notamment pour les femmes.
Il réussit pleinement à remplir son cahier des charges : il est fort peu rieur, et pour tout dire souvent triste. Heureusement, l'intrigant visage de l'actrice principale Carlotta Gamba irradie la pellicule et nous sert de guide dans cette histoire sans grand éclat, mais d'une grande profondeur, servie par une troupe d'acteurs et d'actrices profondément attachants.
Vermiglio confirme le renouveau du cinéma italien, porté par une pléiade de réalisatrices de toutes générations, et qui présentent la caractéristique de nous donner à voir des destins de femmes à travers un large spectre temporel et spatial (Piccolo corpo, L'immensita, Il reste encore demain, Miele, etc). Après son très remarqué Maternal, Maura Delpero ajoute donc sa pierre à l'édifice.
Un film que je conseille aux amoureux du cinéma italien, des grands espaces ruraux et des immersions hyper réalistes.
Jesse Eisenberg nous propose avec A real pain un drôle de film, mineur par son propos (le road trip de deux cousins dissemblables), mais ô combien majeur dans son contexte (ils sont Juifs et le road trip a lieu en Pologne).
Le résultat est délicieux, par la grâce des deux acteurs principaux. Jesse Eisenberg est bluffant en geek père de famille, inhibé et fasciné par le trublion joué par Kieran Culkin, qui lui, renverse tout sur son passage.
C'est peu dire que l'acteur de Succession trouve ici un terrain d'expression à la mesure de son talent, dont on finit par penser qu'il est intimement lié à sa personnalité même : Culkin joue ici exactement la même composition que dans la fameuse série, celui d'un homme-enfant fantasque, vulgaire et attendrissant, qui entraîne la sympathie de tous.
Ce joli film présente beaucoup de qualités : il est rythmé, amusant et parfois surprenant. Il adopte une tonalité qui est étonnamment celle d'un cinéma d'auteur plus européen qu'américain, subtil et léger.
Pas une oeuvre exceptionnelle, mais un film touchant qui laisse voir avec douceur les failles des deux personnages principaux.
Pour son troisième film (les deux premiers ne sont pas sortis en France), le jeune réalisateur américain Brady Corbet, 36 ans, frappe un grand coup.
The brutalist est en effet une oeuvre dont on se souvient longtemps, d'une densité exceptionnelle de plusieurs points de vue : incroyablement ambitieuse techniquement, portant la direction d'acteur à un niveau souvent vertigineux et brassant une matière narrative d'une grande richesse.
Commençons par les aspects techniques. Le film est entièrement réalisé en Vistavision, un procédé sur pellicule qui garantit une qualité optimale aux images, et qui n'était plus utilisé depuis les années 80. Le résultat est époustouflant, offrant une qualité d'image rarement égalée, bien plus chaude et vivante que les prouesses numériques contemporaines.
Corbet multiplie aussi les effets de mise en scène, d'une façon toutefois assez discrète et au service de l'histoire qu'il raconte. C'est souvent réussi (le plan séquence du début, les ralentis pendant la réception, l'entracte obligatoire) et parfois moins (les images touristiques de Venise).
Du point de vue des acteurs, le travail est remarquable. Certaines scènes ont une densité émotionnelle (ou intellectuelle) que je n'avais pas vu au cinéma depuis longtemps. Si Adrien Brody livre une prestation hallucinante (et par instants hallucinée), Felicity Jones et Guy Pearce sont tous deux beaucoup plus que des faire-valoir.
L'enchevêtrement des thématiques abordées par le film est l'une de ses forces, et permet de ne jamais s'ennuyer durant les 3h20 de projection : destinée individuelle, capacité des USA à accueillir les nouveaux entrants (et les Juifs en particulier), trauma post-holocauste, réflexion sur la nature de l'architecture (et le Bauhaus en particulier), féminisme, handicap, jalousie, désir sexuel, obsession de l'artiste, écoulement du temps, fascination des USA pour les self-made men ... Et j'en oublie probablement, tellement The brutalist est riche de multiples croisements.
Mais l'art de Corbet, décidément un grand artiste à suivre désormais, réside au final dans le tour de force suivant : à partir de tous ces éléments édifiants, il parvient à faire une oeuvre quasi intimiste, dans laquelle le spectateur à l'impression marquante d'entrer en contact direct avec les personnages principaux, dont aucun n'est tout à fait aimable, ni irréprochable.
On a longtemps reproché au cinéma d'auteur français sa tendance au parisianisme, et plus globalement son incapacité à sortir des grandes métropoles pour s'intéresser aux périphéries et à la campagne.
Mais depuis plus d'un an, des cinéastes français proposent des films touchants dans lesquels la vie qui est menée dans la France profonde semble correctement représentée à l'écran, support d'histoires intenses (Chiens de la casse, Vingt Dieux, Nos enfants après eux, Le roman de Jim, En fanfare).
La pampa vient s'inscrire dans cette tendance. Nous sommes au bord de la Loire et les loisirs des deux jeunes lycéens que nous découvrons au début du film sont très communs : faire du moto-cross, draguer vaguement les filles, pénétrer dans les maisons abandonnées et profiter la nuit des piscines des autres.
Rien de bien anormal, jusqu'à ce qu'un évènement très particulier que je ne peux dévoiler ici vienne perturber cette vie tranquille. Le réalisateur Antoine Chevrollier, dont c'est ici le premier film (il a réalisé des épisodes du Bureau des légendes et de Baron noir), ne manque pas d'ambition. La pampa balaye en effet un spectre très large de thématiques : différence de classe sociale, deuil, homophobie, difficultés de communication entre générations, éveil du sentiment amoureux, déracinement, culpabilité.
Il faut une écriture subtile et l'interprétation incroyablement convaincante du jeune Sayyid el Alami pour que l'ensemble ne soit pas indigeste. C'est au contraire un souffle épique de coming of age tragique qui vient dynamiser ce beau tableau social.
Une révélation du dernier Festival de Cannes, où le film était présenté à la Semaine de la critique.
Dans L'attachement, tous les ingrédients sont réunis pour une recette de film mièvre.
Et pourtant, grâce à un excellent sens du rythme, et à une qualité d'écriture et d'interprétation hors du commun, le film parvient à nous surprendre, puis à nous émouvoir. Il évolue dans une registre comparable à celui du Roman de Jim : celui de gens ordinaires, plutôt gentils en général et se débattant dans la vie comme ils le peuvent.
Valeria Bruni Tedeschi trouve ici un rôle qui lui va comme un gant, en quinquagénaire légèrement misanthrope et séduisante. Pio Marmaï est aussi très à l'aise, comme Raphael Quenard, à la fois égal à lui-même (chacune de ses lignes de dialogues semble frappée d'une inspiration géniale) et assez surprenant avec sa petite moustache de caïd de seconde zone. Vimala Pons s'affirme, après sa belle prestation dans Le beau rôle, comme une actrice en vogue du cinéma français.
L'attachement confirme le talent de Carine Tardieu, qui de film en film dessine une oeuvre singulière, marquée par l'exploration subtile de sentiments peu communs.
Le cinéma iranien ne cesse de nous surprendre, produisant régulièrement de nouvelles pépites.
Les réalisateurs doivent évidemment rivaliser d'inventivité pour tourner leurs films tout en contournant la censure.
Cette contrainte aboutit souvent, comme ici, à privilégier un tournage en huis clos, en se limitant à quelques scènes volées en extérieur. Le réalisateur Behtash Sanaeeha et la réalisatrice Maryam Morhadam tirent de cette contrainte un profit immense : Mahin et son bien-aimé improvisé Faramarz vont vivre une lune de miel express dans le cocon d'un appartement comme isolé du monde, mais auquel les dangers extérieurs viennent frapper.
La prestation de l'actrice Lili Farhadpour emporte le film vers des sommets : veuve à 70 ans, une fille à l'étranger, mais toujours une volonté de vivre qui irradie tout ce qui l'entoure jusqu'à lui faire désirer plus que tout l'opportunité de vivre à nouveau le sentiment d'aimer et d'être aimée.
Mon gâteau préféré bénéficie d'une mise en scène élégante et racée, privilégiant les décors et la façon dont les personnages s'inscrivent à l'intérieur de ceux-ci, à la fois physiquement et dans le temps. Plusieurs scènes sont inoubliables, à l'image de celle lors de laquelle nos deux tourtereaux dansent à en perdre l'équilibre : les corps se re-découvrent dans la danse et le contact physique.
Roberto Minervini, connu jusqu'alors pour ses remarquables documentaires, s'essaye ici pour la première fois à la fiction.
Il le fait en proposant une sorte de reportage sur le vif de ce que devaient être les conditions de la guerre civile américaine à l'hiver 1862, quelque part dans l'Ouest. C'est peu dire que son film est d'un naturalisme extrême : nous sommes littéralement aux côtés des soldats, dans une sorte de reportage qui nous fait partager leurs problèmes, leurs conditions de vie d'un dénuement extrême et leur interminable attente de l'ennemi, façon Désert des Tartares.
En utilisant une profondeur de champ quasi nulle (on ne voit bien que ce qui est au premier plan, tout le reste est flou), Minervini parvient à nous immerger totalement dans son monde, d'une façon qui parfois en devient oppressante, quasi claustrophobique, alors que nous sommes au sein de grands espaces.
Les damnés propose une curieuse vision de la guerre : une guerre sans véritable commandement, sans ennemi très visible, dont le sens semble évanescent et comme écrasé par la force de la nature. Un chaos tranquille dont la fin parait inéluctable, et dans lequel chacun doit faire au mieux, en fonction de ses compétences et de ce que lui dicte sa conscience.
C'est beau et aride.
Roberto Minervini sur Christoblog : The other side - 2015 (****)
Voici un beau film en provenance du Brésil, qui mérite vraiment d'être vu.
Le propos de Je suis toujours là est assez simple : montrer dans la durée comment une famille survit à la disparition d'un proche, littéralement kidnappé par la dictature.
La façon de raconter cette histoire qu'a choisi le réalisateur Walter Salles est extrêmement classique : réalisation soignée, progression chronologique sans artifice, description extrêmement détaillée des évènements et reconstitution minutieuse des situations. Cette sorte de rectitude artistique sans afféteries sert le propos du film : il s'agira de montrer le plus précisément possible une période terrible, et l'émotion ne résidera que sur la qualité de l'écriture d'une part, et l'intensité de l'interprétation d'autre part.
Le résultat est formidablement réussi. L'actrice Fernanda Torres porte le film sur ses épaules d'une façon extrêmement convaincante. L'ampleur de la narration et les variations d'ambiance insuffle au film une dimension épique qui donne vraiment à éprouver le poids d'une destinée. L'ensemble est soutenu par une direction artistique de toute beauté.
Une réussite, qui a réuni plus de trois millions de spectateurs au Brésil.
Walter Salles sur Chritoblog : Sur la route - 2012 (*)