Cette année, j'élargis un peu le traditionnel Top 10 qui me semble trop limité.
Il y a eu en effet en 2024 beaucoup de très bons films, à défaut de véritables chocs majeurs.
C'est aussi l'occasion de mettre à l'honneur des genres en général sous-représentés : l'animation (avec le très beau Flow, mais aussi le film hongrois injustement passé inaperçu Sky dome 2153), le documentaire (superbe Smoke sauna sisterhood de Anna Hines, et le premier volume de Youth présenté par mon chouchou Wang Bing) et enfin de film de genre (The substance bien sûr).
L'Inde est présente en force (Santosh et All we imagine as light) alors qu'elle n'a jamais figuré dans un de mes tops annuels, comme d'ailleurs l'Asie en général (Les graines du figuier sauvage, Inchallah un fils).
Vous retrouverez bien sûr ma critique de ces films en entrant leur titre dans la barre de recherche du blog.
Bon petit film français qui hésite entre romcom piquante et réflexion sur les métiers du spectacle, Le beau rôle n'est pas désagréable à regarder.
On se foutrait cependant des péripéties assez oubliables que propose le scénario si les deux protagonistes principaux n'étaient pas Vimala Pons et William Lebghil.
La première conserve de film en film cette vivacité du visage qu'aucune autre actrice possède et qui avait marqué les cinéphiles dans La fille du 14 juillet, en 2013. Son charme, parfaitement adapté à la comédie, fait ici mouche. Quant à Lebghil, sa nonchalance résignée et parfois malicieuse trouve ici un cadre parfait, comme c'était aussi le cas dans Grand Paris et La vie de ma mère.
Sans être renversant, ce premier film du scénariste Victor Rodenbach (Platane, Dix pour cent) est donc une honnête comédie de fin d'année, teintée d'une pointe d'émotion liée à la magie du jeu et du théâtre.
Dans LaRoy, les clichés sont tellement nombreux et appuyés qu'on pense souvent être devant une caricature de film noir.
Un héros naïf, sa femme qui le trompe sans vergogne avec son bellâtre de frère, un tueur à gage froid et cruel, un détective incapable mais attachant, des gaffes à gogo et des cadavres qui pleuvent : il faut imaginer les frères Coen qui auraient décidé de se parodier eux-même.
Le talent de l'auteur réalisateur Shane Atkinson est de nous amuser tout en nous choquant, avec un sens du rythme très assuré. Malgré les invraisemblances et les exagérations, on finit par s'intéresser à l'évolution des personnages et à leur destinée. Il faut pour cela une interprétation impeccable de tout le casting, John Magaro (qu'on a plus l'habitude de voir chez Kelly Reichardt) en tête.
Le cinéma queer avait pour l'instant pour moi surtout les couleurs du cinéma de Yann Gonzalez : une esthétique onirique recherchée, mais un peu froide.
Le film d'Alexis Langlois est donc pour moi une véritable surprise : il est chaleureux, romantique, amusant et lyrique. Il est aussi d'un kitsch absolument extrême, symbolisé par le personnage de Steevyshady, joué par un Bilal Hassani déchaîné.
L'histoire d'amour entre Mimi Madamour (Louiza Aura est formidable en poupée dont le physique semble infiniment malléable) et Billie Kohler (fascinante et musculeuse Gio Ventura) est bâtie sur une trame de rise and fall assez classique, ici encapsulée dans un monde complètement barré, irriguée par les réseaux sociaux et la société du paraître.
Parmi les intérêts du film, il faut noter une série de seconds rôles azimutés particulièrement délectables, dont les deux cruelles présentatrices, vipérines à souhait, sont les joyaux. Les morceaux de musique originaux sont par ailleurs incroyablement efficaces : je peux vous assurer que vous gardez longtemps en tête l'air de "Pas touche" en sortant de la salle !
Les reines du drames sont un ovni qui ne ressemble à rien de connu, parfois déstabilisant par ses excès en tout genre et un peu irrégulier dans ses partis-pris formels, mais dégageant une telle énergie positive qu'il en devient férocement aimable.
Quel est le (véritable) sujet du premier film de Julien Colonna, Le royaume ?
Si c'est la Corse, alors on peut dire qu'on a vu cette dernière suffisamment à l'écran ces derniers temps pour en être rassasié, de Borgo à A son image, en passant à Le retour ou De grandes espérances.
Si c'est la description d'un clan mafieux et de ses règlements de compte, alors l'ombre tutélaire de Coppola et Scorsese sera écrasante. S'il s'agit plus spécifiquement de la découverte par une enfant de la véritable activité de sa famille, il faudra plutôt conseiller de découvrir un excellent film, le formidable A chiara, de Jonas Carpignano.
S'il s'agit de l'amour aveugle d'une fille pour son père, je reste dubitatif devant l'atonie du jeu de la jeune actrice Ghjuvanna Benedetti, pas vraiment à son aise dans cette histoire assez classique de règlement de compte, filmée avec efficacité mais aussi parfois avec lourdeur (le montage parallèle chasse au sanglier / assassinat).
J'ai eu beaucoup de mal à éprouver de l'empathie pour ces personnages qui puent l'obscurantisme insulaire et le virilisme rance, sans qu'à aucun moment l'enjeu de l'intrigue ne surmonte le classicisme un peu daté du film. Seul le passage du camping parvient à apporter un peu d'intérêt à cet essai, dont le succès critique paraît surdimensionné, au regard de l'imposante armada des films auxquels il peut être comparé.
Rarement le propos d'un film m'aura aussi peu intéressé.
Cette histoire de photographe qui s'exile au Canada ne présente pour moi aucun intérêt : les péripéties de sa vie sont communes et sans relief.
Le contraste avec ce qui nous est montré est d'autant plus perturbant : sur son lit de mort, le photographe va être interviewé par deux étudiants journalistes avec tout un procédé très impressionnant, et en présence de sa femme. On s'attend a minima à avoir de lourdes révélations : un complot contre l'Etat américain, ou une double vie a minima. Que nenni, les secrets du pauvre homme consistent en quelques coucheries, des enfants abandonnés un peu partout et le refus d'aller au Vietnam. La belle affaire.
L'histoire est inintéressante, et Paul Schrader décide donc d'en faire des tonnes sur le dispositif du film. Nous avons donc droit à au moins quatre époques différentes dont les trames temporelles s'entremêlent, filmées dans des formats très différents (c'est pratique, comme ça on ne peut pas se tromper !).
Un procédé spécifique est utilisé, que j'ai trouvé très déplaisant : les personnages jouent (parfois) dans les scènes du passé avec leur physique actuel, ce qui ne contribue pas à rendre ces scènes crédibles. De la même façon la voix off appartient à plusieurs personnages, ce qui là non plus n'aide pas à entrer dans la narration. A vrai dire, on est parfois perdu dans cet embrouillaminis stylistique.
J'ai beau réfléchir, je ne trouve aucune qualité à ce film.
Paul Schrader sur Christoblog : The canyons - 2014 (***)
Chez Alexander Payne, la mise en place de l'histoire est toujours longue. Ici, il faut attendre un bon tiers du film avant de comprendre quels seront exactement les personnages principaux du film, et encore un autre tiers avant de véritablement saisir leur personnalité et leur histoire.
Le réalisateur américain possède une touche immédiatement reconnaissable, qui me semble comparable à la tradition du grand roman russe : le contexte est très important et il faut prendre le temps de le décrire, les personnages sont habilement caractérisés non parce qu'ils pensent, mais par ce qu'ils font, et enfin les digressions petites et grandes apportent toutes un élément du puzzle.
De cette approche méticuleuse résulte une oeuvre d'une grande profondeur, qui fourmille de détails significatifs et de situations aux multiples nuances. Ce qui paraît initialement cruel paraîtra bientôt touchant, ce qui semblait au début du film clair s'obscurcira progressivement, et réciproquement.
Au service de ce travail d'orfèvre se démène toute une troupe talentueuse. Les trois acteurs principaux, gueules atypiques chacun dans leur genre, font des miracles de sensibilité délicate, évitant en toute circonstance la mièvrerie qui rôde autour de l'intrigue. La direction artistique et la photographie servent parfaitement le propos du film, sublimant le décor étonnant d'une université désertée et enneigée, durant la trêve de fin d'année.
Le choc de ces trois solitudes malmenées par la vie est à la fois drôle, édifiant et émouvant. Winter break confirme le talent hors norme d'Alexander Payne pour dessiner de beaux portraits de groupe en prise aux difficultés existentielles.
Je pensais que le cinéma français, avec sa production annuelle pléthorique, finirait un jour par avoir abordé tous les styles possibles... et puis arrive un film comme Vingt dieux, mélange improbable de Ken Loach (façon La part des anges) et de Raymond Depardon, tourné avec des acteurs non professionnels quelque part dans le Jura.
Un film solaire, tendre et dur à la fois, qui ne ressemble à aucun autre.
Il faut à la réalisatrice Louise Courvoisier un certain culot pour oser marier dans un premier film une âpre description sociale (outre Loach, j'ai également pensé au Wang Bing des Trois soeurs du Yunnan) à une romcom adolescente très crue, tout cela sur fond de fabrication artisanale ... du comté.
Si le film tient la route, c'est grâce à son écriture très précise, à la réalisation inventive et inspirée de la réalisatrice, mais aussi au charisme du couple des deux jeunes interprètes, Clément Faveau et Maïwène Barthelemy, irrésistibles en doux Roméo et Juliette du Doubs.
Serebrennikov, c'est l'escalade permanente vers toujours plus de virtuosité.
Les mouvements de caméra dont le réalisateur russe est friand trouvent ainsi dans ce film une expression complètement folle, par exemple dans un plan qui voit l'acteur Ben Whishaw passer de décor en décor d'un seul élan, changeant d'époque à chaque fois qu'il ouvre une porte.
Limonov ménage aussi, et c'est moins fréquent, quelques moments de calme reposants, qui donnent lieu à de belles scènes d'intimité.
Sinon, les tics habituels du Russe sont bien au rendez-vous : intertitres spectaculaires, morceaux rock tonitruants. Il sont ici accompagnés d'effets déjà vus chez d'autres réalisateurs (élargissement du cadre comme dans Mommy, acteur qui passe à l'envers du décor comme dans Les herbes sèches).
Tout cela donne une impression de superficialité clinquante, pas désagréable, mais un peu vaine.
Le personnage de Limonov, artiste peu entreprenant aux idées politiques assez flippantes (une sorte de nationalisme parfois fascisant, parfois apolitique), génère finalement peu d'empathie : c'est aussi un des problèmes du film. Je me suis demandé à plusieurs occasions si ce personnage méritait autant d'attention.
Limonov, la ballade est un pur exercice de style, plus digeste que les deux précédents pensums de Serebrennikov, dont on peut se demander s'il n'esquisse pas en creux un autoportrait du réalisateur.
Beaucoup de bonnes fées se penchaient au-dessus du berceau du nouveau film du britannique Steve McQueen : la fabuleuse Saoirse Ronan, la perspective d'une odyssée dans le Londres de la seconde guerre mondiale, une ambiance à la Dickens sous les bombes, des seconds rôles étonnant issus du rock (Paul Weller et Benjamin Clementine, tous les deux excellents).
Et pour une partie, les promesses du film sont tenues. On est en partie embarqué dans le périple du jeune George, exilé volontairement de Londres par sa mère dans l'optique de le protéger, mais qui va sauter du train qui doit l'emmener à la campagne. Les pérégrinations du jeune George sont à la fois intéressantes et spectaculaires (l'inondation du métro), mais aussi parfois un peu trop sage (le gentil soldat qui va mourir en sauvant une vieille dame).
Les deux principaux défauts du film sont le caractère très attendu du scénario et le côté un peu amidonné des décors et de la direction artistique. Le film ne surprend en effet pas beaucoup. Chaque péripétie est assez attendue, et l'ennui n'est jamais très loin. L'aspect un peu artificiel du film (des lumières trop nettes, des costumes trop neufs) n'aide pas non plus à entrer dans cette histoire, somme toute classiquement mélodramatique.
Emmanuel Courcol, le réalisateur d'En fanfare, est un excellent scénariste. Outre le scénario de son premier film, le très agréable Un triomphe, on lui doit également ceux de Welcome ou de Mademoiselle, par exemple.
Il y a dans son écriture une sécheresse, un sens du rythme et une finesse qui rendent ses films extrêmement efficaces et émouvants. Ici, les personnages sont admirablement dessinés, y compris les seconds rôles. Leurs relations ne sont pas simplistes, et le propos de l'histoire, sur le papier très mélodramatique (un chef d'orchestre célèbre découvre qu'il a un frère génétique dans le Nord à l'occasion d'une maladie grave), est traité avec beaucoup de subtilité.
Comme le rythme du film est enlevé, n'hésitant pas à utiliser de nombreuses ellipses bien venues, on ne s'ennuie pas une seconde. La convivialité du Nord donne à En fanfare une coloration bon enfant ch'ti qui rend cette histoire de fraternité particulièrement émouvante et chaleureuse.
On se régale, jusqu'à un final très réussi qui génèrera quasi-automatiquement des applaudissements dans toutes les salles où il est projeté : vous verrez, les derniers plans sont irrésistibles.
Du très bel ouvrage, qui mérite un succès public à la hauteur de plusieurs millions de spectateurs en France.
Emmanuel Courcol sur Christoblog : Un triomphe - 2021 (**)
Miguel Gomes nous propose de suivre en alternance deux sujets : le périple de personnages dans des décors de studio en carton-pâte d'une part, et des images actuelles des mêmes lieux filmés comme le ferait un touriste allemand aviné avec un vieux caméscope, d'autre part. Le tout dans un noir et blanc au gros grain.
Il faut une demi-heure pour comprendre ce que je viens d'écrire, puis encore une demi-heure pour comprendre que les deux personnages se suivent dans des temporalités différentes. Il reste ensuite plus d'une heure d'ennui profond pendant laquelle on a le temps de maudire Gomes sur tous les tons.
Tout cela est désespérant de pédanterie intellectuelle, et il manque ici la poésie moite et nostalgique qui rendait Tabou si attachant : la partie conceptuelle de l'art du portugais l'emporte maintenant complètement sur sa capacité à générer de l'émotion et des sensations - on voyait très bien ce combat épique entre deux conceptions du cinéma dans oeuvre fleuve Les mille et une nuit.
Au-delà de l'ennui que génère le film, les cartes postales de l'Asie du Sud-Est qui sont ici exposées, entre clichés éculés et nostalgie rétro, m'ont semblé véhiculer des relents de néo-colonialisme assez malsains. Je n'ai à vrai dire pas compris l'intention de l'auteur sur ce point.
L'ensemble de cet édifice douteux essaye de se maintenir debout en utilisant une voix off omniprésente et exaspérante.
Je n'ai pour ma part éprouvé qu'un agacement lancinant devant ce film, dont l'histoire est intéressante, mais qui se trouve irrémédiablement gâché par la prétention de Gomes. Seul point positif à mon sens : le film s'éclaire miraculeusement quand l'actrice Crista Alfaiate apparaît.
Le précédent film de David Leitch (Bullet train) m'avait plutôt plu.
J'avais apprécié son énergie survitaminée, son rythme imparable, l'utilisation parfaite d'un casting étonnant et enfin un goût pour la surenchère qui semblait sans limite.
Dans le scénario de The fall guy on retrouve l'aspect débridé de son prédécesseur, mais malheureusement ici en plus bavard et moins visuel. Le rythme me semble moins maîtrisé et surtout, le casting est beaucoup moins convaincant. Ryan Gosling n'est pas à la hauteur de Brad Pitt, et il ne retrouve pas la puissance comique irrésistible qu'il atteignait dans The nice guys, sous la direction de Shane Black. Emily Blunt est transparente et leur couple ne parvient pas à être "amoureusement" crédible.
Le résultat global ressemble à une marmite bouillonnante, pleine de gags, d'allusions, d'explosions, d'incises, de cascades et d'effets. On ne capte pas tout, et surtout, notre attention est sans cesse divertie de l'essentiel par l'accessoire.
Malgré Ryan Gosling, le film ne me semble pas assez intéressant pour mériter le déplacement.
Curieux de découvrir le phénomène qui a attiré plus de dix millions de spectateurs français en salle, j'ai profité de son arrivée sur Canal+ pour découvrir le film d'Artus.
Je m'attendais à beaucoup de choses mais pas vraiment à cette comédie à la fois extrêmement modeste et réalisée d'une façon hyper-efficace.
Pour commencer, disons que le film se situe dans une longue tradition de comédies françaises dites de caractères (et qui finalement remonte à Molière), dans lesquelles on rit de certains traits de caractère des personnages : les malfrats sont très typés, les animateurs aussi et les pensionnaires de cette joyeuse pension également.
Le film ne se pense pas plus intelligent qu'il est, et il est aimable pour cela. Il utilise à la perfection la particularité de chacun de ses acteurs amateurs, en désamorçant d'office son dispositif afin de ne pas prêter le flan à l'accusation de voyeurisme (le personnage d'Artus est immédiatement démasqué comme non handicapé).
Son humour n'est pas très fin (il n'hésite pas à lorgner du côté du burlesque, voire du slapstick), et il vient nous chercher sur des sentiments primaires abordés sans subtilité (la fraternité, la tolérance, la bienveillance). Mais il le fait avec une honnêteté et une spontanéité qui entraîne l'adhésion d'une façon irrésistible : difficile de retenir ses larmes au milieu des nombreux rires que provoque Un p'tit truc en plus.
Sans aucune prétention, mais avec beaucoup de qualités, le plus grand succès français de l'année est un divertissement tout à fait honorable.
Pas facile de dire du mal de ce film très consensuel, traitant sous forme de conte la Shoah.
Et pourtant rien ne va dans La plus précieuse des marchandises. L'animation 2D proposée par Michel Hazanivicius est d'abord d'une pauvreté rédhibitoire : si les illustrations sont "jolies", elle pâlissent en comparaison de ce que l'animation propose aujourd'hui (allez plutôt voir l'incroyable film Flow, vous comprendrez ce que je veux dire).
Ensuite, le conte de Jean-Claude Grumberg ne contient pas assez de matière narrative pour remplir tout un long-métrage. Il aurait peut-être permis de donner un court-métrage sympathique d'une vingtaine de minute. Cet inconvénient se traduit à l'écran par un beaucoup de répétitions très lassantes : le train passe 36 fois, le pauvre bûcheron coupe plusieurs stères de bois à l'écran, etc.
Le film a aussi une propension, quoi que j'ai lu l'inverse dans de nombreuses critiques, à chercher à provoquer une larme facile chez le spectateur. La musique d'Alexandre Desplat, par exemple, surligne les situations susceptibles de générer de l'émotion.
Les voix des personnages ne m'ont pas non plus convaincu, en particulier celle de de Dominique Blanc, que j'aime pourtant beaucoup.
Enfin, et c'est peut-être pour moi le pire, le traitement à l'image des camps ne m'a pas paru adéquat. Sous réserve de "représentation", Hazanavicius s'estime légitime à montrer les corps suppliciés, mais le résultat m'a vraiment mis mal à l'aise, comme d'ailleurs la voix d'outre-tombe de Jean-Louis Trintignant qui nous assène des phrases qui m'ont laissé perplexe ("Peut-être que tous ces morts ont été une illusion ?").
Je déconseille donc cet essai, qui me semble raté de plusieurs points de vue.
Premier film d'une jeune réalisatrice, Diamant brut révèle également une toute jeune actrice qui crève l'écran et dont on a pas fini d'entendre parler, Malou Khebizi.
Nous sommes dans la banlieue de Fréjus, dans un milieu défavorisé et une famille exclusivement féminine : Liane, qui se rêve en star de télé-réalité, sa mère et sa petite soeur.
Agathe Riedinger filme tout ce petit monde caméra à l'épaule, avec beaucoup de style et de force. La vision qu'elle propose de cette classe sociale populaire est comme débarrassée des encombrants a priori qui caractérise habituellement ce type de film. Pas de misérabilisme surplombant, pas de jugement de valeur dans ce portrait d'une jeune fille biberonnée aux réseaux sociaux et qui ne se rêve qu'en personnalité instagrammable.
C'est vraiment le tour de force de Diamant brut : nous montrer sans fard une génération uniquement préoccupée par le paraître, lointaine descendante d'une ancêtre qui pourrait être la Loana du Loft, et nous la faire aimer. Liane devient par la grâce d'une direction d'actrice à fleur de peau une sorte de déesse de la superficialité épanouie, sûre d'elle et conquérante.
Diamant brut m'a rappelé le choc que j'avais ressenti en découvrant les trois premiers films d'Andrea Arnold : format 4/3, image un peu sale, inspiration parfois insensée de la mise en scène. Il réalise une sorte de miracle cinématographique : rendre la vacuité aimable par le seul vecteur d'une personnalité éclatante.
L'immense mérite de ce film documentaire réalisé à huit mains (deux réalisateurs palestiniens et deux israéliens) est de faire ressentir presque physiquement la violence de la colonisation en Cisjordanie.
L'arbitraire des actions de destruction des Israéliens, la résilience digne de Sisyphe des Palestiniens qui semblent toujours en capacité de reconstruire leur village séculaire, la violence décomplexée des colons couverte par l'armée : tout ici concourt à rendre les actions israéliennes profondément cruelles, sous des dehors de justifications froidement administratives.
Par ailleurs, mis à part le tableau d'une belle amitié entre l'activiste palestinien Basel et le journaliste israélien Yuval, le film ne propose pas grand chose en terme narratif. Il est aussi parfois très pauvre techniquement (beaucoup de plan sont tournés avec des téléphones portables) et un peu répétitif dans ses développements - la répétition servant en partie son propos, puisqu'il s'agit de rendre la réitération des persécutions littéralement insupportable.
Même si on peut regretter également que No other land ne donne pas de profondeur contextuelle à ce que l'on voit à l'écran, il faut tout de même aller voir ce film, qui donne comme nul autre une vision profondément immersive, et sur une longue durée, de ce qu'était la vie en Cisjordanie avant octobre 2023.
Rien de bien original dans cette nouvelle production d'Emmanuel Mouret.
Nous sommes toujours dans la gamme à la fois drôle, caustique et légèrement dépressive de ses derniers films. Ici la narration se déplace à Lyon, et débute par une voix off d'outre tombe, ce qui constitue deux (légères) nouveautés.
Pour le reste on se retrouve en terrain connu : des histoires d'amour qui se font et se défont, des sentiments qui fluctuent au fil du temps, des rapports humains souvent basés sur le non-dit ou les mensonges. Le seul personnage qui choisit de dire la vérité (sublime India Hair, qui trouve enfin ici un rôle à son niveau) provoque une tragédie.
Avec l'âge, l'intérêt frontal pour le sexe s'efface un peu du cinéma de Mouret pour laisser place à des réflexions de plus en plus grave au fil des films : c'est une progression que la filmographie de Woody Allen a connu et qui a culminé dans le chef-d'oeuvre September. Espérons que le réalisateur marseillais connaisse le même sort.
Les dialogues sont comme toujours ciselés à la perfection, le casting est formidable et la mise en scène, sobre et efficace), exploite à la perfection les décors lyonnais. On retrouve ici ou là les petits clins d'oeil qui donnent beaucoup de charme au cinéma de Mouret : quand Camille Cottin évoque une aventure extra-conjugale, son regard ne peut s'empêcher de glisser avec gourmandise vers les parties intimes d'une statue romaine du musée de Fourvière.
Un cru classique mais solide, qui manie assez habilement la tragédie et la légèreté, tout en donnant des relations humaines une vision assez noire.
Une fois n'est pas coutume, j'ai beaucoup aimé ce film de Clint Eastwood.
Le mérite en revient probablement en grande partie au scénario de Jonathan Abrams, d'une finesse remarquable. L'intrigue (dont la bande annonce révèle un peu trop facilement le pitch) progresse rapidement au-delà de son point de départ, et ses développements sont très bien conçus.
Les retournements de situation sont excitants, les dilemmes des différents personnages captivants. Les cas de conscience qu'exposent élégamment le film se reflètent d'ailleurs dans le cerveau de chaque spectateur : qu'aurions nous fait à la place de Justin Kemp ?
Comme la mise en scène est d'une grande fluidité, que les dialogues sont ciselés et que le jeu des acteurs est impeccable, on passe un excellent moment. Nicolas Hoult (qui se fit d'abord remarquer dans A single man) est convaincant en juré anxieux, alors que Toni Collette offre une prestation remarquablement nuancée.
Un excellent film de procès et un très bon cru pour Eastwood, peut-être l'ultime pour le réalisateur de ... 94 ans.
On peut aller voir Monsieur Aznavour simplement pour en savoir plus sur le chanteur.
De ce point de vue, le film de Grand corps malade et Mehdi Idir est une réussite : il est informatif et jamais ennuyeux. Le propos est donc intéressant pour ceux qui ne connaissent pas sur le bout du doigt la carrière d'Aznavour, et en particulier il apporte beaucoup d'éléments sur la période précédant la célébrité.
Mais pour moi, l'intérêt ultime du film réside dans l'interprétation étonnante de Tahar Rahim. Celle-ci oscille en effet durant tout le film entre un mimétisme troublant et une libre réinterprétation. C'est comme ci l'acteur Rahim contenait un océan intérieur constitué d'Aznavour : on ne voit parfois que Charles, puis à l'occasion d'un sourire les yeux rieur de Rahim s'imposent, puis, par la grâce d'un mouvement d'épaule, Aznavour repasse à la surface. Parfois, on voit dans la même scène plusieurs facettes à la suite : Aznvour sous un vernis de Rahim, Rahim tentant de faire émerger Aznavour, un hybride monstrueux des deux personnages.
Pour le reste, l'écriture faiblit un peu dans la deuxième partie du film (l'histoire de Patrick est par exemple salement expédiée) et la mise en scène est parfois maladroite (les mouvements de caméra aériens qui n'apportent rien).
Mais la puissance d'évocation et la force interne des chansons (qu'on a le loisir d'entendre ici en entier) l'emportent toutefois : Monsieur Aznavour est un vrai beau film populaire à ne pas manquer.
Grand corps malade et Mehdi Idir sur Christoblog : Patients - 2016 (**) / La vie scolaire - 2019 (*)