On va me dire que je tire sur une ambulance, au vu des critiques désastreuses qui saluent le dernier poncif filmé de l'inénarrable Guillaume Canet, mais quand une ambulance a coûté aussi cher, c'est un plaisir de sortir le super bazooka M20, qui tire des obus de 4 kg.
Canet utilise les talents de James Gray (comme scénariste), de Matthias Schoenaerts, Mila Kunis, Clive Owen et James Caan (comme acteurs), de Marion Cotillard (comme femme et potiche), pour tourner le remake d'un film de Jacques Maillot dont tout le monde se fout (sauf sa seigneurie Canet lui-même, car il y a fait l'acteur) : Les liens du sang.
L'envie de hurler "Arrêtez le massacre" ne m'a pas quitté une seule minute tant tout est récité, balourd, factice et pauvre en imagination comme en réalisation. Je repense par exemple à ces gunfights qui semblent tournés avec des pistolets à eau, ou à ce montage à l'emporte-pièce. Le film n'est qu'une longue accumulation de clichés : par exemple, quand un personnage va faire quelque chose de difficile, il allume une cigarette.
C'est comme ça que Canet envisage le cinéma des années 70 et veut lui rendre hommage : à grand coup de nostalgie amidonnée et de grues planant au-dessus de voitures vintage.
Tout est mauvais dans Blood ties, rien n'accroche, on ne croit à rien, les méchants ne le sont pas assez et les gentils le sont trop : c'est de la guimauve à 25 millions de dollars qui ne sert qu'à combler les penchants onanistes de Canet.
Une danseuse sur une scène, l'obscurité qui règne autour d'elle, la caméra qui virevolte magnifiquement, le grain de la photo est sensuel, son partenaire tout à coup se transforme en créature maléfique. Il s'agit d'un cauchemar. Enfin, peut-être.
Nina est danseuse professionnelle. Elle rêve d'obtenir le premier rôle dans la nouvelle production de son ballet : une version revisitée du Lac des Cygnes. Pour cela elle doit prendre place de la danseuse étoile (Winona Ryder), qui était la maîtresse du chorégraphe (excellent Vincent Cassel, qui pour une fois n'en fait pas trop). Elle doit aussi se méfier d'une nouvelle venue (étonnante Mila Kunis), aussi sensuelle et intuitive qu'elle est elle-même réservée et introvertie... Mais pour obtenir le rôle, elle doit apporter la preuve qu'elle peut être à la fois le cygne blanc, et son double maléfique, le cygne noir.
Darren Aronofsky, qui avait impressionné avec son excellent The Wrestler, livre ici une copie quasi-parfaite. Le film est troussé avec une maestria qui l'entraîne vers les plus hauts sommets : tout ce qui ce fait l'art de la mise en scène semble y être porté au plus niveau d'achèvement. La caméra évolue avec une liberté vertigineuse, le cadre est parfait, le montage irréprochable. Aronofsky signe une oeuvre qui parvient à être à la fois follement sensuelle et brillamment conceptuelle.
Natalie Portman trouve certainement là le rôle de sa vie. Elle est absolument bouleversante dans ce rôle de prodige vieillissant et hyper-sensible, tendue comme un arc vers la perfection. La folie est très présente dans le film (paranoïa, schizophrénie), et l'ambiance y est extrêmement pesante. Autant le dire, mieux vaut ne pas être trop sensible pour apprécier le film qui est fort déstabilisant lorsqu'il montre des modifications corporelles insolites dignes d'un Cronenberg, ou des apparitions qui font sursauter et génèrent des frissons comme a pu le faire en son temps le Shining de Kubrick.
Les 30 dernières minutes en particulier sont époustouflantes. Le film prend alors l'allure d'une sorte de toboggan de la peur et de l'horreur, accumulant les morceaux de bravoure, et culminant avec une danse du cygne noir qui peut dès maintenant être classée parmi les plus beaux moments de cinéma vus en 2011.
La personnalité de Nina, son éveil chancelant à la sexualité, son rapport difficile au corps et sa soif d'absolu vous accompagneront pour longtemps, si vous n'avez pas trop peur d'avoir peur.
Pour aller plus loin :
De nombreux blogs et articles listent les influences cinématographiques perceptibles dans Black Swan. Liste non exhaustive : Les chaussons rouges de Michael Powell, le cinéma de Cronenberg en général (et La mouche en particulier), Polanski (Répulsion, Le locataire, Rosemary's baby), le cinéma de De Palma (Carrie, pour la mère bien sûr, et Phantom of Paradise), La double vie de Véronique de Kieslowski, Showgirls de Verhoeven, Perfect Blue de Satoshi Kon, Suspiria d'Argento, La pianiste de Haneke.
Dans le Monde du 9 février, interview intéressante d'étoiles de l'Opéra de Paris sur la "véracité" de ce que montre Black Swan à propos du monde de la danse. Marie Agnès Gillot juge le propos du film "stéréotypé et ringard", mais Agnès Letestu déclare "tout est vrai, archi-vrai, même si caricatural". Brigitte Lefèvre, directrice de l'Opéra de Paris, a vu Black Swan comme une "caricature crédible".
Dans le genre Voici, savez vous que Natalie Portman a rencontré le père de son futur enfant sur le tournage de Black Swan. Le chorégraphe français Benjamin Millepied était en effet en charge de superviser les progrès en danse de l'actrice, ce qu'il a visiblement fait avec application. Il joue le Prince dans le film. L'heureux évènement est prévu aux alentours des dates du festival de Cannes.... Marion Cotillard doit également accoucher à cette époque (aucun rapport).
Si on en croit le New York Times, Vincent Cassel danse comme Fred Astaire. Est-il nécessaire de rappeler que le père de Vincent Cassel, Jean Pierre, était un danseur émérite (il joue dans Chorus Line) ?