Dans le paysage du cinéma chinois contemporain, le polar se taille une belle place, symbolisée par la réussite du cinéaste Diao Yinan (Le lac aux oies sauvages).
Ajoutant sa pierre à ce mouvement, Shujun Wei nous offre ici une version noire et parfois lynchienne de la traditionnelle traque du tueur en série.
Si le début du film brille par sa maîtrise et sa noirceur poisseuse, on est ensuite assez rapidement perdu dans un labyrinthe mental dont on ne comprendra que tardivement qu'il reflète (au moins en partie) les hallucinations de son personnage principal, à l'évidence souffrant de troubles psychologiques.
Je trouve que cette option nuit un peu au plaisir que l'on éprouve à suivre une enquête qui s'annonçait passionnante, mais il faut reconnaître qu'elle donne à Only the river flows une aura particulière, qui flirte avec le fantastique.
Un polar d'une rare sophistication, réservé aux aventuriers de l'esprit.
D'un livre de photographie de Danny Lion qui le fascina enfant, le cinéaste américain tire une oeuvre académique, qui séduit plus par la qualité de ses portraits que par sa narration.
On suit sans déplaisir l'histoire de ce groupe de motards, des origines à sa profonde transformation, à travers le destin de trois personnages principaux.
Austin Butler campe un beau gosse ténébreux avec une gueule à la James Dean convaincante, alors que Jodie Comer joue sa femme sans grande conviction. C'est Tom Hardy, dans un beau rôle de méchant boss malgré lui (façon Tony Soprano), qui emporte le morceau dans un casting assez plan-plan.
Pour le reste, l'évolution narrative est prévisible, les relations entre les personnages assez téléphonées, et la mise en scène à la fois convenue et efficace. La trame temporelle est inutilement compliquée par une série d'allers-retours sans grand intérêt.
Le film vaut principalement par son aspect sociologique : le milieu des motards de cette époque est bien reconstitué, et l'étonnant mélange de règles inutiles et d'esprit libertaire produit parfois de beaux moments de tension dramatique.
A noter que Michael Shannon, qui joue un petit rôle, signe ici sa sixième collaboration avec Jeff Nichols en six films : un bel exemple de fidélité.
Une oeuvre appliquée, intéressante à défaut d'être passionnante.
Blandine Lenoir nous offre ici une comédie sur la famille qui réussit à la fois à faire beaucoup rire et à émouvoir.
Elle s'appuie pour cela sur un casting haut de gamme. Izia Higelin rayonne d'une noire lumière, Jean Pierre Darroussin est désarmant d'amère bonhomie, Sophie Guillemin explose dans un rôle de sensuelle mère de famille éprise de liberté, et tout le reste du casting est absolument parfait (Noémie Lovsky, Eric Caravaca, Liliane Rovère...).
Juliette au printemps parvient à nous offrir des moments de réel burlesque (le chat maladroit, l'amant costumé) comme des moments d'émotion qui nous arrachent des larmes (la photo offerte à la fin du film).
L'attention est constamment entretenue par une intrigue liée au passé, qui se révèle petit à petit, et s'avère à la fois assez classique et émouvante. Le montage alerte et la mise en scène délicate contribuent à rendre le film aimable.
Une vraie réussite, encore plus agréable qu'un bon Podalydès.
Blandine Lenoir sur Christoblog : Annie Colère - 2022 (***)
On reproche parfois au cinéma de Michel Franco sa froideur mécanique, presque sadique.
J'ai moi-même écrit des choses très dures sur celui que j'ai pu considérer comme un Haneke d'outre-Atlantique.
La surprise est donc totale de voir dans ce film le réalisateur mexicain tisser une histoire remplie d'émotions, de subtilité et d'espoir. Bien sûr, la charge des traumas qui constitue la trame principale du film (attention, c'est du lourd) fait quand même peser sur Memory une triste noirceur, caractéristique de Franco, que le réalisateur parvient ici à sublimer jusqu'à un dernier plan de toute beauté.
Jessica Chastain est tout simplement formidable. Elle est accompagnée par un fantastique Peter Sarsgaard, qui a obtenu le prix d'interprétation masculine à Venise pour ce rôle. Ce dernier joue la maladie mentale avec une délicatesse qui brise le coeur, et qu'on a rarement vu représentée à l'écran avec autant de justesse.
La mise en scène est impressionnante, constituée de plans larges et froids, dans lesquels on a l'impression de voir les sentiments se déployer avec majesté.
Yorgos Lanthimos revient ici au style qui fit son succès au début de sa carrière : une construction intellectuelle stimulante, une âpre description des petitesses de l'âme humaine, une mise en scène de toute beauté, une cocasserie caustique qui fait souvent sourire.
Le tout est ici multiplié par trois, puisque le film est constituée de trois histoires complètement distinctes de 55 minutes chacune environ. Comme c'est souvent le cas dans ce type de film, on pourra juger l'intérêt des trois parties assez disparates. La première est pour moi presque parfaite dans son développement narratif et la subtilité de ses échanges, la deuxième m'a parue à la fois plus prévisible et moins crédible, alors que la dernière vaut surtout pour ses dix dernières minutes ébouriffantes.
Le trio d'acteurs est prodigieux et si Jesse Plemons a amplement mérité son prix d'interprétation à Cannes, Emma Stone et Willemn Dafoe sont formidables tous les deux.
J'ai pris du plaisir à déguster cette nouvelle livraison du cinéaste grec, qui n'a pas son pareil pour sonder les relations de pouvoir et de dépendance des êtres humains, leur obsessions et leurs aliénations, dans un monde dystopique et sur un mode qui mêle admirablement l'humour et la cruauté (la scène de la sextape en souvenir de la défunte en est un excellent exemple).
Ce premier film de la réalisatrice Lee Sol-Hui se situe dans la veine cruelle (voire sadique) que le cinéma coréen aime souvent emprunter, et dont les réalisateurs emblématiques pourraient être Kim Ki-Duk et Lee Chang-Dong.
L'héroïne est tout d'abord présentée dans la pire des situations : elle est pauvre, s'auto-mutile, vit dans un hangar, son fils est en prison, elle doit s'occuper de sa mère, visiblement atteinte d'une maladie de type Alzheimer. Elle gagne sa vie en s'occupant d'un vieux couple, dont l'homme est aveugle et la femme atteinte des mêmes symptômes que sa mère.
En résumé, c'est glauque, et pour tout dire, plus noir que noir. Mais sans déflorer l'intrigue, la vérité est que les choses empirent nettement vers le milieu du film, suite à un concours de circonstance tout à fait coréen dans l'esprit : improbable et particulièrement diabolique.
J'ai fini par rire noir, si je puis dire, de tant de malheurs accumulés, parfois de façon totalement invraisemblable.
Le film se laisse toutefois regarder, en partie parce que la mise en scène est solide et efficace, et aussi parce que l'actrice principale est parfaite dans son rôle de mater dolorosa.
Drôle de film que ce documentaire qui nous montre comment une jeune fille, aidée par son père, se bat pour avoir le droit de dresser un aigle pour la chasse, alors que la tradition n'autorise que les jeunes garçons à le faire.
Le propos est bien féministe, mais la forme du film à un petit côté rétrograde qui le fait plus ressembler à un reportage du National Geographic (en moins bien) qu'à un brûlot engagé.
On est donc partagé devant les mésaventures de la jeune Aisholpan, extrêmement scénarisées, et dont on a du mal à penser qu'elles puissent être entièrement "naturelles". D'un côté, on se dit qu'on ne fait plus de documentaires de ce type (voix off qui surligne les images, évitement de tout élément de contexte, images de drone à tout va), de l'autre on est ébaubi par la pugnacité de la petite Mongole et de son papa, de telle façon qu'on ne peut s'empêcher de dévorer cette aventure, comme on regarde une série à suspense, d'autant plus que les paysages de l'Altaï sont de toute beauté.
Le cinquième opus de la série Mad Max est un bon cru.
Il commence bizarrement comme un conte et il ressemble en cela plus au dernier film de George Miller, Trois mille ans à t'attendre, qu'à Fury road.
Nous sommes en effet dans un premier temps invités à contempler de magnifique paysages : une cité verdoyante dans l'enfer désertique qu'est devenue l'Australie, un désert de sable encore plus beau que celui de Dune, une ville citadelle de toute beauté. Nous croisons des personnages dont le charisme est de nature mythologique : Dementus (Chris Hemsworth compose un méchant d'anthologie), Immortan Joe, Praetorian Jack. Tout cela compose un univers attachant, riche de mille détails et parfaitement immersif.
Les grande scènes de poursuite et d'action n'arrivent qu'une fois le film bien avancé, et il faut avouer qu'elles sont époustouflantes de virtuosité et d'inventivité, encore plus spectaculaires que dans les épisodes précédents.
Furiosa est un divertissement pour adulte de très haute tenue, pour peu qu'on se soit pas réfractaire au genre post-apocalyptique ultra-violent, ici agrémenté d'une dose de sadisme gratuit et goguenard, non dénué d'humour (les brochettes de chien et le boudin d'homme !).
Le film est à savourer absolument dans une salle de cinéma, tant le travail sur l'image et le son est conçu pour en mettre plein les yeux et les oreilles.
Je le conseille chaudement aux amateurs, c'est pour moi supérieur à Fury road.
Ce film espagnol est d'une concision et d'une efficacité qui lui a fait rencontrer un succès critique et public tout autour du monde.
Le principe est simple : un couple qui entre au USA pour s'y installer (elle est espagnol, lui est vénézuélien) doit subir un interrogatoire serré des services de l'immigration américaine, ce qui va mettre à dure épreuve la solidité de leur relation.
Tout est parfaitement dosé dans cet exercice de style dont l'ambiance rappelle d'autres huis-clos anxiogènes épurés (The guilty par exemple), presque trop. Le scénario très bien conçu est tellement huilé que même les (rares) surprises finissent par paraître logiques.
Heureusement que les acteurs parviennent à donner corps à ce film quasi-mathématique dans sa progression vers plus de suspicion, plus de doutes. Leurs sentiments semblent eux bien réels, et la prestation de l'actrice Bruna Cusi m'a paru particulièrement solide.
Au final on passe un bon moment, à se demander comment cette aventure va se finir, et pour le coup on n'est pas déçu par le dernier plan, d'une concision sèche et âpre, à l'image du film, dont la durée l'apparente presque à un moyen-métrage (1h17).
On surveillera en tout cas de près la carrière des deux réalisateurs, Alejandro Rojas et Juan Sebastian Vasquez.
Voici une excellente surprise qui confirme le formidable talent de Pascal Bonitzer pour réaliser, et surtout écrire des films.
C'est en effet par son scénario d'une intelligence rare que Le tableau volé se distingue. Outre des personnages bien écrits, pas immédiatement sympathiques, le film propose des développements variés, des twists amusants, et un portrait tout en nuance de milieux sociaux forts différents. Le style oscille continûment entre la comédie décalée, le thriller artistique, la chronique sociale, le drame familial et même un soupçon de romcom.
Pour mener à bien ce programme somme toute osé, il faut une brochette d'acteurs hors norme. Alex Lutz confirme ici un talent phénoménal pour jouer un personnage désagréable (qu'on finira évidemment par apprécier), Léa Drucker et Nora Hamzawi assurent, et Louise Chevillotte séduit dans un rôle de mythomane très habilement dessiné par Bonitzer.
Le tableau volé arrache même une larme au spectateur lors d'un final très émouvant, qui mêle l'intime à l'historique : c'est très beau.
Los delincuentes confirme la belle vitalité du cinéma argentin, particulièrement efficace dans un style décalé, à la fois contemporain et poétique, dont l'étalon est aujourd'hui Trenque Lauquen.
Le film de Rodrigo Moreno commence comme un thriller lo-fi, dans lequel deux pieds nickelés commettent un hold-up d'un genre spécial. Ils volent une énorme somme d'argent correspondant à leur salaires jusqu'à la retraite. L'un accepte de se faire incarcérer (il pense prendre six ans de prison) alors que l'autre est chargé de planquer l'argent.
Le film est férocement drôle et tendrement poétique dans sa première partie. Les employés de la banque subissent l'enquête lymphatique d'un détective qui n'arrive pas vraiment à être antipathique. Le complice chargé de plaquer le magot est rongé par la culpabilité, et ses états d'âme sont à la fois poignants et risibles.
Bref, on est charmé par le style distancié de ce polar au ralenti (le film dure trois heures et prend son temps) quand il bifurque tout à coup dans une direction absolument inattendue, champêtre et solaire, bousculant au passage la temporalité du film. Le spectateur ne sait plus trop à quoi s'en tenir, le premier sujet du film disparaissant progressivement du champ du film, au profit d'une ode exaltante à la liberté et à la sensualité, parsemée de clin d'oeil amusants (les personnages principaux s'appellent Roman, Moran, Norma et Morna).
Cohérent avec l'évolution interne quasi-libertaire de son scénario, Los delincuentes finit par se perdre avec délice dans une sorte de delta narratif évanescent, dans lequel les principaux personnages se perdent avec nous, comme enivrés par une soudaine liberté : il semblent quitter le film avant sa fin, d'une certaine façon.
Une oeuvre surprenante, qui ne ressemble à rien de connu, comme si Hitchcock rencontrait Hong Sang-soo dans l'Argentine profonde.
Il faut une sacrée assurance à Elise Girard pour proposer ce film étrange, dans lequel il ne se passe pas grand-chose et qui ne propose finalement que la juxtaposition de deux paysages désolés : celui extérieur d'un Japon comme déserté et celui intérieur, composé par une Isabelle Huppert endeuillée plus huppertienne que jamais.
De cette confrontation, dans laquelle l'acteur Tsuyoshi Inara semble faire partie du paysage, il ressort un sentiment de douce morbidité : le mort s'efface progressivement dans une jolie mise en scène, pour que la vie se ré-immisce dans la vie de Sidonie.
Tout cela est mené tambour mollissant, si je puis dire, dans des Limbes grisâtres, hall d'aéroport désert, hôtels tout droit sortis de Shining, séances de dédicaces diaphanes et interviews irréelles.
Sidonie au Japon est beau parce qu'imparfaitement lugubre. Malgré tous ses efforts pour amener la désespérance à un point d'incandescence, il parvient à nous émouvoir par la seule force de la mise en scène.
Derrière ce titre accrocheur et très bien trouvé se cache un film québécois délicieux, mélange de comédie romantique et de coming of age movie, adoptant tous les codes des films de vampire pour mieux s'en détacher.
La jeune vampire Sasha, n'aime pas tuer les humains. Ses parents, un peu comme un couple de fauves qui essaierait d'apprendre en vain à leur rejeton de chasser des gazelles, se désespèrent : que deviendra leur fille si elle ne sait pas se procurer sa subsistance par elle-même ?
La jeune fille a alors une idée géniale : écumer les réunions de suicidaires anonymes pour faire son marché de sang frais, tout en en laissant sa conscience en paix. Les choses se compliquent lorsqu'elle tombe d'accord avec un jeune homme ... dont elle tombe amoureuse.
La réalisatrice Ariane Louis-Seize (quel nom !) nous donne une oeuvre délicate, très plaisante et superbement mise en scène, regorgeant d'idées amusantes et parfois, émouvantes. On s'amuse beaucoup en se demandant quelle issue pourra être trouvée à cette romance nocturne contre-nature, et on n'est pas surpris par la fin.
Une excellente surprise, qui fournit le plaisir de retrouver une des interprètes du très bon Falcon Lake, la jeune Sara Montpetit.
Avec leur premier long-métrage, le hongrois Tibor Bánóczki et sa partenaire Sarolta Szabó nous offrent un des meilleurs films d'animation pour adulte vu depuis longtemps.
Tout est en effet formidable dans Sky dôme 2123 : une histoire complexe et profonde, des décors variés et sidérants, des personnages attachants. Le complexe procédé d'animation, qui mélange rotoscopie et animation traditionnelle, est d'abord suprenant puis franchement convaincant.
Nous sommes en 2123 et la ville de Budapest vit intégralement sous un dôme. A 50 ans, chaque être humain se voit transformé en arbre pour le bien de la communauté. En proie à une profonde dépression (elle a perdu son fils), Nora devance l'appel à 32 ans, mais son mari ne l'entend pas ainsi....
Sur cette trame qui mélange habilement préoccupation écologique, drame intime, thriller psychologique et raid movie d'anticipation, le film brode un motif fait de douceur et de splendeur visuelle : on est littéralement happé par chaque station que parcourt notre couple à la recherche d'une introuvable issue.
Sky dome 2123, belle découverte du Festival d'Annecy 2023, est vraiment un film à découvrir. Il mériterait une distribution bien plus large.
Je ne suis pas toujours tendre avec Christopher Nolan, à qui je reproche, pour faire simple, de mettre son extraordinaire virtuosité de réalisateur au service de scénarios inutilement complexes.
Mais ici, il me faut bien admettre que mes reproches habituels ne tiennent pas.
D'abord parce que l'histoire racontée est elle-même compliquée, et que Nolan parvient finalement assez bien à en rendre compte dans ses subtilités scientifiques (la physique à ce niveau-là, ce n'est quand même pas de la tarte) et ses circonvolutions politiques et diplomatiques (les innombrables personnages secondaires sont très bien dessinés).
Peut-être pourrait-on à la limite discuter la nécessité d'avoir mis en place ces deux trames narratives distinctes et leurs caractéristiques un peu apprêtées (noir et blanc / couleurs, "fission"/"fusion"), mais en ce qui me concerne, j'ai trouvé l'idée intéressante : elle donne une épaisseur temporelle supplémentaire à l'épopée scientifique qui nous est contée.
Le deuxième aspect satisfaisant du film est que les délires visuels habituels du Britannique sont ici d'une part plutôt mesurés, et d'autre part mis au service du propos du film, ce qui n'est pas toujours le cas. Il n'est pas inconvenant que la pyrotechnie typiquement nolanienne de certains plans servent à illustrer les prodiges de la physique sub-atomique.
Oppenheimer est une oeuvre dense, complexe et riche en thèmes de nature différente (intime, politique, scientifique, métaphysique). Nolan parvient avec ce film à tenir en haleine son spectateur pendant trois heures autour d'un thème a priori peu avenant : c'est un exploit. Il est servi pour cela par une direction artistique proche de la perfection (la reconstitution de Los Alamos est fantastique) et un casting éblouissant dans lequel Cillian Murphy propose une composition solide, qui lui a d'ailleurs valu l'Oscar qu'il recherchait.
Belle réussite que ce nouveau film de Stéphane Demoustier, qui confirme de film en film une belle finesse d'écriture et de véritables qualités de réalisateur.
Borgo est un polar carcéral tout à fait prenant, dans lequel la réalité corse explose à chaque plan (notamment les relations qui semblent relier directement ou indirectement tous les habitants) et qui est construit sur une idée scénaristique pas forcément originale, mais qui fait ici sont petit effet. Je n'en révélerai évidemment pas la teneur.
Hafsia Herzi, décidément une des meilleures actrices française actuelle, est une nouvelle fois renversante. Opaque et décidée, elle maintient une sorte d'ambiguïté tout au long du film, qui sert admirablement l'intrigue, et fait du personnage de Melissa une sorte de soeur spirituelle du personnage qu'elle interprétait dans Le ravissement.
Le réalisme du film (la prison bien sûr, mais aussi le HLM, le cabanon de plage) est saisissant et rend l'expérience particulièrement immersive.
On est tenu en haleine jusqu'au derniers plans, ce qui n'est pas si courant dans le cinéma français.
Il y a un aspect magique dans le cinéma : celui qui permet à un improbable mélange (esthétique kitsch, trame à suspense, mise en scène à effets, mélange de styles musicaux) d'attirer plus de cinq millions de spectateurs en Italie, pour un film d'époque en noir et blanc, qui dure pratiquement deux heures.
Difficle de justifier d'un strict point de vue critique un tel engouement. Il reste encore demain n'est en effet pas un grand film d'un point de vue mise en scène. Paola Cortellesi y accumule en effet les choix à risque : esthétique d'Amélie Poulain au sortir de la guerre, travellings tape à l'oeil, choix osé de théatralisation pour certaines scènes (la violence du mari envers sa femme chorégraphiée comme une danse).
La réalisatrice (qui est aussi l'actrice principale) flirte donc en permanence avec le mauvais goût, sans vraiment y tomber. Ce qui sauve sa narration tient à mon sens dans deux éléments. Le premier est l'intrication de thématiques diverses, toutes riches et qui entrent subtilement en résonance, donnant une véritable épaisseur au film (l'histoire italienne, les différences de classe, le féminisme, le machisme atavique, les conflits entres générations, les relations familiales, la politique, l'amour).
Le second élément qui emporte tout, c'est l'énergie communicative qui se dégage du film. Les premières scènes en sont un magnifique exemple : la première journée de Delia est haletante, menée tambour battant par un découpage survitaminé et une bande-son entraînante. Il y a dans ce film un plaisir de filmer et de jouer qui est communicatif et qui me semble être la caractéristique de ce qu'on peut trouver de meilleur dans l'art cinématographique : la volonté d'entraîner le spectateur dans une histoire, coûte que coûte.
Rien de véritablement nouveau dans le nouveau film à grand spectacle d'Alex Garland : on y voit des scènes de guerre très réalistes, une troupe de journalistes et photographes de guerre prenant des risques insensés pour obtenir LA bonne photo ou LA bonne interview, et on suit enfin l'apprentissage sur le terrain d'une apprentie photographe.
C'est le cadre dans lequel se déroule le film qui en fait son principal intérêt : les USA en proie à une guerre civile dont on ne comprend à aucun moment les enjeux, des groupes militaires indistincts, un président acculé et impuissant, une atmosphère de déréliction qui se superpose aux images que nous avons habituellement de l'Amérique. Une atmosphère assez proche de celle de The walking dead, dans laquelle l'homme serait un zombie pour l'homme.
Cette production assez originale (la plus grosse du petit studio US qui monte, A24) insinue en creux une question qui taraude le film du début à la fin de façon souterraine : mais qu'est ce donc vraiment qu'être Américain ?
Associé à une direction artistique impressionnante de réalisme et au sens de la mise en scène du réalisateur britannique, cette ligne directrice est finalement agréable et donne un grand spectacle pas très original mais élégant, qui se laisse regarder avec plaisir.
Accessoirement, le casting est très bien aussi : Kirsten Dunst comme d'habitude convaincante, la jeune Cailee Spaeny fraîche à souhait et Wagner Moura spectaculairement musculeux.
Rien n'est vraiment neuf dans Civil war, mais tout y est plaisant.
On retrouve dans Goutte d'or les qualités profondément originales qui faisaient toute la valeur de Ni le ciel ni la terre : une réalité prise sur le vif (comme rarement on la voit dans un film de fiction) associée à un sentiment presque évanescent de fantastique, comme si celui-ci existait larvé dans le moindre détail du quotidien.
Karim Leklou excelle dans le rôle de ce voyant arnaqueur sévissant dans le quartier parisien de la Goutte d'or, qui se voit contre son gré embarqué dans un voyage nocturne à la fois onirique, dramatique et profondément ancré dans la réalité du nord-est parisien.
J'ai été pour ma part profondément séduit par la variété des rencontres proposées, et par la sourde poésie qui émane du regard halluciné de Karim Leklou, surpris par l'irruption dans sa vie d'un surnaturel qu'il singeait jusqu'alors avec brio.
Rien de bien original dans ce film islandais, qui semble de prime abord brasser des éléments vus et revus dans de multiples films : la rencontre de deux solitudes, l'arrachement à la terre ancestrale et la confrontation entre la vie en pleine nature et la ville.
La réalisatrice Ninna Pálmadóttir filme sagement l'histoire écrite par son compatriote Runar Runarsson (Sparrows, Echo) de façon sensible, mais disons-le, assez plan-plan. L'évènement principal du film, qui survient dans sa seconde partie, est un peu téléphoné, mais ses conséquences donnent lieu à des scènes habilement écrites et joliment filmées.
Comme le film est très court (1h14, un plaisir !), on n'a pas le temps de s'ennuyer, et j'ai finalement apprécié ce conte moral à l'ambiance délicieusement islandaise (les paysages autour de la ferme sont formidables). Dernier point : le visage de l'acteur Thröstur Leó Gunnarsson est en soi un paysage, magnifique à explorer.
Un petit shoot de plaisir nordique pour ceux qui apprécient les ambiances septentrionales.