Peu de films peuvent prétendre laisser un souvenir qui s'améliore à ce point avec le temps.
Disons-le tout net, pendant la projection, ce sont surtout les défauts du film qui m'ont sauté aux yeux : quelques hésitations des acteurs, des scènes qui s'étirent sans justification, des kitscheries à répétition, une narration qui s'emberlificote, une BO et une bande-son souvent poseuse.
Et puis, à l'usage, le temps passant, il faut bien reconnaître qu'on ressort marqué par le film et impressionné par le souffle romanesque qui le traverse. Le mérite en revient à l'interprétation incroyable de Suzanne Clément (prix d'interprétation à Un certain Regard cette année). L'actrice est sublime, tour à tour forte, faible, brisée, reconstruite, en colère, amoureuse : elle utilise un spectre d'une variété incroyable, tout en maintenant une densité de jeu exceptionnelle. Monia Chokri (sa soeur) est également très bonne, tout comme Nathalie Baye qui campe une mère capable d'une cruauté effarante.
J'ai été beaucoup moins convaincu par la prestation de Melvil Poupaud, dont la greffe québécoise tarde à prendre dans le film. J'ai eu beaucoup de mal à croire en son histoire, et j'ai trouvé son jeu parfois approximatif. Le film se déroulant, cette impression s'est heureusement progressivement estompée, au fur et à mesure que le personnage prend de l'assurance dans sa nouvelle vie.
Quant à la mise en scène de Xavier Dolan, j'en viens à penser qu'il faut la prendre dans son ensemble et l'aimer telle qu'elle est, en entier, ou pas. Après trois films, force est de constater que les mêmes tics se reproduisent de films en films : personnages filmés de derrière, ralentis, gros plans (en particulier sur les visages), incrustations bizarres, scènes oniriques, montage cut sur une BO jouée très fort, pluie d'objets, etc.
Après réflexion, j'ai décidé d'aimer son style, qui ici sert en plus habilement un propos à forte charge émotionnelle. Dolan devra chercher dans l'avenir à s'entourer de professionnels en qui il pourra avoir confiance : un vrai monteur professionnel l'aurait probablement aidé à construire son film de façon plus efficace. Il semble pour l'instant s'enfermer dans la posture d'une jeune artiste complet, démiurge omnipotent régnant sur son grand oeuvre.
Mises à part ces quelques réserves, Laurence anyways constitue le premier jalon d'une importance significative dans la carrière du jeune québécois, qu'on sent irrésistible.
Xavier Dolan sur Christoblog : J'ai tué ma mère / Les amours imaginaires