Blandine Lenoir nous offre ici une comédie sur la famille qui réussit à la fois à faire beaucoup rire et à émouvoir.
Elle s'appuie pour cela sur un casting haut de gamme. Izia Higelin rayonne d'une noire lumière, Jean Pierre Darroussin est désarmant d'amère bonhomie, Sophie Guillemin explose dans un rôle de sensuelle mère de famille éprise de liberté, et tout le reste du casting est absolument parfait (Noémie Lovsky, Eric Caravaca, Liliane Rovère...).
Juliette au printemps parvient à nous offrir des moments de réel burlesque (le chat maladroit, l'amant costumé) comme des moments d'émotion qui nous arrachent des larmes (la photo offerte à la fin du film).
L'attention est constamment entretenue par une intrigue liée au passé, qui se révèle petit à petit, et s'avère à la fois assez classique et émouvante. Le montage alerte et la mise en scène délicate contribuent à rendre le film aimable.
Une vraie réussite, encore plus agréable qu'un bon Podalydès.
Blandine Lenoir sur Christoblog : Annie Colère - 2022 (***)
J'ai éprouvé les mêmes sensations à la vision du dernier film de Guédiguian qu'à celle du dernier Moretti : une certaine gêne devant le radotage approximatif d'un vieux maître, zébré d'éclats agréables.
Pour ce qui est du radotage, on a ici des ingrédients bien connus : portrait de Marseille, communisme (devenu nostalgique par la force des choses), prime aux bons sentiments, grand tableau de la communauté arménienne (des petits travers à la tragédie du Haut-Karabagh).
Tout cela n'est ni très bien fait, ni vraiment convaincant, juxtaposition de scènes tout à fait ratées (les réunions politiques) ou pas vraiment réussies.
Ce qui sauve Et la fête continue !, c'est surtout l'histoire d'amour délicate entre les personnages joués par Ariane Ascaride et Jean-Pierre Darroussin, encore une fois très convaincant. La manière dont est évoquée l'effondrement des immeubles de la rue d'Aubagne, dans le "dos" d'Homère, est aussi assez bien vu.
Le tout est tout de même très fragile, fait de bric et de broc, et au final pas vraiment recommandable.
Très belle découverte que ce long-métrage d'Anna Novion, pour l'instant principalement connue pour avoir réalisé plusieurs épisodes du Bureau des légendes.
Le sujet du film peut paraître au premier abord rébarbatif si vous avez de cuisants souvenirs de cours de mathématiques dans votre jeunesse, puisqu'il va être ici question de la passion qu'entretiennent plusieurs personnages pour la démonstration de la fameuse conjecture de Goldbach ("Tout nombre pair peut s'écrire comme la somme de deux nombres premiers").
Il faut l'interprétation délicate et incarnée de la jeune actrice Ella Rumpf pour rendre sensible l'isolement terrible que génère la recherche et le monde des mathématiques de haut niveau, qui n'a jamais été aussi bien rendu que dans ce film intelligent et subtil.
La ténacité et la rectitude du personnage de Marguerite en fait une héroïne féministe de première ampleur, avançant dans la vie avec une pugnacité et une détermination étonnante, à l'image de son abordage du gentil et innocent Yannis.
Un film étonnant et diablement intéressant, qui complète une année faste pour la représentation des grandes écoles dans le cinéma français, après La voie royale et De grandes espérances. Signalons enfin que Jean-Pierre Darroussin livre une partition formidable de froide dureté, qui rappelle énormément son personnage du Bureau des légendes.
J'ai beau chercher, je ne vois pas ce que je pourrais reprocher au nouveau film de Jeanne Herry.
Je verrai toujours vos visages est d'abord magnifiquement écrit. Les dialogues sont ciselés, jamais triviaux. Les destins s'entrecroisent avec brio, avec un sens du rythme et de l'ellipse confondant. L'idée de ne jamais voir le personnage du frère jusqu'à la fin est par exemple extrêmement forte.
Le casting est exceptionnel. Si Adèle Exarchopoulos domine le film et trouve ici son meilleur rôle depuis La vie d'Adèle, il faut signaler l'homogénéité du niveau de jeu de tous les autres protagonistes.
Il peut arriver qu'un bon scénario et un excellent casting soient illustrés par une mise en scène insipide. Ce n'est pas le cas ici. Jeanne Herry utilise avec brio toutes les possibilités qu'offre le cinéma pour ne pas ennuyer le spectateur (variétés des plans, plongées, variation de rythme et de lieu).
Le film parvient enfin, et ce n'est pas la moindre de ses qualités, à éviter le chantage lacrymal et l'effet facile. S'il arrache aux spectateurs de nombreuses larmes, il ne le fait que par la qualité de l'écriture et la puissance de jeu des acteurs, indépendamment de tout effet de manche. Le symbole de cette sécheresse narrative est la magnifique séance finale de rencontre, et sa chute ultime, bouleversante.
Une réussite qui concrétise toutes les promesses de Pupille.
Jeanne Herry sur Christoblog : Pupille - 2018 (**)
Tiré d'une pièce à succès du duo Bacri Jaoui (Molière du meilleur spectacle comique en 1995), le film de Klapisch est plus que du théâtre filmé.
Si le décor unique et confiné du bar miteux que tient Henri est bien au centre du film, et en constitue même un personnage à part entière, le cinéaste parvient à imprimer son style par de nombreuses idées et effets : brèves escapades à l'extérieur, effets de transparence et de reflets sur de multiples objets, variétés des cadres et des points de vue, exploitation maximale des espaces (cave, annexe, escalier).
Le film vaut évidemment beaucoup par la qualité de l'écriture et la justesse de l'interprétation. Agnès Jaoui, Catherine Frot, Jean Pierre Bacri, Jean Pierre Darroussin sont tout simplement géniaux. Ils parviennent à jouer des personnages très proches de la caricature, tout en ne paraissant à aucun moment caricaturaux eux-même. Petit à petit, chacun laisse sourdre des émotions particulièrement intenses et fait subtilement évoluer son comportement.
Le personnage de Yoyo est en ce sens sûrement le plus formidable : à la bêtise insondable qu'on croit d'abord discerner chez ce personnage, Catherine Frot parvient progressivement à superposer une volonté de vivre rayonnante (qui se concrétise dans la magnifique scène de danse), puis un sentiment d'injustice très émouvant et enfin une belle empathie.
Comme les meilleures des comédies italiennes, Un air de famille parvient à nous faire sourire avec des personnages faisant face à des abîmes de douleur. Dans son genre modeste, il est parfait.
Les éblouis fait partie de ces films dont on aimerait dire du bien : un projet cher au coeur de la réalisatrice (car en grande partie autobiographique), une distribution sympathique (Camille Cottin, Jean Pierre Darroussin en chef de secte, l'excellent Eric Caravaca - le réalisateur du très bon Carré 35) et un angle intéressant (la dérive sectaire vue à travers les yeux d'une pré-ado).
Malheureusement, rien ne fonctionne dans le film. L'implication personnelle de la réalisatrice Sarah Succo dans l'écriture de l'histoire est sûrement contre-productive. Les émotions et les souvenirs liés à son histoire semblent l'avoir conduit à affadir l'histoire : le résultat est anecdotique et délayé.
Le film manque de rythme dans le montage, de précision dans la mise en scène et de détermination dans la direction d'acteur. On se désintéresse progressivement de la destinée de la petite Camille, dont les aventures flirtent parfois avec l'invraisemblance onirique (la robe de mariée) et finissent par nous tenir à distance, un comble pour une narration dont la progression dramatique devrait conduire à un climax.
Le cinéma de Guédiguian me laissait souvent perplexe : trop simple, trop didactique, trop militant, pas assez ouvert sur les évolutions sociétales.
Ma surprise est d'autant plus grande de découvrir dans Gloria mundi toute une palette de nuances inattendues.
Les pauvres ne se contentent plus de subir, il deviennent oppresseurs d'autres pauvres. Le couple joué par Grégoire Leprince-Ringuet et Lola Naymark est formidable de ce point de vue. Même Sylvie, jouée par une Ariane Ascaride formidablement quelconque, nous donne une réplique iconoclaste dans l'éco-système Guédiguian : "Les cheminots, ils sont déjà en retraite à mon âge !".
C'est comme si toute l'oeuvre de Guédiguian se trouvait ici travaillée de l'intérieur, les personnages historiques joués par les anciens de la bande (Ascaride, Darroussin, Meylan) étant bousculés par une jeune garde écervelée mais bien vivante (Anaïs Dumoustier, merveilleuse en petite connasse).
Tout cela est déjà très intéressant, mais le film trouve son grammage final dans le personnage de Daniel, gitan marqué par le fatum, et faiseur de haïku.
Le tout ne tient debout que de justesse (ce qui rend compréhensible la réaction de rejet de certains spectateurs). Pour ma part, j'ai souvent été ému aux larmes par la précision du jeu des acteurs, et par la circulation souterraine de sentiments profonds qui innervent le films en continu (le temps qui passe, les promesses de l'avenir, la vacuité du désir). Le cinéma de Ken Loach n'est pas très loin.
Un beau mélo, qui comme les grands films de Sirk, conjugue le trivial et le sublime, parfois dans un même plan.
Je me demande comment j'ai pu passé aussi longtemps à côté du Bureau des légendes, incontestablement la meilleure série française que j'ai vue jusqu'à présent.
Après avoir avalé à la suite les cinquante épisodes des quatre saisons, ce qui m'impressionne le plus, c'est la constance dans la qualité. Pas beaucoup de baisses de régime en effet, sauf peut-être dans la deuxième partie de la quatrième saison, qui semble un peu expédiée.
A part ce petit coup de mou, d'ailleurs tout relatif, la série brille par ses qualités, dont la plus impressionnante à mes yeux est sa qualité d'écriture. Les trajectoires des personnages sont en effet complexes, les évènements difficilement prévisibles, l'intrication des arcs narratifs subtile et addictive.
La mise en scène d'Eric Rochant est à la hauteur de ce qu'on voit de mieux au cinéma. Les décors sont superbes, les scènes d'action prenantes. Il se dégage des mondes que l'on croise dans la série, et qui sont très divers (la violence des tortures, l'univers feutré de la DGSE, la vie quotidienne des banlieues), un sentiment de réalité. Que l'on parcourt les rue de Raqqa ou qu'on folâtre au bord de la piscine d'un riche iranien, on éprouve une impression d'immersion extraordinaire.
Je n'ai pas été par contre convaincu par les deux derniers épisodes de la saison 5, confiés à Jacques Audiard : j'ai trouvé que la finesse de Rochant s'effaçait trop devant l'efficacité pachydermique d'Audiard (à l'image de ce gros plan sur le feu rouge qui indique clairement la façon dont se terminera cette saison).
Si Le bureau des légendes mérite tous les louanges qui lui sont adressés, c'est aussi grâce à son casting impressionnant, digne là encore d'un très bon film de cinéma : outre un Mathieu Kassovitz réellement magnétique, on se régale à retrouver Florence Loiret-Caille (si bonne chez Solveig Anspach), Léa Drucker (récemment césarisée à juste titre), Sara Giraudeau, Mathieu Amalric, et Jean-Pierre Darroussin, absolument formidable. Même Louis Garrel et Mathieu Amalric, qui peuvent souvent m'énerver dans leur composition, trouvent ici un ton absolument juste. Le moindre second - ou troisième - rôle semble toujours judicieusement choisi.
Une autre grande qualité de la série est de coller parfaitement à l'actualité. Chaque saison aborde avec justesse et précision un aspect spécifique : découverte du monde de l'espionnage, Français s'enrôlant chez Daesh, développement des techniques de cyber-espionnage (même si on n'y comprend pas grand-chose), relations entre les services secrets des différents pays.
En ne sacrifiant jamais au pittoresque, tout en ménageant les effets qu'on attend d'une bonne série (destin tragique de certains personnages, cliffhangers), la série phare de Canal+ réalise le programme d'une excellente série : divertir, intriguer, enrichir.
J'espère de tout coeur que l'aventure va se poursuivre, et j'envie ceux qui n'ont pas encore eu le plaisir de se plonger dans le monde impitoyable du Bureau des légendes.
D'emblée, Stéphane Brizé impose son point de vue, qui sera sévère, dépouillé et naturaliste. Il l'impose par son cadre presque carré, sa caméra à l'épaule et ses plans très rapprochés sur les personnages.
L'effet produit est dans un premier temps déstabilisant, et légèrement oppressant. J'ai été à la fois séduit par le rendu de certaines sensations (le temps qui passe, les saisons, les dilemmes) et perturbé par les ellipses systématiques et le montage temporel chaotique.
Le premier choc passé, Une vie parvient à convaincre par son ampleur romanesque et la cohérence de son esthétique. Si les performances de la jeune garde du cinéma français me laisse perplexe (Finnegan Oldfield est à baffer et Swann Arlaud plus transparent que d'habitude), les anciens (Darroussin et Moreau) sont parfaits.
La solitude, l'ennui, la rudesse de la vie au XIXe siècle dans un milieu rural est parfaitement rendu. Le film est aussi émaillé de scènes extraordinaires de violence, contenue ou pas : les conversations avec les prêtres, la scène du couvent.
Au final, Jeanne semble bien être une cousine éloignée du Thierry de La loi du marché : écrasés tous deux par des forces immenses qui les dépassent, ils portent au plus profond de leur être une étincelle qui leur permet de continuer à espérer.
J’ai vu le film vendredi dernier au Katorza en présence de Robert Guédiguian. La critique de son 17ème opus s’avère du coup pour moi un exercice délicat, je vais vous dire pourquoi.
J’ai été séduit par la prestation de Guédiguian qui s’est prêté au jeu des questions réponses pendant une heure, avec un sens de l’humour et une élégance dans l’argumentation auxquels je ne m’attendais pas vraiment. Il est profondément troublant en ces temps de Sarkozie décomplexée de rencontrer un homme qui affiche aussi clairement (et simplement) ses opinions issues d’une gauche historique, très lutte des classes, et en même temps d’un niveau intellectuel supérieur, citant Jaurés entre Pasolini et Capra.
Ce qui m’a beaucoup touché aussi, c’est la sensibilité qui émane de Guédiguian, manifestant une grande empathie dans sa capacité à écouter les questions des spectateurs. Bref, un beau moment d’échange avec quelqu’un qui porte ses idées avec une conviction rare et attachante.
Le film, quant à lui, m’a un peu déçu, ce qui est toujours gênant à exprimer en présence de son créateur (Robert, ne lis pas cette critique). Les neiges du Kilimandjaro prend clairement le parti d’être une fable, un conte. Guédigian nous a dit vendredi que les comédies avaient les mêmes ressorts que les tragédies, et que la seule différence résidait dans le fait que dans les comédies les situations trouvaient leur résolutions.
C’est bien le programme que propose le film, (très) librement inspiré d’un poème de Victor Hugo, Les Pauvres Gens. Un leader syndical organise un tirage au sort en vue de licencier 20 ouvriers de son entreprise. Un de ceux-ci va commettre un acte répréhensible. Le leader syndical et sa femme (indéboulonnables Darroussin et Ascaride) vont, après avoir dénoncé le criminel, trouver un moyen d’atténuer leur sentiment de culpabilité.
Le problème, suivant l'adage classique que les bons sentiments ne font pas les bons films, c'est que Les neiges du Kilimandjaro n'échappe pas à une certaine sensiblerie et présente des traits franchement caricaturaux. Si les habitués de Guédiguian jouent assez juste, les nouveaux venus sont franchement à côté de la plaque et leur texte semble totalement "plaqué". Grégoire Leprince Ringuet par exemple est à moitié crédible, et Robinson Stévenin campe un policier peu convaincant. Le film oscille donc perpétuellement entre plusieurs styles (humoristique, chroniqueur social, militant, angoissant, utopique, nostalgique, sentimental) sans réellement trouver un point d'équilibre. Certaines scènes sortent du lot (le speech de la mère à côté du bateau, la partie de bridge et sa conclusion), d'autres sont ridicules par la faute souvent d'une bande-son désastreuse (cet horrible Many rivers to cross chanté par Joe Cocker).
Je ne rentre pas ici dans le débat moral que le film peut générer : il paraît irréel (je ne peux pas trop spoiler, mais que font les services sociaux ??) et ses enjeux me laissent un peu indifférent. Je note simplement que les jeunes sont montrés d'une façon assez réaliste insupportable.
Alors, allez-y si vous voulez poursuivre ce long feuilleton mené par la bande de l'Estaque, et retrouver un petit peu de ce qui faisait le charme de Marius et Jeannette.