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Christoblog

Articles avec #koji fukada

Love life

Le dernier opus de Koji Fukada (Suis-moi je te fuis / Fuis-moi je te suis) nous avait laissé un peu sur notre faim. Le format série resserré pour le cinéma ne fonctionnait pas très bien.

Avec Love life, le réalisateur japonais revient à ce que l'on préfère chez lui : une mise en scène élégante, une écriture au scalpel et des événements qui bousculent simultanément les personnages et les spectateurs.

Le film commence ici comme le tableau en demi-teinte d'un couple presque normal : elle a un enfant d'une première union, il a des parents un peu envahissants qui habitent dans l'immeuble d'en face. On sent vaguement que quelque chose d'anormal plane au-dessus de la famille : une curieuse cérémonie d'anniversaire pour le beau-père, l'ex petite amie du mari qui réapparaît, des paroles acerbes qui s'échangent.

Le style Fukada est là : le regard d'un entomologiste qui observe des fourmis humaines se débattre dans le labyrinthe de la réalité, se heurtant à leurs sentiments, leurs désirs, et surtout ici, leur culpabilité.

Dans Love life, la communication semble impossible entre les principaux personnages. La mise en scène excelle à décrire leur isolement par de multiples et subtils procédés : plan lointain, jeu de transparence et de reflets, bande-son travaillée. A l'image du sublime dernier plan, le maximum de connivence qui semble accessible dans ce monde absurde, c'est de marcher un petit bout de chemin l'un à côté de l'autre.

Un beau film, ample et délié, riche en signes et en symboles.

Koji Fukada sur Christoblog : Au revoir l'été - 2014 (***) / Harmonium - 2017 (****) / L'infirmière - 2019 (***) / Suis-moi je te fuis, Fuis-moi je te suis - 2022 (**)

 

3e

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Suis-moi je te fuis / Fuis-moi je te suis

Ces deux films, sortis en mai 2022 dans une grande indifférence, constituent en réalité une seule oeuvre (un condensé de près de quatre heures de la série en dix épisodes qu'a réalisé Fukada pour la chaîne Nagoya TV).

De cette étrange genèse découle probablement la sensation de ne pas voir un film vraiment finalisé, ce qui génère chez le spectateur une légère déception, surtout s'il apprécie l'oeuvre de Fukada.

En effet, outre un rythme très irrégulier, le réalisateur japonais semble ici atténuer tous les éléments qui font la singularité de son cinéma. La cruauté abrupte d'Harmonium n'est  qu'affleurante, la nostalgie nauséeuse du formidable Au revoir l'été diffuse très légèrement ses effluves.

C'est l'évolution des sentiments sur le temps long (un des points fort de L'infirmière) qui est ici le marqueur de plus reconnaissable de l'art de Fukada.

Certains pourront être énervés par le personnage au départ toujours larmoyant de Ukyio : il leur faut persister jusqu'au deuxième film pour mieux comprendre ses réactions, qui trouveront une pleine et entière résolution dans les vingt dernières minutes de Fuis-moi je te suis.

Est également bien présente ici la capacité du réalisateur à nous mettre légèrement mal à l'aise (le bruit de l'aquarium dans le minuscule appartement, la permissivité sexuelle un peu froide du couple principal dans la première partie, les comportements presque toujours imprévisibles des personnages), au sein d'une narration linéaire qui parfois peut donner l'impression de réduire les femmes au rang d'objet, mais qui en réalité met en valeur leur libre arbitre, comme on s'en rendra finalement compte.

Indispensable pour les amateurs de cinéma japonais.

NB : Il faut voir Suis-moi je te fuis en premier, puis Fuis-moi je te suis

 

2e

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L'infirmière

De film en film, Koji Fukada construit une oeuvre riche et singulière, qui en fait un des réalisateurs les plus intéressants au niveau mondial. 

Après la violence feutrée et intense de Harmonium, et le climat élégiaque de Au revoir l'été, le réalisateur japonais s'essaye ici à un exercice de style hitchockien de très haut niveau. Comme maître Alfred, Fukada parvient ici à brouiller les pistes d'une façon limpide, tout en ne psychologisant jamais : l'avancée de l'intrigue ne résulte que de la succession des évènements à l'écran, et non de l'expression de sentiments exprimés par les personnages.

Elégance de la mise en scène, sûreté du jeu d'acteurs, richesse et profondeur des thématiques abordées, précision du montage et du son : le film est intellectuellement jouissif et raisonnablement pervers. 

A noter que c'est l'une des premières fois où je vois évoquée (même indirectement) l'homosexualité féminine dans un film japonais contemporain. 

Je le conseille vivement.

 

3e

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Au revoir l'été

Dans le paysage du cinéma japonais contemporain, plutôt morose, Koji Fukada fait figure de sage trublion. Ses films sont en effet au premier abord très convenus, très lisses, en un mot très japonais. Les sentiments ne s'y exposent jamais ouvertement (comme chez Naruse, que Fukada admire beaucoup), même s'ils sont très présents et influent sur le cours des évènements de façon souvent dramatiques.

Par rapport à ses autres films, qui comportent souvent un tournant narratif important et transgressif en milieu de film, Au revoir l'été se distingue par une approche beaucoup plus douce. Fukada, qui est très francophile, se réfère ouvertement à Rohmer à propos de ce film, initiation douce amère et estivale d'une jeune fille dans un monde d'adultes, qui sous leur dehors très polis n'hésitent pas à assouvir leur pulsions diverses.

Le film, tourné en format 4:3, bénéficie d'une admirable photographie, qui rend l'été japonais particulièrement beau à regarder, multipliant les morceaux de bravoure chromatiques : splendeur du soleil dans les feuilles, couleurs pastel et douce luminosité. 

Fukada ne se contente pas de peindre une chronique intimiste, il parvient aussi à y insuffler de la politique contemporaine à travers les lointains et tristes échos de la catastrophe de Fukushima. 

Un très joli film, à découvrir.

 

3e

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Harmonium

Incroyablement complexe et subtil, Harmonium marque l'avènement d'un grand cinéaste, Koji Fukada. 

J'ai découvert Fukada il y a dix ans, au Festival des 3 continents de Nantes, pour un de ses premiers films, qui s'appelait Hospitalité, et qui racontait l'irruption d'un intrus dans une famille tranquille, sous la forme d'une comédie. Le film n'a jamais été distribué en France à ma connaissance.

Dix ans après, Fukada écrit et réalise un film qui rappelle l'argument d'Hospitalité : un homme s'introduit dans le quotidien d'une famille. Il sort de prison et connaît visiblement le (taciturne) chef de famille. Le ton, cette fois-ci, n'a rien de drôle, et vire progressivement à la tragédie.

Sans dévoiler une once de l'intrigue (ce serait tellement dommage), on peut dire que le film va nous emmener lentement, mais sûrement, vers des abysses de l'âme humaine. Sous leurs dehors hyper-policés (et très japonais), les personnages couvent de réelles horreurs : violences, frustrations, désirs, culpabilité. Les sentiments ne s'expriment pas vraiment dans Harmonium, mais se matérialisent sous forme d'actions extrêmes.

Le film ne serait que frappant sans la mise en scène d'une délicatesse extrême de Fukada. Son sens maladif du détail (le supplice d'entendre le bruit du coupe-ongle dans une des scènes-clés du film), sa direction d'acteurs fascinante, sa capacité à capter les moments où une vie bascule (l'incroyable séquence de la rivière), son aptitude à nous égarer dans nos propres sentiments : tout cela fait d'Harmonium un film hors norme, une sorte de monstre vénéneux et méticuleux, dont personne ne sortira indemne.

 

4e

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