Vous n'avez encore rien vu
Un metteur en scène est mort.
Il invite par message posthume tous les acteurs et actrices qui ont compté pour lui.
Arrivent alors en ordre dispersé une joyeuse troupe toute au plaisir de se retrouver : Pierre Arditi, Michel Piccoli, Sabine Azéma, Mathieu Amalric, Anne Consigny, Anny Duperey, Hippolyte Girardot… La réunion a lieu dans une bâtisse inquiétante, curieusement onirique et comme construite dans les limbes.
Ils sont tous là, chacun jouant son propre rôle.
Les effusions passées, ce joli monde s’installe dans de confortables fauteuils et découvre le but de leur réunion : autoriser ou non une jeune troupe de théâtre à jouer l’Eurydice d’Anouilh dans une version moderne.
A cet effet est projetée sur un grand écran une vidéo de la représentation, et chacun est amené à donner son avis. Tous les acteurs invités ont déjà joué la pièce et sont donc habilités à porter un jugement, mais ils vont progressivement céder à la tentation de se renvoyer les répliques en même temps que les jeunes acteurs visibles à l’écran.
Ainsi vont se reformer sous nos yeux émerveillés les anciens couples Orphée/Eurydice : Arditi/Azéma, Wilson/Consigny… Le pitch du film peut sembler désuet ou anecdotique, d’autant que la pièce d’Anouilh est un peu datée, mais ce serait sans compter avec la virtuosité exceptionnelle d'Alain Resnais. A 90 ans, celui-ci se révèle être un magicien cinéaste (à croire que l’extrême âge rajeunit les cinéastes, comme en a témoigné aussi le magnifique Mystères de Lisbonne de Ruiz l’an dernier). Le film devient progressivement un pur enchantement de mise en scène, épuisant l’imagination et multipliant les figures de style novatrices. Les différentes scènes de la pièce sont jouées deux fois, se reflètent, se répètent, se répondent, les décors s’effacent, se transmutent, des portes apparaissent, des trains surgissent du néant. On est complètement saisis par la magie du théâtre, et les acteurs finissent par être comme des ectoplasmes flottant dans l’imaginaire, à la fois symboles et incarnation de la force créatrice d’un écrivain, et d’un cinéaste.
C’est beau, intelligent, divinement réalisé, magnifiquement joué (Amalric y est une fois de plus fantastique) et diablement émouvant. Le film n’a rien d’un testament, et est irrésistiblement joyeux. Un prix de la mise en scène aurait été parfaitement mérité à Cannes.
Le titre est très bien trouvé : je n’avais encore rien vu de pareil.
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