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Articles avec #brady corbet

The brutalist

Pour son troisième film (les deux premiers ne sont pas sortis en France), le jeune réalisateur américain Brady Corbet, 36 ans, frappe un grand coup.

The brutalist est en effet une oeuvre dont on se souvient longtemps, d'une densité exceptionnelle de plusieurs points de vue : incroyablement ambitieuse techniquement, portant la direction d'acteur à un niveau souvent vertigineux et brassant une matière narrative d'une grande richesse.

Commençons par les aspects techniques. Le film est entièrement réalisé en Vistavision, un procédé sur pellicule qui garantit une qualité optimale aux images, et qui n'était plus utilisé depuis les années 80. Le résultat est époustouflant, offrant une qualité d'image rarement égalée, bien plus chaude et vivante que les prouesses numériques contemporaines. 

Corbet multiplie aussi les effets de mise en scène, d'une façon toutefois assez discrète et au service de l'histoire qu'il raconte. C'est souvent réussi (le plan séquence du début, les ralentis pendant la réception, l'entracte obligatoire) et parfois moins (les images touristiques de Venise). 

Du point de vue des acteurs, le travail est remarquable. Certaines scènes ont une densité émotionnelle (ou intellectuelle) que je n'avais pas vu au cinéma depuis longtemps. Si Adrien Brody livre une prestation hallucinante (et par instants hallucinée), Felicity Jones et Guy Pearce sont tous deux beaucoup plus que des faire-valoir.

L'enchevêtrement des thématiques abordées par le film est l'une de ses forces, et permet de ne jamais  s'ennuyer durant les 3h20 de projection : destinée individuelle, capacité des USA à accueillir les nouveaux entrants (et les Juifs en particulier), trauma post-holocauste, réflexion sur la nature de l'architecture (et le Bauhaus en particulier), féminisme, handicap, jalousie, désir sexuel, obsession de l'artiste, écoulement du temps, fascination des USA pour les self-made men ... Et j'en oublie probablement, tellement The brutalist est riche de multiples croisements.

Mais l'art de Corbet, décidément un grand artiste à suivre désormais, réside au final dans le tour de force suivant : à partir de tous ces éléments édifiants, il parvient à faire une oeuvre quasi intimiste, dans laquelle le spectateur à l'impression marquante d'entrer en contact direct avec les personnages principaux, dont aucun n'est tout à fait aimable, ni irréprochable.

Un grand morceau de cinéma, comme on en voit peu.

 

4e

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Mysterious skin

Le récent Kaboom m'amène à plonger dans la filmo d'Araki en commençant par son film le plus connu.

Mysterious skin est un film fascinant, tissé de cette étoffe dont on fait les films cultes. Il est brillant, troublant, alors qu'il s'attaque à une batterie de sujets tous plus casse-gueules les uns que les autres : l'homosexualité dans un bled perdu du Kansas, la prostitution, le viol, la pédophilie, la folie, les OVNIs.

Ce qui permet au film de tenir debout et de figurer au panthéon des années 2000, c'est la tension qu'il instaure et qu'il arrive à tenir sur la durée, entre plusieurs éléments contradictoires entre eux.

La tension explicite / implicite

Certaines scènes de sexe sont insoutenables. Hors on ne voit à aucun moment un sexe masculin. Le film est donc terriblement implicite dans ce qu'il montre, et explicite dans ce qu'il suscite chez le spectateur : Araki a compris qu'un visage qui s'empourpre, une main sur un visage, un doigt sur la langue génère un plus grand malaise qu'un pénis filmé. 

La tension hypersexué / asexué

Neil réagit à ce qu'il a vécu en se précipitant dans une course en avant vers le sexe, autodestructrice et suicidaire. Il lui faut toujours plus : de risque, d'expérience, de sensations. Tout le monde est amoureux de lui : Eric, Wendy, ses amants. Il est une sorte de trou noir qui attire et engloutit les autres. Bryan est l'inverse, il refoule son expérience et sa libido est en panne sèche. On ne peut pas opposition plus extrême, et il intéressant de constater que les deux mères renforcent cette opposition puisqu'elles reproduisent les caractéristiques de leur fils.

La tension réalisme / onirisme

Le film oscille constamment entre un vérisme psychologique et social, et des fulgurances poétiques qui nous entraînent dans un autre monde (les visions de Bryan, la pluie de céréales évidemment, la soucoupe volante, le dernier plan qui isole les deux protagonistes dans le noir, la vache mutilée, le malade...)

La tension cruauté (du propos) / suavité (de l'objet cinématographique)

Celle ci n'est sûrement pas discernable au premier abord, et pourtant elle est particulièrement évidente si par exemple on ferme les yeux : alors que beaucoup de réalisateurs auraient raconté cette histoire avec une bande-son volontairement stressante, Araki l'accompagne d'une petite musique, constamment douce et inoffensive, terriblement entêtante et soporifique à la fois. De même il fait évoluer ses personnages dans des décors aux nuances pastels, particulièrement cruelles par contraste. Dans la scène hallucinante des feux d'artifice tirés de la bouche de son prisonnier, Neil a un sourire d'ange.

La tension anticipation (ce qu'on devine) / réalisation (ce qui nous est révélé)

C'est sûrement là que réside l'aspect le plus étrange du talent d'Araki. Contrairement aux films qui manient le classique retournement de situation de dernière minute, Mysterious skin parvient à nous faire percevoir à tout moment ce qui va advenir ensuite. Mais cette perception est toujours incomplète, confuse, et l'on craint (avec raison) en permanence que la suite soit plus terrible que ce qu'on imagine. Cette anticipation inquiète et fiévreuse est le moteur principal du film.

Il serait sacrilège de dire à propos de Mysterious skin "je l'aime" ou "je ne l'aime pas", il fait partie de ces oeuvres qui ne vous laissent guère de choix, qui vous prennent contre votre gré et vous emmènent loin, vous laissant au final pantelant, désarçonné et amoureux du cinéma comme jamais.

 

4e

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