Ici, on noie les Algériens
La même semaine sortent sur les écrans le fameux Octobre à Paris de Jacques Panijel, film culte tourné en 1962 dans une quasi-clandestinité et jamais sorti en salle, et le documentaire Ici, on noie les Algériens, de Yasmina Adi, qui en constitue une sorte de contrepoint contemporain.
Pour ceux qui ont séché leur cours d'histoire (ou qui sont trop vieux pour avoir connu des cours dans lesquels figurait cet évènement), un bref rappel des faits. En pleine guerre d'Algérie, les Algériens de Paris manifestent sans violence contre le couvre-feu dans les rues de Paris, le 17 octobre 1961. Dans un contexte marqué par les attentats du FLN en France, la répression policière est violente. On compte des dizaines de morts, des centaines de blessés, et des milliers de détentions dans des conditions abominables.
La force du travail de Yasmina Adi tient dans sa simplicité. Son documentaire est de facture classique, sans fioriture. La mise en scène alterne les documents d'archive (principalement des photos, mais aussi des coupures de presse et des enregistrements radiophoniques) et des témoignages de personnes ayant vécu les évènements. Ces derniers sont évidemment très émouvants. Manifestants, femmes ayant attendu en vain le retour de leur mari, conducteurs de bus, médecins : tous sont remarquablement clairs et dignes. Leur parole est d'une grande densité émotionnelle, sans être plaintive.
Voir sur les photos d'époque des inconnus vous regarder fixement par-delà les 50 ans d'histoire écoulés est aussi très fort. Au delà des macabres rappels qu'assène le film (les corps que la Seine rend plusieurs semaines après le drame), on apprend également des à-côtés tout aussi choquants, comme cet internement en hôpital psychiatrique des femmes de disparus manifestant quelques jours après le 17 octobre, ou comme la libération du Palais des Sports pour une série de concerts de Ray Charles (chanteur noir, comme le précise le commentateur de l'époque). Les photos montrant des milliers d'Algériens parqués dans cette enceinte n'est pas sans rappeler d'autres rassemblements terribles, celui du Vel d'Hiv en 1942 par exemple.
Sans voix off, le film réussit donc parfaitement à faire ressentir le caractère inhumain de la répression en juxtaposant simplement les images d'époque et les témoignages, dont les plus impressionnants sont ceux des femmes. Il parvient ce faisant à nous immerger dans l'époque.
En résumé, une salutaire piqûre de rappel pour nous inciter à rester vigilants face à un Etat qui sait à la fois faire perpréter ses méfaits par les fonctionnaires, puis les cacher aux journalistes s'il le faut.
Pour plus d'info, voir le site officiel du film, très bien fait.
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