Le cheval de Turin
Introduction
Le film décrit la vie d'un vieillard et de sa fille, dans une ferme isolée. C'est la fin du monde. Le film en décrit les six derniers jours.
Premier jour
Le premier plan est de toute beauté. Je me dis que mes a priori ne sont peut-être pas justifiés. Dans le générique, j'ai vu qu'une des boites de production s'appelait Zéro fiction, et ça m'a fait un peu peur. Je comprends progressivement que le film est décomposé en plusieurs jours. C'est un peu lent. Première phrase de dialogue au bout d'un quart d'heure. Deuxième dialogue, dix minutes après. La mise en scène baisse d'intensité. Je commence à m'emmerder sérieusement.
Deuxième jour
Je sens que ça va être horrible, quand les scènes vues dans le premier jour se reproduisent.
Lever, habillage, coup de gnôle, absorption d'une pomme de terre bouillie avec les mains. Aie, aie, aie, ça sent le pâté. La mise en scène est devenue en plus quelconque : plans fixes d'une minute sur un mur ou un linge étendu, fondus au noir grossiers, zooms moches. Le film ressemble de plus en plus à un pensum de première année de l'école de cinéma de Brno. La répétition des scènes me rappelle quelque chose, mais quoi ? Oui : le dentiste ! Vous savez : vous allez chez le dentiste pour un simple contrôle et ce dernier vous trouve une carie bien avancée. Vous avez droit à 5 séances avec dévitalisation, fraises de toutes tailles, et moulages en tout genre (avec les petits coussins oranges contre les gencives). La première fois, vous regardez le plafond en étudiant les mouvements d'une mouche. La deuxième fois, vous surveillez la répétition des gestes de préparation avec une attention inquiète. La troisième, vous pleurez dans la salle d'attente.
Hé ben, là, pareil.
Troisième jour
Le moment délicat. Il s'est vaguement passé des trucs, mais assez horriblement filmés. Un mec est venu la veille, déblatérant un salmigondis de crypto-philosophie de comptoir, et jouant comme un pied une sorte de boudha hongrois et alcoolique. Maintenant ce sont des tsiganes d'opérette qui déboulent, attiffés comme des épouvantails, et donnant prétexte à une interprétation raciste (en plus d'être sexiste) du film.
Les gens autour de moi se font indubitablement chier à mort. La mamie devant discute avec sa copine pendant les scènes de vent (très bruyantes) et consulte régulièrement les textos de ses petits-fils. Le mec derrière moi change son manteau de fauteuil toute les cinq minutes et pose régulièrement son menton sur ses genoux en soupirant. Truc incroyable qui ne m'arrive jamais : je croise le regard d'un autre spectateur qui s'emmerde autant que moi. Je rêve de faire un esclandre en me levant et en criant à la cantonnade : "Vous avez tous payé 4,5 euros pour voir cette merde, bande de cons !". Oserais-je ?
Quatrième jour
Je me demande pourquoi personne ne sort de la salle. J'ai une explication : l'effet Saut à l'élastique.
L'effet Saut à l'élastique. Votre copain Marcel vous a conseillé un restau. Vous y êtes allé, vous avez aimé. Marcel vous a dit d'écouter le groupe Jolie Poids, vous avez écouté, et vous avez aimé. Marcel vous a ensuite dit : "Tu devrais essayer le saut à l'élastique, c'est génial". Hop, aussitôt pensé, aussitôt programmé, vous voilà le week-end suivant avec 10 copains sur un viaduc métallique, fixant le néant sous vos pied pendant qu'une sorte de Bernard Lavilliers ardéchois et tatoué tente un noeud de marin inusité autour de vos chevilles, avec un élastique rouge élimé. Vous n'avez qu'une idée en tête : vous barrer en courant. Mais ce serait trop con. Vous le regretteriez ce soir sous votre couverture (trouillard ! trouillard !) et tous vos copains vous regardent.
C'est pour ça que personne ne s'en va.
Cinquième jour
Le quatrième jour s'est terminé sur une scène d'une irréelle laideur : la fille regardant par la fenêtre, comme une copie de Munch en noir et blanc, conçue sur la butte Montmartre. Le cinquième commence avec la cérémonie des patates cuites à la vapeur, alors que le puits s'est tarri hier.
Moi : Oh, mais y font quoi, y mangent des patates cuites dans quelle eau ?
Moi : Il leur en reste peut-être de la veille...
Moi : Ben y sont vraiment con de cuire des patates dedans, y ferait mieux de la boire !
Moi : Et les patates cuites sous la cendre tu connais ?
Moi : Hé connard, j'ai pas trop vu de papier alu dans le coin...
Et tout à coup, coup de théâtre : un gars en bas à gauche sort de la salle. J'ai envie de crier : "Non, pas toi, pas maintenant ! T'en a chié pendant 2 heures, et tel le cycliste dont les fesses sont tapissées d'ampoules, tu abandonnerais l'ascension de l'Alpe d'Huez dans le dernier lacet ? Non ! Cela ne se peut !". Ouf, l'incontinent est juste parti soulager sa vessie et revient, nous irons donc tous jusqu'au bout, ensemble.
Sixième jour
Le meilleur. Il dure 2 minutes. C'est comme si, alors que vous êtes torturé à mort par un monstre et que craigniez encore plusieurs séances éprouvantes, ce dernier sortait tout à coup un flingue et vous dise : "C'est fini", et vous tire une balle dans la nuque. Délivrance subite et miséricordieuse.
Conclusion
Les habitués de Christoblog se rapelleront peut-être que Le chant des oiseaux, d'Albert Serra, représentait pour l'instant le parangon de la vacuité prétentieuse en noir et blanc. Aujourd'hui, c'est Le cheval de Turin qui en constitue le nouveau mètre-étalon.
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