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Christoblog

Much loved

En calant sa caméra au plus près de quatre prostituées marocaines, Nabil Ayouch n'a pas choisi la facilité : il savait probablement qu'il allait s'attirer les foudres de certains intégristes, sûrement pas que son film allait être interdit au Maroc et qu'il allait être attaqué en justice par des associations...

La société traditionnelle marocaine refuse de regarder en face le phénomène de la prostitution, qui crève pourtant les yeux, et préfère donc l'hypocrisie : il faut dire que le miroir tendu par Ayouch est d'une netteté fulgurante.

Du projet initial de documentaire, le film garde une sorte de naturalisme puissant qui emporte l'adhésion, porté par des actrices non-professionnelles (à l'exception de l'excellente Loubna Abidar). Il ne se passe pas grand-chose dans le film en terme de dramaturgie. On s'attend constamment au pire, mais l'hypothèse du naufrage ou de la catastrophe est balayée par la force magistrale que génèrent ces quatre magnifiques femmes : tout l'intérêt de Much loved est dans ce portrait.

Nabil Ayouch dessine un tableau à la fois tendre et sans concession d'un milieu où le terrifiant (les hommes en général, les policiers et les saoudiens en particulier) cotoie le généreux (les travestis, Saïd). Il faut toute l'attention du réalisateur aux menus détails du quotidien pour tranfigurer une existence misérable en promesse d'avenir : trajets en voiture filmés comme dans un rêve (beau travail sur le son), gros plans empathiques sur les visages ou les corps, scènes de colère ou d'exaltation.

Jamais voyeur, parfois brutal, Much loved donne à voir l'énergie féminine comme peu de films savent le faire. 

 

4e

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P
magnifique film, très émouvant / absolument à voir / merci pour ta critique que je viens de relire qui attire mon attention sur les promesses d'avenir pas si évidente à discerner !
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C
Salut Pierre, tu sera peut-être intéressé par cet interview que m'a accordé à distance l'actrice du film :http://www.christoblog.net/2015/09/5-questions-a-loubna-abidar.html
B
Ta critique, Chris, est aussi généreuse qu'exhaustive. Merci. Merci aussi pour l'interview récente d'une des 4 actrices. Oui, ce film est MAGNIFIQUE. Oui, le monde décrit est horrible (les mecs, les partouzes, le fric omniprésent...) mais cet enfer est racheté par une grande complicité féminine faite de coups de gueule et d'une tendre solidarité, à fleur de peau, à fleur de nerfs, avec aussi quelques grains d'humour apportés par la paysanne qui vient s'encanailler à Marrakech pour survivre. C'est dur, très dur (je suis sorti de la salle sonné) mais voilà du grand et beau cinéma servi par une interprétation frémissante et plus vraie que nature. Du coup, moi qui suis plutôt dans le camp du travesti (!), j'en aime davantage ces femmes rebelles qui sont - sinon l'avenir de l'homme, pourquoi pas ? - du moins leur dignité et leur bravoure, surtout quand leur corps de rêve est exploité et leur cœur d'oisillon bafoué, au Maroc comme ailleurs...
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