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Christoblog

Articles avec #wang bing

Jeunesse (le printemps)

Avant d'aller voir ce film, il faut connaître la méthode Wang Bing : poser sa caméra dans un milieu déterminé, filmer sans discontinuer pendant des mois, puis monter ensuite un film de plusieurs heures à partir de centaines d'heures de rush.

Ici, le milieu observé est celui d'usines textiles à Zhili, où travaillent de jeunes provinciaux. On les voit donc travailler à une vitesse incroyable, vivre des histoires d'amour, dormir sur place dans des conditions difficiles, appeler leur famille, vivre enfin.

L'effet de réalité, ici amplifié par la répétition de certains cycles (travailler, écouter de la musique, dormir) et par l'aspect robotique de la tâche effectuée, est sidérant, comme toujours chez Wang Bing. Le film est découpé de telle façon qu'on suit alternativement différentes personnalités, mais c'est évidemment le tableau social d'ensemble qui intéresse le réalisateur chinois : les péripéties individuelles (l'engueulade brusque, la menace de grève, l'avortement) importent bien moins que la description d'un monde qui semble hors du temps.    

Le sujet est ici moins impressionnant que d'autres déjà traités par Wang Bing (la fermeture d'un immense complexe industriel, la mort, la folie, l'isolement des enfants). C'est peut-être ce qui rend Jeunesse (le printemps) un peu moins passionnant que des chefs d'oeuvre comme A la folie ou A l'ouest des rails, mais le film procure tout de même une gamme de sensations qu'aucun autre type de film ne peut procurer.

Wang Bing sur Christoblog : A l'ouest des rails - 2004 (***) / Le fossé - 2012 (**) / Les trois soeurs du Yunnan - 2014 (****) / A la folie - 2015 (****) / Madame Fang - 2018 (***) 

 

3e

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Madame Fang

Si vous êtes lecteur assidu de Christoblog, vous savez que je suis un grand fan de Wang Bing, et de ses projets qui dépassent les bornes habituelles du documentaire.

Le nouvel opus du génial chinois parait être un court-métrage (1h26), au regard de son film présenté au dernier Festival de Cannes, Les âmes mortes, qui dure... 8h26.

Ici, Wang Bing va à l'essentiel : quelques plans très courts sur une femme qui semble perdue (elle est victime d'une forme de la maladie d'Alzheimer), puis on passe très rapidement à cette même femme, dont le corps ne semble plus le même, en train de mourir parmi les siens. 

La caméra s'attarde donc longuement sur cet être humain qui n'est pas conscient d'être filmé, ce qui peut générer chez le spectateur un sentiment très perturbant de culpabilité. On regarde ce corps littéralement disparaître, mourir, alors que la famille tente de subsister autour du lit de mort, va pêcher des poissons (scènes de nuit d'une beauté vaporeuse), boit de l'alcool, ne fait rien, regarde ailleurs. 

C'est à la fois brillant, profond, et déstabilisant. C'est la mort en face dans un océan de trivialité, le sublime qui semble naître d'un mouvement incontrôlé de la mourante, un éclair d'humanité qui surgit quand un mouvement des yeux semble moins erratique que les autres. 

Wang Bing, comme d'habitude, nous bouscule et nous brusque, respectueux sans être empathique. C'est du grand art.

 

3e

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Les trois soeurs du Yunnan

Wang Bing est un magicien.

Qu'il filme la fin d'un complexe sidérurgique pour en faire un film de plus de 9 heures (A l'ouest des rails) ou ici la vie de trois petites filles dans un village isolé de tout, il parvient à chaque fois à nous captiver, à donner l'impression que la réalité est PLUS que la réalité.

De la même façon que la photographie peut dans certains cas nous donner l'illusion de voir au-delà de la surface des choses, le cinéma de Wang Bing nous projette dans une quatrième dimension vertigineuse et émouvante.

Trois petites filles (10, 7 et 4 ans) dans une maison presque sans électricité, sans eau courante, sans chauffage, sans toilettes, dans un village du Yunnan, à 3200 mètres d'altitude. La mère s'est enfuie. Le père travaille. Les trois soeurs se débrouillent comme elles peuvent durant la journée. Il faut s'ocuper des bêtes, s'épouiller, faire un peu de lessive, manger des pommes de terre. 

Durant les 2h30 que durent Les trois soeurs du Yunnan, il ne se passe pas grand-chose, et en même temps c'est le monde entier qui semble s'engouffrer dans la cour boueuse, dans ces paysages extraordinaires d'alpages, dans ces petits matins brumeux, ou dans l'attitude toujours très dignes de la grande soeur. En posant sa caméra au bon endroit, au bon moment et en cadrant à la perfection, Wang Bing nous jette à la figure un morceau d'humanité brute : c'est beau, puissant et incroyablement bouleversant.

C'est un miracle que le film soit distribué en salle, courez-le voir. Il a collectionné les récompenses : après le prix Orizzonti à Venise, il a remporté la plus haute récompense au festival des trois continents de Nantes, la Montgolfière d'or.

 

4e

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A la folie

Personne (ou presque) ne connait les films de Wang Bing, et c'est bien dommage

Il faut dire que la plupart sont des documentaires aux durées dissuasives : on se souvient des 9 heures de A l'ouest des rails, narrant la fermeture d'un gigantesque complexe industriel dans le nord de la Chine.

Le nouvel opus de Wang Bing ne dure que 4 heures, et se déroule cette fois-ci au Yunnan, dans le sud de la Chine.

Dès les premières minutes du film, nous sommes immédiatement plongés dans la vie de l'hôpital psychiatrique. Comme à son habitude, Wang Bing se refuse à tout didactisme. Il place sa caméra au plus près des hommes, et laisse la situation se dérouler en la filmant. Au deuxième étage de l'immeuble-prison-hôpital, un couloir-balcon grillagé entoure la cour rectangulaire à ciel ouvert. Les pauvres chambres s'ouvrent sur le couloir, et la caméra ne quitte pratiquement jamais ce monde d'angles droits : couloir, chambre, neige, nuit, jour, couloir, cour, soleil, chambre, nuit, jour.

Le génie de Wang Bing est de parvenir à nous émouvoir aux larmes, malgré le dispositif austère de son film. Il parvient à ce miracle en nous faisant découvrir des personnages extraordinaires, placés dans des situtations extraordinaires : on se souviendra éternellement de ce jeune homme faisant son footing de nuit dans le couloir, de tel autre dont on suit les premières heures d'internement, du pauvre homme que la femme visite en lui expliquant qu'il ne peut pas revenir, de celui qui est puni par la pose de menottes. Chacun des destins montré est bouleversant, d'autant plus que la plupart des internés ne paraissent pas réellement malades.

Si les quatre heures de projection ne semblent pas si longues c'est aussi parce que Wang Bing possède un sens aigu du montage. On ne s'ennuie jamais parce que les scènes d'action succèdent à d'autres plus oniriques (plusieurs séquences montrant les activités nocturnes des plus malades semblent provenir d'un rêve). Le film comprend aussi de véritable petites histoires (une histoire d'amour), des échappées belles (on suit un homme qui est libéré), et des surprises.

On entre dans la salle en craignant d'avoir à supporter des visions insupportables et violentes de malades mentaux, on en ressort ému et bouleversé en ayant l'impression d'avoir assisté à une représentation de la comédie humaine en milieu clos, pleine de douceur.

Le film a été présenté au festival de Venise 2013 et j'ai eu la chance de le voir au Festival des 3 continents : Wang Bing est resté discuter avec nous près d'une heure après le film. Un grand monsieur, et sûrement un des dix plus grands réalisateurs en activité.

 

4e

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A l'ouest des rails (Rouille)

A l'ouest des rails fait partie de ces films dont beaucoup de cinéphiles ont entendu parler, mais que très peu ont vu.

Il faut dire que l'idée de se coltiner un documentaire chinois de plus de 9 heures (oui, vous avez bien lu) sur la fermeture d'un complexe sidérurgique géant (vous lisez toujours bien), peut en refroidir plus d'un.

Cette critique concerne la première partie du film (Rouille), qui dure un peu plus de 4 heures.

La première comparaison qui m'est venue à l'esprit, c'est Alien. Passée une fascinante introduction sous forme d'un long travelling avant, monté sur un train s'enfonçant dans l'usine enneigée, le film impose tout de suite un point de vue quasi onirique sur ces lieux gigantesques (plus d'un million d'ouvriers ont travaillé dans ce complexe), dans lesquels les hommes paraissent des fourmis. Au milieu du métal en fusion, ils semblent démunis et en danger. Lorsqu'on les voit dans l'intimité de la salle de repos, ou dans les bains, on songe à des explorateurs se réchauffant dans le cocon de leur vaisseau spatial.

Le film, contre toute attente, n'est pas ennuyeux.

Il alterne trois types de séquences, ce qui ne laisse jamais la monotonie s'installer :

- les vues magistrales des lieux industriels, véritables poèmes visuels
- les scènes de groupes, captivantes et profondément dépaysantes (karaoké entre collègues après le travail, séjour à l'hôpital pour traiter les maladies dues au plomb, jour de paye, jeux d'échecs chinois, discussions sur l'avenir de l'usine, essais de vêtements)
- les interventions de personnes seules face à la caméra, qui sont autant d'historiettes émouvantes et parfois bouleversantes.

Wang Bing sait faire ressentir le temps qui passe (les évènements se déroulent sur plusieurs années) et de nombreux évènements marquants scandent le récit (un ouvrier est licencié, un autre meurt accidentellement dans une mare, du métal en fusion se répand accidentellement sur le sol..). On s'attache progressivement à ces Chinois qui paraissent toujours stoïques face à l'absurdité ubuesque de certaines situations.

Le film parvient ainsi à tenir en haleine (une gageure !), tout en présentant un objet qui ne ressemble à aucun autre et qui laissera à coup sûr son empreinte dans l'histoire du cinéma.

 

3e

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Le fossé

Il y une tradition à Venise : celle du film surprise. Les festivaliers entrent dans la salle sans savoir quel film va leur être projeté.

A la dernière Mostra, ce sont des crédits en français (Arte...), puis des idéogrammes chinois que les spectateurs ont découvert, ceux du générique de la première fiction de Wang Bing.

Ce dernier est souvent considéré comme le plus grand documentariste vivant. Son documentaire fleuve de 9 heures A l'Ouest des rails est considéré comme un film culte. 

La projection de ce soir*  revêtait donc un caractère spécial, digne des plus grands festivals (le film a aussi été présenté à Toronto). La fête aurait été complète si Wang Bing n'était pas resté cloué au lit en Chine par un mystérieux "mal des montagnes" qui l'empêcherait de prendre l'avion...

Autant le dire tout de suite, le film est particulièrement éprouvant, émotionnellement et intellectuellement.

Nous sommes en 1960, dans un camp de rééducation, dans le désert de Gobi, en plein hiver. Les prisonniers habitent dans des sortes de caves creusées dans la terre, comme des rats. La famine et le froid glacial leur rendent la vie très diffcile.

Dès les premières minutes, on voit les cadavres s'entasser, et durant tout le film les morts vont se succéder à une cadence infernale, à tel point qu'à un moment un personnage dit à un autre, qui vient de découvrir un cadavre : "finis de manger, on s'en occupera après".

L'horreur est montrée sans ostentation particulière, mais la caméra froide et élégante de Wang Bing ne fait pas de cadeau non plus : un prisonnier vomit, son ami ramasse la nourriture pour la manger, un homme raconte qu'un autre a brûlé les poils d'un vêtement en mouton puis à fait griller la peau pour la manger, on entend qu'un cadavre a été retrouvé en partie dépecé au niveau des fesses et des mollets.

Dans des paysages d'une platitude irréelle, filmés magnifiquement, constituant une véritable prison à ciel ouvert, le film s'écoule avec la lenteur du plomb. Sorte de synthèse du cinéma de Bresson, des espaces américains de Ford et de souvenirs du goulag. Un vertige métaphysique peut saisir le spectateur à mi-film : où sont les gardiens ? Pourquoi ces gens sont-ils là exactement ? Il marque les esprits probablement d'une façon indélébile (en tout cas le mien), avec ce style inimitable que les Chinois de la nouvelle génération (comme Jia Zhang-Ke) savent donner à leurs films : la réalité y semble être inventée, alors que la fiction y a l'aspect d'un documentaire.

En bref, pas vraiment super rigolo, mais très puissant. Brrrr

26 novembre 2010, au Festival des trois continents à Nantes

 

2e

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