La forme de l'eau
Le dernier film de Guillermo del Toro est étonnant à plus d'un titre.
Tout d'abord, sous son esthétique très Jean Pierre Jeunet (du vieux très coloré qui fait neuf, des éclairages peu naturel), perce par éclair une radicalité plus sauvage, typique du réalisateur mexicain. Je pense par exemple à ce sein énorme qui s'échappe du corsage de la très formatée épouse américaine, ou à la façon très précise qu'à une balle de traverser une joue.
De la même façon, ce que raconte l'histoire (pour faire simple, La belle et la bête) est un vernis qui recouvre des thématiques plus profondes et plus contemporaines : la libido féminine, la célébration des différences, le machisme ordinaire, la solitude.
La forme de l'eau est une oeuvre étrange, que la mise en scène hyper-fluide de Del Toro rend très agréable à regarder : lisse à l'extérieur, profonde à l'intérieur. Si l'émotion classique n'est pas réellement au rendez-vous, on est constamment stimulé intellectuellement, soit par une scène de toute beauté (le premier plan du film, les gouttes de pluies qui se poursuivent sur la vitre du bus), soit par une performance d'acteur remarquable (Sally Hawkins et Michael Shannon au meilleur de leur forme), soit par une digression intrigante (la musiques, les claquettes, les films à la télé, l'insert en noir et blanc).
Un film aimable, qu'il faut laisser reposer quelques heures dans un coin de sa mémoire pour en apprécier pleinement la chaleureuse densité.