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Christoblog

Articles avec #roumanie

Trois kilomètres jusqu'à la fin du monde

On retrouve dans ce film d'Emanuel Parvu la même rigueur millimétrée que celle qui fait le sel des films de son compatriote Cristian Mungiu : chaque nouvelle péripétie découle de choix qu'ont fait précédemment les personnages, conformément à leurs valeurs.

Ce qu'on voit à l'écran est donc le fruit, non du destin, mais uniquement du comportement des protagonistes : cela donne une force incroyable à ce type de film, qui paraît être une expérience "en laboratoire". Les êtres humains semblent y être comme des cobayes dont on observerait le comportement.

Cet effet est ici amplifié par le très bel écrin choisi par le réalisateur : un village du delta du Danube, environné par les eaux, comme une prison à ciel ouvert dont on ne peut partir qu'en bateau.

L'intrigue est assez classique. Pour résumer, on peut dire qu'il s'agit d'une chronique au scalpel de l'homophobie ordinaire. La puissance du film réside dans la façon dont tous les éléments de la société se liguent dans cette homophobie décomplexée. Le prêtre orthodoxe est en particulier au centre d'une scène qui restera dans la mémoire.

Trois kilomètres jusqu'à la fin du monde est un suspense psychologique de grande qualité, superbement mis en scène (cadre sublime, photographie inspirante, montage au cordeau). Il prouve que le cinéma roumain est encore un des meilleurs d'Europe.

 

3e

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R.M.N.

Ce nouveau film de Cristian Mungiu commence plutôt bien. L'acuité du tableau qu'il dessine, la profondeur des différents personnages et l'atmosphère d'étrangeté qu'il dégage rappellent les grandes heures du cinéaste roumain. De multiples pistes sont ouvertes (dont peu se résoudront).

La photographie est grise à souhait, la mise en scène d'une précision diabolique. La "méthode Mungiu" culmine dans un plan fixe d'anthologie regroupant au moins une soixantaine de personnages, assistant à une réunion publique sur le sujet de quelques travailleurs sri lankais venus travailler dans le village.

Cette scène est à la fois terrible par ce qu'elle montre (un racisme collectif et irrationnel, qui s'exerce à de multiples niveaux - Allemands, Hongrois, Roumains, gitans, Sri Lankais) et par la façon dont elle le montre (notre oeil de spectateur voyeur se fait presque complice de l'action). Elle mérite à elle seule qu'on aille voir le film.

Passé ce climax d'une qualité inouïe, le film se perd un peu, probablement à cause d'un point de vue un petit peu convenu sur le sujet de la xénophobie (on pense aux Dardenne) et d'un manque de précision dans le développement du scénario, qui ne sait pas vraiment conclure. Les dernières images du film sont à cet égard assez frustrantes : on ne comprend pas ce qu'on voit, et les interprétations qu'on peut donner à cette fin (que Mungiu refuse de commenter) sont vraiment trop variées pour que le procédé soit intéressant. Pour ma part j'y ai vu une allégorie de la xénophobie refoulée.

Du pour et du contre donc pour cette oeuvre un peu moins aboutie que les précédentes productions du cinéaste roumain.

Cristian Mungiu sur Christoblog : 4 mois, 3 semaine, 2 jours - 2007 (****) / Au-delà des collines - 2012 (***) / Baccalauréat - 2016 (***)

 

3e

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L'affaire collective

Passionnant documentaire roumain, L'affaire collective vaut beaucoup de thrillers politiques et journalistiques américains.

On est en effet captivé par l'enquête menée par un groupe de journalistes déterminés sur ce scandale médico-politique qui entraîna la mort d'une soixantaine de personnes dans l'incendie d'une discothèque de Bucarest, le Colectiv Club.

Alexandre Nanau parvient à assembler des styles très différents (les témoignages poignants des victimes, les vidéos de l'évènement, le thriller à rebondissements, le pas-de-côté artistique, le portrait politique, l'enquête minutieuse à la Spotlight) pour en faire une oeuvre totale, grand moment de cinéma.

La façon dont la réalisation rend sensible les risques courus par les journalistes est particulièrement impressionnante. Leur courage, leur ténacité et leur engagement emportent l'admiration. Le portrait du jeune politique intègre est également saisissant.

Un documentaire exemplaire, qui donne l'impression étonnante de voir le bien et le mal littéralement incarnés dans des personnes réelles.

 

3e

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Les siffleurs

En regardant Les siffleurs, je me suis demandé où était passé l'originalité rigoureuse et un peu sèche de Corneliu Porumboiu

On a affaire ici à un polar de niveau télévisuel, doté d'un grand nombre de rebondissement dont on se fout totalement, à l'image de la fin.

Dans ce film fait de bric et de broc, rien ne semble coller avec rien : on ne voit pas par exemple ce que la langue des siffleurs Guanches vient faire dans le scénario, qui est par ailleurs inutilement sophistiqué et destructuré.

Aucun des personnages n'attire vraiment l'attention, et les tentatives pour doper artificiellement le film tombent à plats (comme les cartons de couleur qui séparent les séquences). Les différents protagonistes semblent être des reptiles qu'on observe derrière la vitre d'un vivarium.

L'impression générale que laisse le film, c'est que le réalisateur se fout un peu de son histoire et de ses personnages, semant de petits cailloux qui semblent vouloir nous dire : j'aurais aimé tourner un western, un polar noir ou un film conceptuel, et au final j'ai opté pour un film susceptible d'être sélectionné à Cannes. Ce en quoi il a réussi. 

Corneliu Porumboiu sur Christoblog : 12h08 à l'est de Bucarest - 2006 (*) / Le trésor - 2015 (**)

 

1e

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Baccalauréat

Mungiu, c'est du solide : le réalisateur roumain ne repart jamais bredouille du Festival de Cannes.

Comme chez Farhadi ou Zvyagintsev, on sait qu'il va être difficile d'être franchement déçu, tellement la somme des qualités qui entourent le film est grande : scénario millimétré, élégance suprême des mouvements de caméra, acteurs au top.

Baccalauréat commence en plus très nerveusement (pour un Mungiu), avec un jet de pierre dans la vitre, qui m'a brièvement rappelé une scène magnifique de la Palme d'or Winter sleep, puis une succession d'évènements plus ou moins violents et dérangeants.

Le film déploie après ce début plutôt surprenant toute une panoplie de thématiques profondes et intéressantes : la génération qui est revenue en Roumanie après la chute de Ceausescu, la corruption endémique, les conflits moraux de plusieurs ordres.

Dans ce film dérangeant et intelligent, Mungiu malmène notre sens du bien et du mal, avec un talent qui abandonne certaines fioritures de mise en scène pour tendre vers l'épure, au service de ses personnages.

 

3e

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Dogs

La bande-annonce de Dogs semble promettre un exercice de style dépouillé, un peu à la manière d'un Winding Refn des Balkans, et le début du film confirme cette promesse.

Le premier plan, un long mouvement de caméra au ras du sol puis de l'eau, qui se finit sur une vision malsaine et ambigüe, est de toute beauté.

L'irruption du vieux flic dans la narration du film permet au réalisateur Bogdan Mirica d'enchaîner plusieurs scènes époustouflantes, dont celle de la chaussure dans l'assiette (ceux qui ont vu le film comprendront).

Malheureusement, Dogs se normalise progressivement, perdant un peu en cours de route son mordant initial. Le personnage principal manque de personnalité pour emporter le film vers les sommets. Il faut des artifices un peu brutaux, dont une ellipse géante, pour redonner au film son lustre d'objet à la fois violent et contemplatif, quelque part entre les frères Coen et Nuri Bilge Ceylan.

A conseiller tout de même aux amateurs de premiers films noirs et bancals.

 

2e

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Sieranevada

Sous ses aspects classiques de film de repas familial (façon Festen, Un air de famille ou Un conte de Nöel), Sieranevada brasse de nombreuses problématiques complexes, qui toutes au final évoquent la condition humaine.

Sans chercher à être exhaustif, Cristi Puiu évoque le communisme, la religion (d'abord moquée, puis procurant au final un véritable moment de grâce), l'amour et sa variante qu'on dirait inévitable, l'adultère (scène hilarante de la femme qui débite les turpitudes de son mari, ce qui provoque un fou rire général), la mort du père, la tentation de la violence salvatrice, etc. 

Tout l'intérêt du film, qui est par ailleurs trop long (2h53), consiste dans ce dialogue permament entre une mise en scène de haute volée exploitant incroyablement l'espace confiné de l'appartement, et les grandes interrogations sur le sens de la vie.

Le film a des allures d'En attendant Godot matérialiste, le repas attendu ne semblant jamais devoir commencer, alors que comme le fait remarquer justement le personnage principal, tout s'arrange quand les estomacs se remplissent.

Mimi Bramescu porte le film sur ses épaules, toujours calme et apaisant, tentant de concilier les points de vues et d'extraire de toutes les situations, aussi bizarres soient elles, quelque chose d'utile.

Brillant exercice de style, parfois confondant de vituosité, mais aussi souvent un peu vain, Sieranevada conviendra avant tout aux amateurs de cinéma roumain. Ils me comprendront.

Cristi Puiu sur Christoblog : La mort de Dante Lazarescu - 2005 (***)

 

2e

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Le trésor

Comme le savent les plus fidèles de mes lecteurs, je rate rarement lors de leur sortie en salle les films de mes pays chouchous : Roumanie et Corée.

Impossible donc de ne pas évoquer sur Christoblog le dernier film de Corneliu Porumboiu. 

Ce dernier n'est pas mon réalisateur roumain préféré, mais Le trésor est certainement son film le plus accessible et le plus plaisant.

Le thème du film est celui d'un film italien des années 70, entre misère sociale et causticité bon enfant : un homme pense qu'un trésor est enterré dans le jardin de ses grands-parents. Il entraîne son voisin, un bon père de famille sans histoire, dans l'aventure.

Evidemment, la recherche de ce trésor familial va s'avérer plus compliqué et inattendu que prévu, mettant en scène plusieurs des tares de la société roumaine contemporaine (jalousie de voisinage, corruption, lourdeurs admistratives). Le film est réussi en cela qu'il emprunte des pistes qui sont systématiquement surprenantes. Sans rien révèler de l'intrigue on peut dire que ce qui arrive est à chaque fois l'option la moins prévisible.

Le trésor, sous ses apparences de comédie dégingandée et burlesque, est une apologie de la rationalité opiniâtre. Dis comme ça, pas évident que cela vous donne envie d'y aller. A vous de voir.

 

2e

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L'étage du dessous

Quelle déception ! 

J'avais adoré le film précédent de Radu Muntean : Mardi, après Noël. Avec Cristian Mungiu et Cristi Puiu, ce jeune réalisateur semblait s'imposer comme un des fers de lance du nouveau cinéma roumain. 

Malheureusement, son nouveau film est une sorte de caricature du cinéma roumain comme peuvent le caricaturer ceux qui ne l'aiment pas : scènes d'exposition longues et inintéressantes, intrigue minimaliste, dialogues squelettiques.

Si on retrouve par éclair le talent de réalisateur de Muntean (par exemple lors de la bagarre finale, empreinte d'une violence impressionnante), on peine à éprouver de l'intérêt pour cette histoire de quidam qui entend dans un appartement voisin des sons de violence conjugale, et qui ne témoigne pas lorsqu'il apprend le lendemain qu'une jeune femme est morte dans cet appartement.

Le problème de l'intrigue, dont on voit bien qu'elle s'inspire vaguement de Dostoievski et du thème de la culpabilité, c'est qu'on ne comprend jamais les raisons profondes qui motivent le comportement du personnage principal.

Si on ne comprend pas réellement non plus la nature de son activité professionnelle, cela est moins grave. On pourra considérer que le film donne à voir, presque d'un point de vue documentaire, le caractère kafkaien de la bureaucratie roumaine.

En hésitant entre plusieurs registre (la chronique sociale pointilleuse, le fantastique, le film d'irruption / séduction type Théorème), le film expose trop clairement l'indigence de son scénario.

Radu Muntean sur Christoblog : Mardi, après Noël (****) / et tout le cinéma roumain.

 

1e

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Aferim!

On ne peut qu'être abasourdi par l'ambition que manifeste Radu Jude dans ce film : filmer en noir et blanc une exotique chasse à l'homme dans la Roumanie du dix-neuvième siècle, en  centrant son intrigue sur un personnage principal a priori antipathique

Présenté comme cela, le film en effraiera plus d'un.

C'est dommage, parce que Aferim! (Bravo ! en turc) est un bijou de beauté et d'intelligence.

La photographie est d'abord absolument splendide. Le noir et blanc très contrasté met en valeur des paysages magiques : montagnes désertes, forêts immenses, marais touffus, campagnes bucoliques. Les décors (masures de paysans, chateaux, fêtes foraines) sont admirablement choisis. La direction artistique du film est particulièrement réussie.

Radu Jude s'avère également un réalisateur très doué (Ours d'argent pour ce film à Berlin), et un directeur d'acteurs hors normes. Le terrible Costandin est joué à la perfection par l'excellent acteur Teodor Corban, qu'on a déjà vu chez Mungiu, Nemescu et et Muntean.

Aferim! s'avère un délice si l'on aime être dépaysé au cinéma, découvrir des paysages et des pans d'histoire (ici l'incroyable dureté de l'esclavage des roms par les roumains), être confronté à une intrigue originale et tortueuse.

En mélangeant burlesque et drame, plaisir esthétique et méditation sur l'histoire, Aferim! parvient à étonner et - pour peu qu'on soit enclin à se laisser entraîner dans une balade légèrement lymphatique - à séduire.

 

3e

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Mère et fils

Avec Mère et fils, le cinéma roumain revient en force dans un genre qui lui réussit très bien (4 mois, 3 semaines, 2 jours, Mardi, après Noel) : la chronique sociale/familiale noire.

Ici, on est dans la haute bourgeoisie, de celle qui se drape de manteaux de fourrure et qui conduit des berlines allemandes. La mère, jouée par l'incroyable Luminita Gheorghiu, ne vit que pour son grand fils. Lorsque celui-ci tue par accident un jeune garçon pauvre, que va-t-elle faire ? Tenter de sauver ce qui peut l'être, à tout prix.

Sur cette trame classique, le réalisateur Calin Peter Netzer réussit un tour de force : nous faire au départ détester cette mère qui paraît presque sans émotion, puis nous amener à l'admirer dans sa constance, avant de nous émouvoir par des scènes finales sidérantes.

Sans trop déflorer le sujet (mais il est encore temps pour vous d'arrêter de lire), l'enchaînement des dernières séquences (la conversation irréelle entre la mère et la belle-fille, la visite finale dans la famille du jeune garçon) donne lieu à une double prestation d'exception : un jeu parfait de l'actrice principale qui parvient à être à la fois émouvante et solide comme un roc, et une véritable leçon de mise en scène, qui culmine dans un dernier plan d'anthologie.

Pour peu qu'on pardonne au film un début un peu lent, et qu'on ne soit pas trop sensible au mal de mer (de mère ?) occasionné par un style kéchichien de tournage, caméra oscillant à l'épaule, Mère et fils offre dans son développement inexorable les sources de profondes satisfactions cinéphiliques.

 

3e

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Au-delà des collines

Mungiu n'est pas un cinéaste rigolo.

Il aime les sujets difficiles et désagréables. Celui de l'avortement clandestin cinglait dans 4 mois 3 semaines 2 jours, sec comme un coup de fouet.

Dans Au-delà des collines Mungiu s'attaque à un certain obscurantisme religieux sur fond de critique sociale, à travers le portrait d'une jeune religieuse et de son amie, qui vient la rejoindre au couvent pour essayer de la convaincre de partir. Le film est long, assez lent, mais il place méthodiquement ses pions dans une escalade assez saisissante vers un final attendu mais impressionnant.

La mise en scène de Mungiu est superbe : longs travelings inspirés, photographie admirable, direction d'acteurs exigeante, utilisation savante des focales, composition de plans comme des tableaux de maîtres. Le film est d'une beauté plastique à couper le souffle et possède un peu de cette violence sourde et peu engageante qui suintait de 4 mois 3 semaines 2 jours.

On pourra juste regretter que la nervosité décharnée de ce dernier se mue un peu ici en un exercice de style souvent brillant (comme le travelling arrière sur le visage de l'héroïne principale vers la fin - quel regard !, ou les sidérantes scènes d'hôpital) mais parfois aussi un poil poseur, comme dans le plan final, définitivement "auteur".

Mungiu est clairement un cinéaste des tensions, et le film en est traversé  de part en part : Dieu / diable, tentatives d'échappées / retour au monastère, amour terrestre / amour céleste, enfermement névrotique / plongée dans la réalité externe, tendresse du passé / promesse du futur, folie / raison.

De ce fait, Au-delà des collines est un film inconfortable, parfois ennuyeux et à d'autres moments littéralement transcendant. On songe à Bresson et à Nuri Bilge Ceylan, à un polar métaphysique teinté de naturalisme. Une oeuvre dense et complexe, servies par deux belles actrices qui n'ont pas volé leur Prix d'interprétation à Cannes.

 

3e

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Morgen

Les Films du LosangeCeux qui suivent ce blog savent que je voue un intérêt particulier au cinéma roumain.

Je pouvais donc difficilement ne pas aller voir le premier film du réalisateur Marian Crisan (que les fins cinéphiles / gestionnaires d'Allociné qualifient de "réalisatrice", probablement au simple examen de son prénom Marian). Le film a obtenu une récompense à Locarno.

Nelu, la quarantaine, est un villageois taciturne et mal marié, qui va pêcher de l'autre côté de la frontière roumano-hongroise. Il tombe un jour sur un clandestin turc égaré qui cherche à se rendre en Allemagne.

Loin de toute tension dramatique le film prend un parti-pris doux amer, composé d'humour à froid et d'understatement narratif.

Notre turc est donc très volubile (mais ses propos en turc ne sont pas traduit, créant un décalage comique), d'une bonne volonté à toute épreuve, et d'une naïveté confondante. Son comportement donne naissance à des scènes assez amusantes, comme celle où il copie la gestuelle de son hôte indiquant différentes directions aux policiers qui l'examine. Il s'en va, tente de passer la frontière, revient, comme un chewing-gum humain dont Nelu n'arriverait pas à se séparer.

Crisan utilise des procédés de mise en scène parfois originaux comme le glissement du centre d'intérêt du premier plan à l'arrière plan (le match de foot). Les situations sont parfois poétiquement burlesques, et les personnages semblent habiter un no man's land absurde et imaginaire, avant qu'on réalise que ce qui nous est montré est bien notre Union Européenne.

On peut reprocher au film certains travers classiques aux productions est-européennes (abus de plans fixes, montage poussif, étirement à l'extrême de certaines scènes), et il est loin de la meilleure production roumaine. Ses qualités justifient tout de même qu'on garde un oeil attentif sur ce réalisateur.


2e

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Le voyage du directeur des ressources humaines

En cette période de fin d'année je vous conseille chaudement le nouveau film d'Eran Riklis (Les citronniers) : vous y trouverez votre compte d'émotions, de sourires, se surprises et de découvertes.

Le film s'avère être un trait d'union symbolique entre deux des pays les plus intéressants cinématographiquement à l'heure actuelle : Israel et la Roumanie.

Première partie à Jérusalem. Une employée d'une grande boulangerie meurt dans un attentat. Personne ne réclame son corps. Il s'avère qu'elle avait été licenciée il y a 1 mois, sans que le DRH ne le sache. Article de journal incendiaire, imbroglio : ce dernier doit pour restaurer l'image de son entreprise raccompagner le corps en Roumaine.

Deuxième partie en Roumanie, où le contraste est saisissant, tant du point de vue de la météo que des mentalités. Le film prend alors les dimensions d'une épopée picaresque de première qualité avec tous les ingrédients propres au genre : évolution des relations entre personnages, lieux improbables, problèmes administratifs et techniques de tout genre.

Le film est brillamment réalisé, monté dans un excellent tempo, parfaitement interprété par les acteurs et en particulier Mark Ivanir, qui trouve un ton très juste.

Bref,  pas grand-chose à reprocher à cette friandise cinématographique qui sait distiller toute une palette d'émotions sans jamais être mièvre : pas étonnant que le film ait obtenu le Prix du public au dernier festival de Locarno.

 

3e

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Mardi, après Noël

Maria Popistasu, Mirela Oprisor et Mimi Branescu. ShellacEt dire que des films aussi intéressants que celui-ci ne seront vus que par une poignée de spectateurs. C'est triste. Si mon blog sert à quelque chose, j'espère que c'est au moins à ça : que des films comme Mardi, après Noël, obtiennent quelques spectateurs de plus.

De quoi s'agit-il ?

Paul trompe sa femme avec Raluca, une dentiste, depuis juillet. Nous sommes dans la semaine précédant Noel. Tout à coup Paul décide de dire la vérité à sa femme. Ils ont une ravissante petite fille de 8 ans, Mara.

C'est simple, c'est limpide. Le film ne montre pas de choses extraordinaires, juste une phase que des millions de couples ont vécu : pendant une semaine, la vie quotidienne, les petits tracas, le choix des cadeaux de Noel, les mensonges, puis la Grande Vérité.

Radu Muntean filme ses protagonistes d'une façon assez extraordinaire, un peu comme un entomologiste étudierait des insectes. Je ne crois pas qu'il y ait une seule musique dans le film, et très peu de mouvements de caméra. Le tout est très dépouillé, presque ascétique. Les plans fixes (ou a minima les plans séquences très longs) se succèdent, les personnages entrants et sortants du cadre, le réalisateur jouant avec la profondeur de champ et la composition de ses cadres avec une précision hallucinante. La mise en scène est impériale.

Paul est fabuleux de réserve et de conviction, constatant avec un calme et une détermination hors du commun la puissance de l'attraction qui l'attire vers une autre femme que la mère de sa fille. Sa maîtresse est superbe, gênée des dégâts qu'elle sait causer. L'épouse enfin est extraordinaire dans son orgueil blessé, puis sa résignation efficace.

Le film culmine dans trois scènes remarquables : la première, long badinage de deux âmes et deux corps nus, la scène chez le dentiste où la maîtresse rencontre fortuitement la femme de son amant et se perd dans des explications techniques qui l'aide à supporter ce moment terrible, et la scène de rupture, un des plus beau moment de cinéma de 2010, si ce n'est le plus beau, formidable de maîtrise.

On retrouve dans ce film cet instinct brut que semblent posséder les cinéastes roumains pour filmer le fatum en marche et donner toute la nuance de la palette des sentiments qu'un être humain peut éprouver. Même si le film est un cran en-dessous, on ne peut pas ne pas penser à la sécheresse épouvantablement humaine de 4 mois, 3 semaines, 2 jours.

Un très beau film, qui n'est pas éclatant sur le moment, mais qui fait partie de ces oeuvres qu'on est fiers d'avoir vu, parce que des jours après, il vous font sentir plus intelligent, plus sensible, plus fort.

 

4e

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La mort de Dante Lazarescu

Ion Fiscuteanu. Bac FilmsImaginez une sorte de croisement contre-nature d'Urgences (oui, la série US), de 4 mois, 3 semaines, 2 jours (la palme d'or méritée de Mungiu) et de Rohmer. Cela vous donnera une idée de l'OVNI que représente le film de Puiu.

Au début, disons pendant les 30 premières minutes, la situation est approximativement la même que pour Irréversible (bien que pour des raisons inverses) : vous avez envie d'arrêter. La description de la décrépitude du sus-nommé Lazarescu est franchement ennuyeuse et un peu trop caractéristique du cinéma de l'Europe de l'Est.

A partir du moment ou Dante (appelons le comme ça) quitte son appartement pour une odyssée nocturne dans les rues de Bucarest, le film prend une tournure onirique résolument originale et captivante. Au fur et à mesure que les diagnostics plus ou moins sérieux s'enchaînent, et sous l'égide d'une infirmière (tellement) si humaine, le film commence à ressembler à une pièce de Beckett passée au mixeur slave.

On suit avec intérêt, puis avec perplexité, et enfin avec passion l'odyssée de notre Dante à travers les cercles de l'enfer roumain, chaque hôpital représentant une étape vers, vers .... une dernière scène magnifique qui tirera les larmes de votre coeur de cinéphile endurci.

Hormis la première demi-heure un peu convenue, un chef d'oeuvre doux-amer. Très remarqué à Cannes 2005, avec raison.


3e

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12h08 à l'est de Bucarest

En dehors de toute actualité, je poursuis mon exploration du cinéma roumain contemporain.

Après les excellentes surprises de 4 mois, 3 semaines, 2 jours et de California Dreamin', voici un nouveau film phare en provenance de Bucarest, Caméra d'Or à Cannes.

Hélas, autant les plans séquences de la Palme d'Or m'ont renversé, autant les arabesques recherchés des films de Nemescu m'ont attiré, autant je suis resté de marbre devant 12h08.

Le pitch est pourtant rigolo : 16 ans après la révolution, un animateur radio anime une émission sur le sujet "La révolution a-t-elle eu lieu chez nous ?". Sous entendu : les gens ont-ils manifesté avant ou après la chute de Caucescu ? Avec témoins (pour la plupart grotesques) à l'appui.

Le problème est que Porumboiu ne semble pas savoir faire autre chose que des plans fixes très ennuyeux, ce qui devient lassant après trente minutes. La deuxième partie, qui est constituée de l'émission de radio proprement dite, est plus intéressante, mais que le film est poussif jusque là !

D'une certaine façon le film ressemble à ce qu'il dénonce : une farce en béton.

 

1e

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Marinela de la P7

Vertige d'être le premier (et le seul) à laisser une note sur Allocine à ce film !

Comme expliqué dans mon article sur California Dreamin', ce moyen métrage (45 mn) est offert dans l'édition DVD du film. Encore plus que California Dreamin' ce court format fait regretter la disparition de Cristian Nemescu. Marinela est un bijou : à la fois tableau de moeurs, drame shakespearien, fable sur l'adolescence, reportage sur Bucarest. La mise en scène est inventive, pleine de personnalité.

Le film rappelle, par son format et sa densité, le Décalogue de Kieslowski. Par curiosité, on peut noter les tics ou les thèmes qu'on retrouvera dans California : le saignement de nez, les perturbations du réseau électrique, le faux Elvis.

Nemescu s'annonçait vraiment comme un très grand réalisateur.


3e
 

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California dreamin'

Razvan Vasilescu. Temple FilmChristian Nemescu était un des réalisateurs les plus prometteurs du nouveau cinéma roumain, aux côtés de Christian Mungiu (4 mois, 3 semaines, 2 jours), Corneliu Porumbiu (20h08 à l'est de Bucarest) et Cristi Puiu (La mort de Dante Lazarescu). Il s'est malheureusement tué dans un accident de voiture en compagnie de son ingénieur du son, le 24 août 2006. Il était en train de finaliser le montage de California Dreamin'.

C'est donc un film inachevé que l'on peut voir aujourd'hui. Il faut supposer qu'au final le film aurait été un petit peu plus ramassé, les 2h35 actuelles donnant par moment un sentiment de dilution.

Le prétexte du film est assez curieux, bien que tiré d'une histoire vraie : un convoi américain transportant du matériel de communication vers le Kosovo en 1999 est stoppé par un chef de gare mauvais coucheur et borné. Les américains sont bloqués pendant 5 jours dans ce petit village roumain.

Un peu comme dans La visite de la Fanfare on assiste à l'intégration progressive d'un corps étranger dans un milieu qui n'est pas préparé à cette intrusion. Des relations interpersonnelles (amour, haine, curiosité, envie) vont se nouer entre les membres des deux groupes, et ces relations vont révéler les fractures profondes qui courent dans la micro-société du village (jalousie, haine, lutte de pouvoir, volonté de s'échapper).

Parfois presque burlesque, le film est habile, par moment brillant et servi par des acteurs remarquables : le chef de gare (Razvan Vasilescu, sorte de Marielle roumain, voir photo), et un vrai acteur hollywoodien dans le rôle du capitaine américain (Armand Assante).

Le film fut très bien accueilli, à titre posthume, à Cannes 2007. L'édition DVD permet de voir également le moyen métrage réalisé précédemment par Cristian Nemescu : Marinela de la P7, qui avait révélé Nemescu dans de nombreux festivals. L'histoire est celle d'un jeune garçon de 13 ans qui décide de voler un trolleybus pour impressionner une prostituée dont il est tombé amoureux.

 

2e

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4 mois, 3 semaines, 2 jours

Certains films sont physiquement éprouvants. 4 mois 3 semaines 2 jours fait partie de ceux-là.

Mungiu propose un cinéma physique, sensoriel, dans lequel un plan peut être un vrai coup de poing en pleine figure, et un regard un coup de poignard dans le coeur.

Ici, la nuit est vraiment noire, les bruits de repas sont assourdissants, le temps s'écoule comme de la colle.

Le film approche la perfection sur tous les plans, et la mise en scène discrète et efficace rappelle un peu maître Kieslowski (une utilisation des décors et une science du cadre hors du commun). Les actrices et acteurs - Monsieur Bébé !! - sont magnifiques et parfois terrifiants. La restitution de la vie quotidienne est impressionnante.

Le film réussit ce qui en cinéma est une sorte de Graal : montrer l'indicible avec la plus grande économie de moyen. C'est Bresson, Hitchcock, Kubrick qu'il faut convoquer.

Une palme d'or méritée, cela faisait longtemps. A voir absolument.

 

4e

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