J'ai éprouvé les mêmes sensations à la vision du dernier film de Guédiguian qu'à celle du dernier Moretti : une certaine gêne devant le radotage approximatif d'un vieux maître, zébré d'éclats agréables.
Pour ce qui est du radotage, on a ici des ingrédients bien connus : portrait de Marseille, communisme (devenu nostalgique par la force des choses), prime aux bons sentiments, grand tableau de la communauté arménienne (des petits travers à la tragédie du Haut-Karabagh).
Tout cela n'est ni très bien fait, ni vraiment convaincant, juxtaposition de scènes tout à fait ratées (les réunions politiques) ou pas vraiment réussies.
Ce qui sauve Et la fête continue !, c'est surtout l'histoire d'amour délicate entre les personnages joués par Ariane Ascaride et Jean-Pierre Darroussin, encore une fois très convaincant. La manière dont est évoquée l'effondrement des immeubles de la rue d'Aubagne, dans le "dos" d'Homère, est aussi assez bien vu.
Le tout est tout de même très fragile, fait de bric et de broc, et au final pas vraiment recommandable.
Le cinéma de Guédiguian me laissait souvent perplexe : trop simple, trop didactique, trop militant, pas assez ouvert sur les évolutions sociétales.
Ma surprise est d'autant plus grande de découvrir dans Gloria mundi toute une palette de nuances inattendues.
Les pauvres ne se contentent plus de subir, il deviennent oppresseurs d'autres pauvres. Le couple joué par Grégoire Leprince-Ringuet et Lola Naymark est formidable de ce point de vue. Même Sylvie, jouée par une Ariane Ascaride formidablement quelconque, nous donne une réplique iconoclaste dans l'éco-système Guédiguian : "Les cheminots, ils sont déjà en retraite à mon âge !".
C'est comme si toute l'oeuvre de Guédiguian se trouvait ici travaillée de l'intérieur, les personnages historiques joués par les anciens de la bande (Ascaride, Darroussin, Meylan) étant bousculés par une jeune garde écervelée mais bien vivante (Anaïs Dumoustier, merveilleuse en petite connasse).
Tout cela est déjà très intéressant, mais le film trouve son grammage final dans le personnage de Daniel, gitan marqué par le fatum, et faiseur de haïku.
Le tout ne tient debout que de justesse (ce qui rend compréhensible la réaction de rejet de certains spectateurs). Pour ma part, j'ai souvent été ému aux larmes par la précision du jeu des acteurs, et par la circulation souterraine de sentiments profonds qui innervent le films en continu (le temps qui passe, les promesses de l'avenir, la vacuité du désir). Le cinéma de Ken Loach n'est pas très loin.
Un beau mélo, qui comme les grands films de Sirk, conjugue le trivial et le sublime, parfois dans un même plan.
J’ai vu le film vendredi dernier au Katorza en présence de Robert Guédiguian. La critique de son 17ème opus s’avère du coup pour moi un exercice délicat, je vais vous dire pourquoi.
J’ai été séduit par la prestation de Guédiguian qui s’est prêté au jeu des questions réponses pendant une heure, avec un sens de l’humour et une élégance dans l’argumentation auxquels je ne m’attendais pas vraiment. Il est profondément troublant en ces temps de Sarkozie décomplexée de rencontrer un homme qui affiche aussi clairement (et simplement) ses opinions issues d’une gauche historique, très lutte des classes, et en même temps d’un niveau intellectuel supérieur, citant Jaurés entre Pasolini et Capra.
Ce qui m’a beaucoup touché aussi, c’est la sensibilité qui émane de Guédiguian, manifestant une grande empathie dans sa capacité à écouter les questions des spectateurs. Bref, un beau moment d’échange avec quelqu’un qui porte ses idées avec une conviction rare et attachante.
Le film, quant à lui, m’a un peu déçu, ce qui est toujours gênant à exprimer en présence de son créateur (Robert, ne lis pas cette critique). Les neiges du Kilimandjaro prend clairement le parti d’être une fable, un conte. Guédigian nous a dit vendredi que les comédies avaient les mêmes ressorts que les tragédies, et que la seule différence résidait dans le fait que dans les comédies les situations trouvaient leur résolutions.
C’est bien le programme que propose le film, (très) librement inspiré d’un poème de Victor Hugo, Les Pauvres Gens. Un leader syndical organise un tirage au sort en vue de licencier 20 ouvriers de son entreprise. Un de ceux-ci va commettre un acte répréhensible. Le leader syndical et sa femme (indéboulonnables Darroussin et Ascaride) vont, après avoir dénoncé le criminel, trouver un moyen d’atténuer leur sentiment de culpabilité.
Le problème, suivant l'adage classique que les bons sentiments ne font pas les bons films, c'est que Les neiges du Kilimandjaro n'échappe pas à une certaine sensiblerie et présente des traits franchement caricaturaux. Si les habitués de Guédiguian jouent assez juste, les nouveaux venus sont franchement à côté de la plaque et leur texte semble totalement "plaqué". Grégoire Leprince Ringuet par exemple est à moitié crédible, et Robinson Stévenin campe un policier peu convaincant. Le film oscille donc perpétuellement entre plusieurs styles (humoristique, chroniqueur social, militant, angoissant, utopique, nostalgique, sentimental) sans réellement trouver un point d'équilibre. Certaines scènes sortent du lot (le speech de la mère à côté du bateau, la partie de bridge et sa conclusion), d'autres sont ridicules par la faute souvent d'une bande-son désastreuse (cet horrible Many rivers to cross chanté par Joe Cocker).
Je ne rentre pas ici dans le débat moral que le film peut générer : il paraît irréel (je ne peux pas trop spoiler, mais que font les services sociaux ??) et ses enjeux me laissent un peu indifférent. Je note simplement que les jeunes sont montrés d'une façon assez réaliste insupportable.
Alors, allez-y si vous voulez poursuivre ce long feuilleton mené par la bande de l'Estaque, et retrouver un petit peu de ce qui faisait le charme de Marius et Jeannette.