Alors que beaucoup de films médiocres sortent en salle, on se demande bien pourquoi le nouveau film de Richard Linklater sort directement sur Canal+.
Hit man est en effet une comédie très agréable, "à l'ancienne" : une intrigue, tirée de faits réels, très amusante (un quidam qui "feint" d'être un tueur pour le compte de la police se trouve embarqué dans une drôle d'histoire), une réalisation racée et nerveuse, des acteurs qui manient à la perfection l'art du travestissement. Tout est intelligent et limpide dans ce film, comme en général dans le cinéma de Linklater.
Le duo Glen Powell et Adria Arianna est sexy en diable, et l'actrice portoricaine en particulier n'hésite pas à afficher une appétence pour les rapports charnels qui n'est pas si courante dans le cinéma américain. La deuxième partie du film est une romcom sensuelle, dans laquelle chacun des deux protagonistes joue double, élevant en quelque sorte leur relation amoureuse au carré.
Le développement de l'intrigue est original, joyeusement amoral et plein de suspense. Un plaisir simple et l'assurance d'un bon moment.
Rappelons d'abord le principe fondateur du film : Richard Linklater l'a tourné pendant 12 ans, à raison de quelques jours de tournage par an.
Il résulte de ce mécanisme osé le sentiment incroyable de saisir la texture du temps qui passe. Le monde entier semble vieillir de 12 ans sous nos yeux, pendant les 2h45 du film.
Les acteurs évoluent bien sûr physiquement. Le jeune Ellar Coltrane a 6 ans au début du film, 12 à la fin, et il est vertigineux de le voir muer de façon continue, comme sa soeur dans le film, qui est dans la vraie vie la fille du réalisateur. Patricia Arquette s'empâte progressivement alors que Ethan Hawke semble éternellement mince et séducteur.
Mais ce que propose le film est encore plus fort : l'environnement lui-même évolue constamment : voitures, téléphones, programmes télé, jeux vidéos, musiques, centres d'intérêt (la séance Harry Potter !). L'impression saisissante que procure le film est renforcé par le fait que les transitions entre les douze séquences sont extrêmement fluides. Certaines m'ont d'ailleurs échappé. Cette incroyable unité du film tient sur deux piliers : la capacité des acteurs de garder le bon "ton" d'année en année, et la cohérence du style de Linklater.
Si Boyhood est un objet filmique passionnant et même envoutant, c'est donc principalement en tant que peinture hyper-réaliste de la fuite du temps. Si on le regarde comme un film "normal", il est probable que le scénario (forcément écrit en partie au fil de l'eau) apparaîtra comme un peu faible. Le film ménage certes quelques moments de grâce (par exemple les morceaux de musique, ou quelques instantanés silencieux ou ralentis), mais il pourra sembler parfois ennuyeux aux spectateurs peu sensibles à sa proposition.
Evidemment, le plaisir de retrouver Jesse et Céline est accru quand on a suivi leur aventure amoureuse depuis le début, en voyant Before sunrise il y a 18 ans et Before sunset il y a 9 ans.
Sinon, j'imagine que le film paraîtra peut-être un peu plat et ordinaire, car après tout il ne s'agit là que de montrer des situations dans lesquelles chacun pourra se reconnaître : petites piques, vieilles rancoeurs, non-dits, raccomodages. Bref, tout un arsenal de comédie romantique lo-fi.
Pour les connaisseurs de la "série", ce troisième opus se distingue par une forme un peu plus élaborée, même si la majorité des scènes est toujours constituée de ces longs tunnels de conversations à deux à propos de tout et de rien. Au titre des nouveautés on a droit à un repas de copains (aux dialogues parfois légèrement artificiels), à des scènes de Jesse avec son fils, et à des décors de spots publicitaires pour la Grèce (paysages et maison magnifiques au demeurant). Bref, à différentes petites variations.
Le film parvient à renouveler son fond de commerce constitués de longs travellings avant ou arrière avec une séquence incroyable au début du film, filmant une très longue conversation à travers le pare-brise d'un véhicule. Mais la vraie nouveauté se situe au niveau du ton, avec cette fois-ci une réelle méchanceté, surtout à travers quelques phrases couperets assénées par Céline. Cette cruauté est toutefois atténuée par la grâce mutine et énergique de Julie Delpy, et le calme olympien d'Ethan Hawke. Le film réussit un prodige : celui de montrer des personnages dont le caractère reste le même au cours du temps, tout en s'adaptant à la fois aux circonstances et aux changement des corps.
Les dialogues sont toujours ciselés, le film est d'une finesse remarquable (on revoit très différemment en fin de film les scènes initiales de préparation du repas et de discussion autour du nouveau roman de Jesse).
Une gourmandise de connaisseur, qui peut éventuellement laisser de marbre ceux qui n'ont pas vu les deux premiers opus.
A bien des égards, Before sunset apparait comme un codicille au volet précédent, Before Sunrise.
Même dispositif (une heure limite, une errance dans la ville, une fin incertaine), mais ici simplifié et raccourci. L'impression de temps réel est encore plus intense que dans le premier film de la trilogie.
Ce qui est très intéressant dans ce deuxième opus, c'est la subtile évolution des personnages. Plus âgés, ils ont vécu tous les deux toutes sortes d'expérience dont ils parlent avec leur franchise habituelle. La vie leur a appris à mentir légèrement, ce qui n'était pas le cas dans le premier épisode : ils jouent ici à un jeu de chat et de souris qui est absolument délicieux (de quoi se souviennent-ils exactement l'un et l'autre ? que s'est il passé en décembre 95 ?).
Puis tout à coup, dans la voiture qui ramène Jesse à l'aéroport, une sorte de tension terrible apparaît dans les propos de Céline. Les dernières scènes dans son appartement amorce une rupture de ton. Quand Julie Delpy interprète la chanson à la guitare (quel moment de grâce absolu, qui renvoie bien sûr au livre de Jesse), elle emporte le film dans une sorte de rêve éveillé, qui laisse Jesse abasourdi (et nous aussi par la même occasion). C'est dans une autre dimension qu'on assiste finalement à la performance de Julie Delpy imitant Nina Simone. Comme le chant des sirènes envoûtant Ulysse, on se doute bien à ce moment là que Jesse est parti pour rater son avion...
La réalisation, de qualité, reste sagement discrète, ce qui est en soit un exploit (les raccords dans les conversations filmées en marchant sont invisibles). Les dialogues sont ciselés et servent à la perfection les deux acteurs, tour à tour mordants, tendres, nostalgiques, enthousiastes.
Alors que sort mercredi Before midnight, il n'est pas inutile de revenir sur les deux premiers volets de cette trilogie, débutée en 1995 par Richard Linklater (le réalisateur), Julie Delpy et Ethan Hawke (les acteurs) : Before sunrise, puis Before sunset.
Rappelons que ces trois films peuvent être attribués aux trois protagonistes, puisque les deux acteurs ont très largement participé au développement des scénarios des trois films, sur une idée originelle (et autobiographique si on en croit les rumeurs) de Richard Linklater.
C'est peut-être de cette intense collaboration artistique que vient cette impression saisissante de naturel et de profonde légèreté qui semble saisir tous les spectateurs de Before sunrise.
Rappelons le prétexte du film : deux jeunes gens (lui américain, elle française) se rencontre par hasard dans un train, et passe une nuit ensemble à errer dans les rues de Vienne, parlant sans cesse et tombant amoureux.
Ce qui fait l'originalité du film tient à mon sens en deux choses.
La première est la façon dont la fluidité du temps est rendue. Tous les éléments du film semblent progresser à la même vitesse, et si je puis dire dans le même sens : le train et les tramways roulent, les deux jeunes gens marchent, le temps s'écoule, les vies passent (le cimetière), la nature suit son chemin (les étoiles, le soleil), le sentiment amoureux progresse et s'amplifie. Tous ses flux se mêlent, se croisent et se nourrissent l'un l'autre, amplifiés par la voix des deux acteurs, qui semblent exprimer un flow continu de pensée, presque jamais silencieux, et débattant avec une liberté incroyable de sujets renvoyant souvent au temps, passé ou futur (premiers souvenirs, espoirs pour l'avenir).
Le second point fort du film est la personnalité incroyable de Julie Delpy, qui est dans ce film complètement irrésistible. Tout à tour espiègle, directe, emportée, vulgaire, triste, poétique, tendre, intellectuelle, enjouée, elle déverse sur Ethan Hawke une pluie de sensations qui le rendent d'ailleurs de plus en plus silencieux, et amoureux. Les débats entre les deux personnages peuvent prendre des aspects inattendus, et brassent des sujets très divers, personnels ou philosophiques, sans jamais ennuyer. Les deux amants font preuve l'un envers l'autre d'une qualité d'écoute remarquable.
Le film multiplie par ailleurs les rencontres improbables et initiatiques (j'ai souvent pensé à des thèmes mythologiques : Ulysse, Orphée), comme par exemple les deux acteurs de théâtre, le clochard qui écrit des poèmes, les inserts sur les clients du bar, la cabine d'écoute chez le disquaire, la voyante. Le réalisateur souligne d'ailleurs cet aspect des choses avec ces derniers plans superbes qui montrent quelques uns des décors fréquentés par le couple durant la nuit, vides et désertés. Une façon d'attester que la trace indélébile de cette histoire d'amour idéale subsiste dans l'atmosphère de la ville, comme son souvenir dans notre esprit.
Probablement un des plus beaux films jamais réalisés sur la naissance du sentiment amoureux.