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Christoblog

Articles avec #palme d'or

Palmarès du 75ème Festival de Cannes

Cette année, la compétition était très homogène. Aucun film n'a entraîné l'adhésion de la Croisette comme cela avait été le cas en 2019 avec Parasite par exemple. Mais aucun film n'a déchaîné non plus une tempête de critiques, comme The last face en 2016 ou Les filles du soleil en 2018.

Plus curieux encore, et fait vraiment exceptionnel, presque tous les 21 films en compétition ont figuré dans les palmarès idéaux des uns et des autres. Par exemple le palmarès de Libération ne comprend qu'un seul film en commun avec le palmarès définitif et en cumulant les deux on a quasiment l'ensemble des films !

Pour ma part, je trouve très étonnant que ne figure pas dans les films récompensés le très beau Armageddon time de James Gray (cela devient une humiliation pour ce grand cinéaste qui n'a jamais rien gagné à Cannes, qu'il adore pourtant). Etonnant aussi qu'il manque à l'appel le magnifique Leila's brothers, film iranien qui est ma Palme d'or personnelle et celle de nombreux festivaliers, ainsi que Les amandiers, de Valeria Bruni Tedeschi. Mes trois films préférés de la compétition 🙄 !

Le jury a réagi à cette homogénéité de la sélection en voulant récompenser le plus de films possibles (1 prix supplémentaire et deux prix ex-aequo) : 10 films sur les 21 présentés ont ainsi obtenu une récompense.

Palme d'or : Sans filtre (Triangle of sadness) de Ruben Ostlund

De la part du jury, c'est sûrement le choix le plus consensuel. Cette farce parfois potache, par moment hilarante, est sûrement l'oeuvre qui peut prétendre ramener le public le plus large possible vers les salles, tout en véhiculant un message anti-capitaliste qui a du plaire au président. Je trouve pour ma part le film agréable, mais un peu superficiel. C'est du cinéma de petit malin.

Grand prix ex-aequo : Close de Lukas Dhont et Stars at noon de Claire Denis

Close était la Palme d'or du coeur de beaucoup de festivaliers, le film ayant généré la plus longue standing ovation de la compétition (12 minutes). C'est un très beau film et à 31 ans Lukas Dhont est promis à un grand avenir : une sorte de Xavier Dolan européen, l'égo en moins. Le Claire Denis est de bonne facture mais ne mérite pas cette place : peut-être une façon de récompenser la réalisatrice pour sa carrière (et de s'assurer une présence féminine dans le palmarès ?).

Prix de la mise en scène : Park Chan-wook pour Decision to leave

Rien à dire, le nouveau film du réalisateur d'Old boy est presque trop brillant en terme de réalisation, on est parfois au bord du trop-plein d'idées.

Prix du scénario : Tarik Saleh pour Boy from heaven

Si le sujet du film est intéressant (un jeune pêcheur au coeur pur se trouve mêlé à une guerre de succession à la tête de l'université El Azhar du Caire), j'ai justement trouvé que le scénario souffrait de quelques carences ! Probablement une façon de trouver une petite place au film dans le palmarès.

Prix du jury ex-aequo : EO de Jerzy Skolimovski et Les huit montagnes de Felix van Groningen et Charlotte Vandermeersh

EO aurait pu se trouver plus haut dans le palmarès, c'est un film formidable et inventif. Quant aux Huit montagnes, il a souffert d'une campagne de dénigrement dans la presse que je trouve injuste : c'est un film grand public qui s'intéresse à des sujets rarement montrés au cinéma (l'amour de la montagne, l'amitié masculine comme ciment d'une vie)

Prix du 75ème : Tori et Lokita, des frères Dardenne

C'est un des plus faibles Dardenne, qui sont ici en service minimum. Il semblerait qu'il y ait eu des débats animés au sein du jury à son sujet : Lindon le voulant peut-être plus haut dans le palmarès. Un exemple que les plaidoyers moraux, s'il ne font pas de bons films, permettent d'obtenir des récompenses.

Prix d'interprétation féminine : Zar Amir Ebrahimi dans Holy spider (Les nuits de Mashhad)

Mérité ! Le film de Ali Abbasi, qui suit la trajectoire d'un tueur en série de femmes, est d'une violence crue, mais c'est un beau film nécessaire et toute l'équipe du film est désormais interdite de retour en Iran, ce qui représente quand on y pense une incroyable preuve d'amour envers le cinéma. L'actrice, qui vit en France depuis plusieurs années, campe une journaliste opiniâtre, obsédée par cette affaire.

Prix d'interprétation masculine : Song Kang-ho pour Les bonnes étoiles

Curieux que le jury ait choisi de récompenser l'acteur coréen pour ce rôle qui est presque un second rôle. Sûrement une façon de récompenser sa carrière entière et/ou de donner quelque chose au très beau film de Kore-Eda. Beaucoup pensait à l'italien Pierfrancisco Favino, pour son rôle dans Nostalgia.

Retrouvez mon avis sur 42 films présentés à Cannes dans Mon journal de Cannes 2022.

A l'année prochaine !

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Titane

Titane est une oeuvre complète, qui possède sa propre logique et propose un monde homogène qui n'est pas le nôtre.

Si l'on accepte ces présupposés (ce que l'on fait sans problème si on voit un Fellini, un Anderson ou un Carax) et qu'on se laisse porter par la proposition, le second film de Julia Decourneau est enivrant de maîtrise.

Tout y est en effet admirablement fait : l'interprétation hors norme des deux interprètes principaux, la mise en scène virtuose (quelle scène d'ouverture, quel talent pour filmer les scènes d'incendie ou de danse !), la direction artistique irréprochable (musique et bande-son remarquables, photographie et décors magnifiques, effets spéciaux confondants).  

Les thématiques abordées ne sont pas foncièrement originales. Certains critiques évoquent le cinéma de Cronenberg, alors que la ressemblance n'est que superficielle à mon sens. C'est en réalité toute l'histoire de la littérature et du cinéma qu'il faudrait convoquer, en commençant par la mythologie : assassinat du père, désir de maternité et de paternité, quête d'un foyer, expression du mal-être existentiel à travers la violence, dissolution de la limite entre humain et non humain, confusion des genres, naissance de l'amour, primauté du corps sur l'esprit (et inversement), etc. L'intérêt de Titane ne repose donc pas sur les sujets abordés, ni sur l'histoire racontée, mais dans la façon dont Julia Ducourneau parvient à dissoudre tous ces thèmes dans un creuset intime et sensuel, qui lui est très personnel.

Que l'élan vital du film vous transperce ou pas conditionne donc la façon dont vous réceptionnerez Titane :   dans le premier cas vous entrerez de plain-pied dans un monde sidérant où la trivialité côtoie le sublime, dans le second vous ne comprendrez probablement pas pourquoi le film a obtenu la Palme d'Or.

Julia Ducourneau sur Christoblog : Grave - 2016 (****)

 

4e

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Une affaire de famille

Je suis la carrière d'Hirokazu Kore-Eda depuis tellement d'années que cette Palme d'Or 2018 me ravit. Elle récompense pour moi l'un des cinq meilleurs réalisateurs vivants, pour un de ses meilleurs films.

Tout est parfait dans Une affaire de famille. La photographie est superbe, la mise en scène comme d'habitude à la fois discrète et élégante, l'interprétation incroyablement puissante et le scénario bien plus complexe que ce que le synopsis ou la bande-annonce peuvent laisser penser.

Quelle qualité dans l'écriture de ce film, quelle subtilité et quelle délicatesse dans le montage ! Chaque nouvelle scène donne un éclairage nouveau sur l'un des personnages. Le film avance ainsi d'une manière millimétrique, suscitant à la fois l'émerveillement et la réflexion. 

On sait que la famille et les sentiments sont les deux grands sujets de Kore-Eda. Ce dernier opus mène les réflexions du réalisateur vers une intensité et une profondeur extrêmes sur ces deux sujets. Le scénario brasse tout au long du film les différentes images de la famille et de l'affection, remuant et bousculant nos certitudes. Normalité et moralité se renvoient la balle d'une façon tellement subtile que j'ai été subjugué par là où parvenait à m'amener au final Kore-Eda. La façon dont se clôt le film est réellement superbe. Tout ce qu'on a vu auparavant est alors nimbé d'une lumière à la fois froide, tendre et nostalgique.    

C'est très beau. 

 

4e

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The square

Le précédent film de Ruben Ostlund, Snow therapy m'avait enthousiasmé par son originalité, sa capacité à brouiller les pistes et ses audaces formelles.

Force est de constater que dans ce nouvel opus, tout juste couronné par la Palme d'Or, le prodige suédois reproduit la recette de son film précédent : un évènement fondateur dont le personnage principal ne sort pas grandi, suivi d'un enchaînement de circonstances induites qui montrent les compromis, les petitesses et les mesquineries de nos sociétés. Et au passage l'orgueil sexuel du mâle occidental qui en prend pour son grade.

Donc rien de bien nouveau sous le soleil de Stockholm, sauf qu'ici les sujets de moquerie me semblent bien moins originaux que dans Snow therapy (se moquer de l'art contemporain, c'est vraiment trop facile) et surtout moins maîtrisés. C'est comme si le cinéaste avait voulu ratisser le plus large possible pour amplifier ses effets comiques et toucher le maximum de personnes. Ainsi, Ostlund s'attaque à notre inaptitude à la bienveillance, à notre insensibilité à la violence, à notre aptitude au lynchage, aux méfaits du marketing, aux dégats causés par les réseaux sociaux, à notre sexualité atrophiée, à notre rapport aux mendiants, etc.

Le film veut ratisser tellement large qu'il m'a perdu en route, jusqu'à cet improbable happy end (les fifilles sont fières de leur papounet), bien éloigné de la sécheresse onirique des derniers plans de Snow therapy

Ces réserves étant faites, il faut reconnaître à la Palme d'or 2017 une vraie capacité à faire surgir le rire grinçant au détour d'une scène (par exemple quand le cuisinier annonce le repas et n'est pas écouté). Il y a dans The square un enthousiasme dans la mise en scène de nos turpitudes qui pourra se révéler communicatif, surtout pour ceux qui découvrent le cinéma d'Ostlund à cette occasion. La scène du happening pendant le repas de gala est rudement bien faite, même s'il faut admettre qu'elle ne sert en rien le développement de l'intrigue.

Clinquant, souvent brillant (tous ces carrés qui envahissent l'écran : cages d'escalier, tapis de gym...), mais tout à fait inconsistant : The square n'est probablement pas le meilleur film de son réalisateur, mais paradoxalement c'est celui qui lui apporte la consécration.

Ruben Ostlund sur Christoblog : Snow therapy - 2014 (****)

 

2e

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Moi, Daniel Blake

Disons le tout de suite : le fait que Moi, Daniel Blake ait obtenu la Palme d'Or va fausser la plupart des appréciations le concernant.

La question traditionnelle de l'apprenti critique ("Que vaut le film ?") se transformera bien souvent en "Mérite-t-il la Palme d'Or ?", avec au passage un très probable coup de rabot sur ses qualités intrinsèques.

Ceci étant dit, je vais essayer de ne pas tomber dans ce travers.

D'abord, première évidence difficilement contestable, les deux acteurs principaux sont exceptionnels. Dave Johns compose un personnage qu'on n'oubliera pas de sitôt, une sorte d'incarnation de la dignité terrienne et bienveillante. Hayley Quires est une belle découverte, dans un rôle qui la voit s'exposer dans une composition difficile, mélange de fragilité et de ténacité. La scène du magasin alimentaire est à ce titre un des plus beaux moments de cinéma de l'année.

Deuxième point, le film aborde frontalement un sujet que je n'avais pas encore jamais vu traité au cinéma : la difficulté, devenue radicale, de vivre aujourd'hui dans notre société sans avoir la pratique de l'informatique en général et d'internet en particulier. Ken Loach ne se contente pas ici de creuser confortablement le sillon qui est le sien depuis le début de sa carrière (la misère sociale), il peint un monde dans lequel tout le monde (ou presque) est sympa, et qui pourtant se révèle être un enfer. Par là-même, Moi, Daniel Blake réussit un tour de force étonnant : nous montrer la méchanceté de notre société sans nous désigner les méchants. Il peut de ce fait avoir par moment des aspects de film d'anticipation, de dystopie.

La mise en scène de Ken Loach est d'une rigueur exemplaire. Le scénario de son complice de toujours, Paul Laverty est très très bon au début du film (quelle idée géniale que la conversation téléphonique initiale, qui finalement s'avère être le coeur palpitant du film), avant de fournir dans la deuxième partie quelques traits trop appuyés à mon goût. Ce n'est pas très grave au regard du poids émotionnel que charrie le film.

Moi, Daniel Blake est finalement un beau portrait, qui s'affranchit de son terreau social par la grâce de ses interprètes. A voir.

 

3e

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Dheepan

Avec son sujet exotique (combien de spectateurs pourraient situer l'origine du peuple tamoul sur une carte du monde ?), ses acteurs inconnus et son titre curieux, le film de Jacques Audiard ne cherche pas la séduction facile.

Pourtant, la première chose qui frappe en découvrant la Palme d'Or, c'est sa fluidité, l'élégance de sa mise en scène qui semble débarrassée des afféteries coutumières d'Audiard. 

Ici, tout semble simple : les scènes s'enchaînent habilement, même si elles sont âpres et violentes, suscitant la curiosité et l'intérêt. L'intégration de la famille sri lankaise interpelle : elle est à la fois facile et impossible, commandée par une impérieuse énergie et figée vers une utopie de départ qui rend le passage français accessoire dans la trajectoire des personnages. L'invention d'une famille est également une magnifique idée de cinéma, que j'aurais aimé voir creusée en profondeur.

Toute la première partie est fraîche, originale et admirablement mise en scène, zébrée de visions magistrales et enveloppée par une bande-son impeccable. Un régal. 

Le film se brise malheureusement en son milieu pour verser dans un film d'action et de violence assez lambda. Le héros Dheepan se transforme tout à coup en Sylvester Stallone sévèrement bur(i)né. C'est qui faut pas l'énerver, le Tamoul. 

Si ce virage scénaristique peut se défendre, c'est la façon de le filmer comme une explosion de violence qui gâche un peu le film. Tout devient alors too much (cette montée d'escalier interminable), alors que tout était dans le mystère et la retenue quelques minutes auparavant.

Les choses empirent encore d'un cran dans les ultimes scènes (que je ne révèlerai pas ici), avec une rupture de ton encore plus grande et un basculement dans la mièvrerie qui laisse un goût amer.

Audiard frôle le chef-d'oeuvre, mais le hiatus au coeur du film l'empêche de concrétiser.

Jacques Audiard sur Christoblog : Un prophète (***) / De rouille et d'os (****)

 

3e    

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La vie d'Adèle

 

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Plus qu'un film, une expérience

 

Ce qu'il y avait de curieux, en discutant avec les spectateurs qui avaient eu la chance de voir La vie d'Adèle à Cannes, c'est que pour beaucoup d'entre eux, la séance semblait avoir été une expérience physique. Les avis des personnes rencontrées étaient souvent ponctués d'expression comme "j'avais les jambes en coton", ou "le souffle coupé", "j'ai fini en larmes" ou "j'étais lessivé". Beaucoup ont eu l'impression de vivre une sorte d'aventure collective. Lors de la projection cannoise, des applaudissements nerveux en cours de film ont eu lieu, lors des scènes de sexe, sans qu'on sache exactement quel sentiment les déclenchait : embarras, émotion, ressentiment, admiration. Enfin, pour la quasi-totalité des spectateurs, le temps a semblé subir une brusque contraction, puisque beaucoup déclarent que les trois heures de projection leur ont paru durer moins de deux heures.

Si je commence mon article par ces observations, c'est qu'elles montrent l'emprise assez exceptionnelle que le film a sur l'esprit - et le corps - de ceux qui le regardent. Cette emprise vient d'un état de fait qu'on pourrait résumer ainsi : on n'a peut-être jamais montré avec autant d'empathie le sentiment amoureux, de sa naissance à son exaltation, puis à sa transformation en douleur. Kechiche réussit ce prodige en filmant ses deux actrices au plus près, et le jury mené par Spielberg a fait preuve d'un discernement remarquable en remettant la Palme à Kechiche et à ses deux actrices. La caméra ne quitte jamais vraiment les visages et les corps de Léa Seydoux et d'Adèle Exarchopoulos, elle réussit à capter leur moindre tressaillement, que ce dernier soit de douleur, de désir, de plaisir ou de dépit.  Ce travail de sismographie des émotions est formidable de minutie et de précision.

Le film n'élude pas les scènes de sexe, qui sont montrées d'une façon frontales, ni d'ailleurs, et c'est peut-être pour certains esthètes encore plus choquant, les réalités physiologiques. Ainsi, quand Adèle a de la morve au nez, personne ne lui essuie le visage.

Cette façon d'être au plus près des personnages procure au final un sentiment d'immersion totale. La vie d'Adèle, c'est un bain de 3D émotionnelle.

 

Le montage magique

 

Un des points qui me semble crucial dans le film, c'est la perfection du montage. On sait que Kechiche retournera peut-être en salle de montage pour retoucher le film avant sa sortie, mais j'espère que cela ne changera pas le rythme du film, qui est parfait.

Etirement des scènes-clés, plans larges comme des tableaux lorsque ceci est nécessaire, écoulement du temps suggéré par de subtiles variations (une coupe de cheveux, un changement infime dans le jeu) : Kechiche tire de ses centaines d'heures de rush une symphonie qui tantôt nous entraîne dans le tambour d'une essoreuse en fin de cycle, tantôt dans l'atmosphère languissante d'une errance nocturne.

Le montage de La vie d'Adèle magnifie l'histoire, et atténue le caractère réaliste du film, qui est loin d'être naturaliste. Même si le film dure trois heures, il choisit de ne montrer que ce qu'il montre, et il ne se disperse pas. Ainsi seront bien malheureux ceux qui tenteront de voir dans l'histoire d'amour entre ces deux femmes un manifeste pour le mariage gay. Le film ne traite pas du tout de l'homosexualité sous un angle social ou sociétal (ou très peu, seulement à travers la discrétion d'Adèle sur le sujet de sa relation à Emma, et de la réaction des lycéennes). Et d'ailleurs, comme trop peu de personnes l'ont signalé, le film ne tranche même pas sur la sexualité d'Adèle : elle aime Emma, c'est tout, et il se trouve qu'Emma est une femme.

 

Naissance d'une femme

 

Si le film parle d'amour, il décrit aussi le passage de l'enfance (premier plan dans lequel Adèle, les cheveux en bataille, mal fagottée, rejoint un bus scolaire) à l'âge adulte (dernier plan dans lequel elle s'éloigne vers son destin, venant de vivre un moment de souffrance définitive qui lui permettra - peut-être ? - de continuer à vivre), sur une durée d'une dizaine d'année.

 

On se prend alors à rêver d'une saga qui s'étendrait sur plusieurs films et constituerait ainsi une oeuvre gigantesque montrant une destinée unique dans la durée. Le fait que Kechiche ait adossé la mention Chapître 1 et 2 à son titre milite dans ce sens, puisque rien dans le film ne justifie cela.

La construction d'Adèle est sentimentale, sexuelle, mais elle aussi sociale - car c'est aspect n'est jamais absent des films de Kechiche. C'est d'ailleurs une des autres forces exceptionnelles du film : Adèle et Emma évoluent dans des milieux sociaux très différents : bourgeoisie bobo ouverte d'esprit pour Emma, milieu beaucoup plus modeste pour Adèle. Une scène, splendide, montre d'ailleurs Adèle préparer avec inquiétude le repas destiné aux invités d'Emma, reproduisant un type de schéma classique - dans un couple hétéro - d'aliénation aux tâches ménagères, vaisselle comprise. Et si la catastrophe arrive (je ne peux pas être trop explicite sans dévoiler l'intrigue du film), elle trouve entre autre ses racines dans cette différence de classe.

Enfin, et ce n'est pas la moindre des choses, Adèle a choisi un métier symbolique dans le cinéma de Kechiche, attaché à la transmission du savoir : institutrice. Kechiche la montre dans l'exercice de son métier avec une délicatesse infinie. Cette dernière partie du film, qui entre en résonnance avec la première (les lycéens parlaient, merveilleusement bien d'ailleurs, de Marivaux), est baignée d'une atmosphère de tristesse nostalgique qui est presque insupportable de par son intensité.

 

La vie d'Adèle est une oeuvre qui touche chacun de nous parce qu'elle traite de ce qui nous unit tous : éprouver des sentiments, exister au monde, souffrir.

 

Et vivre quand même.

 

A voir aussi : La BD à l'origine du film : Le bleu est une couleur chaude / L'avis des blogueurs sur La vie d'Adèle / Le jour où j'ai vu La vie d'Adèle pour la deuxième fois / 4 choses que vous n'avez pas (ou peu) lu à propos de La vie d'Adèle

4e

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Amour

J'ai la larme très facile au cinéma, ce qui m'oblige souvent à inventer de subtiles manigances au moment où les lumières reviennent dans la salle, pour masquer mon humidité oculaire. Mais en regardant Amour, de Michael Haneke, qui a reçu hier soir la Palme d'Or à Cannes, je n'ai absolument rien ressenti d'émouvant : même pas une goutelette au coin de l'oeil.

Rien, nada, que dalle.

Ma critique va être donc en complet déphasage avec les avis de la quasi totalité des critiques présents à Cannes, qui se déclarent (presque) tous irrémédiablement touchés par le film.

Suis-je donc à ce point insensible ? J'espère que non.

Dès le début du film, les grosses ficelles qu'utilise habituellement Haneke m'ont sauté comme d'habitude aux yeux, et du coup, l'artificialité glaçante du film a empêché pour moi toute forme d'empathie.

Prenons par exemple le parti-pris de réalisme absolu dont beaucoup parlent. Haneke, en montrant un couple d'octagénaires dont la femme sombre dans la déchéance physique suite à une attaque, montrerait "pour de vrai" une agonie. C'est faux ! Ce que montre Haneke reste bien en-dessous de ce qu'est réellement la fin de vie. Le maquillage de l'actrice Emmanuelle Riva est réussi, mais manquent (heureusement ou malheureusement) les rictus horribles, les sécrétions diverses et beaucoup des horreurs réelles qui accompagnent ces moments. Les draps et la chemise de nuit de la malade sont toujours immaculés, et la couche ... ne déborde pas.

Le scénario, qui file tout droit comme un clip de promotion de l'euthanasie, ne laisse place qu'à un nombre réduit d'états d'âme chez les différents protagonistes, le père comme la fille, ce qui est aussi très peu réaliste. La machine Haneke, artificielle, compassée et finalement aussi peu dramaturgique que possible, passe évidemment ici beaucoup mieux auprès des spectateurs que quand elle était mise au service des sadiques de Funny Games, mais c'est la même. Que dit finalement le film ? Que voir quelqu'un qu'on aime sombrer dans la déchéance physique est insupportable. Belle découverte ! Et finalement quoi d'autre ? Rien.

La mise en scène est à l'image du jeu des acteurs (le phrasé de Trintignant est toujours aussi peu naturel, et celui d'Emmanuelle Riva est pire), des décors (très froids, les vues de Paris par les fenêtres sont toutes fausses et cela se voit), de la lumière (trop belle pour être vraie, comme dans la scène du pigeon) : maniérée et désincarnée. Composer de jolis plans fixes de portes, de couloirs et de tableaux aux murs ne suffit pas à faire un film.

Au final, et je sais que le terme pourra être mal interprété, Amour me semble être le prototype du film bourgeois. Bourgeois, pas seulement parce qu'il montre (quoique le petit personnel y soit caricaturé d'une façon presque odieuse) mais aussi par la façon dont il est fait : sagement, académiquement et sans trop fouiller dans les coins.

On aimerait un jour voir Haneke plonger un peu plus dans la mêlée, se frotter à d'autres milieux et se mettre plus en danger. On pourrait alors juger plus clairement de ses réelles qualités.

Michael Haneke sur Christoblog : Le ruban blanc - 2009 (**)

 

2e 

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Oncle Boonmee (celui qui se souvient de ses vies antérieures)

J'étais prêt à aimer ce film.

D'abord parce qu'un précédent opus du réalisateur m'avait intrigué et en partie séduit, d'autre part parce que j'ai une tendresse particulière pour la Thaïlande et son cinéma, enfin parce que quand un grand festival quitte les sentiers mainstream, cela me plait plutôt.

Malheureusement, et même avec toute la bonne volonté du monde, il faut bien conclure que je trouve pas grand-chose à sauver dans cette palme.

La mise en scène est rudimentaire, le plan fixe étant la norme, dont la caméra tremblotante est l'unique et rare variante (dans la grotte, sous l'eau). La photographie, qui souvent est somptueuse chez Weerasethakul, est incroyablement laide, à tel point que je pensais être tombé sur une copie endommagée. Le propos est décousu, et sa charge symbolique m'a complètement échappé.

Le gouffre entre mon esprit et le film est tellement grand que je n'ai vraiment rien compris ce que je voyais : où sont ces fameuses vies antérieures dont parlent le titre, dans le poisson chat ? Le buffle de la première scène a t'il un sens ? Et les ouvriers laotiens ? Comment raccorder les photos montrées dans la séquence du rêve dans le futur et ce qui est raconté par ailleurs ? Et quel est le rapport entre les derniers plans lynchiens dans la chambre d'hôtel et le reste du film?

Ce qu'on peut sauver dans le film tiendrait en 10 minutes, il dure malheureusement 1h50. Il fut des palmes d'or discutées ou controversées, mais là, à part quelques critiques qui considéreront que Weerasethakul est plus un artiste plasticien qu'un cinéaste, je ne vois pas qui pourra aimer, sauf à être maso ou défoncé. Ou peut-être boudhiste.

 

1e

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4 mois, 3 semaines, 2 jours

Certains films sont physiquement éprouvants. 4 mois 3 semaines 2 jours fait partie de ceux-là.

Mungiu propose un cinéma physique, sensoriel, dans lequel un plan peut être un vrai coup de poing en pleine figure, et un regard un coup de poignard dans le coeur.

Ici, la nuit est vraiment noire, les bruits de repas sont assourdissants, le temps s'écoule comme de la colle.

Le film approche la perfection sur tous les plans, et la mise en scène discrète et efficace rappelle un peu maître Kieslowski (une utilisation des décors et une science du cadre hors du commun). Les actrices et acteurs - Monsieur Bébé !! - sont magnifiques et parfois terrifiants. La restitution de la vie quotidienne est impressionnante.

Le film réussit ce qui en cinéma est une sorte de Graal : montrer l'indicible avec la plus grande économie de moyen. C'est Bresson, Hitchcock, Kubrick qu'il faut convoquer.

Une palme d'or méritée, cela faisait longtemps. A voir absolument.

 

4e

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