Hier au Katorza, à Nantes, Bertrand Bonello était tout de noir vêtu. Il a très bien parlé de son film, pendant près d'une heure, sur un ton à la fois persuasif et humble, répondant avec patience au flot de questions d'une salle sous le charme de son film.
Avant de donner mon avis personnel, quelques anecdotes glanées lors de cette heure d'échange : l'Apollonide est le nom de la maison de son grand-père, le casting a été la partie la plus ardue du film (mélange d'actrices renommées et de non-professionnelles), Bertrand Bonello s'est souvenu d'une vision d'un film qui l'a marqué dans son enfance (L'homme qui rit) pour créer son personnage de la femme qui rit, et le rêve raconté dans le film lui a été donné par une femme de sa connaisance qui l'a vraiment fait. Comme quoi, mieux vaut faire gaffe quand on cause à un réalisateur.
Le film maintenant. Probablement un des plus beaux, des plus complexes, et des plus construits de l'année. Il regorge tellement d'idées de mise en scène différentes et contrastées (split screen, musique soul sur une histoire se déroulant au début du XXème siècle, glissements temporels, bande-son destructurée) qu'il paraît bien difficile qu'un spectateur adhère à toutes. Pour ma part, la fin m'a par exemple déçu (je ne peux en dire plus sans spoiler horriblement).
D'un point de vue cinématographique le film est cependant (et objectivement, vous me connaissez) une merveille. La photographie est splendide, les lumières exceptionnelles. On a plusieurs fois l'impression de voir un tableau vivant. Les mouvements de caméra sont parfois stupéfiants (le panoramique vertical de 360 d°).
Le choeur des 12 actrices est remarquable et mérite à lui seul qu'on aille voir le film. Jamais, je pense, je n'ai vu au cinéma un groupe aussi homogène d'actrices, en terme de style, comme en terme de qualité de leur performance. Enfin, et c'est là que le film se distingue le plus, il faut attirer l'attention sur le montage, prodigieux. Bonello réussit à jouer avec le temps (à défaut de pouvoir agir sur l'espace, la maison close étant un espace confiné par définition) d'une façon qui emporte l'admiration, en jouant le plus souvent simplement sur une certaine façon d'interrompre brutalement des scènes par ailleurs assez lentes, voire languides. Cet art du montage entraîne le film dans une sorte de spirale ascentionnelle sans fin, qui entre en écho avec les étages de la maison, toujours devinés mais jamais clairement définis.
Il y a beaucoup, beaucoup à dire sur ce film sous d'autres angles encore, politique, féministe, érotique (mais comment peut-il l'être si peu ?), mais je vais m'arrêter là pour laisser à d'autres le plaisir de compléter mon approche.
Un film puissant, à ne pas mettre entre toutes les mains, mais qui laisse une impression de poésie et de mélancolie durable.