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Christoblog

Articles avec #mohammad rasoulof

Les graines du figuier sauvage

Le texte qui a servi de support à ma présentation du film hier 21 octobre, au Dôme Cinéma d'Albertville :

Le cinéma iranien est depuis de nombreuses décennies un des cinémas les plus productifs de la planète, alors que les conditions politiques de sa production sont très difficiles, puisque depuis la révolution de 1979 le régime persécute globalement les artistes. Au vu de la qualité déjà incroyable de sa cinématographie, on peut rêver de ce que produiraient les talents iraniens dans un terreau plus favorable !

Le cinéma iranien est né au tout début du XXème siècle et la première salle de cinéma a ouvert à Téhéran en 1904. De nombreuses générations de cinéastes se sont succédées tout au long du siècle au sein d’une industrie prospère, jusqu’à l’émergence d’un mouvement qu’on a appelé La nouvelle vague iranienne, dont Abbas Kiarostami (1940-2016) est le fer de lance. Vous avez peut-être vu quelques-uns de ses films, qui ont rencontré un grand succès en Occident (Où est la maison de mon ami ?, Close-up, Au travers des oliviers…).

Un autre cinéaste iranien, plus jeune, a lui aussi trouvé le chemin d’un succès international, Asghar Farhadi (1972-) (A propos d’Elly, Le client, Un héros). Ces deux très grands cinéastes ont eu des problèmes avec le régime des mollahs, mais ils ont en quelque sorte joué au chat et à la souris avec les autorités de leur pays, essayant de faire en sorte que leurs messages puissent passer, sans que la censure interdise leur film. Par exemple Kiarostami, s’est vu imposé de remplacer une musique de Louis Amstrong par de la musique traditionnelle dans son chef d’oeuvre Le goût de la cerise (Palme d’or à Cannes), et Farhadi s’est vu brutalement retiré son autorisation de tournage alors qu’il tournait Une séparation, qui reste à ce jour le plus grand succès en France du cinéma iranien (le film sortira finalement quand même en Iran).

Ces deux grands cinéastes ont donc subi au long de leur carrière intimidations, menaces, brimades, mais n’ont pas vraiment eu à craindre pour leur sécurité et leur intégrité physique. Ces deux chefs de file se sont aussi, au cours de leur carrière, « évadés » ponctuellement en tournant régulièrement à l’étranger, et plus particulièrement en France, retrouvant ainsi temporairement une totale liberté et pouvant filmer des stars occidentales (Juliette Binoche dans Copie conforme pour Kiarostami, Tahar Rahim et Bérénice Béjo dans Le Passé, Penelope Cruz et Javier Bardem dans Everybody knows, pour Farhadi).

Mohammad Rasoulov (1972-), dont nous allons voir le nouveau film ce soir, était dans une situation bien plus difficile que ses deux illustres collègues dont je viens de parler. Comme un autre très talentueux réalisateur iranien, Jafar Panahi (1960-), qui fut par ailleurs assistant de Kiarostami, Rasoulov persiste lui à tourner en Iran, de façon totalement clandestine, donc sans déclarer son activité et en renonçant totalement à ce que ses films soient vus en Iran, au péril de sa liberté, et même, on peut le dire, de sa vie. Rasoulov a été condamnés de nombreuses fois à la prison, en 2010, 2019, en 2023.

Le 8 mai 2024, il est de nouveau condamné à huit ans de prison, alors que le film que vous allez voir ce soir est sélectionné en compétition pour le Festival de Cannes. Estimant qu’il ne pourra pas supporter cette nouvelle incarcération, il parvient à quitter le pays dans des conditions rocambolesques, parvient en Allemagne, rejoint la France probablement aisé par les Services secrets français et peut assister à la projection de son film à Cannes, dans une ambiance indescriptible, vous pouvez l’imaginer. Il faut souligner que Cannes a toujours soutenu les cinéastes persécutés dans leur pays.

Les principaux films diffusés en France de Rasoulov sont : Au revoir (2011), Les manuscrits en brûlent pas (2013), Un homme intègre (2017), pour moi son meilleur film avant Les graines du figuier sauvage, et enfin Le diable n’existe pas (2020), un film a sketch qui a obtenu l’Ours d’or, la principale récompense au Festival de Berlin. Il faut avoir en tête que toutes les images que vous allez voir ont été tournées furtivement, avec des acteurs et des techniciens recrutés par la bande et qui risquent beaucoup à faire ce film. Rasoulov lui-même était très peu présent sur le tournage pour des raisons de sécurité et donnait souvent ses instructions par talkie-walkie, dissimulé à proximité. C’est assez incroyable quand on voit la qualité exceptionnelle du film, que ce soit en matière d’image, de mise en scène, de jeu des acteurs ou de montage.

D’abord Rasoulov raconte que l’idée du film lors de son dernier séjour en prison. Un groupe de dignitaire du régime s’est approché de lui et l’un d’entre eux lui a offert un stylo et lui a dit : « Je me désole de voir des gens comme vous ici. Je ne sais quoi répondre à ma femme et mes enfants qui m’interrogent sur ce que nous faisons ». Ce qui lui a donné le thème principal du film. Les souvenirs de prison de Rasoulov sont parfois édifiants. Il raconte par exempleque tous les voleurs de sa prison avaient les mains bandées : la charia imposait deleur couper un doigt… avant que les autorités ne les envoient à la clinique d’à côtépour une greffe qui par ailleurs ne prend pas toujours !

Quelques nouvelles maintenant des personnes qui ont contribué au film. La monteuse par exemple, dont on ne connait pas l’identité exacte (les véritables noms de l’équipe technique ne figure pas au générique), est restée en Iran, mais ne collabore plus qu’aux films qui se réalisent sans autorisation. C’est une façon de résister pour elle : « Accepter de travailler dans le cadre de la censure est une sorte de collaboration », dit-elle dans un article du Monde. Une prise de risque de plus en plus fréquente, malgré les risques encourus : 71 films iraniens clandestins auraient été envoyés à Cannes cette année !

Le chef opérateur du film a eu une descente de police dans son bureau et tout son matériel a été confisqué. Il ne peut plus travailler et il est sous pression constante. Les deux acteurs principaux, le juge (Mizagh Zare) et sa femme (Soheila Golestani), sont toujours en Iran, et sont bien sûr sous la menace d’un emprisonnement. Rasoulov a d’ailleurs brandi leur 2 photos lors de sa montée des marches à Cannes.

Les trois plus jeunes actrices du film (les deux filles du couple et leur copine blessée à l’oeil) ont quitté le pays et vivent désormais à Berlin. Elles racontent que le tournage, avec une équipe d’une vingtaine de personne, s’est déroulé de janvier à mars de cette année, dans la plus grande discrétion. Elles racontent qu’elles n’en ont parlé à leur proche par précaution. Se sentant menacées, elles fuient le pays au printemps, sans même saluer leur famille, laissant téléphones portables et tout appareil électronique derrière elles.

Le destin du juge peut être vu comme une métaphore de l’évolution (et de la dégradation progressive) du régime jusqu’à une fin désirée par Rasoulov et la majorité de la société iranienne. Le film évolue ainsi du confinement oppressant de l’appartement au grands espaces de la libération, qui finissent par voir le tyran mis à terre (et même en terre, sans qu’on ait à lui tirer dessus). Le pacte « faustien » dont on voit la signature dans les premiers plan (pervertir les relations humaines sur une base religieuse jusqu’à se faire détester par tous, pour acquérir pouvoir et confort) est celui du juge, mais n’est-ce pas aussi l’évolution du régime depuis la Révolution ?

Un des points remarquables du film ce sont les changements de registre successifs : d’abord chronique familiale et sociale assez classique, puis suspense psychologique à la Hitchcock (whodunit ? qui l’a fait ?), puis séance de torture psychologique (l’interrogatoire insoutenable, qui marque le point du basculement du film, le moment où le juge franchit un point de non-retour avec sa famille), puis road movie à travers le pays (les films tournés dans les voitures ne se comptent plus dans le cinéma iranien, ex : Le goût de la cerise, Taxi Téhéran, Querelles, Hit the road), puis quasi-film d’action horrifique dans la maison, puis western final dans un décor incroyable. C’est comme si le film « encapsulait » dans sa trame narrative plusieurs « micro- films » documentant de façon la plus complète possible la situation générale de la société iranienne contemporaine.

Un autre point remarquable du film à mon sens est le portrait de la mère, qui tente désespérément de concilier l’inconciliable,toujours sur un fil en essayant de résoudre les paradoxes à son échelle (son mari vsses filles, la nécessité de respectabilité vs l’empathie avec la jeune blessée, l’intérieur vs l’extérieur, le passé vs le futur). De tenir la cellule familiale vivante malgré les tensions qui menacent de la désintégrer.

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Les graines du figuier sauvage

Sensation du dernier Festival de Cannes (beaucoup voyait en lui la Palme d'or), le nouveau film de Mohammad Rasoulof est remarquable.

Comme souvent dans les films iraniens, le scénario est un bijou de thriller psychologique. Nous entrons dans une famille de la classe moyenne : le père est juge (donc proche du régime), les filles sont des jeunes de leur temps, adeptes des réseaux sociaux, et la mère essaye de ménager les bonnes relations entre tous. Les choses se gâtent quand l'arme du juge disparaît mystérieusement, alors qu'une amie de l'ainée des filles est blessée lors d'une manifestation. 

Sur cette base solide, Rasoulof déploie une intrigue qui tient en haleine le spectateur durant toute la durée du film (2h46 tout de même). Les graines du figuier sauvage est donc successivement (et parfois alternativement) un drame social, une chronique familiale, un huis-clos oppressant, un suspens psychologique, un thriller horrifique et un western. 

Il y a quelque chose de réellement fascinant dans le contraste entre l'extrême qualité du film (la direction d'acteurs exceptionnelle, l'écriture imparable, la mise en scène d'une efficacité rare) et les conditions précaires dans lequel il a été tourné : une clandestinité complète, Rasoulof étant lui-même souvent absent du lieu de tournage, et des moyens ridiculement faibles.

On ne peut que frissonner d'admiration devant le talent d'un homme qui parvient à un tel niveau de maîtrise dans l'exercice de son art, alors que sa liberté est menacée par un des pires régimes de la planète.

Le film, qui brille par sa capacité à nous égarer, culmine dans une scène d'anthologie, véritable pivot du film, qui restera longtemps dans le coeur de chacun des spectateurs. Cette scène d'interrogatoire fait basculer les personnages dans une nouvelle histoire, et donne au film une tonalité encore plus grave.

Bien au-delà d'une oeuvre didactique en hommage au mouvement Femme Vie Liberté (ce que le film est tout de même, mais indirectement), Les graines du figuier sauvage est un véritable chef d'oeuvre, déstabilisant et émouvant, qui culmine dans un final d'anthologie.

Un sommet de l'année, sans aucun doute.

Mohammad Rasoulof sur Christoblog : Au revoir - 2011 (***) / Un homme intègre - 2017 (***) / Le diable n'existe pas - 2020 (**)

 

4e

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Le diable n'existe pas

Le nouvel opus de Mohammad Rasoulof enfonce des portes ouvertes d'un point de vue moral : la peine de mort c'est mal, demander à des conscrits d'être les bourreaux c'est pas cool, et faire exécuter des opposants politiques par des innocents qui veulent juste une perm, c'est pire.

Les scénarios des quatre histoires complètement indépendantes qui composent ce film avancent comme des chars d'assaut, autour de ces quelques idées édifiantes. Leur effets sont tellement calculés qu'ils en paraissent au pire putassiers façon Michel Franco (le premier segment), au mieux simplement prévisibles et tristement sentimentaux (le troisième et le quatrième).

C'est le second chapitre qui m'a vraiment intéressé : il y a dans le huis clos du dortoir une vraie tension psychologique, puis dans la deuxième partie une effervescence sauvage qui rappelle un peu le très bon La loi de Téhéran, qui lui aussi traite (en partie) de la peine de mort, avec une autre puissance.

Pas le meilleur Rasoulof, loin s'en faut. Un homme intègre et Au revoir possédaient une profondeur psychologique bien supérieure. On peut supposer que l'Ours d'or lui a été donné sur une base plus politique qu'artistique.

Son film suivant (Les graines du figuier sauvage) sera, lui, un chef-d'oeuvre.

 

2e

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Un homme intègre

Les références que convoque le dernier film de Mohammad Rasoulof sont plutôt flatteuses : l'argument ressemble en partie à celui du chef d'oeuvre de Zvyagintsev Leviathan (la lutte du pot de terre contre le pot de fer, en pays corrompu) , alors que le style, à base d'ellipses délibérées, évoque irrésistiblement celui de Farhadi, en particulier dans Une séparation.

Un homme intègre est un poil moins convaincant que les films précédemment évoqués, principalement parce que l'interprétation de l'acteur principal est trop monocorde. Il constitue toutefois une pièce de choix, qui révèle son intérêt principalement dans la dernière partie. 

Pour résumer le propos sans déflorer l'intrigue plus que nécessaire, on dira que l'homme juste doit réfléchir à deux fois à ce qu'il fait (d'une part) et que l'apparence est parfois bien éloignée de la réalité (d'autre part). Vous pouvez penser qu'il s'agit là de bien communes banalités, mais le mérite de Rasoulof est d'en fournir une illustration complexe, en multipliant les fausses pistes. 

Le film a de nombreuses qualités : il dresse un tableau saisissant de l'Iran contemporain (corruption à tous les étages), joue avec la notion de bien et de mal sur un mode dostoïevkien, et bénéficie d'une qualité de photographie et de mise en scène évidente.

A ne pas rater pour les amoureux de cinéma iranien.

 

3e

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Au revoir

Après l'excellent Une séparation, l'Iran continue de nous prouver qu'il est une grande terre de cinéma.

Au revoir fut l'invité de dernière minute du dernier festival de Cannes.  Le projecteur s'est braqué dans un premier temps sur lui parce qu'il a été tourné dans la semi-clandestinité, mais les spectateurs et les critiques l'ont rapidement apprécié simplement pour ce qu'il est. Il a décroché le prix de la mise en scène dans la section Un certain regard.

Le synopsis du film est simple : une femme enceinte, avocate déchue, vit seule car son mari journaliste vit dans la clandestinité. Elle cherche à quitter le pays : y parviendra-t-elle ?

Avec une économie de moyen extrême, le réalisateur Mohammad Rasoulof parvient à réaliser une oeuvre d'une beauté plastique à couper le souffle. Pas un plan qui ne soit remarquable de ce point de vue. La photographie est superbe et magnifie l'actrice principale, dont le visage évoque irrésistiblement celui d'une Madonne.

Privé d'effets spéciaux, le film tire parti du moindre objet, de la moindre circonstance, pour inventer de la mise en scène : une seringue, une couverture, un pan de mur, des portes qui s'ouvrent ou se ferment, une tortue, un ascenseur, un miroir... L'intelligence créatrice qui irrigue le cinéma de Farhadi, le réalisateur d'Une séparation, semble ici de la même nature : sensuelle et sensitive. La bande-son est absolument remarquable.

Le film montre (ou plutôt fait ressentir) parfaitement l'oppression au quotidien, les pots de vin, les difficultés financières. Il le fait avec une justesse de ton remarquable. Le rythme n'est pas très enlevé, ce qui ne gâte pas le film, mais le rend un peu moins facile d'accès que les tourbillons intellectuels de Farhadi.

Je vous conseille vivement ce film.

 

3e

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