Formidable film que ce premier long-métrage de Jean-Baptiste Durand.
Raphaël Quenard et Anthony Bajon y joue une partition parfaite, le premier avec son accent inimitable, ses trouvailles sémantiques et poétiques, le second dans ce style physique, taciturne et sensible qui lui va si bien (on pense bien sûr à La prière).
Ces deux amis zonent dans un village de l'Hérault, entre petites combines, projets fumeux, rap et difficultés familiales... jusqu'à ce que l'arrivée d'Elsa (excellente Galatea Bellugi) entame la complicité des deux compères.
Tout dans Chien de la casse est intéressant et respire l'intelligence : le scénario sinueux, la précision avec laquelle sont dessinés les seconds rôles, l'utilisation des décors naturels, la fin touchante et sensible.
Je recommande chaudement ce film qui confirme le talent écrasant de Raphaël Quenard et révèle au grand jour celui de Jean-Baptiste Durand.
Si la référence n'était pas si pesante, je dirais volontiers que Le temps d'aimer évoque pour moi le cinéma de Douglas Sirk : profondeur des sentiments, écoulement du temps, sentiment du destin qui écrase et parfois libère ses personnages, nuances dans l'écriture et la mise en scène, acuité dans l'exposition des moments qui marquent (et parfois changent) une vie.
Oui, le nouveau film de Katell Quillévéré est un formidable mélodrame "à l'ancienne", qui traite de problématiques plutôt modernes : le mélange est étonnant, et bien que sage (peut-être un poil trop), souvent émouvant.
Au service de l'émotion que génère le film se trouve l'interprétation absolument parfaite d'Anaïs Demoustier et de Vincent Lacoste. Si la première est coutumière des éloges sur Christoblog (je ne suis pas loin de penser qu'elle est avec Virginie Efira la meilleure actrice française actuelle), le deuxième recueille ici le premier total satisfecit. Il est absolument renversant de sensibilité contenue.
2023 se termine en beauté pour le cinéma français, qui aura proposé cette année une pléiade de très bons films, parmi lesquels je retiens surtout, outre le Temps d'aimer, Au revoir Paris, Rien à perdre et Je verrai toujours vos visages.
Allez-y si vous aimez les mélodrames bien dosés au long cours.
Katell Quillévéré sur Christoblog : Suzanne - 2013 (****)
La filmographie de Virginie Efira devient passionnante. L'actrice, au faîte de sa renommée, choisit de plus en plus ses films, offrant à des réalisateurs/trices méconnus son image bankable et la garantie d'un certain nombre d'entrées.
Delphine Deloget, dont c'est le premier long-métrage, bénéficie ainsi d'une tête de gondole haut de gamme, pour illustrer un scénario formidable qu'elle a elle-même écrit. Virginie Efira est par ailleurs entourée d'un casting d'une qualité irréprochable : Félix Lefebvre, Mathieu Demy, Arieh Worthalter et India Hair sont absolument parfaits.
Rien à perdre brille par de nombreux aspects. Sa principale qualité est un scénario d'une finesse incroyable. Dans cette histoire d'enfant dont les services sociaux pensent qu'il est peut-être en situation de danger, on passe alternativement par plusieurs états d'âmes, adoptant alternativement les différents points de vue.
Chaque personnage du film agit avec profondeur, aucune situation n'est traitée avec vulgarité ou facilité, et on est souvent surpris par le développement d'une situation.
L'émotion n'est jamais loin, servi par le jeu à fleur de peau de Virginie Efira, qui atteint encore ici des sommets.
Il y a dans ce premier film une concision, une puissance et une maîtrise qui forcent le respect.
Son intrigue est pourtant minimaliste : trois jeunes filles anglaises se rendent dans un club en Crète dans le but de faire la fête (en réalité, boire assez d'alcool pour vomir) et si possible perdre leur virginité.
C'est sur le papier peu de chose, mais la réalisatrice Molly Manning Walker parvient à transformer ces quelques jours en une Odyssée qui va entraîner l'héroïne principale, Tara, formidablement interprétée par Mia McKenna-Bruce, dans des contrées mentales très contrastées.
La folle excitation, le plaisir de l'amitié, les rencontres d'humains malfaisants ou bienfaisants, de semi-divinités, la tristesse, la mélancolie, le dégoût de soi, la peur de l'avenir, les regrets : toutes ces étapes vont être émotionnellement parcourues par Tara, dans une succession de décors moches et magnifiquement filmés qui donnent au film une coloration presque mythologique.
Les boîtes de nuit, la plage, la rue jonchée de détritus (vision d'apocalypse), la villa-paradis, les mini-chambres dans lesquels on grapille quelques minutes de sommeil, les rues désertes, les poubelles derrière lesquelles on se soulage : ce sont les stations du chemin de croix de Tara, qui la conduisent de l'enfance à l'âge adulte.
J'ai rarement vu dans un premier film une mise en scène aussi parfaite (la référence qui me vient instinctivement est le premier film de Soderbergh, Sexe, mensonges et video), épousant aussi parfaitement les contours de la géographie mentale de ses personnages, tout en étant au plus proche des corps dans une sorte de proximité permanente, souvent admirable, parfois claustrophique.
Il faut enfin signaler l'extrême délicatesse avec laquelle le film traite son sujet de la première relation sexuelle, à la fois terrible et élusive, profondément émouvante.
Il y a dans ce film, réalisé avec trois bouts de ficelle, une tendresse et un ton profondément sympathiques.
Le réalisateur, Martin Jauvat, met en scène deux jeunes glandeurs de banlieue (joués par lui-même et Mahamadou Sangaré), qui errent toute une nuit dans la très grande banlieue parisienne, cherchant à percer le mystère d'un artefact mystérieux qu'ils ont trouvé sur un chantier du Grand Paris express.
Leurs pérégrinations prend ainsi l'apparence d'une odyssée nocturne, de RER en terrain vague, de bus en engin spatial. Tout cela respire une sorte de poésie urbaine réduite à l'os, qui imprègne les paysages et les personnages. Les scènes lors desquelles notre duo croise la route de l'improbable Amin (excellent William Lebghil) et de son incroyable véhicule sont vraiment délicieuses. Quand les trois compères rejoignent Momo, alias Sébastien "Irresponsable" Chassagne, on est saisit par une douce euphorie tellement ces scènes sont tendrement drôles.
Si Grand paris peine à entraîner une adhésion absolument totale (son manque de moyens est parfois pénalisant, il a du mal à tenir la longueur d'un long-métrage), il constitue un essai prometteur qui poussera à suivre la carrière de son jeune réalisateur.
Le projet d'Ainara Veira est très intéressant. On suit la trajectoire de deux soeurs : l'une navigue en Arctique pour convoyer des voyageurs, l'autre vient d'être mère dans le Sud de la France, à sa sortie de prison.
Toutes les deux s'aiment beaucoup sans pouvoir se le dire et traversent de nombreuses situations difficiles, dans l'ombre tutélaire et complexe d'une mère ayant connu de grandes difficultés elle aussi.
L'originalité du projet est sa facture. La caméra d'Ainara Veira colle aux visages des protagonistes, sans donner aucun élément de contexte. On ne sait ainsi jamais vraiment où l'on se trouve, ni à quel moment, ni dans quel contexte. Le tournage ayant duré plus de deux ans, les repères temporels sont complètement brouillés. Les personnages tiers, même présents dans les scènes (le conducteur de la voiture qui emmène les deux soeurs, le compagnon nordique d'Hayat) ne sont pas montrés et se résument à de vagues silhouettes fantômatiques.
Le résultat est saisissant : alors que Polaris est de nature documentaire (il s'agit d'un portrait de vraies personnes), le résultat final est proche d'une oeuvre conceptuelle (j'ai pensé au cinéma de Lucien Castaing-Taylor et Verena Paravel). L'impression générale est celle d'un tableau mélancolique et sensoriel de solitudes qui se frottent et parfois s'entrechoquent.
Voici un exemple quasiment parfait de scénario très intéressant, platement mis en scène, et peu incarné.
Sur le papier, De grandes espérances est en effet très prometteur : une histoire complexe, une description de plusieurs milieux dont la confrontation est intéressante (les étudiants de l'ENA possédés par la politique, une jeune femme issue d'un milieu très modeste, une famille bourgeoise), des évolutions de personnages sur la durée, un cas de conscience qui tourne au thriller psychologique, un beau casting.
Bref, quelque chose qui pourrait ressembler, dans l'idéal, à un épisode de Baron noir réalisé par Krzysztof Kieslowski.
Mais hélas, si le film se laisse regarder, il déçoit un peu par sa platitude atone. Le sentiment de réalité ne s'impose jamais avec force, et j'ai eu l'impression étrange de suivre la mise en image d'un scénario écrit, à l'image de la scène décisive se déroulant en Corse, manquant de souffle et de tension.
Je n'ai pas trouvé le couple Rebecca Marder / Benjamin Lavernhe très convaincant, et si Emmanuelle Bercot est excellente en femme cherchant à devenir ministre, il m'a semblé que les dialogues en rapport avec la politique sonnaient souvent un peu faux.
Pas désagréable et très bien écrit, mais trop appliqué pour convaincre totalement.
Il a fallu à Tran Anh Hung une audace incroyable pour développer le projet de ce film. Résumons les difficultés : le sujet n'est absolument pas dans l'air du temps (la gastronomie "à l'ancienne", c'est à dire où l'on mange des ortolans plutôt que du quinoa bio), le titre semble conçu pour donner une image la plus ringarde possible, et l'intrigue est tirée d'un obscur livre écrit par un Suisse complètement inconnu en 1924.
Autrement dit, et sans même qu'ils aient eu besoin de voir le film, on pouvait être à peu près sûr que les critiques avertis de la presse branchée allaient détester, ce qui ne manqua pas.
Beaucoup d'observateurs cannois s'insurgèrent du prix de la mise en scène remis au franco-vietnamien. Il faut pourtant avoir une sacré dose de mauvaise foi, ou une belle couche de cochonnerie sur ses lunettes, pour ne pas voir l'incroyable virtuosité de l'unique caméra avec laquelle le film est tourné : elle tournoie dans les espaces exigus du château avec une souplesse de reptile, flotte dans l'air vaporeux comme un ange le ferait (sublime repas au bord de l'eau) et plane dans le jardin comme un insecte complice. Il y a dans La passion de Dodin Bouffant parmi les plus beaux moments de toute cette année de cinéma.
Au-delà de cette magnifique leçon de mise en scène, le film est aussi un beau tableau de sentiments peu à la mode : le développement d'un amour sensuel et respectueux, la passion existentielle pour le bien-manger, où pour le dire autrement, la concrétisation d'une certaine idée de la transcendance dans les assiettes. Jamais une oeuvre ne m'a fait autant ressentir ces émotions, souvent jusqu'aux larmes.
Binoche et Magimel, outre la lugubre et tendre résonance que leur ancienne histoire personnelle donne au film, sont proches de la perfection, et constituent pour moi ici le couple le plus puissant du cinéma français actuel.
La passion de Dodin Bouffant est aussi plein de suspense : c'est un spectacle total, parfois aussi morbide qu'exaltant, qui interpelle toutes nos capacités sensorielles, émotionnelles et cognitives.
Son non-conformisme exacerbé, dissimulé sous un faux air d'académisme qui peut rappeler aux spectateurs superficiels Le festin de Babette, permet de juger le véritable sens critique du spectateur : qui aime assez le cinéma pour pénétrer jusqu'au coeur battant du film, dépassant ses préjugés ?
Le nouveau film de Monia Chokri est certes une comédie parfaitement huilée, mais c'est aussi plus que cela : une comédie romantique, une fine description de trois classes sociales très différentes, une apologie de la sensualité et un beau portrait de femme.
Simple comme Sylvain décrit l'amour entre deux personnes de milieux très différents comme peu de films ont réussi à le faire ces dernières années : dans des genres différents, j'ai pensé à La vie d'Adèle et au magnifique Pas son genre, de Lucas Belvaux.
Pour ce faire Monia Chokri utilise des procédés stylistiques qui ne reculent pas devant une certaine vulgarité volontaire (l'ombre de Xavier Dolan, pour qui elle a joué plusieurs fois, surplombe parfois le film) et un subtil décalage qui fait mine de singer l'émotion pour mieux la provoquer.
Il y a une foi en la magie du cinéma dans la démarche de la réalisatrice québécoise qui rend son film éminemment sympathique, en plus d'être tout simplement très bon, léger et profond à la fois.
L'intérêt N°1 du film, qui mérite à lui seul qu'on se déplace pour le voir, c'est tout ce qu'on apprend sur la jeunesse de l'abbé Pierre.
En vrac, on découvre que l'icône a connu l'amour charnel pendant la guerre avec une veuve, qu'il a laissé un traître se faire exécuter devant lui dans le maquis, qu'il a donné du cyanure à certains Juifs qu'il ne pouvait pas sauver, qu'il a été addict aux amphétamines avant d'être interné en établissement psychiatrique, etc. J'ai découvert également avec curiosité l'importance de Lucie Coutaz dans le destin de l'abbé Pierre.
Comme l'écriture est assez claire et le montage vif, on se laisse entraîner avec une certaine émotion dans le flux de cette destinée, parfois réalisée avec beaucoup d'efficacité (l'hiver 54) et à d'autres moments un peu plus poussive (la dernière partie). Frédéric Tellier évite l'hagiographie trop appuyée, et montre assez bien comment l'obstination de son personnage principal n'est pas toujours des plus efficaces.
On peut regretter que le réalisateur, comme à son habitude, ne fasse pas dans la dentelle en matière de mise en scène. L'abbé Pierre est en effet parsemé de procédés aux goût douteux (les montages alternés bien lourds du début, les visions "mystiques" avec vortex dans le ciel, les split screens pas forcément opportuns).
En ce qui me concerne les qualités du film l'emportent toutefois sur ces quelques défauts, et Benjamin Lavernhe y est pour beaucoup.
Frédéric Tellier sur Christoblog : L'affaire SK1 - 2013 (**)
Second tour n'est certes pas le meilleur Dupontel, mais il faut reconnaître que ce dernier parvient, même dans ses oeuvres mineures, à distiller la même petite musique qui associe plaisir de raconter et performance d'acteur.
Ce que raconte Second tour est abracadabrant, mais les qualités d'écriture de Dupontel transforme la matière brute du film en aventure picaresque. On éprouve un plaisir presque enfantin à suivre Cécile de France et Nicolas Marié dans leur exploration rationnelle d'une situation qui ne l'est pas. Ces deux-là livrent une prestation absolument délicieuse, alors que Dupontel lui-même, égal à lui-même, manie toutes les nuances de la bienveillance apeurée.
La mise en scène est aussi barrée que d'habitude (ah, ces mouvements de caméra d'un goût douteux, ici inspirées par les abeilles et les rapaces), mais elle se marie assez bien au style de l'histoire. La charge politique est discrète mais bien présente dans un final intéressant et doux-amer.
Le nouveau film du duo Ann Sirot et Raphaël Balboni (Une vie démente, Trop Belge pour toi) est une comédie décalée et tendre, au rythme plaisant.
La mise en place est rapide et particulièrement loufoque. Sandra et Rémi n'arrivent pas à avoir d'enfant, mais un congrès de chercheurs à Seattle apporte une lueur d'espoir : si les deux partenaires recouchent avec tous leurs ex, alors les choses peuvent changer !
Le sujet est graveleux (elle a sur le papier en gros 25 "missions" à concrétiser, alors que lui n'en a que 3) et on pourrait craindre un traitement un peu lourd. Hors le film est tout l'inverse : il est léger, tendre, cocasse et souvent poétique. Les problèmes habituels liés à la sexualité (ego, jalousie) semblent ici ne pas exister, ce qui donne au film une tonalité d'étrange bienveillance, très agréable.
Les actes sexuels sont tous évoqués sous formes de chorégraphies sensuelles un peu décalées et très réussies. La fin de l'histoire n'est évidemment pas du tout celle à laquelle on s'attend (même s'il y est question d'enfants). On sort de la séance régénérés et de bonne humeur.
Très belle découverte que ce long-métrage d'Anna Novion, pour l'instant principalement connue pour avoir réalisé plusieurs épisodes du Bureau des légendes.
Le sujet du film peut paraître au premier abord rébarbatif si vous avez de cuisants souvenirs de cours de mathématiques dans votre jeunesse, puisqu'il va être ici question de la passion qu'entretiennent plusieurs personnages pour la démonstration de la fameuse conjecture de Goldbach ("Tout nombre pair peut s'écrire comme la somme de deux nombres premiers").
Il faut l'interprétation délicate et incarnée de la jeune actrice Ella Rumpf pour rendre sensible l'isolement terrible que génère la recherche et le monde des mathématiques de haut niveau, qui n'a jamais été aussi bien rendu que dans ce film intelligent et subtil.
La ténacité et la rectitude du personnage de Marguerite en fait une héroïne féministe de première ampleur, avançant dans la vie avec une pugnacité et une détermination étonnante, à l'image de son abordage du gentil et innocent Yannis.
Un film étonnant et diablement intéressant, qui complète une année faste pour la représentation des grandes écoles dans le cinéma français, après La voie royale et De grandes espérances. Signalons enfin que Jean-Pierre Darroussin livre une partition formidable de froide dureté, qui rappelle énormément son personnage du Bureau des légendes.
Voici un Bellocchio très solide, cependant un petit peu en-dessous de ses meilleurs films.
Certes, l'interprétation et la direction artistique sont irréprochables, et la mise en scène est très solide. Mais une fois qu'on a fait ces compliments au film, on a un petit peu tout dit.
Le sujet est formidable. Il s'agit de l'histoire vraie d'un enfant juif arraché à sa famille par le Pape en 1850, au prétexte qu'il aurait été baptisé clandestinement à l'insu des parents par la servante de la famille.
Je m'imaginais Bellocchio explorant avec ferveur et cruauté tous les recoins de cette histoire terrible, creusant dans la psyché des différents protagonistes, éclairé par un anticléricalisme acide. Mais curieusement, le film est d'une facture très classique, au final très sage, illustratif et presque scolaire.
S'il montre bien les mécanismes d'endoctrinement rodés de l'Eglise catholique, et dresse un portrait saisissant du Pape Pie IX, il survole un peu vite un certain nombre de péripéties (la rencontre de l'inquisiteur et de la servante, le faux retournement d'Edgardo lors du transport du corps...).
Moins original et subtil que le dernier film du réalisateur italien (Le traitre) dont l'ampleur narrative était impressionnante, L'enlèvement est typique du film victime d'un sujet captivant qu'il ne parvient pas à dépasser. On aurait aimé approcher de plus près le chemin spirituel et sentimental d'Edgardo.
Le dernier (ultime ?) film d'Hayao Miyazaki me laisse partagé.
J'ai trouvé les premières scènes de l'incendie sublimes. Le travail sur la représentation du feu, la concision diabolique du montage, le travail sur les lumières et les son, les effets de ralentis lors de la course effrénée du jeune garçon : tout respire le génie à plein nez.
Dans la foulée de cette formidable entrée en matière j'étais pleinement disposé à m'extasier et à m'émouvoir, et la première partie du film m'a beaucoup plu, avec ses sublimes paysages aquarellés, ses irruptions délicates de bizarreries (le héron bien sûr, si gracieux, mais aussi les vieilles servantes, les poissons, les grenouilles).
Et puis, petit à petit, Miyazaki m'a perdu. Le dédale de lieux traversés par le jeune Mahito, la profusion de références en tout genre, le manque de cohérence artistique des procédés utilisés : le voyage au-delà du miroir du héros m'a perdu et même parfois ennuyé. Je vois bien les enjeux qu'aborde alors le film, mais ils m'ont parus fastidieusement traités, au travers de processus particulièrement tarabiscotés.
La profonde originalité de Miyazaki, qui consistait pour moi à faire émerger délicatement le merveilleux à la surface du réel, est absente de cette deuxième partie, qui est certes estimable, mais ne génère pas la même émotion que l'ont fait récemment les sublimes Suzume, de Makoto Shinkai, et Belle, de Mamoru Hosoda, les véritables experts de mondes parallèles débridés.
Un autre élément m'a gêné également : j'ai trouvé que la personnalité de Mahito était complètement atone et que son personnage était pauvre en émotion, ce qui ne facilite le travail d'empathie du spectateur.
Je suis peut-être devenu très exigeant avec Miyazaki, mais la pureté formelle et la simplicité apparente d'un film comme Porco Rosso emporte de loin ma préférence.
Avec ce nouveau film, Eric Toledano et Olivier Nakache confirment qu'il sont bien le mètre étalon de la comédie sociétale française, bien troussée et pas vulgaire.
Certes, on n'explose pas de rire à la vision d'Une année difficile, mais on sourit pratiquement tout du long, tellement l'attention portée aux détails et aux personnages est grande.
Comme souvent, le duo parvient à explorer avec beaucoup d'acuité et de tendresse deux thématiques actuelles intéressantes (le surendettement et l'éco-anxiété), tout en décrivant le parcours de personnages auxquels on s'attache instantanément.
Au crédit du film il faut porter l'alchimie du duo Pio Marmaï / Jonathan Cohen, incroyablement efficace, rehaussée par la présence magnétique de Noémie Merland. L'écriture est quant à elle toujours aussi millimétrique.
Un très bon moment sans prétention, dont on sort ragaillardi et de bonne humeur (les séances du générique de fin sont de petites merveilles d'écriture optimiste).
Un vent frais dans l'animation française : voilà ce qui qualifie probablement le mieux le film de Chiara Malta et Sébastien Laudenbach (La jeune fille sans main).
Dans Linda veut du poulet ! tout est pimpant et rafraîchissant : la technique d'animation (originale et très plaisante), l'utilisation des couleurs, le propos (une histoire de petite fille qui fait le deuil de son papa), les personnages et leur voix (Clotilde Hesme, Laetitia Dosch, l'impayable Esteban), l'incroyable inventivité de la bande-son et de ses chansons.
Si on ne peut être que séduit par la cocasserie entraînante de l'ensemble, il manque un petit quelque chose pour que le film soit vraiment exceptionnel (un rythme un peu plus soutenu, un trait un poil plus incisif, une fantaisie encore plus débridée).
Pour ceux qui ne connaissent pas Anselm Kiefer, ce film risque de faire l'effet d'une révélation, tellement la puissance créatrice de l'artiste allemand explose à l'écran.
Wim Wenders choisit une trame qui n'est pas dans les canons du film documentaire. Tour à tour fantaisie poétique (avec une utilisation brillante de la 3D), rêverie philosophique et onirique, reportage sur une oeuvre, biographie et tentative de portrait, Anselm explore de nombreuses pistes.
Le résultat est souvent convaincant, sauf peut-être lors de la dernière demi-heure. En effet, si les différents lieux de l'artiste (le site de Barjac, les ateliers immenses, le Palais des Doges) sont des écrins formidables pour expliquer la démarche de l'artiste, j'ai été beaucoup moins convaincu par les inserts oniriques (le funambule, le petit garçon qui descend de l'échelle) que je trouvent un peu lourdingues et nuisant à la rigueur, il est vrai un peu austère, de l'ensemble.
Cette volonté d'accumuler les strates signifiantes à la lisière de la fiction m'avaient d'ailleurs déjà dérangé dans le documentaire Pina.
Le contenu informatif du film est passionnant : Kiefer s'y exprime peu, mais toutes ses interventions sont marquées par une grande concision et une profondeur habitée. On perçoit assez bien au final la variété des thèmes abordés dans son oeuvre (judaïsme, nazisme, mythologie) et l'importance des influences (Paul Celan, Josef Bueys).
Probablement un des meilleurs films réalisés sur un peintre.
Le dernier (l'ultime ?) film de Martin Scorsese est impressionnant à plus d'un titre.
Sa première grande qualité est certainement la fluidité du récit, la capacité qu'a Scorsese de simplement raconter une histoire, en utilisant tous les artifices d'un cinéma "classique" (décors, mouvements de caméra, styles de narration).
Il n'y a rien de profondément novateur dans Killers of the flower moon, mais on peut probablement utiliser le film pour donner un cours dans une école de cinéma, tant au niveau de la variété d'écriture (par exemple la formidable séquence finale de reconstitution, ou la manière dont les photographies en noir et blanc sont utilisées) que de la mise en scène.
Ce grand talent de raconteur permet à Scorsese d'occuper pleinement les 206 minutes du film de façon satisfaisante. On ne s'ennuie presque pas. Le film a d'autres qualités, parmi lesquelles l'utilisation incroyable de la musique, vraiment de toute beauté, et la très jolie photographie.
Pourtant je ne partage pas l'avis des critiques les plus dithyrambiques, pour la raison suivante : j'ai globalement trouvé que les personnages n'étaient pas dessinés avec beaucoup de subtilité et surtout n'évoluaient pas tout au long du film, ce qui entraîne de longues plages de stagnation narrative.
Ernest par exemple, joué par Leonardo di Caprio, est un benêt sous influence qui commet les pires atrocités sans états d'âme apparents : j'avoue que j'ai eu du mal à entrer dans son jeu, marqué par une moue un peu trop démonstrative à mon goût.
Je pourrais multiplier les exemples concernant les autres personnages, mais c'est surtout la peinture que le film fait de la communauté indienne qui me dérange le plus : passive, quasiment complice de sa propre disparition (à l'image du personnage sacrifié de Mollie qui semble pardonner à son mari l'assassinat de ses soeurs) et monolithique.
Pour résumer, le film se laisse voir semble déplaisir, mais aurait gagné à caractériser plus finement ses personnages.
Cédric Kahn propose dans son dernier film une plongée en apnée dans le fameux procès en appel de Pierre Goldman, militant d'extrême gauche (et accessoirement demi-frère de Jean-Jacques Goldman, qu'on voit brièvement dans le public, joué par le jeune Ulysse Dutilloy).
L'intérêt du film réside avant tout dans la performance hors du commun de l'acteur Arieh Worthalter, qui campe un Goldman incroyablement sûr de lui et provocateur. Il est superbement horripilant.
La mise en scène clinique de ce quasi huis-clos (le film se déroule presque exclusivement dans la salle de tribunal) génère un sentiment de réalité assez inhabituel. On est littéralement immergé dans ce procès dont le public semble découvrir en même temps que nous les rebondissements.
Le sujet entre en résonance avec la situation actuelle de la France (la police, le racisme, l'antisémitisme, le terrorisme, les inégalités sociales) et on est rivé à cette histoire qui entremêle avec habileté portrait psychologique, suspense et chronique historique.
Un grand film dans lequel Arthur Harari, co-scénariste de Anatomie d'une chute, joue le rôle de l'avocat Georges Kiejman : une année de films de procès pour lui !