Le fils de Saul, Grand Prix du dernier Festival de Cannes, est de cette étoffe dont on fait les Palmes d'Or.
Nul doute en effet que l'unanimité se serait aussitôt faite autour du film de Laszlo Nemes, s'il avait remporté la récompense suprême.
Rappelons brièvement le sujet du film. Saul, Sonderkommando (c'est à dire déporté chargé de conduire les nouveaux arrivants vers les chambres à gaz), croit reconnaître son fils dans un cadavre d'enfant, et cherche à l'enterrer. On le suit pendant une journée et demi dans un camp d'extermination.
Sur cette trame franchement casse-gueule, le jeune hongrois réussit un chef-d'oeuvre, en évitant soigneusement tous les écueils possibles. Le film n'est ni voyeuriste, ni affecté, ni provocateur. Il réussit le prodige de réunir à peu près toutes les bénédictions des connaisseurs de la Shoah et des cinéphiles, à part bien sûr les Cahiers du cinéma, qui confirment leur statut de hater de la presse écrite, en comparant le film à l'émission de télé-réalité Vis ma vie.
Nemes utilise un procédé qui peut paraître artificiel lorsqu'on le décrit (la caméra reste perpétuellement attaché au personnage de Saul, et les horreurs entrevues en arrière-plan sont souvent floues), mais qui à la vision du film provoque un effet de sidération naturel et haletant, tout à fait hors du commun. Contrairement à ce qui est dit ici où là, cette façon d'être concentré sur le personnage principal n'évoque pas le jeu vidéo, dans lequel la profondeur de champ est forcément plus grande, mais plutôt une sorte d'asphyxie mentale, à laquelle seuls les derniers plans permettront d'échapper.
L'impression qu'on a en découvrant le film est que Nemes a trouvé la seule façon acceptable de filmer son histoire.
D'un point de vue artistique, la performance est sidérante. La prestation de Géza Rohrig est inouïe, la complexité de construction des plans invraisemblable. Tout m'a semblé incroyablement parfait et novateur dans la conception du film, de l'utilisation du format carré à la bande-son d'une brutalité prodigieuse.
Les superlatifs se bousculent sur le clavier pour évoquer cet objet qui est autant une expérience de vie que du cinéma. Comme beaucoup d'autres j'imagine, je suis sorti de la salle hébété, abasourdi par le sentiment de précarité de la vie humaine que procure le film : on meurt évidemment pour (un) rien dans le film, et Saul ne s'en tire à chaque fois que par l'adéquation miraculeux de son comportement à des règles du jeu inhumaines.
Le fils de Saul, c'est un voyage dans un train de l'horreur lancé à vive allure, une sorte de parcours initiatique dans les Cercles de l'enfer, dans lesquels brille, fragile et indestructible, une petite flamme d'humanité. C'est aussi et surtout un moment incroyable de cinéma, indépendamment, osons-le dire, du sujet qu'il traite.