Désireux de découvrir le cinéma du jeune Jacques Audiard (je ne connais aucun de ses quatre premiers films) j'ai enfin profité de mon abonnement OCS en visionnant Sur mes lèvres.
Je ne vais pas tourner autour du pot : j'ai ressenti un véritable choc esthétique à la vue de cette chronique à la fois sensuelle et poétique.
La mise en scène est d'abord incroyablement inventive et cohérente. Les effets de manche que certains peuvent juger vulgaires chez Audiard trouvent ici leur pleine justification à travers la matérialisation des problèmes d'audition de Carla. Le film parvient miraculeusement à faire ressentir son handicap par des astuces dans la bande-son et dans l'image, mais aussi dans la mise en scène.
Le casting est l'autre point fort du film : Vincent Cassel, Emmanuelle Devos et Olivier Gourmet trouvent ici tous les trois peut-être leur meilleur rôle. Devos compose un personnage emprunté et sensuel qui ne ressemble pas du tout à ceux qu'elle jouera abondamment par la suite, Cassel dégage une énergie et une animalité rare et Gourmet est inquiétant comme jamais.
Sur mes lèvres brille enfin par son scénario redoutablement efficace, au rythme tour à tour alangui et haletant. Du grand art, et pour moi le meilleur Audiard.
Voici un film qui ne présente aucun défaut majeur. Ni aucune qualité notable.
J'ai donc beaucoup de mal à en dire du mal : l'interprétation est très solide (Emmanuelle Devos et Grégory Montel sauvent le film), la mise en scène inodore, le scénario inoffensif.
J'ai aussi du mal à en dire du bien : le film ne présente quasiment aucun intérêt, à part celui d'être dans une salle de cinéma à regarder une histoire sans grands enjeux, sans sexe, sans amour, sans violence, sans exposition de la réalité sociale contemporaine, sans suspense mais raisonnablement bien filmée.
Le film s'égare un peu entre différents sujets anodins (le père divorcé en mal de reconnaissance, l'anosmie comme maladie professionnelle). Comme c'est fait avec beaucoup de conscience professionnelle et de modestie, Les parfums nous incite à la bienveillance critique.
Il y a quelque chose de profondément réjouissant dans La vie domestique, c'est la noirceur totale du propos, qui décrit exactement des situtations de vie que nous avons tous déjà vécu.
Ainsi, nous voyons sur grand écran des horreurs domestiques que nous avons subies ou proférées : remarques sourdement sexistes, poids lancinant de l'habitude, contrariétés récurrentes du quotidien, écoulement inéxorable du temps, compromissions sociales inavouables...
Si l'on craint parfois que le film ne s'enfonce dans des facilités un peu expéditives manipulant des personnages archétypaux (la scène de début) ou des intrigues secondaires un peu éculées (la petite fille enlevée), force est de constater qu'au final la réalisatrice Isabelle Scajka parvient à dessiner une carte contemporaine des aliénations tout à fait précise et souvent jouissive.
La vie domestique ne ressemble ainsi à rien de connu, sorte de Desesperate housewives banlieusardes sous Lexomyl, cauchemard éveillé dans lequel les pots de confitures tombent des sacs de supermarché, et dans lequel les maris jettent de l'Agnès Obel à la face de leur épouse au petit déjeuner (mais c'est toi la plus belle, maman, heureusement).
Vertige de la quotidienneté cotonneuse et meurtrière, La vie domestique vous cueille au creux de vos plus insignes faiblesses. Une prouesse.
Faire un film pour une actrice présente toujours un risque : que le reste soit nul.
Et c'est effectivement ce qui se passe ici.
Prenons Gabriel Byrne : il est passablement ridicule dans son costume un peu trop cintré, passant d'obscurs coups de fil, légèrement ventripotent, avec le charisme d'une huître en fin de vie. Qui peut raisonablement tomber amoureux d'une barrique aux cheveux pas net, à l'élocution difficile, au sourire rare et qui au plus fort de l'amour ne condescend qu'à déboutonner le deuxième bouton de sa chemise ? Personne.
Et la musique ! Pourquoi ponctuer certaines scènes d'une musique classique bien signifiante ? Autant embaucher un figurant qui viendra ajouter un panneau "Emotions, pleurez" sous le nez de la caméra, ce sera plus simple.
Quand aux décors de la fête de la musique, il sont passablement ridicules, et notre couple d'amoureux écoute les concerts de musique exotique avec autant de conviction que le Pape un concert de heavy metal. Tout sonne faux dans le film, des grosses ficelles du scénario (ah, l'oubli opportun de la batterie de portable) jusqu'aux seconds rôles.
Alors oui, Emmanuelle Devos est bien, mais pour le coup je souhaitais plutôt voir un film que contempler une icône patiemment dessinée par un cinéaste amoureux.
Il arrive que des acteurs portent un film d'un bout à l'autre. Dans A l'origine, c'est exactement l'inverse : François Cluzet saborde le film du début à la fin.
Le film est basé sur des faits réels : un escroc fait croire à toute une région qu'une autoroute abandonnée va bientôt être remise en construction. Il prend la tête du chantier et construit effectivement un bout d'autoroute, égrenant au passage fausses factures et chèques en bois.
Des faits réels qui deviennent non crédibles : Cluzet l'a fait ! Il commence par une heure de non jeu. C'est assez simple : il s'agit, quoiqu'il arrive (par exemple Emmanuelle Devos a envie de faire l'amour avec vous) d'afficher un masque impassible et buté, en prononçant le moins de paroles possible.
Comment un escroc peut il être escroc sans être un tout petit peu comédien ? On ne le saura pas (des images de Catch me if you can me traverse l'esprit, là au moins on y croyait). Dans un deuxième temps, il s'agit de faire croire que l'on croit aux sentiments, à la solidarité, etc... Solution de Cluzet : sourire à chaque plan (mais là Emmanuelle Devos s'en va, et on la comprend). C'est binaire, et on ne peut simplement pas y croire.
C'est d'autant plus dommage que le scénario en lui-même tenait la route et que les autres acteurs sont bons : Vincent Rottiers, dont on n'a pas fini de parler, Emmanuelle Devos (Ah...). La fin du film est affligeante et sombre dans le pathétique franchouillard : visite improbable au siège de la société (comment peut il entrer et sortir en vêtement de chantier d'un immeuble de la Défense ?), accident de pelleteuse. Même un apprenti scénariste n'aurait pas transformé de petites ficelles en si grosses cordes.
Les dernières images sont pitoyables, on a même peine à en parler : Cluzet court au lever du soleil en brandissant son drapeau de fausse société comme à la guerre (la fameuse photo sur la guerre du Pacifique utilisée par Eastwood) , alors qu'une escouade d'opérette gendarmesque le poursuit (tout en le croisant !).
C'est parti pour les films de Cannes avec le film de Desplechin, qui frappe tout de suite fort.
Un conte de Noel est en effet un film profond, amusant, virtuose, émouvant, captivant, bref, une Palme d'Or en puissance.
Premier point : les acteurs. Amalric est absolument prodigieux. Il signe une performance époustouflante, tour à tour cabot, insupportable, séduisant, inquiétant. Il dégage une vitalité quasi sur-humaine : qu'il tombe face contre terre, qu'il se shoote au cocktail médocs+alcool, qu'il subisse une ponction lombaire, il se relève toujours alors que les autres le croient mort (et sa soeur en particulier).
Force de la nature, ou force de l'imaginaire desplechinesque plutôt, toujours prêt à désescalader les murs de brique. Toute la distribution est à l'avenant : Catherine Deneuve, comme un sphynx, et surtout son mari (Jean Paul Roussillon), adorable. Chiara Mastroianni, pleine de sensualité. Anne Consigny comme une vitalité à l'envers, un trou noir qui absorbe tout sentiment, toute joie. Cela faisait longtemps que je n'avais pas vu une distribution aussi éblouissante (et j'oublie Emmanuelle Devos, craquante en juive imperturbable au milieu de ce joyeux bordel). Et Melvil Poupaud, transparent et tellement commun qu'il en devient attendrissant.
Deuxième point : un scénario magnifique. Une intrigue au départ assez simple (une soeur bannit son frère, puis ce frère s'avère un donneur de moelle osseuse potentiel susceptible de sauver la mère) vite ramifiée, puis débordée par d'autres intrigues, petites, grandes, sauvages ou tristes. Le tout est foisonnant de vie, bruissant de cinéma.
Troisième point : une mise en scène à montrer dans toutes les écoles de cinéma. Inventive, percutante, inspirée. Les personnages qui s'adressent à la caméra, le diaphragme qui isole une partie de l'image, les cadrages inhabituels, le théâtre d'ombre, etc... on n'en finirait pas d'énumérer les preuves de virtuosité, mais cette virtuosité n'est pas gratuite, elle est au service des histoires que raconte de film, et c'est ce qui est merveilleux.
Que dire de plus ? ... le jeu subtil autour des concepts temporels. A l'enchainement quasi théâtral (unités de lieu, d'action, de temps) sur quelques jours de la deuxième partie du film, répond la profondeur que donne la première partie avec ses flash back 5 ans en arrière, et bien au delà pour tout ce qui concerne la mort du petit Joseph, ombre tutélaire qui plane sur tout le récit.
Et ce sens du rythme, exprimé dans un montage à la fois haletant et maîtrisé ! Et la façon de filmer les paysages urbains de Roubaix, terre natale de Desplechin ! Et comment un simple cadrage sur une photo ancienne peut susciter l'émotion ! Et la neige, simplement la neige ! Et le choix des musiques !
Si Sean Penn, que j'adore comme réalisateur, n'avait pas dit bêtement qu'il récompenserait un film "social" (ce qui aurait du le disqualifier immédiatement en tant que président du jury), nul doute que Un conte de Noel aurait été très proche de la Palme, ou au moins du prix spécial du jury.
Le lot de consolation attribué à Catherine Deneuve est triste, mais comme elle l'a reçu avec beaucoup de dignité (ou aurait dit le personnage du film), on le prendra comme un coup de chapeau à l'oeuvre toute entière.
Du grand art. 2h23 qui s'écoulent comme un rêve tissé de cruauté et d'élans, d'émotions et de beautés.
Les références vont bien sûr du côté de Bergman, mais d'un Bergman polisson, ou un peu bourré. D'un Dostoievski chez les Ch'tis, mais avec l'intensité d'un polar, l'insolence d'un Woody Allen et un sens de la réplique vacharde jouissif (le "elle conduisait mal" pourrait rester dans les annales).
Sûrement ce qui se fait de mieux dans le cinéma français aujourd'hui, et s'il vous plait à ne rater sous aucun prétexte.