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Christoblog

Articles avec #asghar farhadi

Un héros

Comme c'est souvent le cas quand un réalisateur s'expatrie, Asghar Farhadi retrouve pleinement son talent en retournant tourner dans son pays d'origine.

Un héros développe la petite mécanique farhadienne avec une précision diabolique : le bien et le mal semblent les deux faces d'une même pièce, on peut adopter les points de vue des différents personnages à tour de rôle et on est sans cesse tiraillé entre plusieurs considérations, perdu dans une galaxie de dilemmes moraux.

Le film est délicieux car totalement imprévisible : ce à quoi on s'attend n'arrive généralement pas, et à l'inverse Farhadi nous emmène dans des scènes à la fois improbables et férocement réalistes, comme celle de l'enfermement de Rahim dans le magasin.

Le meilleur film de l'iranien depuis Une séparation se termine sur un plan d'exception, peut-être le plus beau vu au cinéma cette année. Le cadre est composé de deux parties : à droite un avenir possible lumineux, à gauche celui vers lequel le personnage va se diriger, du fait de l'enchaînement des évènements, dont il est partiellement responsable (c'est cette finesse qui distingue ce film de celui, poussif et lourdingue, de Rasoulof). Au milieu, une zone grise, celle de notre conscience.

Un héros réussit de multiples prodiges. L'un des plus brillants est de parler merveilleusement bien des réseaux sociaux sans à aucun moment filmer un écran de téléphone : quel autre cinéaste peut être aussi intelligent ? Un autre est de ne pas répondre à la question comprise dans le titre.

Une fête pour l'esprit.

Asghar Farhadi sur Christoblog : Les enfants de Belleville - 2004 (***) / A propos d'Elly - 2009 (***) / Une séparation - 2010 (****) / A propos d'Une séparation : le vide avec un film autour / Le passé - 2013 (**) / Le client - 2016 (***) / Everybody knows - 2018 (**)

 

4e

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Everybody knows

Le début du film est surprenant et particulièrement réussi : on n'avait encore jamais vu Asghar Farhadi adopter un rythme si échevelé. Le montage est vif, les mouvements de caméra fluides et la direction d'acteurs exceptionnelle. On est véritablement immergé dans cette fête de mariage, et chaque personnage acquière rapidement une personnalité marquée.

La deuxième partie du film est beaucoup plus classique. Les ficelles scénaristiques sont bien plus grosses et plus visibles que dans films iraniens du réalisateur (A propos d'Elly, Une séparation, Le client). On attend vainement le changement de perspective qui va opérer un vrai basculement dans l'histoire. La résolution finale est un peu éventée.

L'impression globale est tout de même celle d'une grande maîtrise dans la mise en scène et d'une solide qualité dans la narration et les dialogues. Farhadi parvient ponctuellement à faire exprimer des sentiments très subtils à ses acteurs.

Si vous voulez suivre l'ensemble de mes aventures cannoise, il faut consulter mon Journal de Cannes.

 

2e

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Le client

Le client ressemble par bien des aspects à Une séparation : un évènement central dont on ne sait pas tout, une observation des rapports de classe, un scénario virtuose, une mise en scène subtile.

L'intérêt majeur de l'intrigue, c'est de distiller le doute du début à la fin. On se pose toute une série de questions qui s'avèrent progressivement ne pas être le coeur du film : L'immeuble va-t-il s'effondrer ? Que contiennent vraiment les affaires que la femme a laissé ? Etc.

Les ressorts du film sont donc approximativement les mêmes que ceux d'Une séparation, avec ici une construction moins rigoureuse, plus flottante, que dans le plus grand succès de Farhadi. 

On admire dans Le client le talent du réalisateur iranien pour diriger ses acteurs, et sa subtilité dans l'approche des dilemmes moraux, ici autour du thème de la vengeance : peut-elle s'exercer contre l'avis de la victime ? On pourra aussi s'amuser à rechercher dans le scénario les circonvolutions illogiques dues au fait que les femmes doivent toujours être voilées à l'écran.

Comme toujours dans le cinéma de Farhadi, la stimulation intellectuelle et la beauté de la mise en scène se complètent parfaitement, avec peut-être un tout petit manque d'intensité. Je n'ai pas non plus parfaitement compris l'intérêt de montrer de si nombreux passages de la pièce d'Arthur Miller (si j'exclus le fait que Farhadi a réalisé sa thèse de fin d'étude sur l'auteur britannique).

Ces quelques (petites) réserves ne doivent pas vous empêcher d'aller voir Le client.

Asghar Farhadi sur Christoblog : Les enfants de Belleville - 2004 (***) / A propos d'Elly - 2009 (***) / Une séparation - 2010 (****) / A propos d'Une séparation : le vide avec un film autour / Le passé - 2013 (**)

 

3e

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Le passé

http://fr.web.img6.acsta.net/r_640_600/b_1_d6d6d6/medias/nmedia/18/97/39/33/20540906.jpgJ'aime beaucoup le cinéma d'Asghar Farhadi, que je défends depuis longtemps sur Christoblog. C'est peut-être pour cette raison que je suis très exigeant avec lui, et que je trouve que Le passé, bien qu'étant un bon film, est tout de même un peu décevant.

Premier point, il me semble que la mécanique scénaristique farhadienne, portée à son point le plus diabolique dans Une séparation, est ici un peu trop (pré)visible. Les rouages me paraissent légèrement grippés, et beaucoup d'enchaînements sont prévisibles.

Pourquoi le personnage d'Ahmad, entouré de mystère, disparaît-il aux deux tiers du film ? En quoi les causes du suicide de la femme de Samir sont-elles si importantes ? Courriels de la fille ou jalousie envers l'employée du pressing, quelle importance quand la relation de Samir et Marie allait devoir éclater au grand jour ?

Comme symbole de la perte relative de subtilité de Farhadi, il  me semble que la fin du film est exemplaire : plaquée, larmoyante, un peu too much - tout le contraire de la dernière scène d'Une séparation. Cette fin orientée vers la femme de Samir escamote le personnage de la jeune fille et le sujet de sa culpabilité, qui était le véritable ressort dramatique du film.

Ceci étant dit (qui aime bien, chatie bien), il faut reconnaître que le savoir-faire habituel du cinéaste iranien rend tout de même le film agérable : réseau dense de signes et de symboles, transparences diverses, espaces confinés, utilisation optimale des intérieurs, sens du détail, perspectives superbes. La mise en scène de Farhadi est parfaite, presque trop, et il me semble qu'elle empêche un peu l'expression des acteurs, Tahar Rahim étant encore une fois assez moyen dans ce film. Le titre du film, enfin, une fois n'est pas coutume, me semble très peu en adéquation avec son contenu.

Peut mieux faire.

 

Asghar Farhadi sur Christoblog : Les enfants de Belleville (***) / A propos d'Elly (***) / Une séparation (****) / A propos d'Une séparation : le vide avec un film autour

 

2e

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Les enfants de Belle Ville

http://images.allocine.fr/r_640_600/b_1_d6d6d6/medias/nmedia/18/90/58/31/20133714.jpgL'immense succès français d'Une séparation nous vaut aujourd'hui une ressortie estivale d'un des premiers films de son auteur, Asghar Farhadi.

Si ce premier jet est loin de valoir son illustre successeur (il est bien moins vif et moins dense), il permet de détecter les qualités qui font de Farhadi un auteur hors pair. Le point saillant est d'abord son habileté à tisser des scénarios machiavéliques, aux airs de thrillers métaphysiques, qui rappelle les plus grands explorateurs de l'âme humaine : Bergman, Mankiewicz, Kieslowski...

Ensuite une grande attention aux visages, à l'expression des sentiments, à la capture des moindres variations exprimées par les acteurs.

Et enfin une mise en scène solide, au service de la philosophie du film, qui prend des partis-pris résolus même s'ils sont discrets (des plans de face, une récurrence des plans à travers la fenêtre).

La mécanique de l'histoire développée par Les enfants de Belle Ville est redoutable (un jeune homme tente d'obtenir le pardon du père de la victime pour faire gracier son meilleur ami) et tient en haleine jusqu'au bout du film, dont la fin, surprenante, renverra chacun à ses propres réflexions.

Je conseille donc le film à ceux qui ont adoré Une séparation.

 

3e

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Une séparation

Une séparation est impeccable et magistral.

Quelque soit l'angle sous lequel vous le considérez, il brille d'un éclat unique.

Prenons par exemple le scénario. Je n'ai pas vu une telle qualité et une telle intelligence depuis ... Rashomon ? La comtesse aux pieds nus ? Le film, après un démarrage curieux, un peu froid et en même temps brillant, devient à partir du début du conflit une extraordinaire machine a vous faire reconsidérer vos opinions. Le moindre petit évènement (un coup de fil passé, la position qu'occupait un personnage dans une pièce) prend une importance capitale. C'est racé, nerveux, méticuleux.

Considérons les acteurs. Qu'ils (et elles) aient décroché collectivement les prix d'interprétation à Berlin, en plus de l'Ours d'Or (un cas à ma connaissance unique dans l'histoire des grands festivals) n'est que justice. Ils jouent comme des instrumentistes virtuoses dans un grand orchestre : chacun exécute parfaitement son rôle. Bien entendu les deux couples principaux sont parfaits, mais la jeune fille est émouvante, la petite fille bouleversante, le grand-père apporte un poids presque magique à la situation, le juge est redoutable. J'ai été plusieurs fois étourdi par l'extrême qualité de l'interaction entre les personnages et par la finesse de leur jeu. Ils réalisent une performance collective admirable.

Quand aux différents niveaux de lecture du film, c'est le point qui en fait pour moi un réel chef-d'oeuvre. A la fois chronique sociale sur la vie d'aujourd'hui en Iran, drame sentimental, tragédie grecque, procedural, conte moral, exploration philosophique (où est la vérité, qu'est-ce que la responsabilité, l'amour ?), thriller psychologique et enfin film politique, au plus beau sens du terme, qui donne à voir ce qu'est le rapport de classes.

Le film est un bijou conceptuel, éthique et esthétique. Asghar Farhadi semble touché par la grâce et manie sa caméra sans ostentation, mais avec une précision chirurgicale et des idées brillantes (le générique de début à la photocopieuse, la première scène ou le spectateur tient la place du juge, les jeux de reflets durant tout le film).

Vous l'avez compris, vous n'avez pas le droit de ne pas aller voir ce film, il en va de l'honneur de notre pays de cinéphilie de lui réserver un triomphe !

Voir mon complément d'analyse : Le vide avec un film autour

 

4e

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Le vide avec un film autour, retour sur Une séparation

L'émotion profonde et durable que m'a procuré la vision d'Une séparation m'amène exceptionnellement à revenir sur le film, au-delà de ma première critique.

 

Un labyrinthe organisé

Le film fonctionne comme une expérience dans lequel nous serions (spectateurs et personnages) des souris de laboratoire.

Farhadi nous met à l'entrée d'un labyrinthe dans lequel nous allons évoluer pendant toute la durée du film. Comme la souris, nous ne voyons à un moment donné que le couloir devant nous, et à chaque intersection, plusieurs perspectives toujours tronquées ou partielles s'offrent à nous. Le film nous conduit à des cul-de-sac, où nous ramène à un point où nous sommes déjà passé, en nous faisant redécouvrir un carrefour sous un autre angle.

Très concrètement, le labyrinthe est organisé matériellement par un montage très recherché dans lequel chaque plan est une case qui nous fait progresser. Pour renforcer cette impression de progression bridée, Farhadi nous enferme dans des lieux clos (appartements, palais de justice, école, cours) souvent exigus (les voitures, la salle d'audience dans laquelle les deux protagonistes sont très proches du juge).

Non seulement les personnages évoluent en lieux clos, mais ils passent une bonne partie de leur temps à fermer des portes (celle de l'entrée de l'appartement évidemment, celle de la chambre du père), matérialisant dans l'espace propre du film les cases conceptuelles du scénario : à chaque case sa vérité.

Subtilité ultime de la mise en scène, il arrive qu'on puisse jeter un coup d'oeil dans une autre case, ou de l'autre côté du couloir de labyrinthe, par de multiples jeux de transparence ou de miroir (dans l'appartement lui-même en partie labyrinthique, dans les pare-brise ou les rétroviseurs de voitures, à travers/sur des vitres ou des miroirs)

Bel exemple du labyrinthe exigu et vitré : la cuisine de Hodjat et Razieh, à la fois tellement petite que le conflit entre mari et femme devient physique, et donnant sur le couloir par une vitre.

 

Eloge des plans manquants

Le labyrinthe que constitue Une séparation nous permet de tourner autour .... de ce que le film omet de montrer.

C'est évidemment vrai à propos de la scène de l'accident, siphon béant au coeur du film qui aspire en spirale tous les protagonistes, mais en y réfléchissant un peu plus profondément, c'est vraiment la caractéristique du film de ne pas montrer ce dont il parle.

Par exemple aux deux extrémités du film, il nous manque deux plans que n'importe quel film "normal" aurait montré : le plan du juge au début, et celui qui montre le choix de Tameh dans le dernier.

Ce triptyque de plans manquants justifie que le titre du film soit Une séparation et non La séparation. Une parce qu'on peut choisir : séparation du couple, séparation du foetus, séparation d'une adolescente d'un de ses parents.

Entre l'oeil du cyclone et ces deux extrêmes le nombre de plans manquants est colossal : pour ne parler que des plus importants, on peut citer celui où la caméra serait dans l'escalier quand Razieh en est expulsé, celui qui montrerait cette dernière chez le médecin ou celui qui montrerait l'endroit où l'argent a été volé.

D'une façon encore plus subtile, manque beaucoup de contrechamps aux champs reflétant le vécu d'un des personnages : contrechamp sur la prof de Termeh quand Nader l'appelle pour avoir le numéro de téléphone du médecin, contrechamp sur les invités quand Razieh et Hodjat se disputent dans leur cuisine, etc.

Non seulement, il n'y a donc pas de sortie au labyrinthe, mais tous les endroits de ce dernier ne sont pas accessibles.

La force incroyable du film se loge probablement dans ce hiatus : alors que la plupart des oeuvres vous marquent parce qu'elle vous montrent ce qu'elles vous montrent - et que le temps efface le souvenir d'avoir vu, Une séparation vous marque par ce qu'il ne vous montre pas ce qu'il vous montre - et que le temps efface plus difficilement ce que vous avez profondément ressenti sans le voir.

 

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A propos d'Elly

Golshifteh Farahani. Memento Films DistributionA propos d'Elly est un film iranien ... qui n'a rien d'iranien. Je veux dire par là qu'il ne faut pas y chercher de messages politiques, de relations directes à l'actualité du pays, ni de filiation avec les pointures locales, comme Kiarostami.

Le début ressemble à n'importe quel film présentant plusieurs couples jeunes et leurs enfants partant en week-end : pique-nique improvisé, chacun joue un rôle, on sent vaguement que les relations entre les uns et les autres ne sont pas aussi simples que ça. Arrivée dans une maison déserte près de la mer Caspienne. On comprend qu'Elly a été invitée pour rencontrer Ahmad, jeune divorcé de retour d'Allemagne, et qui cherche une femme.

Les premières impressions que laissent le film sont très bonnes et seront confirmées par la suite : montage vif, mise en scène inspirée, scénario original et subtil, acteurs fournissant une remarquable prestation collective.

Puis, très vite : un drame. Un enfant manque de se noyer. Elly disparait. S'est elle noyée ? Est elle partie ? Pourquoi la mer ne rejette-t 'elle pas son corps ? Qui est-elle ? Qui est sa famille ? Ou est son sac à main ? Quelqu'un dans le groupe en sait il plus que les autres ? Qui est cet homme se prétendant son frère alors qu'elle est fille unique ? Toute la deuxième partie du film déroule un canevas subtil, et assez machiavélique pour nous tenir en haleine.

La façon dont chaque personnage évolue est montrée avec une grande finesse psychologique, les rapports hommes / femmes dans la société iranienne contemporaine sont en particulier superbement illustrés.

Un film palpitant, passionnant à bien des égards, qui mérite son ours d'argent à Berlin.

 

3e

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