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Articles avec #demy

Une chambre en ville

Continuant d'explorer la filmographie de Jacques Demy, je me plonge avec délice en ce début d'année 2011 dans le remarquable Une chambre en ville.

Le film est exceptionnel à plus d'un titre. Il constitue d'abord un des plus anciens projets de Demy (1963), qui faillit le réaliser en 1975 avec Deneuve et Depardieu. Il est ensuite, avec Lola, LE film de Demy sur sa ville, Nantes, qui en constitue le décors naturel. Il est enfin un nouveau pari complètement fou qui rappelle Les Parapluies de Cherbourg : complètement chanté, avec des couleurs absolument extraordinaires et une histoire digne des grands opéras.

On ne peut qu'être fasciné par l'audace de Demy qui met dans la bouche de Danièle Darrieux les phrases chantées "Tu me prends pour une conne" ou "J'emmerde les bourgeois", dans celle de Piccoli affublé de cheveux roux et d'un costume vert Babar "Tu es ma petite pute", dans celle de Dominique Sanda lui répondant "Salaud, ordure, SS" et dans celle de Richard Berry répliquant à la grande Darrieux "J'en ai rien à foutre".

Ce qui surprend, comme toujours chez Demy, c'est que le résultat de ces visions de coloriste, de metteur en scène et de musicien ne sont jamais mièvres, alors que chez n'importe qui d'autre, elle le seraient. Sûrement cela vient-il de ce mélange constant de trivialité / perversité / romantisme / sentiments que Demy distille dans ces films, associé à un montage très nerveux.
Dominique Sanda est nue sous sa robe, le spectre de l'inceste envahit Peau d'âne, les 2 héros des Parapluies s'ignorent dans une dernière scène terrible : rien n'est rose, le noir rôde.

En 1982, la sortie du film causa une sorte de bataille d'Hernani, 80 critiques de grands journaux se liguant pour se payer une tribune dans le Monde incitant les Français à aller voir le film : « Le film à voir aujourd'hui, c'est Une chambre en ville » (sous-entendu plutôt que L'As des As) et Belmondo y répondant avec une vindicte qui ne l'honore pas dans "Une lettre ouverte aux coupeurs de têtes".

Le film prête enfin à toute une interprétation sociologique (il se passe durant les grandes grèves ayant secoué les chantiers navals de Nantes en 1955) assez inhabituelle chez Demy : l'ouvrier, le "métallo" y est écrasé par le patron, mais en plus il est interdit d'amour (et de sexe) avec la bourgeoise. 

Un film étonnant, ébouriffant, un coup de génie visionnaire, que tout le monde devrait avoir vu.

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4e

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Peau d'âne

Peau d'âne est un superbe film de Noël.

Formellement c'est un objet d'une étrangeté exceptionnelle. 3 mondes plus étranges les uns que les autres se succèdent : le bleu, celui du début, organique, incestueux, inquiétant, le vert, celui de la cabane dans la forêt, végétal, accueillant, puis le rouge, celui du Prince, minéral et froid.

Demy et Varda, durant les deux années qu'ils ont passés en Californie avant la réalisation de ce film, n'ont pas du boire que de l'eau, ni fumer que des cigarettes. Peau d'âne est en effet pétri d'influences psychédéliques (il suffit de regarder l'affiche : on dirait un album de Yes) en même temps que façonné par des tas d'influences directes : Cocteau et Disney principalement.

Ce qu'il y a d'incroyable, c'est de constater toujours cette invention propre à Demy, fait d'un mélange unique de magie, de douleur et de beauté formelle, qui donne à chacun de ses films un caractère absolu et intemporel.

Delphine Seyrig est à croquer en fée coquine, Jean Marais impérial en roi amoureux de sa fille et Deneuve divine en Princesse aux deux visages. Un film vraiment magique

 

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3e

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Les parapluies de Cherbourg

Collection Christophe L.Les parapluies de Cherbourg est le troisième film de Jacques Demy.

On se souvient qu'à la fin de Lola  , la plupart des personnages principaux partaient pour Cherbourg, en particulier l'alter ego de Demy, Roland Cassart, qu'on va retrouver dans les parapluies en diamantaire avisé. Il y a donc une continuité entre ces deux films, très joliment illustrée par un long travelling tournant dans le passage Pommeraye déserté, en guise de flash back.

Demy voulait d'ailleurs tourner Les parapluies dès 1962, mais l'idée de financer un film ENTIEREMENT chanté, ce qui n'avait encore jamais été fait, inquiétait sérieusement les producteurs et le montage du film a été plus long que prévu. Entre temps Demy a donc tourné La baie des anges.

Aujourd'hui encore c'est l'émorme pari esthétique que propose le film qui impressionne le plus. Tourner en 1962 un mélodrame avec uniquement des dialogues chantés, filmé en grande partie en extérieur, il fallait vraiment oser. D'autant plus que Demy innove aussi au niveau des couleurs, particulièrement audacieuses. Il repeint les façades des maisons en couleurs vives, choisit des papiers peints pour les intérieurs en fonction des robes des actrices, multiplie les contrastes rose/vert/rouge/orange/bleu.

L'histoire commence comme un gateau sucré et un peu indigeste, évolue vers un mélodrame doucereux, et finit par un dénouement sec comme un coup de trique.
C'est avant tout le film de la désillusion : l'amour n'est pas aussi fort qu'on peut l'espérer, et le temps arrive assez facilement à l'effriter. C'est aussi, en creux, un film très juste sur le traumatisme de la guerre d'Algérie et ses conséquences. C'est enfin un remarquable exemple de symbiose dans une équipe de film (la musique de Michel Legrand évidemment essentielle, l'éclosion d'une jeune Catherine Deneuve - 21 ans - sublime sous le regard d'un réalisateur très doué).

Demy manifeste à son troisième long métrage une maitrise assez incroyable, très à l'aise dans le placement de la caméra, se permettant même de faire regarder les actrices droit dans les yeux des spectateurs à plusieurs reprises. Sa façon de conter des histoires particulièrement cruelles (le héros principal couche avec une pute au moment ou sa marraine qui l'a élevé meurt, il refuse de saluer sa fille à la fin du film, etc..) dans une ambiance de conte de fée, est très représentatif du style Demy.

Si Christophe Honoré ou des films comme Jeanne et le garçon formidable existent aujourd'hui, c'est probablement grâce aux Parapluies.

 

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3e

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Lola

http://fr.web.img1.acsta.net/r_640_600/b_1_d6d6d6/medias/nmedia/18/91/04/14/20126855.jpgPremier film et premier bijou. Nous sommes en 1961 et la nouvelle vague vient juste de démarrer, A bout de souffle est sorti en 1960, les 400 coups en 1959. Godard a présenté son copain Jacques Demy au producteur De Beauregard qui va financer Lola (comme le raconte Agnès Varda dans Les plages d'Agnès). Le film est totalement inséré dans son époque : Demy y paye un tribu direct à Max Ophuls auquel Lola est dédicacé (en souvenir de Lola Montés ?), l'actrice Elina Labourdette renvoie au cinéma de Bresson, le directeur de la photo (Raoul Coutard) est celui d'A bout de souffle, le personnage principal masculin de Lola dit qu'il avait un seul ami , Michel Poiccard, qui s'est fait descendre (A bout de souffle encore !), etc...

A la fois dans son époque donc, et déjà porteur de tout l'univers Demy. Dialogues ciselés, mise en scène élégante et virtuose, importance des femmes.

Marc Michel joue clairement un alter ego de Demy, désanchanté mais/et enthousiaste. Mais ce sont surtout les personnages féminins qui emplissent le film. Lola d'abord, extravertie, légère, dont on se dit que le destin va être tragique et puis non, car Demy à l'art de la pirouette heureuse (ou qui semble heureuse pour être plus précis), Cécile ensuite, qui est Lola jeune, et enfin la mère de Cécile, qui est Lola plus vieille, ou disons une autre Lola qui aurait évolué différemment si les circonstances de la vie s'y étaient prêtées (elle fut danseuse comme Lola).

Le film entrecroise les destins, comme Demy savait le faire, les personnages se croisent sans se voir, il échangent ou répétent les mêmes répliques ("on part pour Marseille, on arrive en Argentine"), traversent les mêmes situations (Cécile et le soldat revivent à la fête foraine ce que Lola, qui s'appelle en réalité Cécile, a vécu avec Michel). Et à la fin tout le monde part, ou veut partir, d'une façon ou d'une autre à Cherbourg.

Le film donne une double impression : celle de pétiller irrésistiblement comme du champagne, et celle d'être parfaitement contrôlé. A certains moments il devient solaire par la grâce conjuguée du jeu d'acteur, de la mise en scène et de la photo. C'est le cas quand Anouk Aimée et Marc Michel tourne autour du passage Pommeraye, lors de la fête foraine ou lorsque Lola chante.

Nantes est enfin magnifiquement filmée (les grues du port, la place Graslin, le Katorza qui est toujours là 50 ans après), ville ouverte, où chacun rêve de partir. Le temps qui s'écoule est filmé de façon sensible, alors que le temps de narration est court (3 jours), il donne l'impression de voir des destinées entières se nouer et se dénouer.
Lola et Roland Cassard reviendront dans d'autres films, car Demy, comme Balzac, conçoit son oeuvre comme un tout.

Tout l'univers de Demy est présent dans Lola, mêlant comme nul autre légéreté et gravité. 

 

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4e

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