La permission de minuit
Une fois n'est pas coutume, je vais défendre un film qui est décrié par l'ensemble des blogueurs (la presse est moins sévère : cf Libération, Positif,
L'Huma, Télérama, L'Express et Le Point).
J'ai en effet vu dans l'oeuvre de Delphine Gleize de nombreuses qualités.
Tout d'abord, le sujet traité est très intéressant et cinégénique. Il s'agit de découvrir cet affreuse maladie (XP : Xeroderma pigmentosum) qui interdit aux enfants atteints de s'exposer aux UV sous peine de mourir de cancers de la peau. Cinégénique parce que cette situation fournit nombre de variations intéressantes : tomber en panne de voiture avant le lever du soleil devient un piège mortel, porter
sa combinaison de protection c'est comme aller au bal masqué, Romain vit la nuit en toute sécurité alors que les autres enfants apprennent que danger = nuit, etc. La peau de Romain apparait
finalement comme une pellicule sensible, captant la lumière des évènements comme une plaque photographique, en négatif.
Impossible de ne pas penser aux récents films de vampires, et en particulier au superbe Morse. Il y a dans le jeu du jeune acteur un petit quelque chose qui rappelle dans sa sauvagerie
un peu rebutante et en même temps attendrissante le/la jeune héroïne du film suédois.
Cette trame initiale se double de nombreuses variations sur d'autres sujets tout aussi puissants : la transmission de pouvoir, l'amitié, la lâcheté, la façon dont les mères et les épouses
supportent les faiblesses des maris et des enfants, la mort, le hasard, la fatalité. Le film évite avec habileté tout pathos (il suffit d'entrapercevoir quelques secondes des photos sur un écran
d'ordinateur pour deviner l'horreur, et la mort d'une amie est symbolisée par le cadre d'une porte ouverte).
La réalisatrice parvient à construire quelques scènes qui sont d'une beauté rare : je pense à celle, que j'ai trouvée magnifique, dans la chambre d'hôtel à Bruxelles. Une façon d'utiliser les
images télé d'un match de rugby à contre-emploi, de filer une bande-son discrète et oppressante, de ciseler quelques répliques glaçantes ("J'ai peur" "Moi aussi, j'ai peur") qui rendent la mort
tout à coup présente : cette scène peut être montrée dans les écoles de cinéma.
Le film tient par la performance exceptionnelle de Vincent Lindon, une fois de plus absolument convaincant dans un rôle assez différent des précédents, d'une Emmanuelle Devos surprenante, dont on
ne peut jamais prévoir les intonations, et d'une Caroline Proust toute en nuance. Le jeu du jeune acteur Quentin Challal finit également par s'imposer.
Le film est parfois maladroit, notamment dans la façon dont sont dessinés les personnages secondaires (l'histoire d'amour de Romain par exemple). Certains développements sont invraisemblables,
les musiques un peu fatigantes et les dialogues curieusement inaudibles, mais la balance est pour moi nettement positive : il s'en dégage une ambiance qui marque et dont on a du mal à débarrasser
- ambiance due en grande partie à une utilisation très intelligente du décor : le plus souvent désert et grandiose, et tout à coup banal (une simple rue piétonne) lorsqu'ils devient mortel.
Commenter cet article